tag:blogger.com,1999:blog-41818983499406342422024-03-16T02:13:22.065+01:00Les philosophes antiques à notre secours.ISSN 2270-6968Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.comBlogger1765125tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-19316629958008801712024-02-13T11:49:00.001+01:002024-02-13T16:43:43.791+01:00Éduquer et rejeter.<p>Comment constituer une pédagogie qui d'une part, comme il se doit, favorise le développement du meilleur de chaque élève, en reposant sur une certaine confiance, et d'autre part, respecte la vérité de la dernière phrase de l'<i>Éthique</i> de Spinoza ?</p><p>" Omnia praeclara tam difficilia, quam rara sunt." " Tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare. " (traduction de Bernard Pautrat).</p><p>On entend par contraste la rengaine ressassée de la garderie à l'université : " Tout ce qui est remarquable est facile autant que fréquent."</p><p>En écho au problème posé, ces lignes de Denis Kambouchner à propos du monde des " généreux ", tel que Descartes l'entend :</p><p>" Leur société restera donc, non par vocation (comme les critiques récentes de l'humanisme le suggèrent à l'envi), mais par la force des choses, une société partielle et minoritaire." (<i>La question Descartes, </i>Gallimard, 2023, p. 287)</p><p>Y aurait-il un mensonge au sein de la pédagogie la plus honorable ? L'association que fait Platon dans <i>La République</i> entre éduquer et cacher, éduquer et exclure est-elle donc inévitable ?</p>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-83754977711830808852024-02-06T12:10:00.001+01:002024-02-06T12:10:56.938+01:00De l'oison à la mouche.<p>Denis Kambouchner, dans <i>La question Descartes </i>(Folio, 2023), examinant le problème de la pensée des animaux, cite ce passage de la lettre à Chanut du 6 juin 1647 :</p><p>" C'est Dieu seul qui est la cause finale aussi bien que la cause efficiente de l'univers ; et pour les créatures, d'autant qu'elles servent réciproquement les unes aux autres, chacune se peut attribuer cet avantage, que toutes celles qui lui servent sont faites pour elle." (p. 271)</p><p>Il rapproche ensuite de ce texte quelques lignes de Montaigne (<i>Essais</i>, II, 12) où la créature devient un oison, doté lui d'une conscience égocentrique de l'interdépendance mentionnée par Descartes :</p><p>" Pourquoi ne dira un oison ainsi : Toutes les pièces de l'univers me regardent ; la terre me sert à marcher, le Soleil à m´éclairer, les étoiles à m'inspirer leurs influences ; j'ai telle commodité des vents, telle des eaux ; il n'est rien que cette voûte regarde si favorablement que moi ; je suis le mignon de nature ; n'est-ce pas l'homme qui me traite, qui me loge, qui me sert ? c'est pour moi qu'il fait et semer et moudre ; s'il me mange, aussi fait-il bien l'homme son compagnon, et si fais-je moi les vers qui le tuent et qui le mangent."</p><p>On notera d'abord que ce dernier texte conduit à penser Épictète, et conséquemment tout stoÏcien providentialiste, aussi naïf qu'un oison, quand il écrit dans les <i>Entretiens</i> I, 16 :</p><p><span style="background-color: white; text-align: justify;"><span style="font-family: inherit;">" Ne vous étonnez pas que les autres animaux aient à leur disposition tout ce qui est indispensable à la vie du corps, non seulement la nourriture et la boisson, mais le gîte, et qu'ils n'aient pas besoin de chaussures, de tapis, d' habits, tandis que nous, nous en avons besoin. Car il eût été nuisible de créer de pareils besoins chez des êtres qui n'ont pas leur fin en eux-mêmes, mais sont nés pour servir. Vois quelle affaire ce serait de nous occuper non seulement de nous-mêmes, mais de nos brebis et de nos ânes pour les vêtir, les chausser, les nourrir, les faire boire.<span style="color: #4e5368;">"</span></span></span></p><p style="text-align: justify;">Ensuite que l'oison de Montaigne raisonne comme les hommes finalistes critiqués par Spinoza dans l'appendice de la première partie de l´<i>Éthique. </i></p><p style="text-align: justify;">Enfin, que la mouche nietzschéenne hérite de l'égocentrisme du petit de l'oie montanien :</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: inherit;"><span style="background-color: white;">« Si nous pouvions comprendre la mouche, nous nous apercevrions qu’elle évolue dans l’air animée de cette même passion et qu’elle sent avec elle voler le centre du monde. » (<i>Écrits posthumes</i></span><span style="background-color: white;">, 1870-1873, Gallimard, p.277)</span></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: inherit;"><span style="background-color: white;">Amusant de relever qu'autant les lignes de Montaigne que celles de Nietzsche ne viennent illustrer la position cartésienne qu'au prix d'une trahison majeure de la pensée de Descartes : leur fable présuppose une conscience de l'animal.</span></span></p><p><br /></p>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-82053255756130988892024-01-02T09:47:00.000+01:002024-01-02T09:47:04.204+01:00Kafka et la caricature involontaire de l'apathie stoïcienne.<p>En 1912, Kafka a écrit un court texte, intitulé <i>Décisions </i>(<i>Entschlüsse</i>), qui ne fait guère plus qu'une demie-page. Le thème en est l'impossibilité de " s'extraire d'un état misérable " et la manière de remédier à une telle impossibilité. C'est dans la description de cette solution à l'absence de Solution, si on peut dire, que je vois comme l'ombre déformée et hostile de l'apathie stoïcienne :</p><p>" C'est pourquoi le meilleur conseil demeure quand même de tout accepter, de se comporter comme une masse pesante, et si l'on se sent soi-même propulsé par un souffle (sich selbst fortgeblasen), de ne se laisser entraîner à aucun pas inutile, de regarder autrui avec un regard bestial (Tierblick), de n'éprouver aucun remords, bref d¨écraser de sa propre main ce qui subsiste encore fantomatiquement de la vie, c'est-à-dire d'accroître encore l'ultime repos tombal (die letzte grabmässige Ruhe) et de ne plus rien laisser persister d'autre que lui." (<i>Nouvelles et récits</i>, La Pléiade, p.16)</p><div style="text-align: left;">Se dessine ici une ataraxie mi-volontaire, mi-pathologique. En effet, si le stoïcien accepte tout, ce n'est pas à défaut de pouvoir tout fuir. S'il occupe le présent sans crainte ni espérance et n'a plus la légèreté incorporelle de qui vit dans le passé ou dans l'avenir, s'il laisse passer le souffle inévitable des premières émotions pertubatrices et ne compose avec son corps que les actions dues à ses devoirs, il regarde autrui non avec un regard d'animal, inexpressivement, mais avec des yeux humains, certes dépassionnés mais sans froideur. Ce qu'il écrase de sa propre main, c'est seulement ce qui subsiste encore machinalement de la vie passionnelle non maîtrisée et ce n'est que du point de vue de celui pour qui cette vie empathique, sensible, et emportée est la Vie, qu'on peut dire alors qu'il ne vit qu'à faire le mort.</div><div style="text-align: left;">Tout se passe en somme comme si, sans le vouloir, Kafka prêtait ici sa voix à un défenseur des passions, comme Diderot, par exemple, quand il écrit la cinquième de ses <i>Pensées philosophiques</i> (1746) :</div><div style="text-align: left;"><br /></div><div style="text-align: left;">" C'est le comble de la folie que de se proposer la ruine des passions. Le beau projet que celui d'un dévot qui se tourmente comme un forcené pour ne rien désirer, ne rien aimer, ne rien sentir, et qui finirait par devenir un vrai monstre, s'il réussissait." ( <i>Oeuvres philosophiques</i>, La Pléiade, p. 4)</div><div style="text-align: left;"><br /></div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-39507681039510131512023-12-13T19:16:00.003+01:002024-03-04T12:54:10.709+01:00Ça commence mal (20 et fin)<div style="text-align: left;">MOI : - Vu que c’est notre dernier entretien, j’aimerais savoir comment me faire reconnaître par les philosophes sérieux.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Renoncez alors à imiter les philosophes célèbres qui vous ont sans doute fait aimer la philosophie.</div><div style="text-align: left;">MOI : - ? </div><div style="text-align: left;">ELLE : - J’imagine en effet que vous avez admiré leur capacité à construire un système cohérent et original portant sur l’ensemble de la réalité.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Oui, et comme j’ai été tenté de me servir de tel ou tel système pour me tenir lieu de religion !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais comme vous ne cessiez pas de réfléchir, le système élu perdait de sa force, n’est-ce pas ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Eh oui, sans que je ne puisse jamais découvrir le système inébranlable !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En tout cas, si vous voulez percer comme philosophe, surtout n’écrivez pas un traité sur la totalité ou quelque chose du genre. Vous seriez taxé de naïveté.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je dois donc choisir un élément.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Exactement, et vous écrivez sur lui quelque chose d’élémentaire, pas un livre, mais un article portant sur un point précis et étroitement défini. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Un point que je souhaite explorer ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Surtout pas, vous y livreriez toutes vos incertitudes...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et tout mon enthousiasme aussi !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais, sans le savoir, l’élan joyeux ne vaut pas grand chose.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je dois donc écrire sur un point que je connais déjà ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Il faut d’une part que vous sachiez comment la question a déjà été traitée par les autres...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Par les autres philosophes ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ça dépend de ceux que vous appelez philosophes !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Eh bien les auteurs majeurs ou mineurs qu’on étudie à l’Université.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Surtout pas, vous vous couvririez de ridicule ! Non, les autres, ce sont les universitaires du présent et du passé. Par exemple, si vous faites de l’histoire de la philosophie, vous interrogerez la valeur de l’interprétation que Monsieur X ou Madame Y ont donné de telle ou telle interprétation d’un passage d’un vrai philosophe, si vous me permettez l’expression.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Donc il faut bien connaître l’oeuvre du philosophe et celle de son interprète....</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Sans oublier les autres interprétations et la littérature qui porte sur elles.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais c’est triste alors, je vais gloser sur des gloses...</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En un sens.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et quelle est l’alternative ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Aborder directement un problème, mais pas un problème existentiel, du genre : la vie a-t-elle un sens ? Ça doit être une difficulté telle que si vous la régliez, mais c’est impossible puisque c’est une difficulté philosophique, la vie n’en serait pas changée.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Si je ne peux pas régler le problème et si je ne peux pas, j’imagine, répéter ce qu’un autre universitaire a déjà écrit, que puis-je faire ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous démarquer avec intelligence et originalité, de telle manière que ceux qui s’attaqueront à la même difficulté n’auront pas d’autre choix que de vous citer.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et si je choisissais plutôt de me faire remarquer par ma vie philosophique ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous intéresserez au mieux votre famille et vos amis.</div><div style="text-align: left;">MOI : - La pratique philosophique n’a donc pas de valeur à l’Université ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet, c’est par la théorie que vous vous distinguerez !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais que vaut une vie consacrée aux théories philosophiques ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C’ est une question à laquelle on répond soit par une opinion, soit par l’enquête morale et métaphilosophique.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais la métaphilosophie, c'est de la philosophie ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - On ne peut rien vous cacher !</div><div style="text-align: left;"><br /></div><div style="text-align: left;"><br /></div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-19869224670277282862023-09-25T13:13:00.006+02:002023-11-29T10:22:38.626+01:00Ça commence mal (19)<div style="text-align: left;">MOI : - C'est notre 19ème dialogue, et à vrai dire, je ne comprends pas pourquoi vous y participez, vu votre scepticisme.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est que je suis profondément divisée ! D'un côté je sais que, chaque fois que je commence à discuter avec vous, les premiers mots que j'énonce sont discutables...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez dire que vous pourriez en choisir d'autres ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Non, je ne pourrais pas en choisir d'autres, enfin je pourrais choisir bien sûr des synonymes, mais en fait je reconnais que je tiens à certaines formulations, à certains arguments, à certaines conclusions...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce que je les juge fondés et qu'ils me paraissent être le produit de mes réflexions, de mes lectures, etc.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais quoi de mieux !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, bien sûr, je reconnais que beaucoup aspirent à ce qui peut passer pour de la maturité intellectuelle mais j'ai conscience de deux choses...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Lesquelles ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - La première est liée au souvenir que j'ai de ma formation philosophique : je sais qu'elle tient beaucoup du hasard...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je me permets vous couper car vous m'avez parue tout à fait spinoziste et déterministe, et donc, sauf à mal vous comprendre, il n'y a pas de hasard.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet, pas de hasard objectif, cependant même une déterministe convaincue doit faire la différence entre, par exemple, lire un livre dont on a programmé l'étude et découvrir, en flânant dans une librairie, un livre dont on ignorait tout et qui nous donne envie de le lire. Voilà, rien de plus, par hasard, je veux dire ici, rencontres imprévues de personnes, de livres etc.</div><div style="text-align: left;">MOI : - D'accord.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - J'ai donc beau croire que ma vie ne pouvait pas être autre qu'elle ne fut, je réalise tout de même que mes idées philosophiques sont nées en partie de rencontres imprévues. J'en conclus donc que si les circonstances avaient été autres, les convictions philosophiques seraient différentes. Une formation philosophique, c'est comme une formation littéraire ou artistique, en somme, avec cependant un hic, c'est que les artistes et les écrivains assument le côté personnel de leur oeuvre, alors que les philosophes sont blessés si on identifie leur oeuvre à un parcours personnel. Ils veulent plus, ils visent la connaissance de la réalité.</div><div style="text-align: left;">MOI : - N'est-ce pas un but on ne peut plus défendable ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si, bien sûr, mais leur formation au hasard (je pousse un peu, c'est vrai) leur en donne-t-elle les moyens ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais vous avez dit vous-même dans notre premier entretien qu'il n'y a pas d'autre formation possible, vu que la philosophie n'est pas une science et encore moins une science des sciences.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est un fait, mais l'avoir à l'esprit m'enlève quelquefois le désir de commencer à parler philosophiquement.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et quelle est la deuxième chose à laquelle vous faisiez allusion au début ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est une conséquence de la première ! Comme aucune formation commune et obligatoire ne précède l'entrée dans la philosophie, dès que j'ouvre la bouche, je peux être arrêté pour de bonnes raisons par soit un sceptique soit quelqu'un qui ne prend pas position de la même manière que moi.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais pourquoi en être embarrassé ? Vous saurez lui répondre.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est possible que, si je suis plus armée que lui, je lui cloue le bec, mais j'en sais pas moins que ma position philosophique n'est pas universalisable...</div><div style="text-align: left;">MOI : - D'accord, mais pourquoi alors ne vous taisez-vous pas ? Vous pensiez que votre vêtement était absolument comme il faut, vous réalisez qu'il n'est qu'un vêtement d'une certaine mode, alors n'en portez plus !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais cette nudité est précisément très inconfortable. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez dire que garder le silence vous gêne par rapport aux autres ? C'est la pudeur qui vous conduirait à vous recouvrir d'un voile philosophique, dont vous connaissez pourtant toute la fragilité ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Non, c'est que d'abord je sais que le scepticisme est une philosophie parmi d'autres, et que donc la priorité, que je lui donnerais, serait tout aussi discutable que celle que je donnerais à une autre philosophie et d'autre part je me sens bien appauvri quand je mets en doute toutes mes positions. C'est comme si je perdais une partie de ma mémoire, ou mon identité intellectuelle.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous avez donc dialogué avec moi par attachement à une identité intellectuelle dont vous savez pourtant toute la contingence.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Eh oui, ça ressemble peut-être à l'amour qu'on a pour une personne : on la voit comme irremplaçable, elle l'est peut-être, mais en même temps on se dit que si le monde avait été autre, on aurait pu en connaître une autre, ou aucune !</div><div style="text-align: left;">MOI : - À bien vous comprendre, j'en conclus que, si vous ne jouiez pas mon jeu, vous ne seriez pas plus sceptique que non-sceptique, vous seriez plutôt hors-jeu philosophiquement parlant.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, et donc sans aucune raison avouable et philosophique d'y être.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Si je résume, il y aurait plusieurs possibilités : la pire que vous évoquiez dans le premier entretien serait de défendre une opinion par conformisme ; viendrait ensuite la situation de qui est perdu au milieu des opinions ouvertement philosophiques (c'est peut-être celle de qui commence à enseigner la philosophie, ce qui est paradoxal) ; puis la maîtrise d'une position sans conscience de l'histoire personnelle conduisant à cette position, peu importe que cette position soit propre à soi ou reprise d'une autre philosophie, vu qu'elle est le produit d'une réflexion personnelle ; enfin, comble de la lucidité pour vous, il y aurait la sortie du champ philosophique, sortie qui ne peut pas se justifier sans contradiction, sans retomber dans une position définie, jugée supérieure à la précédente.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, mais la dernière position est instable, pas simplement parce que je suis divisée mais aussi parce que face aux conformismes, je ne peux pas me taire, vu que c'est, au fond même si je n'ose pas le dire, par amour de la vérité que j'essaie de me situer hors-jeu. Donc pratiquement je ne philosophe plus guère avec les philosophes mais je monte au créneau quand les non-philosophes pérorent !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Les mauvaises langues vont dire que c'est parce que vous avez le dessous dans les échanges avec vos pairs.</div><div style="text-align: left;">ELLR : - C'est bien possible !</div><p><br /></p>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-55564245400514198042023-09-02T00:03:00.000+02:002023-09-02T00:03:44.063+02:00Ça commence mal (18)<div style="text-align: left;">MOI : - Vous ne trouvez pas qu'on vit une période historique ? </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Que voulez-vous dire ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - L'entrée dans l´Anthropocène, la guerre contre la Russie, la pandémie, etc. </div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est que vous lisez les journaux.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Certes, reste que, même si on ne les lit pas, par le smartphone on n'échappe pas à ces nouvelles !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Et qu'est-ce que ça change à la vie des gens ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - C'est vrai, ils sont pris dans leur routine, dans leurs habitudes personnelles, familiales, professionnelles...</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Comme vous ! Vous vous comportez typiquement comme un prof de philo : vous vous sentez concernés par les grandes questions et les grands événements, mais, vous non plus, vous ne faites rien, à part parler aux autres quelquefois de ce que vous lisez.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez dire qu'entre ceux qui ne s'intéressent pas et ne font rien et ceux qui s'intéressent sans rien faire pour autant, il n'y a pas beaucoup de différences. Que devrais-je faire selon vous ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je n'ai pas de leçons à donner, mais ne vous perdez pas trop dans le présent si c'est pour ne pas y intervenir activement. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Je vais réfléchir, mais répondez à ma question : vit-on une période historique ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En termes marxistes, l'histoire n'a pas encore commencé, on est dans la préhistoire, dominé par des mouvement économiques face auxquels on est aussi impuissant que les hommes préhistoriques, les vrais, l'étaient par rapport à la nature !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ah, aujourd'hui, vous avez un ton blagueur. </div><div style="text-align: left;">ELLE :- C'est qu'en vérité votre question m'embarrasse. Comment peut-on présentement décider de ce qui sera dans le futur jugé historique (au sens de important dans l'histoire, j'imagine) par les hommes qui peupleront la Terre quand nous serons tous morts ? L'histoire de l'humanité, c'est comme la vie d'un homme : pour la juger, il faut la connaître de la naissance à la mort, pensez comme certains hommes sauvent leur vie par des actes tardifs qui rachètent leur médiocrité passée ou, inversement, la précipitent dans l'abjection à la fin de leur existence. La différence, vous la voyez, c'est que par définition il n'y aura plus personne pour juger de l'histoire de l'humanité. Disons donc qu'à mes yeux c'est une question sans intérêt et les réponses qu'on y fait n'expriment que des émotions, des sentiments, des craintes et des espérances.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais vous semblez ne pas voir que l'histoire de l'humanité est désormais devenue prévisible et que c'est la catastrophe qui nous attend !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je ne veux pas remplacer la croyance par les lendemains qui chantent par celle dans l'apocalypse. Sur ce point, je suis sceptique.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous doutez du réchauffement climatique ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Comment pouvez-vous imaginer que je ne prends pas au sérieux les prévisions climatologiques ? Non, ce dont je doute, c'est des conséquences sur l'histoire à venir de ces transformations climatiques.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Parce que les hommes sont libres et qu'on peut attendre d'eux un sursaut ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais enfin ! Vous savez bien que je ne crois pas dans la réalité du libre-arbitre. Non, c'est que, tout simplement, l'histoire est trop complexe pour qu'on puisse la prédire ! Et comme je ne veux ni prendre mes désirs pour des réalités ni imaginer l'avenir tel que je le crains, je trouve plus honnête de me taire, d'autant plus que les oiseaux de mauvais augure ne manquent pas.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais, quand un médecin prévoit grâce à son expérience l'évolution dramatique d'une maladie, vous ne dites pas de lui que c'est un oiseau de mauvais augure. Il en va de même avec les experts concernant l'avenir de la vie sur Terre : ils ont un savoir !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - À la différence qu'ils ne peuvent pas tirer leur prévisions des milliers de cas antérieurs qui les justifieraient. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous dissociez d'un côté l'évolution du climat et de l'autre ses effets sociaux, politiques. Mais enfin, même si on ne peut pas connaître finement leurs modalités, ce sont à coup sûr des aggravations des conditions de vie qui seront entraînées par l'augmentation des températures, les sécheresses, les incendies, etc. En somme je trouve votre soi-disant pessimisme très optimiste car vous semblez faire comme si je posais la question il y a mille ou deux mille ans, mais précisément si, à mes yeux, nous vivons des temps historiques, c'est parce que l'indétermination de l'histoire à venir se réduit au vu des conditions climatiques annoncées, un peu comme les chances de vie heureuse de quelqu'un se réduisent à l'annonce d'une maladie gravissime.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Qui dit que d'un mal ne naîtra pas un bien ? </div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais pour que d'un mal naisse un bien, il faut encore que vive celui concerné par l'un et l'autre ! Or, c'est de la fin de l'humanité qu'on parle, par la transformation de la Terre en un milieu de vie inhabitable ! Risque d'être anéantie la possibilité du bien comme du mal !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ni vous ni moi, vu notre âge, ne saurons jamais ce qu'il en sera.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Nous mourrons avec la peur au ventre, comme ceux qui approchaient de l'an mille, sauf que, eux, n'avaient pas de raisons d'avoir peur. Et puis, c'est le sens de notre passé, personnel et collectif, qui se dégonfle à l'idée que, sans le savoir, et même animés des meilleures attentions, même portés par l'altruisme le plus vif, nous avons, chacun à notre manière, contribué à cette destruction des conditions de vie sur Terre. Les Lumières pour arriver à ça !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si vous croyez à ce que vous me dites, il ne vous reste plus qu'à mettre toute la valeur de votre vie dans la lucidité, quel qu'en soit son objet, aussi horrible soit-il.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais peut-on donner de la valeur à la lucidité, si elle ne sert à rien d'autre qu'à éclairer ! Que vaut une lumière, même puissante, si elle est incapable de faire voir le chemin sur lequel s'avancer ?</div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-69960809124975936252023-07-18T19:31:00.002+02:002023-07-18T19:31:58.411+02:00Ça commence mal (17)<div style="text-align: left;">MOI : - Comme vous pensez que la cosmologie du stoïcisme est son point faible, croyez-vous qu'à l'inverse la physique épicurienne résiste mieux au progrès des sciences ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Jamais deux sans trois ! Manquait en effet à nos échanges une réflexion sur l'épicurisme. Eh bien, oui, vous avez raison, j'aime dans cette philosophie son refus des causes finales. Des mondes en nombre infini privés de toute raison d'être, réductibles à leurs causes atomiques, ça me semble proche du tableau que la science nous donne de l'univers. Certes il y a encore des dieux dans la physique épicurienne, mais ils ne sont que des objets atomiques comme les autres, même s'ils ont une propriété exceptionnelle, l'immortalité. Cela dit, je n'ai pas vraiment réussi à importer dans ma vie des formules d'origine épicurienne...</div><div style="text-align: left;">MOI : -Ah, vous m'étonnez. Moi, je limite souvent mon intempérance en me rappelant de la distinction entre les désirs naturels et ceux qui naissent de la fantaisie humaine et n'ont pas d'objet permettant de les combler. </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, moi aussi, j'essaie de rester frugale et tempérée mais c'est plus par bon sens que par épicurisme, car enfin cette référence aux désirs naturels fait sourire, non ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Il faut l'entendre comme une référence aux vrais besoins des hommes.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Et c'est là où le bât blesse, car bien malin celui qui peut déterminer leurs vrais besoins, une fois laissés de côté les besoins vitaux. Par exemple, Épicure dit qu'on a besoin d'amitié mais pas d'amour, de sexe mais pas d'attachement, de vérité mais pas de croyances rassurantes, de beauté mais pas de recherches esthétiques. Enfin tout cela est bien dogmatique et fort incertain. En tout cas, il ne semble pas que les hommes aient besoin de l'épicurisme, car qui a jamais réussi à vivre comme eux ? Plus généralement, c'est la limite de toutes ces sagesses hellénistiques : qui a jamais pu vivre en stoïcien, en épicurien, en sceptique, je veux dire en appliquant durablement et complètement leurs règles de vie ? Je ne doute pas des efforts sincères qu'ont fait les penseurs de ces trois écoles pour s'approcher de la réalité, pour connaître la vérité, mais je crains que, dans leur vie quotidienne, ils se soient mentis à eux-mêmes, si jamais ils ont cru vivre comme ils pensaient.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ça me semble tout de même plus facile de vivre selon Épicure qu'en stoïcien. </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ça a dû dépendre des époques et des milieux, mais prenez la séparation qu'ils font entre la foule et leurs amis...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Excusez-moi mais voilà une opposition on ne peut plus utile aujourd'hui : l'ami étant pour eux comme un double, en tout cas étant un autre épicurien, toutes nos relations Facebook, Twitter, et j'en passe, intègrent la foule, et enfin on se repose...</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est peut-être un bon effet possible, mais que dites-vous de leur rejet de la politique, de leur isolement ? Fini en effet, si on les suit, de lire les journaux et de s'interroger sur le bien commun. Leur seul bien commun est celui de leur communauté, c'est un peu rétréci, un peu égoïste, non ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - C'est qu'ils ne croient pas dans la possibilité d'un progrès collectif, commun. Le seul progrès réalisable est personnel et revient à se détacher de la foule et de sa manière de vivre.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous me direz qu'a notre époque de réchauffement climatique l'épicurisme peut avoir quelque chose d'inspirant : une consommation limitée aux produits bon marché disponibles autour de soi, pas de voyages, pas d'efforts techniques à faire. Mais en même temps aucun leader au sein de l'épicurisme pour transformer cet idéal personnel en mode de vie généralisé. Ça m'a toujours frappé dans l'épicurisme cette contradiction entre le respect du droit, entendu dans son sens de droit positif, et leur refus de contribuer à participer à la vie du droit, à son élaboration, aux conditions de son maintien.</div><div style="text-align: left;">MOI : - C'est que les épicuriens ne concevaient pas qu'il faille améliorer le droit. Jamais ne leur est venue à l'esprit l'idée que les biens que la nature nous fournit pour satisfaire nos besoins puissent en venir à manquer au point qu'ils faillent légiférer pour les préserver !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est étrange : ceux qui ont élaboré ces sagesses vivaient dans un monde plus dangereux que le nôtre, tout en pensant qu'il y avait comme une sorte d'achèvement de la réalité, rendant impossible un avenir autre que celui qu'ils connaissaient. Nous, nous connaissons plus de sécurité mais avec la conviction intime que la vie peut devenir pire que jamais elle a été. Eux pensaient avoir touché le fond de l'humanité, nous, nous craignons de n'en être qu'à l'apéritif...</div><div style="text-align: left;">MOI : - À vous écouter, je crois comprendre que vous ne croyez pas dans la possibilité de la sagesse, pas plus individuelle que collective, n'est-ce pas ? Et quelle que soit son inspiration ! Il y a beaucoup de comédie dans la sagesse, n'est-ce pas ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je crois dans la sagesse dans un sens ordinaire, au sens où on dit que c'est plus sage de faire ceci que de faire cela si on veut atteindre tel but, mais c'est vrai que je commence à avoir des doutes quand on parle de sagesse tout court... C'est comme quand parle de la pensée, qu'on écrit quelquefois avec un P majuscule. Pour moi, pas de pensée sans un objet, une matière et sans une forme, une manière de procéder. Pareillement pas de sagesse en dehors d'un contexte.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais c'est l'ambition de toute un type de philosophie que vous fichez en l'air !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Sans doute, c'est très décevant pour beaucoup. La philosophie perd pas mal de clients quand elle porte ses doutes sur la bonne vie. Vu l'arrangement de beaucoup de librairies aujourd'hui, la clientèle passe facilement des rayons de développement personnel aux rayons philo et encore plus facilement en sens inverse, surtout quand on cherche un moyen de s'en sortir. Alors si on commence à clamer que la sagesse philosophique a quelque chose de mystérieux après 25 siècles d'efforts pour l'élaborer, on va nous rire au visage mais c'est le prix à payer de l'honnêteté intellectuelle.</div><div style="text-align: left;">MOI : - L'honnêteté intellectuelle, voilà votre sagesse !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous jouez avec les mots !</div><div style="text-align: left;"><br /></div><div style="text-align: left;"><br /></div><div style="text-align: left;"><br /></div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-53732993627698146572023-07-17T11:30:00.001+02:002023-07-17T11:30:55.373+02:00Ça commence mal (16)<div style="text-align: left;">MOI : - Vous aimez vous dire sceptique, même si je réalise à vous entendre que d'un point de vue sceptique pur, orthodoxe, vous êtes plutôt dogmatique. Mais passons... En pensant au scepticisme, j'ai songé bien sûr aux deux autres grandes philosophies hellénistiques, qui lui sont contemporaines, le stoïcisme et l'épicurisme. Et comme j'ai vu que le stoïcisme revient à la mode, j'aimerais savoir si vous avez des affinités avec cette philosophie.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - J' ai de la sympathie, disons, pour sa morale, mais en revanche, elle est indéfendable concernant sa conception du monde.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Que lui reprochez-vous ? </div><div style="text-align: left;">ELLE : - De ne pas être en phase avec ce que les sciences nous ont appris. En effet le stoïcien croit dans un monde providentiel, organisé pour l'homme et on ne peut plus parfait, alors que ça fait bien longtemps que les sciences ont rompu avec les causes finales. L'univers en effet n'a aucune raison d'être, pas plus que la vie et l'infinie diversité de ses phénomènes merveilleux. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais ne peut-on pas garder la morale et remplacer le finalisme stoïcien par un déterminisme de type scientifique ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je crois que parmi les stoïciens, il y a des finalistes discrets, qui peuvent même avoir un héritage chrétien vivant à l'arrière-plan de leur engagement stoïcien, mais qu'il y a aussi des gens qui ont fait le deuil des causes finales dans le monde de la nature et se sont rabattus sur le déterminisme scientifique. </div><div style="text-align: left;">MOI : - N'est-ce pas cohérent alors dans ce dernier cas d' être stoïcien ? </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je ne crois pas car je vois un lien intime entre le finalisme et la morale stoïcienne. Si le stoïcien accepte avec joie la réalité dans son ensemble, c'est parce qu'elle est rationnelle, raisonnable, positive, comme on dirait peut-être aujourd'hui, et cela absolument, sans limites, sans réserves. Pour parler comme Clément Rosset, la réalité du stoïcien n'a rien du tout de tragique, elle est saturée de sens, de justification, aussi horrible qu'elle paraisse du point de vue de nos émotions. Le stoïcien digère Auschwitz sans problèmes.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourrait-il aussi digérer la fin de l'humanité ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Non, ça non, car la fonction du monde qui entoure les hommes est de les servir. Il ne peut donc pas y avoir au programme la disparition du destinataire de tous les services auxquels la réalité toute entière doit son existence, je veux dire la disparition de l'humanité. Mais les catastrophes planétaires les plus meurtrières dans la mesure où elles auraient des témoins humains réussiraient, elles, l'examen de passage !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Présenté comme vous le faites, le stoïcisme a quelque chose de religieux, non ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si on associe à la religion l'idée de salut et celle d'un sens absolu de la réalité dans son ensemble, alors peut-être que c'est une philosophie religieuse, qui ne peut donc pas être acceptée par l'athée que je suis.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous ne retenez donc rien du stoïcisme ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - N'exagérons pas ! Le stoïcisme n'est pas diabolique. Non seulement je ne me bats contre lui, mais j'ai de la sympathie pour certaines de ses formules, par exemple pour celle ci : " Si tu ne peux pas corriger les hommes, supporte-les ! ". Belle idée, ni excessivement volontariste, ni paresseuse. Ça m'est utile quelquefois, dans certaines situations difficiles, de voir la nécessité des choses et leur dimension irrésistible. Mais j'ai aussi conscience que c'est une vue dangereuse, tant on a généralement fait voir comme inévitables des situations qui ne devaient leur existence qu'aux intérêts de ceux auxquels elles profitaient. Donc ojo ! comme on dit en Espagne.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et ce qu'on appelle la logique des stoïciens ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Elle m'a moins intéressée que l'éthique ou la physique, mais ce qu'on appelle aujourd'hui la théorie de la connaissance s'est tellement sophistiquée et diversifiée, qu'aujourd'hui il faudrait être un peu primitiviste ou passéiste ou réactionnaire, appelez ça comme vous voulez, pour voir dans le stoïcisme autre chose que quelques propositions, innovantes et suggestives, principalement aux yeux de ceux qui connaissent les développements contemporains de la logique ou de l'épistémologie. Ça serait un peu comme si on voulait tirer une philosophie politique contemporaine du cosmopolitisme stoïcien, qui m'est certes très sympathique à une époque de culture narcissique des différences. Mais ça serait tout de même un peu fort de café, comme quand on veut à tout prix tirer de Proust ou d'un autre grand monstre de la littérature, toutes les vérités qu'on juge universelles et essentielles. Ça aurait un côté wishful thinking !</div><div style="text-align: left;">MOI : - On peut en tirer une leçon : ne pas lire les philosophes en prenant ses désirs pour des réalités.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, c'est un programme difficile car on a besoin d'enthousiasme pour lire les philosophes : en effet, sans espérer beaucoup de leur lecture, comment ne pas être découragé par leurs difficultés ? Mais en même temps, de l'enthousiasme à l'illusion, le passage est facile.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Entre indifférence et passion, le chemin du milieu donc !</div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-37493414991507982392023-07-13T16:47:00.001+02:002023-07-13T16:47:22.416+02:00Ça commence mal (15)<div style="text-align: left;">MOI : - Une question m'est venue à l'esprit au cours de ma nuit d'insomnie ! Puisque vous faites si peu confiance à la véracité de ce que chacun dans son for intérieur pense de lui-même, peut-on se justifier en invoquant son sentiment intime ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - À quel propos ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je pense aux personnes qui changent de sexe parce qu'elles sentent que leur genre ne correspond pas à leur physique.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est sûr que le sentiment intime, comme vous dites, est bien leur seul recours. Reste que, pareil à toutes les convictions ancrées en nous, il peut se discuter.</div><div style="text-align: left;">MOI : - En disant à la personne concernée qu'elle peut se tromper ? Mais elle répondra de son infaillibilité précisément, en invoquant la force de son vécu !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oh, je ne crois pas qu'on doive contredire la personne sur ce plan-là, sauf si nous la soupçonnons menteuse, mais, à la supposer sincère, c'est vers un autre plan qu' il faut la diriger, à condition, bien sûr, qu'elle nous demande conseil ou qu'on doive la conseiller dans le cadre de tel ou tel protocole.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Le plan de ses actions ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Bien sûr, et pas seulement ! Qu'elle se rappelle de ce qu'elle a fait et n'a pas fait, de ce qu'elle a dit et n'a pas dit, de ce qu'autrui lui a communiqué et ne lui a pas communiqué, etc.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous jugez donc bon, non de la détourner mais de la troubler ? Trouble dans le genre, en somme !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet. On a vite fait de transformer en indice de la vérité de notre désir des phénomènes qui mériteraient peut-être d'être interprétés autrement.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais que voulez-vous donc dire par la vérité du désir ? Ne suffit-il pas de ressentir un désir pour qu'il soit vrai ? </div><div style="text-align: left;">ELLE : - N'y a-t-il pas plusieurs manières de nommer l'objet du désir, de le qualifier ? Plusieurs jugements possibles sur son intensité ? Plusieurs interprétations de ses causes et des effets qu''on lui attribue quand il sera réalisé ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous me perdez, vous ne pourriez pas prendre un exemple ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Pensez au désir amoureux : vous désirez une personne donnée...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pardonnez-moi de vous interrompre, mais savoir cela, ça suffit ! C'est clair et net !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous m'avez en effet interrompu trop vite, car l'ordinaire est de désirer quelqu'un pour certaines raisons, que ces raisons soient flatteuses ou non, pour soi ou pour la personne désirée, et ces raisons transparaissent dans la description, faite aux autres ou à soi-même, de l'objet du désir. Or, pour en rester à ces raisons, la question se pose de savoir si elles sont vraies, si ce sont les bonnes raisons, celles qui justifient votre désir, comme quand, par exemple, vous désirez voir tel spécialiste parce que vous savez qu'il est très compétent. Si on vous convainquait qu'il s'agit d'un charlatan, vous prendriez un rendez-vous avec un autre, non ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais, dans le désir amoureux, où est le savoir ? Vous intellectualisez tout !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Non ! Par exemple, si vous désirez telle personne parce que vous pensez avoir juste besoin d'une relation physique avec une personne de son sexe, c'est bien parce que vous croyez savoir qu'elle appartient à un sexe et pas à l'autre. Vous pourriez aussi bien désirer un rapport avec un transgenre et être déçu en vous rendant compte que cette personne a le genre correspondant à son sexe biologique. Vous pourriez aussi croire que vous désirez un rapport sexuel alors que vous réaliserez que vous désiriez de la tendresse ou de l'écoute (ou inversement, que vous désirez du sexe alors que vous croyez vouloir juste de la compréhension !)</div><div style="text-align: left;">MOI : - Alors pour chaque désir, il faut se lancer dans une enquête ? Je crois que vous me faites marcher.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Tout dépend de l'impact du désir sur votre vie : je ne discute pas avec mon psychologue avant de commander une glace au citron, parfum que j'adore...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais comment sait-on qu'un désir est important ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - De manière générale, tout désir dont l'objet est de produire des effets irréversibles est important, le changement de sexe en est un parmi d'autres.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais vous voulez vraiment introduire le débat et la discussion dans des domaines où on les tient à l'écart parce qu' on croit dans ses pulsions, dans ses sentiments, dans ses instincts.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous savez : à lire les historiens et les anthropologues, on réalise que les hommes peuvent vraiment croire dans n'importe quoi. Et quand on survole le passé, on est bien obligé de se dire que les croyances les plus personnelles obéissent à des modes, à des mouvements de masse, décidés par personne mais touchant tout le monde.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ne me dites, comme une vieille réac, que si un jeune veut changer de sexe, c'est parce que c'est à la mode. Sinon, je perds l'estime que j'ai pour vous.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - N'ayez crainte, je ne risque pas de dire une telle sottise. Je veux juste attirer votre attention sur le fait que ce n'est pas parce qu'un désir nous concerne de près qu'il est vrai. Vous acceptez sans doute pour les phobies que, quand elles se fixent sur un animal par exemple, elles ne sont pas causées par l'animal mais par tout un arrière-plan psycho-social dont elles sont l'indice. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez donc dire que le scalpel doit venir longtemps après l'analyse en somme.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En tout cas, que l'analyse des raisons doit avoir la première place.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais vous savez, comme moi, que, quand on commence une enquête psychologique, c'est un peu comme quand on entre en classe de philo en Terminale : dans quel cadre, parmi tant d'autres possibles, va-t-on se retrouver ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Certes, mais on ne change pas de prof de philo en cours d'année normalement alors que les expertises peuvent se succéder et être contradictoires.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous, la sceptique, vous croyez aux expertises contradictoires...</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ça serait être bien dogmatique de toujours déprécier les avis et, en ce qui nous intéresse ici, les seconds avis.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je crains que votre prudence et votre raison aient bien peu de poids face aux violences des inclinations.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Bien sûr, c'est un fait éternel, mais il ne faut pas en conclure pour autant à la vérité intrinsèque des inclinations !</div><div style="text-align: left;"><br /></div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-22427960837435992752023-07-12T13:01:00.000+02:002023-07-12T13:01:03.115+02:00Ça commence mal (14)<div style="text-align: left;">MOI : - La dernière fois, vous m'avez drôlement attristé en me parlant si froidement de ce que je tiens pour ma chère intimité. Au point que j'en viens à penser par moments que la seule chose que je sais, c'est ce que je suis en train de faire au moment où j'en parle. Par exemple, je sais que maintenant je vous parle ! Mince résultat, vous me direz. Certes, mais pour me consoler, je me dis que ça a beau ne pas être grand chose, c'est quand même l'illustration du pouvoir de la conscience. Et la conscience, ce n'est tout de même pas rien pour vous ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet c'est une caractéristique qui à première vue distingue les êtres humains des autres êtres vivants et de toutes les choses matérielles. </div><div style="text-align: left;">MOI : - N'ennoblit-elle pas l'homme ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Méfions-nous de la noblesse quand c'est l'homme qui se l'attribue à lui-même !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous êtes tellement rabat-joie...</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je pense qu'il vaut mieux essayer de caractériser exactement la conscience que de se pâmer devant elle.</div><div style="text-align: left;">MOI : - D'accord, alors comment vous la caractérisez ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je pense d'abord qu'on démarre mal en parlant de la conscience, comme si c'était une réalité indépendante de l'homme. Je préfère dire que les hommes sont généralement conscients, et entendre par hommes, des individus appartenant à une certaine espèce animale et vivant dans une société donnée. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi donc tenez-vous à rattacher quelque chose comme la conscience qui est manifestement individuelle, personnelle, privée, à un ensemble, à un groupe, qu' il soit biologique ou historique et culturel ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce je crois qu'être conscient, c'est rendu possible par essentiellement deux choses : d'abord, par le fait qu'en tant qu'être humain, je dispose d'un cerveau, volumineux, et ensuite, par le fait qu'en tant que membre d'une culture donnée, j'ai appris à parler.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez dire que, tant qu'on ne sait pas parler, on n'est pas conscient ? Mais c'est faux ! Le nouveau-né est conscient, comme le prouve le fait qu'à l'occasion d'un malaise, il peut par exemple, comme chacun d'entre nous, perdre conscience !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est vrai qu'avoir conscience, c'est percevoir par nos sens ce qu'il y a à l'extérieur de notre corps, aussi bien que notre corps lui-même, mais c'est aussi pouvoir en parler, peu importe d'ailleurs dans ce cas si ce qu'on en dit est vrai ou faux. L'important à mes yeux, c'est que je peux grâce à ma langue maternelle parler de moi, me caractériser, et en me caractérisant, parvenir peut-être à me connaître.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Qu'est-ce que vous pensez de la pleine conscience ? C'est à la mode aujourd'hui.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ça me semble un exercice de prise de conscience de notre souffle, de la position de notre corps, de son état, des bruits que nous entendons et plus généralement de nos perceptions les plus immédiates.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous lui donnez de la valeur ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je ne crois pas que la pleine conscience nous mette en relation avec l'essence de soi, ou encore plus ambitieusement, avec l'essence des choses ou de la réalité. Elle n'est donc pas un instrument de connaissance, je la considère plutôt comme le yoga : ce sont des exercices de soi, à la fois physiques et mentaux, qui rétrécissent le champ de la réalité perçue et pensée, et par cela même, nous détourne des pensées inquiétantes, douteuses, vagues. </div><div style="text-align: left;">MOI : - C'est une thérapie alors ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je ne vais pas jusque là, faute de pouvoir identifier la maladie que cette supposée thérapie soignerait. C'est plus une technique de perception, centrée sur soi. C'est peut-être l'exact contraire de ce qui nous arrive quand on est pris par un spectacle, un livre, une personne etc. Si elle devenait une panacée, la pleine conscience nous détournerait systématiquement des autres et des oeuvres des autres, et aussi de toute oeuvre personnelle.</div><div style="text-align: left;">MOI : - De toute oeuvre personnelle ? Pourquoi donc ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce que dès qu'on réalise un ouvrage, une oeuvre, un simple travail quelquefois, on ne pense plus à soi, à ce qu'on trouve en soi mais à la chose qu'on fait, qui, par définition, ne peut pas nous combler, vu qu'elle reste à faire. Il y a donc alors une sorte d'inquiétude essentielle à laquelle la pleine conscience s'oppose, elle qui veut prendre les choses comme elles sont, sans les juger, sans les perfectionner.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Si je vous comprends bien, vous n'êtes donc pas hostile à la pratique de la pleine conscience, mais seulement comme une pratique facultative et en tout cas dépourvue de toute importance métaphysique.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, c'est ça : au mieux, la pleine conscience nous permet de nous décrire par moments plus exactement, plus précisément, autant physiquement que psychologiquement. Et, comme beaucoup l'ont expérimenté, souvent elle apaise et rend moins fébrile. Mais ça ne peut pas être un but en soi.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Y a-t-il, pour la sceptique vous dites être, des buts en soi ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je veux juste dire quelque chose comme : une fois qu'on est bien dans son corps et dans sa tête, comme on dit aujourd'hui, on fait quoi ? On s'en sert pour faire quoi ? Il ne faut pas donner une valeur excessive à ce qui ne doit être qu'un moyen</div><div style="text-align: left;">MOI : - C'est parce que vous supprimez tout l'arrière-plan religieux, métaphysique, philosophique de ces pratiques que vous les jugez insuffisantes.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous n'avez pas encore compris que je ne suis pas, comme on dirait aujourd'hui, une femme d' Église !</div><div style="text-align: left;"><br /></div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-6887801051044264362023-06-20T14:31:00.005+02:002023-06-20T14:37:18.081+02:00Ça commence mal (13)<div style="text-align: left;">MOI : - À la suite de notre dernière conversation, je me demande ce qu'on a vraiment à soi...</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous voulez dire d'un point de vue psychologique ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Oui, plutôt. </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Sur ce point, je serais plutôt sceptique.</div><div style="text-align: left;">MOI : - J'imagine...</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, pour savoir ce qui est commun entre une personne et les autres, il faut comparer, or, pour comparer, il faut percevoir les choses comparées dans un espace et un temps partageables avec les autres.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi partageables avec les autres ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce que pour être assuré que la comparaison est justifiée, il faut qu'elle soit confirmée par d'autres observateurs.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je vous trouve étonnamment peu sceptique, parce qu'on peut se demander si les autres avis ne sont pas tout aussi peu fiables que le nôtre, voire moins fiables.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - La comparaison doit être faite par des spécialistes, pensez à la comparaison entre deux radiographies.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais qui est spécialiste de moi ? N'est-ce pas moi ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si vous vous considérez comme le seul spécialiste de vous-même, la porte est ouverte à tous les délires sur vous-mêmes. En fait, on ne demande pas un spécialiste des personnes, mais de leurs actions. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez dire que par exemple ma jalousie sera comparée à celle d'autrui par le moyen d'une comparaison entre les actions. Ça me paraît vraiment superficiel, car je peux ressentir une jalousie formidable sans jamais la manifester, alors qu'un autre, pour faire l'intéressant par exemple, peut mettre en scène une jalousie beaucoup moins intense que la mienne, non ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous avez raison, mais comment êtes-vous arrivé à l'idée que votre jalousie est au plus haut degré alors que celle d'autrui est peu développée ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je l'ai sentie, pardi. </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous avez senti la vôtre, mais pas celle d'autrui, donc vous vous appuyez bien sur ce que l'autre dit, fait, montre de lui pour déclarer que somme toute il est bien peu jaloux. Mais vous ne pouvez pas comparer un ressenti à des actions, pas plus que vous ne pouvez le comparer à celui d'autrui, vous en êtes donc bel et bien réduit à vous observer, vous et autrui en tant que vous avez un certain comportement public, je veux dire observable en droit par les autres.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi en droit ? </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce qu'en fait vos actions, vos comportements ne sont souvent observés par personne, même s'ils pourraient l'être, dans d'autres circonstances.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et les rêves ? N'en suis-je pas le seul spécialiste ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous en êtes le seul témoin, mais être témoin ne veut pas dire être spécialiste. On l'oublie trop aujourd'hui, avec l'importance qu'on donne aux témoignages. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Je vous prends en flagrant délit de précipitation ! N'est-on pas témoin seulement de phénomènes extérieurs à soi ? C'est la raison pour laquelle un fait peut être remarqué par un nombre indéfini de témoins, mais, pour mes rêves, c'est hors de question. Je n'ai pas à appeler aux témoignages d'autrui pour savoir à quoi j'ai rêvé.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous avez raison, je m'exprime trop vite ! Se souvenir d'un rêve n'est pas du tout pareil à se souvenir d'un fait passé. Mais de là à penser que vous êtes pour cette raison le seul à connaître vos rêves, il y a un pas...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je suis le seul à pouvoir dire que j'ai fait tel ou tel rêve !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, de même que le médecin que vous consultez pour la première fois ne sait pas que vous avez eu tel ou tel symptôme avant que vous ne le lui disiez.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais les rêves sont beaucoup plus privés que les symptômes physiques car ces derniers peuvent souvent être observés par les autres.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je vous l'accorde, les rêves ne sont pas observables en droit, ne le sont que leurs manifestations extérieures, voire neurologiques et pour l'instant on ne peut pas inférer de manifestations externes, mêmes cérébrales un quelconque contenu onirique.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Même si on le peut un jour, il y aura toujours quelque chose de privé, qui est précisément le fait de vivre le rêve que le neurologue aura inféré.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Certes mais vivre un rêve suffit-il à le connaître ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais pouvoir décrire son rêve, n'est-ce pas le connaître ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Décrire un nuage sert en partie à l'identifier, mais si vous ne disposez d'aucune connaissance des nuages, vous ne saurez pas le type auquel il appartient, ce qui vous empêchera de connaître les causes de sa formation, ses évolutions possibles, ce qu'il permet de pronostiquer, etc.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Donc la plus privée des choses privées est la plus mal connue ? Puis-je aller jusqu'à dire que plus c'est privé, moins c'est connaissable ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Peut-être, mais vous allez vous faire des ennemis...</div><div style="text-align: left;">MOI : - C'est décevant en effet de penser que le savoir sur soi s'arrête précisément là où il semble qu'il devrait commencer, à l'intime. Donc l'intime est, selon vous, du domaine de la rêverie, de l'imagination...</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Sans doute et une imagination qui n'a rien d'intime !</div><div style="text-align: left;">MOI : - ???</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet chacun se fait sur ses rêves des idées qui ne sont pas séparables de ce qu'on en dit dans sa société.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ce qui veut dire que ma connaissance de l'intime ne sera vraie que si on dispose d'une science de l'intime ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ou plus exactement d'une science des manifestations publiques de l'intime !</div><div style="text-align: left;"><br /></div><div style="text-align: left;"><br /></div><div style="text-align: left;"><br /></div><p><br /></p>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-74776991581998782562023-06-03T16:04:00.003+02:002023-06-03T16:10:36.007+02:00Ca commence mal (12)<div style="text-align: left;">MOI : - J'ai pensé à ce que vous m'avez dit, que notre langue maternelle est au coeur de notre esprit, mais j'ai trouvé que ça revient à sous-estimer à quel point nous sommes seuls.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais non, nous discutons ensemble !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ne vous moquez pas de moi ! Vous savez bien ce que je veux dire par " seuls ", non ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Moi, je n'entends par " seul " que deux choses : ou bien on est physiquement seul, ou bien on l'est psychiquement.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Voilà, quand je dis que nous sommes seuls, je veux bien sûr dire que nous le sommes psychiquement.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais nous pouvons ne pas être seuls psychiquement, pourquoi choisir de dire un peu dramatiquement que nous sommes seuls, comme si ça faisait partie de la condition humaine ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Parce que ça en fait bien partie ! Les hommes sont seuls essentiellement et toujours. </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais non, ils le sont de temps en temps, accidentellement.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je ne vous comprends pas. Ne voyez-vous pas que, même au coeur de l'amour, de l'amitié, chacun est seul ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous voulez dire que vous êtes toujours incompris, abandonné à vos soucis, au coeur même de l'amour, mais alors c'est que vous n'êtes pas vraiment aimé. En effet, aimer quelqu'un, c'est s'efforcer de le comprendre, y parvenir, le soutenir, l'éclairer dans les moments douloureux qu'il traverse.</div><div style="text-align: left;">MOI : - D'accord, mais même si je suis entouré, compris, épaulé, je reste seul !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Pourquoi dites-vous ça ? Expliquez-moi.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je veux dire par exemple que, même si quelqu'un répond à mon amour du mieux qu'il peut, ce que je ressens, je suis seul à le ressentir, même si je l'extériorise par des mots, même si je lui communique mon sentiment aussi par des gestes, des caresses, etc.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais si la personne, que vous aimez, se conduit avec vous, comme vous avec elle, si votre amour est partagé, vous n'êtes plus seul !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Bien sûr que si, parce que mon amour n'est pas le sien et qu'elle ne peut pas ressentir le même amour que celui que je ressens !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je crois qu'en disant que vous êtes toujours seul, vous voulez juste dire que vous êtes une autre personne qu'elle. Vous donnez en fait un tour larmoyant à une lapallissade !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Non, je suis juste plus lucide que vous ! Chacun est enfermé en soi, il n'y a pas vraiment d'union entre les personnes, encore moins de fusion. </div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est une question de vocabulaire ! Si, par union psychique, vous voulez dire quelque chose d'autre que le partage réciproque de son intimité, si par exemple vous pensez à quelque chose comme l'union de deux gouttes d'eau en une seule, alors oui, il n'y a pas d'union possible entre deux personnes.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voyez bien que j'ai raison !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Là où je ne partage pas votre avis, c'est quand vous présentez ce que vous appelez solitude comme un malheur fatal. En fait vous paraissez regretter quelque chose qui n'est même pas concevable. En effet essayez d'imaginer ce que ce serait pour vous ne plus être seul dans le sens que vous donnez à cet adjectif.</div><div style="text-align: left;">MOI : - La personne pourrait voir le monde avec mes yeux !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Elle le peut si elle fait l'effort de vous comprendre ou si spontanément vous partagez le même point de vue sur telle ou telle chose.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Oui, mais son point de vue restera un autre point de vue que le mien ! Et c'est ça que je trouve douloureux.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parlons un peu chapeaux, puisqu'il se trouve que vous en portez un.</div><div style="text-align: left;">MOI : - ???</div><div style="text-align: left;">ELLE : - La personne que vous aimez peut-elle porter le même chapeau que le vôtre ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Bien évidemment, si elle achète le même. </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous dites que c'est le même chapeau mais en fait c'est un autre, qui est identique au vôtre. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Oui, bien sûr, ça va de soi, on est deux, on ne peut pas porter le même chapeau, strictement parlant, en même temps !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Voilà ce que je voulais vous faire dire : à partir de là, concevez votre amour comme votre chapeau ; au mieux, l'autre personne peut ressentir le même amour que vous comme elle porte le même chapeau, mais on ne peut pas aller plus loin, car par définition, elle n'est pas vous et si elle devenait vous, elle ne serait plus elle. Ce que vous appelez la fin de la solitude, ce serait un état contradictoire où chacun serait à la fois lui-même et un autre, comme si je pouvais porter le chapeau que vous portez sur la tête tout en le laissant en place sur la vôtre.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous avez beau faire avec vos raisonnements, je me sens terriblement seul.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ce qui est terrible, c'est que, partant comme ça, vous le serez toujours. Mais creusez : vu que vous ne parvenez pas à donner du sens à ce que serait la fin de cette solitude, à ce que serait ne plus être seul dans ce cas, n'utilisez plus ce mot attristant. La réalité, c'est qu'il existe une multitude d'êtres humains et que vous en êtes un, un seul ! En fait vous rêvez de ne plus être une corps solide, distinct des autres, vous aimeriez être un liquide !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Si vous avez raison, comment ça se fait que ce sentiment de solitude est quelque chose de très partagé ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est précisément parce qu'on est rarement seul à ressentir ce qu'on ressent !</div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-56167865015729420092023-05-31T12:14:00.003+02:002023-05-31T13:48:50.067+02:00Ça commence mal (11)<div style="text-align: left;">MOI : - J'ai lu qu'on peut douter de l'existence du monde extérieur. Ça doit vous plaire, à vous la sceptique ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ah non, ce doute, je ne le partage pas !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourtant on ne peut pas prouver par un raisonnement que le monde extérieur existe. Qu'est-ce qui nous assure donc que la seule chose qui existe, ce n'est pas mon esprit, ma conscience ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est vrai que, si on suit le chemin de Descartes en doutant de tout sauf du fait que soi-même on pense, alors on ne peut pas se prouver à soi-même grâce à une perception ou à un argument rationnel que le monde extérieur existe, parce que, d'une part, la perception peut être interprétée comme une image venant de mon esprit et parce que, d'autre part, l'argument, aussi rationnel soit-il, peut toujours être mis en doute, au besoin en invoquant un dieu trompeur qui nous fait croire à tort que l'argument en question est tout à fait rationnel !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous ne suivez donc pas le chemin de Descartes ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet, je pars de la réalité du monde, donc de celle de moi-même, en tant qu' homme.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi dites-vous " homme " et pas " esprit " ou " conscience ", comme on le dit ordinairement ? On utilise aussi, je crois, le terme de " subjectivité ", qui semble un synonyme.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce que dire de l'homme qu'il est esprit avant tout, c'est le mutiler ! On le prive du corps et de tout le monde physique environnant.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Le monde de la nature ? </div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je pense plutôt à tous les objets qui dans l'espace entrent en contact avec notre corps, qu'il s'agisse du soleil ou de vous en train de me parler. Ce n'est donc pas le monde de la nature au sens où on l'oppose au monde de la culture. Les deux s'y mêlent toujours : par exemple, si les rayons du soleil nous touchent comme ils nous touchent en ce moment, c'est bien sûr à cause de la position du soleil dans le ciel, ce que vous appellerez sans doute naturel, mais c'est aussi à cause de l' architecture du bâtiment dans lequel nous nous trouvons, à cause des positions que nous avons prises, l'un et l'autre, dans ce bureau (par politesse, je vous ai laissé le meilleur siège, celui où vous ne risquez pas d'être éblouie par la lumière du soleil), c'est donc par un ensemble de causes que vous appellerez, cette fois, culturelles, n'est-ce pas ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Oui, en effet. Mais n'est-ce pas terriblement réducteur d'envisager notre relation humaine comme une relation entre deux corps, alors que précisément nous parlons de philosophie ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet, nous n'avons par une relation qu'on appelle physique ! Mais, quand nous nous parlons et nous nous comprenons, ce sont des ondes physiques que nous émettons et qui font vibrer nos tympans !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Oui, mais le sens de ce que nous disons n'est pas physique, lui !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est un fait, mais pouvez-vous concevoir un sens qui serait indépendant d'un support physique, matériel, perceptible par un ou plusieurs sens ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ça doit bien exister, pour que soit possible l'immortalité de l'esprit, sans présence du corps !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est précisément parce que je ne doute pas du fait que tout sens a comme condition quelque chose de physique qui le véhicule, que je ne crois pas dans l'immortalité de l'esprit. C'est aussi une des raisons pour lesquelles ça me hérisse de voir souvent l'être humain transformé en esprit ou subjectivité, comme vous avez dit.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ça vous plairait plus qu'on dise cerveau au lieu d'esprit ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Réfléchissez un peu ! Dire des hommes que ce sont des cerveaux serait une autre manière, symétrique, si on peut dire, de les défigurer. Car, en réduisant les hommes à leur corps et précisément à un organe de leur corps, on mettrait au second plan tous les phénomènes mentaux et on cesserait de pouvoir expliquer des foules de choses.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Comme par exemple ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Comme par exemple le fait que nous sommes dans ce bureau.</div><div style="text-align: left;">MOI : - ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Et oui, nous sommes ici parce que vous avez voulu vous entretenir avec moi, en vue de publier cet entretien dans votre revue, n'est-ce pas ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - En effet !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Or, si on ne disposait que de la connaissance de nos deux cerveaux, on serait bien en peine de donner cette explication, qui pourtant est la bonne pour rendre compte de notre présence commune ici, ce matin.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais vous venez de dire que notre réunion est un contact entre nos corps, c'est donc aussi un contact entre nos cerveaux !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, mais l'explication qui convient pour rendre compte de notre réunion n'est pas neurologique, elle est, disons, sociale et psychologique.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais à vous entendre, le social et le psychologique ont aussi une dimension physique, puisque nous sommes toujours des corps en relation les uns avec les autres.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Bien sûr, mais de même que je n'explique pas le sens du mot âme en énumérant les sons qui le composent, je n'explique pas le sens de notre rencontre en décrivant le corps ou le cerveau qui nous constituent. Pour en revenir à notre sujet, je ne doute pas de la réalité du monde extérieur, parce que, dès que je me dis intérieurement que seul mon esprit existe, j'ai immédiatement conscience que je le dis grâce à des mots que j'ai en tête parce que d'autres me les ont dits en faisant vibrer mes tympans un certain jour, à un certain endroit, d'une certaine manière. Autrement dit, j'ai toujours conscience de la matérialité de mes outils les plus spirituels !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et aussi de leur dimension sociale !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous me comprenez mieux : en effet, cette langue française, qui est, pour nous deux, notre langue maternelle, est certes ancrée au coeur de notre esprit mais elle est d'abord un fait social ! Et donc il y a quelque chose de ridicule quand on pense, dans les mots de cette langue, être le seul au monde !</div><p><br /></p><div style="text-align: left;"><br /></div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-60058483019712406652023-05-14T20:09:00.001+02:002023-05-14T20:09:09.492+02:00Ça commence mal (10)<div style="text-align: left;">MOI : - Ce qui me frappe chez vous, c'est que vous avez beau être philosophe, vous parlez comme tout le monde !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - À quoi pensez-vous donc ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Par exemple, vous ne croyez pas à la liberté et pourtant vous dites comme tout le monde " j'aurais pu, j'aurais dû ", alors qu'en toute rigueur, selon vous, vous avez fait ce que vous étiez condamné à faire !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - " Condamné ", je n'aime pas le mot qui suggère une punition, quelque chose en tout cas de négatif. Je dirai plutôt que j'ai réalisé le seul possible qui me correspondait à ce moment-là.</div><div style="text-align: left;">MOI : - D'accord, mais pourquoi parler comme s'il y avait des possibles réalisables et non réalisés ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous, quand vous dites que le soleil se lève, vous y croyez ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Non, mais c'est une façon de parler qui correspond à quelque chose d'observable, le passage de la nuit au jour ! Alors que, quand vous dites que vous auriez pu, ce n'est pas une manière fausse de décrire quelque chose qui s'est passé.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je comprends : en effet, ces expressions dans ma bouche de déterministe ne décrivent pas un phénomène passé, mais elles expriment un doute sur la valeur de mon action ou un regret.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais comment peut-on regretter quelque chose d'inévitable ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Voyez, si je projette un pique-nique et qu'il pleuve, j'ai beau savoir que la pluie ne peut pas ne pas tomber à cet instant à l'endroit du pique-nique, j'en suis mécontent, contrarié et je peux dire alors " j'aurais dû choisir un autre endroit pour pique-niquer "</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et avec les gens, vous fonctionnez pareil ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - J'essaie car c'est plus dur de se convaincre que par exemple le voleur devait me voler, je vais être porté à dire des phrases qui l'accusent et qui supposent à tort qu'il aurait pu se retenir de me voler.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais vous devriez ne pas accuser, ne pas vous mettre en colère, ne pas être contrarié. Vous n'êtes pas à la hauteur de votre philosophie, si vous me permettez.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous êtes comme les prêtres de mon enfance : vous me proposez comme idéal quelque chose d'irréel. Nous avons essentiellement des émotions, des humeurs, des passions. Ce ne sont pas des choses en trop dont on pourrait se passer. Votre idée de la perfection doit être ajustée à la réalité humaine : vous ne dites pas que votre lave-vaisselle ne marche pas, vu qu'il ne lave pas votre linge, non ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous poussez un peu ! Ça va de soi que le lave-vaisselle a une fonction définie, en revanche on discute des fonctions de l'homme : est-il fait pour se reproduire ou pour autre chose de plus élevé ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - L'homme n'est fait pour rien du tout, comme l'ensemble de la réalité, mais il a une identité particulière et dans ce cadre-là il a certaines propriétés, comme avoir des états psychologiques incontrôlés...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais pas incontrôlables !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Certes, on apprend à maîtriser les manifestations de nos émotions, de nos humeurs, de nos passions. Par exemple j'ai peur la nuit mais j'essaie de ne pas le montrer car mon éducation et l'influence de la société m'ont déterminée à donner du prix à la maîtrise de soi. Reste que cette peur s'impose à moi. Et pour en revenir à notre sujet, quand je suis contrarié, vu que je suis bien élevé, je reste en général poli dans l'expression de ma frustration. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Prenons un exemple : si quelqu'un vous nuit, vous manifestez poliment votre état ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ne dites pas de bêtises ! Il y a des situations où il ne convient pas d'être poli ! Mais c'est clair que la douleur que me produit la nuisance et mes efforts pour la civiliser ne seront pas plus libres que n'a été libre l'acte qui l'a causée.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais comment pouvez-vous en vouloir à quelqu'un qui en fin de compte n'est pas, selon vous, très différent de la pluie dont vous parliez ? Pourquoi ne pas voir la personne qui vous nuit comme un orage ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : Je la vois en partie comme un orage quand je cherche à me mettre à l'abri, à me protéger d'elle, mais c'est vrai que je peste aussi contre elle, que je lui en veux.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Au fond, au meilleur de votre forme vous êtes un anti-animiste : l'animiste voit les phénomènes naturels comme des personnes, vous, vous voyez les personnes comme des phénomènes naturels.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ce n'est tout de même pas tout à fait ça, je sais bien que, comme moi, la personne qui m'a nui, passe par des moments où elle se sent maîtresse d'elle-même, où elle croit qu'elle peut aussi bien faire quelque chose que ne pas le faire et vous doutez que je ne donne pas une telle conscience à la pluie.</div><div style="text-align: left;">MOI : - C'est étrange, nous nous sentons libres tout en ne l'étant pas, c'est ça ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, disons que nous ne sommes jamais libres mais que quelquefois nous imaginons l'être, alors que d'autres fois, nous savons que nous sommes empêchés, comme quand par exemple, ayant la jambe cassée, je ne peux pas marcher. C'est parce que nous nous imaginons libres que nous nous accusons et que nous accusons.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Il y a quelque chose qui ne va pas : car, quand vous pourrez de nouveau marcher, vous allez dire que vous avez retrouvé la liberté, et pourtant vous affirmez que la liberté n'existe pas.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - La liberté, au sens de libre-arbitre, est tout à fait fictive, on ne l'aura donc jamais, on ne l'a jamais eue, mais la liberté de faire quelque chose, par exemple de voyager ou de manifester, c'est la capacité de voyager ou de manifester sans être empêché par un obstacle, qui peut être un état de l'esprit (une phobie, par exemple) ou du corps (une paralysie, par exemple), une personne ou plusieurs (on vous a enfermé), un État (on ne vous a pas accordé le droit de faire la chose en question), etc. Et cette liberté, on peut l'avoir, la perdre, la retrouver.</div><div style="text-align: left;">MOI : - On peut la découvrir aussi ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, selon les évolutions de la technique, de nouvelles libertés apparaissent : la liberté de naviguer sur le Net, de changer de sexe, etc.</div><div style="text-align: left;">MOI : Donc nier le libre-arbitre, ce n'est pas si gênant que ça ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Disons que que ça nous met au niveau de tout ce qui existe ! Comme un nuage ou une fourmi, j'ai des conditions déterminées d'apparition, de développement, de disparition. Je dépends du monde autour de moi et je cesserai d'être un jour, comme le nuage et la fourmi...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Elle est triste, votre philosophie !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ce qui est triste à mes yeux, c'est de se raconter des histoires sur ce qu'on est.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais savez-vous que le libre-arbitre n'existe pas ? Je n'ai pas oublié que vous vous donnez par moments des airs sceptiques.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En toute rigueur, je ne sais pas que le libre-arbitre n'existe pas comme je sais que 2 + 2 font 4. C'est une certitude au coeur de la philosophie que je me suis faite au cours de ma vie.</div><div style="text-align: left;">MOI : - C'est votre religion ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Non, la réfutation du libre-arbitre s'argumente et répond aux contre-arguments dirigés contre elle...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ah oui, et aucun des arguments n'est contraignant, c'est ça ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, la science ne démontre pas l'inexistence du libre-arbitre, pas plus qu'elle ne démontre son existence. Les choses étant ainsi, on a le choix entre dire n'importe quoi sur les sujets qu'elle ne traite pas ou s'efforcer d'en parler avec rigueur, honnêteté, sérieux. </div><div style="text-align: left;">MOI : - On pourrait se taire aussi ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, d'un certain type de silence, rempli de bons arguments !</div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-65200497125725248512023-05-05T10:55:00.003+02:002023-05-08T20:01:55.178+02:00Ça commence mal (9)<div style="text-align: left;">MOI : - Mais si vous êtes porté à douter, vous n'êtes donc pas athée ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Disons que je suis athée au sens où je tiens pour vrai que Dieu n'existe pas, mais je reconnais ne pas savoir que Dieu n'existe pas.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ne peut-on vraiment pas le savoir ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - La réponse à la question dépend en fait de la définition de Dieu. Si, comme les épicuriens, on croit qu'être un dieu, c'est être un objet composé d' atomes et situé dans l'espace, alors on peut savoir qu'on n' a découvert aucun objet de ce type dans l'univers. Mais si on définit dieu comme un être qui a créé l'Univers et qui n'est ni dans l'espace ni dans le temps, aucune enquête ne peut aboutir à son inexistence, puisque, dès le départ, sa définition en fait quelque chose dont on ne peut pas avoir l'expérience.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et par le raisonnement pur, on ne peut pas aboutir à la conclusion que son existence est impossible ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Certes, si on prouvait que l'existence de l'univers implique logiquement l'inexistence de Dieu, ça serait un argument puissant en faveur de l'athéisme, mais ce n'est pas le cas. Tout au contraire, l'astrophysicien le plus éclairé peut croire en Dieu !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Est-il réellement éclairé s'il croit en Dieu tout en étant scientifique ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, il est réellement éclairé scientifiquement mais il doit aussi penser que la connaissance scientifique n'est pas la seule connaissance. Il ne peut donc pas être scientiste et croire en Dieu.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je ne comprends pas : la théorie du Big Bang explique l'univers de A à Z, non ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet mais le processus que la science décrit peut être attribué à la création de Dieu !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Comment comprendre la création si le temps et l'espace ne sont pas antérieurs à l'univers ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet mais ce que vous dites suppose qu'on ne dépasse pas ce que nous apprend la science, mais il n'y a pas de science justifiant l'idée que seule la science apporte une connaissance de la réalité, pas plus qu'il n'y a de raisonnement justifiant l'idée que seule la raison est un moyen de connaître la réalité.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je ne comprends pas votre dernier point.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est simple : si vous faisiez un raisonnement aboutissant à l'idée que la raison est le seul moyen d'aboutir à la connaissance, vous supposeriez ce que vous devez justifier, que la raison permet de connaître la vérité, ici la vérité sur la portée du raisonnement.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Le rationalisme ne peut donc pas être prouvé par la raison et si je vous comprends bien, c'est une des raisons pour lesquelles vous sympathisez avec le scepticisme. Cela dit, revenons à la religion : savez-vous quelque chose sur ses effets, indépendamment de la question de sa vérité ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ils peuvent être puissants, l'histoire l'a montré, et autant au service du bien que du mal !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous aimeriez croire ? </div><div style="text-align: left;">ELLE : - J'ai été croyante en effet dans mon enfance et je crois ne jamais avoir de plus forts plaisirs d'amour-propre qu'à cette époque.</div><div style="text-align: left;">MOI : - ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Au sens où j'étais fière de pouvoir être, par moments du moins, aussi bonne que Dieu voulait que je sois. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous êtes nostalgique ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Pas du tout, car non seulement la religion met la barre trop haut mais en plus elle se trompe à mes yeux sur l'identité de qui met la barre. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Met-elle la barre trop haut ou la place-t-elle tout simplement mal ? Pensez par exemple à la culpabilisation relative à la masturbation.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Sur ce point, je vous donne raison. Mais je pensais plutôt à l'altruisme qu'elle ordonne. J'en étais venue à croire que penser du mal de quelqu'un sans le dire est déjà un péché. Et cet oeil de Dieu, qui voit tout !</div><div style="text-align: left;">MOI : - D'un autre côté, elle doit favoriser chez quelques-uns l'acuité au niveau de l'introspection et donc une certaine lucidité sur les intentions.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Il se peut mais qui dit que cette vigilance ne se mêle pas à beaucoup d'illusions sur soi ?</div><p><br /></p>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-69514264759105260492023-05-03T14:26:00.002+02:002023-05-05T10:33:32.189+02:00Ça commence mal (8)<div style="text-align: left;">ELLE : - Comment se défaire de ses illusions ? Ma foi, je crains que la pire des illusions ne soit de se croire débarrassé de toute illusion !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi la pire ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce qu'alors on pense dogmatiquement qu'on est une fois pour toutes installé dans la vérité, si je peux m'exprimer ainsi.</div><div style="text-align: left;">MOI : - D'accord, mais comment se défaire au moins de certaines de ses illusions ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je ne sais pas si c'est un but qu'il faut se donner, j'ai plutôt tendance à penser que si l'on est constamment soucieux de connaître la vérité, alors quelquefois on réalise que ce qu'on croyait vrai jusqu'à présent était une illusion.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais pourquoi ne pas se fixer comme but de les éliminer ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Au moins, pour deux raisons : d'abord parce que, par définition, on ne peut pas identifier ses illusions pour les combattre, vu que, si on a des illusions, elles ne nous apparaissent pas comme telles ! Ensuite, parce que ce combat serait si général et si vague, qu'on ne saurait pas sur quel front le livrer. En fait, il vaut mieux continuer de s'instruire dans les domaines qui nous intéressent déjà.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais alors, cela revient au même de combattre l'erreur que l'illusion ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet l'acquisition du savoir devrait éliminer les deux mais il est bon de garder en tête la distinction entre l'erreur et l'illusion, pour soupçonner par exemple que si on a du mal à voir comme des erreurs certaines de nos croyances passées, c'est peut-être qu'elles étaient des illusions qui nous facilitaient la vie. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais y a-t-il des domaines où il ne faut pas chercher à connaître la vérité ? Parce que ça serait en somme trop coûteux de la connaître.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est à chacun de juger de la dose de vérité qu'il peut accepter. Pensez par exemple à la connaissance d'une maladie grave, qu'elle touche nous-même ou un proche. Trop peu savoir risque de mettre notre vie en danger, mais trop savoir peut mettre notre moral en danger. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous ne pensez donc pas que la vérité vaut plus que tout ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Non, bien sûr, d'abord parce qu'il y a des domaines où la connaissance de la vérité n'est pas intéressante, par exemple s'il pleut, est-ce intéressant de savoir le nombre de gouttes de pluie ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - En fait rien n'est vraiment inintéressant en soi, c'est une affaire de contexte, non ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est clair que si vous cherchez à fuir un orage, la connaissance la plus intéressante porte sur l'abri le plus proche, et si vous cherchez à connaître la quantité de pluie tombée, la connaissance du nombre de gouttes n'est pas plus intéressante. Donc en effet selon nos buts, l'intéressant varie, mais la vérité, elle, ne varie pas selon nos intérêts !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Si je comprends bien, vous ne placez pas la vérité au-dessus du bonheur ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ah, quelle question ! Vous savez déjà que je ne sais pas définir le bonheur... Disons que je place la vérité au-dessus de l'erreur et de l'illusion.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi donc ? Si vous êtes sceptique, vous pourriez ne pas savoir si la vérité est supérieure à l'erreur.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet si l'on réfléchit sur les effets de la connaissance de la vérité, on peut les mettre en question mais si l'on définit la vérité classiquement comme ce qui correspond aux faits, l'erreur est manifestement l'échec de cette correspondance. En somme c'est par définition que la vérité est supérieure à l'erreur, mais nous ne parlons alors ni de la connaissance de la vérité, ni de ses effets.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je ne comprends pas comment vous pouvez aimer le scepticisme et en même temps croire dans l'existence de la vérité. Ça ne serait pas plus cohérent de douter de l'existence de la vérité, comme on doute de l'existence de Dieu ou de la liberté ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Répondez à cette question : pour quelle raison, selon vous, douterait-on de la vérité ? </div><div style="text-align: left;">MOI : - Parce qu'on ne sait pas s'il est vrai que la vérité existe !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Voilà ! Vous comprenez que douter de la réalité de la vérité, c'est se demander si la phrase " la vérité existe " est conforme aux faits. Dit autrement, à partir du moment où on cherche à savoir, à connaître, on présuppose la vérité, comme correspondance aux faits. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Donc même les sceptiques croient dans la vérité ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En fait ils ne disposent pas d'une seule vérité mais leur enquête, précisément cette enquête qui n'aboutit à aucune vérité, présuppose la vérité comme but de leur recherche. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais alors comment les sceptiques peuvent-ils ne pas se contredire ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En se taisant ou en ne formulant que des questions ! </div><div style="text-align: left;">MOI : - Donc il faut se taire sans donner les raisons de son silence, et surtout ne pas formuler de questions rhétoriques !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Exactement et c'est pour cela que c'est impossible de vivre conformément au scepticisme ! Pyrrhon, le fondateur, a fait quelquefois semblant de vivre selon sa doctrine, par exemple en n'évitant pas les dangers dans la rue, mais il ne doutait pas du fait que les disciples qui l'entouraient allaient en cas de problème veiller sur lui, comme on le ferait avec un aveugle. Encore une fois le doute n'a de prix que comme moyen d'éviter l'erreur. </div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-26649569078173897812023-04-28T16:39:00.001+02:002023-05-05T10:31:09.479+02:00Ça commence mal (7)<div style="text-align: left;">ELLE : - Vous me provoquez ! Comment savoir ce qu'on voit ? On sait ce qu'on voit quand on peut le désigner par le mot approprié !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous vous disiez sceptique et il vous suffit de disposer du nom commun ordinaire pour croire connaître ce que vous désignez par lui !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet, si je peux désigner par le mot " coquelicot " ce coquelicot que je vois dans ce pré, j'en ai une connaissance.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Non, vous pouvez parfaitement savoir désigner correctement le coquelicot sans avoir une seule connaissance sur lui !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Que voulez-vous dire ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Que vous savez seulement comment la chose s'appelle en français sans pour autant connaître ses caractéristiques ! Et si vous connaissez, parce que vous avez fait de la botanique, les caractériques de l'espèce de fleur appelée " coquelicot " en français, c'est très probable que vous n'ayez pas de connaissances sur ce coquelicot-là, sur ce qu'il a d'unique.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je dirais plutôt que c'est plus probable d'avoir des connaissances sur ce que tel coquelicot a de particulier que sur l'espèce à laquelle il appartient. On voit par exemple qu'il est un peu flétri, qu'un des pétales est sur le point d'être emporté par le vent, etc.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et donc je dois m'en tenir à ces connaissances-là ? Peut-être mais elles ne sont pas intéressantes... </div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet, mais ce qui est plus intéressant, c'est l'idée que, dans beaucoup de situations, le mieux qu'on peut faire, c'est de décrire exactement et mieux encore, précisément, ce qui se passe, qui est le plus souvent assez ordinaire.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais, quand on a des êtres humains sous les yeux, on peut faire quand même beaucoup mieux que s'en tenir à ce qu'ils montrent, non ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Non, au plus, vous pouvez mieux voir que d'autres ce qu'ils montrent. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais on peut savoir sur eux des choses qu'ils ne montrent pas, par exemple leurs sentiments profonds, leurs convictions intimes, ce qu'ils sont vraiment, au-delà de ce qu'ils font voir d'eux-mêmes.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si vous ne pouvez justifier ce que vous croyez qu'ils sont vraiment, par rien de ce qu'ils montrent, ma foi, le risque est grand que vous imaginiez ce qu'ils sont, soit parce que vous le désirez, soit parce que vous le craignez, comme l'hypocondriaque qui pense que ses résultats d'analyse vont être à coup sûr catastrophiques.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais si la personne en question me donne raison quand je lui dis ce qu'elle est au plus profond d'elle-même, c'est bien la preuve que je vois juste !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Pas du tout, vos désirs peuvent coïncider, comme vos craintes.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais alors on ne peut rien dire de vrai sur quiconque !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Disons que c'est difficile. D'autant plus que, si par exemple on identifie une conduite comme une preuve de jalousie, on a tendance à faire de la conduite jalouse un révélateur de ce qu'est la personne essentiellement et pour toujours. Sartre a raison sur ce point de dire que chacun garde pour soi la possibilité de changer et condamne les autres à un caractère défini une fois pour toutes. La Rochefoucauld aurait sans doute vu dans ce trait une manifestation de plus de notre amour-propre.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez dire que le changement dans la manière d'être est toujours possible ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je n'irai pas si loin car je suis porté à appeler possible seulement ce qui s'est réalisé.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je ne comprends pas.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Par exemple, si cette personne qui est depuis des années terriblement jalouse me montre un jour qu'elle ne l'est plus, je dirai rétrospectivement que la disparition de sa jalousie était possible. Mais avant qu'elle ne réalise cette possibilité, ce que j'appelais des possibilités la concernant n'étaient que des créations de mon imagination. Par exemple, je disais qu'il était possible qu'elle aille par jalousie jusqu'au meurtre, non parce que je le savais, mais parce que des gens jaloux en arrivent à tuer. Si j'avais été rigoureux, j'aurais dû me contenter de dire : " quelques personnes jalouses comme elle ont dans le passé tué par jalousie ". À supposer que le fait soit vrai, c'est une connaissance de probabilités, comme celle du médecin qui annonce à son patient qu'il a 40% de chances de guérir. Il ignore complètement les possibilités de son patient, qu'il ne connaîtra qu' à partir du moment où elles se seront réalisées.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais il y a des possibilités qui ne se réalisent pas ! Par exemple je suis célibataire mais j'aurais pu me marier, j'ai d'ailleurs failli !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je soutiens qu'il n'y avait aucune possibilité de vous marier jusqu'à présent ! Quant au futur, je ne peux que vous parler de probabilités concernant des groupes dans le passé. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Je ne connais donc même pas mes propres possibilités.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous les connaissez une fois réalisées, sinon vous les espérez, ou vous les craignez. Dit autrement, le meilleur moyen de savoir qui vous êtes, c'est d'entreprendre, de faire, d'agir. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais pour agir, il faut connaître ses possiblités !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Plus exactement, il faut vous rappeler de ce que vous avez su faire et raisonner en termes probabilistes. Par exemple, vu votre niveau en ski, il est probable que vous n'ayez pas la possibilité de descendre sans tomber la piste noire.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Des possibilités comme ça, ce n'est pas intéressant, ce qui est chouette, c'est des possibilités extraordinaires, comme celle de vivre une vie tout autre que celle qu'on a menée jusqu'à présent ! Par exemple partir faire un grand voyage en solitaire alors qu' on mené une vie sédentaire entouré d'amis et de sa famille...</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Tant que vous ne l'avez pas fait, penser que vous pouvez le faire, c'est ce qu'on appelle prendre ses désirs pour des réalités, dit autrement une illusion.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais comment se défaire de ses illusions ?</div><div style="text-align: left;"><br /></div><p><br /></p>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-79939507241108070312023-04-20T16:40:00.002+02:002023-09-26T16:46:04.316+02:00Ça commence mal (6)<div style="text-align: left;">MOI : - Mon prof de philo disait que la nature humaine, ça n'existe pas et que tout est politique.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Les deux affirmations n'ont pas plus de sens l'une que l'autre !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi donc ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - À quoi opposait-il la nature ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - À la culture, bien sûr. Tout est culturel, disait-il.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Bonne blague ! Vous allez comprendre pourquoi tout seul. Qu'est-ce que fait l'agriculteur ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Il cultive une terre, un sol.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Bien, et le sol en question, avant que l'agriculteur ne le travaille, il était cultivé, lui ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Non, bien sûr.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous pouvez conclure tout seul désormais pourquoi il est impossible que tout soit culturel.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Parce que par définition la culture suppose la nature, qui est sa matière première. D'accord, je comprends, mais ça ne veut pas dire que l'idée que tout est politique, elle, n'a pas de sens.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Réfléchissez un peu et vous trouverez que c'est la même chose. C'est quoi la politique ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mon prof disait que c'est l'organisation artificielle de la vie en commun.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - D'accord, et la vie avant d'être organisée, elle est politique ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ah oui, je comprends. Mais mon prof disait que même les phénomènes biologiques avaient une dimension culturelle et politique. Il prenait l'exemple d'un acte sexuel : on le fait d'une certaine manière, à un certain moment, il est légal ou non, etc.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, il avait raison mais le vivant en tant que tel, lui, il est comme le climat était avant qu'on soit entré dans l' Anthropocène : il est naturel.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais sait-on ce qu'est un humain vivant antérieur à la culture et à la politique ? Même son code génétique a des causes culturelles, si on envisage le fait que l'union des gamètes, qui lui a donné naissance, s'est faite dans des circonstances sociales déterminées !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Certes, mais ce n'est pas la société qui a décidé des lois biologiques du processus de fécondation.</div><div style="text-align: left;">MOI : - En effet, mais quand vous disiez vous méfier de l'anarchisme, je ne pense pas que vous faisiez référence à ce qui est contenu dans les manuels de biologie humaine.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous avez raison : dans ce cas je pensais à la dimension naturelle de l'agressivité humaine, c'est pour cette raison que je crois naïf d'accuser la culture et l'État de causer à eux seuls, cette agressivité. Je crois encore une fois que cette agressivité est une matière première, comme la sexualité, matière première que la culture et l'État modèle, organise, structure, utilise.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais pourquoi l'homme serait-il agressif par nature ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ah, je ne peux pas donner de causes précises, mais si on raisonne dans un cadre évolutionniste, on peut imaginer qu'une espèce humaine sans agressivité aurait perdu un avantage par rapport aux autres espèces concurrentes.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je vois que votre scepticisme s'arrête aussi au darwinisme !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est vrai que je ne doute pas des connaissances scientifiques établies.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous êtes donc scientiste !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ça dépend du sens donné au mot : si vous appelez scientiste la croyance que la connaissance scientifique est la meilleure connaissance possible, je suis scientiste. Mais si vous voulez dire par là que la seule connaissance qui existe est de type scientifique, non alors je ne me reconnais pas dans le scientisme.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Quelle autre connaissance que la connaissance scientifique reconnaissez-vous donc ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - La connaissance ordinaire, celle qui dit qu'en ce moment nous nous parlons, que moi, je m'appelle un tel et vous, un tel, etc.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais les sceptiques ont douté aussi de cette connaissance ordinaire ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est vrai, mais a-t-on vraiment de bonnes raisons d'en douter ? Je peux douter de l'état de la chaussette de mon pied droit dans ma chaussure (a-t-elle un trou ou non ?), mais pas du fait que mon pied est dans la chaussure. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Le problème, c'est qu'on a appelé autrefois connaissance ordinaire des préjugés. Pensez donc à la connaissance ordinaire d'un raciste, d'un antisémite, d'un misogyne !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je reconnais que vous avez raison. Dès qu'on donne de la valeur à quelque chose, le doute doit surgir, sauf si on ne fait que constater une valeur monétaire établie, fixée, comme quand on dit que dans tel restaurant le menu est à 20 euros. C'est pour ça que par connaissance ordinaire, j'entends la connaissance perceptive, je sais par exemple que je suis blonde, que nous sommes assis, etc.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ça ne va pas nous mener loin.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - D'abord, ça se discute car la perception, associée à l'attention, peut nous faire découvrir beaucoup de choses qui passent inaperçues à première vue (par exemple la connaissance que vous prenez d'un tableau de Brueghel en le scrutant longuement vous permet de le connaître complètement, du moins en tant que surface peinte) ; ensuite dans certains cas, c'est conseillé, si on veut rester lucide, de ne pas aller loin, de s'en tenir à ce qu'on perçoit et de ne pas y associer ce qu'on imagine.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez dire que si, par exemple, je perçois un être humain qui fait la manche dans la rue, je dois en rester là, ne pas broder autour avec des jugements douteux.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Exactement, et croyez-moi que souvent c'est difficile de s'en tenir à ce qu'on a sous les yeux et de ne pas prendre ce qu'on perçoit comme prétexte pour déblatérer.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais comment savoir vraiment ce qu'on a sous les yeux ?</div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-85785373474131532572023-04-16T16:56:00.003+02:002023-05-05T10:27:14.893+02:00Ça commence mal (5)<div style="text-align: left;">MOI : - Et vous ne trouvez pas que la philosophie, c'est indispensable politiquement ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En quel sens ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Dans le sens où philosophie rime avec démocratie et liberté !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais démocratie et liberté, au sens où vous l'entendez, je crois, c'est une affaire de politique.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Justement, la politique est éclairée par la philosophie, non ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, mais pas spécialement la politique ! La philosophie cherche à connaître la réalité en général, donc en effet la réalité politique.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et elle la connaît ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ça va vous faire plaisir, je vais cesser un moment de faire le sceptique.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Ah, la philosophie a réussi à savoir quelque chose, en politique donc ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ce n'est pas tant qu'elle a réussi à savoir quelque chose en politique qu'elle a réussi à comprendre qu'il ne faut pas confondre la politique avec la morale. C'est à Machiavel qu'on le doit.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Si c'est ça la découverte de la philosophie, c'est plutôt décevant. Je suis fermement convaincu en effet que la politique devrait être morale, au lieu d'être immorale, comme elle l'est.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Mais Machiavel n'a pas dit qu'elle doit être immorale ! Elle doit choisir les meilleurs moyens en vue du bien commun.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Le bien commun de qui ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En premier lieu de ceux qui vivent à l'intérieur d'un même État.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et les étrangers ? Les réfugiés, par exemple ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Le bien commun des États auxquels ils appartiennent englobe aussi le bien des citoyens qui les quittent. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Et les apatrides ? </div><div style="text-align: left;">ELLE : - On peut alors envisager non seulement un bien commun national, mais un bien commun humain, pour le distinguer d'un bien commun international, qui renverrait au bien commun aux citoyens de toutes les nations. Mais le bien commun national est la fin première de l'État !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et comment alors la morale ne doit-elle pas guider la politique, si celle-ci vise le bien commun de tous les citoyens ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce que le bien commun n'est pas nécessairement atteint par des moyens que la morale approuve !</div><div style="text-align: left;">MOI : - ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Pensez par exemple aux services secrets qui ont pour fonction de protéger la sécurité nationale : leurs membres doivent mentir, voir commettre des actes pires.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais ça ne veut pas dire que tous les moyens moraux sont inefficaces et tous les moyens immoraux efficaces ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - En effet et Machiavel n'a pas dit le contraire.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous êtes bizarre ! Sceptique comme vous êtes, je m'attendais à vous voir enclin à l'anarchisme !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous voulez dire, enclin à organiser une vie commune sans un État qui contrôle tout et souvent diffuse des mensonges et commet des erreurs en vue de ce contrôle ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Exactement !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous oubliez que l'anarchisme est une philosophie politique particulière et que donc elle ne dispose pas d'un savoir affirmant que tout État est essentiellement mauvais.</div><div style="text-align: left;">MOI : - D'accord, mais pourquoi alors mettre au premier plan une autre philosophie, celle de Machiavel ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Disons que je ne trouve pas d'objections sérieuses à l'idée qu'au niveau politique il peut être dangereux pour le bien commun de respecter la morale. L'exemple classique est celui des pacifistes qui, avant la deuxième guerre mondiale, par refus systématique de la violence, ont favorisé la montée du nazisme en Allemagne. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Et quelles objections sérieuses avez-vous donc contre l'anarchisme ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Il me semble faire porter excessivement à l'État la responsabilité des maux et des malheurs qui ruinent la vie des citoyens, sans assez prendre en compte la nature humaine.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Je n'en crois pas mes oreilles ! Vous croyez à la nature humaine ? Mais c'est complètement ringard !</div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-63179516050681782742023-04-08T15:07:00.006+02:002023-09-26T16:40:33.395+02:00Ça commence mal (4)<div style="text-align: left;">MOI : - Croyez-vous qu'on a raison de faire de la philosophie une condition du bonheur ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est vrai que philosopher rend heureux, comme faire du vélo ou cuisiner, pour qui aime ces activités. Mais de là à faire de la philosophie une condition nécessaire du bonheur, il y a un pas...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Cependant, en rendant plus lucide, moins victime des idées fausses, la philosophie ne permet-elle pas de distinguer le vrai bonheur des bonheurs imaginaires ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si vous n'avez pas oublié nos précédentes conversations, vous devinez que les philosophes ne savent pas ce qu'est le bonheur ; en revanche c'est apparemment une occupation qu'ils aiment de se disputer en prétendant savoir mieux que leurs rivaux, passés ou contemporains, ce qu'est le bonheur... C'est d'ailleurs parce qu'on ne dispose pas d'un savoir sur le bonheur que j'ai les plus grandes méfiances à propos de l'utilitarisme qui fait du bonheur du plus grand nombre un élément-clé de sa morale !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Quand j'étais en Terminale, mon professeur nous avait fait étudier la <i>Lettre à Ménécée</i> d'Épicure et je croyais bien alors devenir pour toujours un épicurien éclairé !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Votre professeur vous a enthousiasmé parce qu'il s'est bien gardé de présenter les critiques que les stoïciens ou les sceptiques ou les chrétiens faisaient des épicuriens. S'il l'avait fait, le ver du doute aurait corrompu votre beau petit fruit...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais il faut bien un jour cesser de douter pour arriver à quelques chose !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Il faut cesser de douter si on arrive à quelque chose, en fait, si on arrive à quelque chose, on ne peut plus douter, sauf verbalement.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez dire ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Que par exemple vous ne doutez pas du fait qu'on discute en ce moment ! Même si, dans une conversation philosophique, vous pouvez dire que vous en doutez, en réalité vous ne croyez pas à votre doute. Cela dit, c'est un petit jeu qui plaît aux élèves : ils ont l'impression de décoller vers les hauteurs philosophiques.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Donc la philosophie n'apporte rien concernant la question du bonheur ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si, elle apporte le doute, et peut-être que ce doute est bénéfique au moins pour les autres, car on ne risque pas de les contraindre à mener une vie dont ils ne veulent pas.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais alors vous êtes un relativiste ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Sur la question du bonheur, ça serait un peu fort de café de soutenir que son règlement n'est pas relatif à la philosophie particulière qu'on défend !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais le bonheur n' a-t-il pas comme condition universelle le développement harmonieux de soi-même ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Ce n'est qu'une des conceptions particulières de la vie heureuse et elle se heurte à l'impossible solution de la question suivante : qu'est-ce que ça veut dire " se développer harmonieusement " pour un homme ? On peut peut-être y répondre s'agissant d'un pommier mais vous voyez que nous manque dans notre cas la définition vraie de l'homme réalisé, mûr, parfait !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et ce qu'on appelle le développement personnel ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est une expérience ordinaire pour chacun de penser qu'il se développe bien ou mal ou médiocrement, entrent dans les causes de cette conception personnelle de ce que je dois être ma vie passée, mon histoire, mes croyances. Mais de là à croire que bien se développer pour moi, c'est suivre un chemin valable pour tout homme...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et vous êtes relativiste aussi en morale ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est un peu pareil : j'ai honte quand je pense me comporter immoralement et je suis fier de moi si je parviens à agir selon la morale. Mais c'est au moment de définir ce qu'est la morale que ça se corse car on retombe sur la dispute...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais c'est tout de même bien, la morale, non ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, mais c'est une tautologie.</div><div style="text-align: left;">MOI : - ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Par définition, parler de la morale, c'est parler de quelque chose qui a de la valeur, qui est bien. Il en va de même avec la beauté. Si vous dites d'un tableau qu'il est beau mais qu'il n'a aucune valeur esthétique, on ne vous comprendra pas. Le problème surgit quand on se demande pourquoi la morale a de la valeur : est-ce quelque chose que les hommes inventent ou bien quelque chose qu'ils découvrent ? Et s'ils l' inventent, y a-t-il plusieurs inventions différentes possibles et d'égale importance ?</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et quelle est votre position ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je reste sceptique bien sûr !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais on ne peut pas se passer de la morale ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - À en juger par les dégâts que peuvent faire les hommes immoraux, c'est difficile de dire que la morale n'est pas quelquefois bonne pour la vie en société.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi quelquefois seulement ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Pensez à la morale nazie !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais il n'y a pas de morale nazie !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Comment le savoir si on ne dispose pas d'une définition vraie de la morale ? On peut dire qu'il n'y a pas de mathématiques nazies parce qu'on sait au moins vaguement ce que sont les mathématiques. Mais pour la morale...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Alors la philosophie n'est pas un élément de l'éducation morale ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je ne vais pas jusque là ! La formation philosophique, en apprenant à clarifier, distinguer, préciser, en donnant aussi une connaissance critique des diverses morales philosophique, etc. aide à mettre un peu de lumière dans le brouillard des discussions morales, mais en effet, elle ne fait pas voir le soleil du Bien...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous le regrettez ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si un télescope ne permet pas de voir un astre qui n'existe pas et n'a jamais existé, pense-t-on que c'est un mauvais télescope ? </div><div style="text-align: left;"><br /></div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-7990968163833895412023-04-07T16:52:00.010+02:002023-05-05T10:23:10.163+02:00Ça commence mal (3)<div style="text-align: left;">MOI : - Malgré ce que vous dites, vous avez consacré votre vie à enseigner la philosophie ! Ce n'est pas logique.</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, je me faisais sans doute de multiples illusions et je me demande aujourd'hui si faire de la philosophie n'est pas toujours chargé d'illusions, dont celle de croire qu'en réfléchissant on va pouvoir arriver, sur un problème donné au moins, à une connaissance désillusionnée. Je me dis quelquefois que choisir la philosophie, c'est mettre la barre trop haut. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous voulez dire que vous regrettez de ne pas avoir choisi plutôt la science ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : C'est qu'une fois mordu par la philo, le travail scientifique est plat. Mais d'un autre côté, quand on essaie de prendre de la hauteur avec les sciences, en posant des problèmes du genre : qu'est-ce que la science ?, on retombe dans les disputes. Regardez pourtant comment certains scientifiques voient dans la philosophie un couronnement de leur carrière, comme s'ils montaient dans la hiérarchie des savoirs !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et les philosophes, ils aiment la science ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - D'un côté, s'ils sont lucides sur l'histoire de la philosophie, ils se rendent compte que les progrès des sciences appellent souvent aux contestations des philosophies établies ; de l'autre, par leur formation, ils ont en général peu de connaissances scientifiques de première main. Ils répètent ce qu'ils ont lu dans des livres de philosophie des sciences. Là encore, la crédulité, ou si vous préferez un terme moins cruel, la confiance, est une condition de la culture philosophique. Bien sûr certains, bien rares, cumulent la culture philosophique et une culture scientifique déterminée (physique, mathématique, etc), mais qui les comprend ? Qui peut les juger ? Le résultat, c'est que souvent les profs de philo, surtout dans l'enseignement secondaire, répètent ce qu'on leur a dit tout en commandant à leurs élèves de toujours juger par eux-mêmes !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous êtes bien amer ! Mais, au fait, j'ai entendu dire que certains philosophes, qu'on appelle les analytiques, sont meilleurs que les autres. C'est vrai ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oh, ça, c'est une rumeur. C'est vrai que si on reçoit une formation analytique, en général on sera nourri de logique et encouragé à developper des qualités comme la rigueur, la précision, la clarté, la sobriété, on se méfiera donc des enthousiasmes et des délires, mais toutes les divisions qu'on trouve dans la philosophie qu'on appelle continentale, on les retrouvera dans la philosophie analytique : il y aura des dualistes et des monistes, des partisans et des adversaires du libre-arbitre, des croyants, des athées et des agnostiques, etc. </div><div style="text-align: left;">MOI : - D'accord, mais peut-on tout de même faire une différence entre un vrai philosophe et un charlatan ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Sans formation philosophique approfondie, je veux dire qui dure plus que l'année de Terminale ! Non ! D'ailleurs ceux que le grand public appelle philosophes sont généralement jugés des charlatans par la profession. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais qu'est-ce qu'un charlatan en philosophie ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est forcément quelqu'un qui a une formation philosophique initiale minimale (sans quoi il n'aurait pas les moyens de faire semblant) mais qui base ses écrits ou ses paroles sur des affirmations qu'il présente comme incontestables à son public mais qui sont, du point de vue de la profession, on ne peut plus fragiles. Par exemple il partira d'une définition péremptoire du temps alors que les professionnels savent qu'on n'a pas de savoir philosophique sur le temps (la dispute entre ceux qui pensent que le temps existe en dehors de l'esprit et ceux qui pensent que non, n'est pas réglée ! Est-elle réglable ?). </div><div style="text-align: left;">MOI : - Il y a des charlatans parmi les professeurs de philo en lycée ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - J'espère que non ! Plus sérieusement, il faut beaucoup de vertus pour enseigner aux lycéens car ils font d'autant plus confiance qu'ils aiment leur professeur. On peut donc former à volonté des brigades de petits kantiens ou de petits nietzschéens, etc., selon son goût personnel.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous ne méprisez pas les élèves en vous exprimant ainsi ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Pas du tout ! Les élèves jouent souvent formidablement bien le jeu de la réflexion philosophique mais, sans qu'ils puissent s'en rendre compte, ils réfléchissent librement et spontanément dans le cadre du jeu particulier que vous introduisez dès les premières heures et sur l'arbitraire duquel vous n'avez pas intérêt à insister, si vous voulez faire bien marcher la classe et mobiliser les intelligences.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais alors il faudrait plusieurs années de philosophie au lycée ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, ainsi les élèves, dynamisés par l'amour de leurs professeurs successifs, en viendraient à réaliser mieux ce qu'est la philosophie ! Mais ça serait dur d'enseigner en deuxième ou troisième année ! </div><div style="text-align: left;"><br /></div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-34227343058406569032023-04-05T09:29:00.003+02:002023-05-05T10:21:00.645+02:00Ça commence mal (2)<div style="text-align: left;">MOI : - Mais alors à quoi peut servir la philosophie, si toutes les convictions philosophiques sont fragiles ? En quoi est-ce donc utile d'enseigner la philosophie à tous les lycéens par exemple ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Je dirais que la philosophie est un moindre mal. Si on n'en fait jamais, on traverse l'existence avec des certitudes jamais discutées.</div><div style="text-align: left;">MOI : - À quoi bon mettre en doute nos certitudes de départ si c'est pour les remplacer par d'autres pas plus fondées ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Les positions philosophiques sont plus solides que les certitudes de départ, car elles se nourrissent des objections qu'on leur fait pour consolider leurs points faibles, mais elles ne forment en effet pas un savoir.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Elles sont personnelles ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Non, pas plus que les opinions de départ. Comme elles, elles sont héritées mais dans le cas de la philosophie, l'héritage est conscient.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Que voulez-vous dire ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - La chose suivante : quand on apprend la philosophie, on sait que ce qu'on apprend, ce n'est pas la réalité mais ce qu'a écrit tel ou tel sur la réalité. Bien sûr, si on prend le temps de lire et de comprendre la philosophie, c'est parce qu'on croit que le philosophe qu'on lit a une lucidité supérieure à la nôtre, voire à tous les autres. C'est pour cette raison que certains lecteurs s'appellent au bout d'un certain temps kantien, wittgensteinien, heideggerien, etc.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais on ne peut pas lire les philosophes sans prendre parti ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si, bien sûr, mais d'abord on entre dans la philosophie guidé par un ou des professeurs qui en font l'éloge et puis le philosophe qu'on lit prétend avoir raison contre les idées toutes faites ou les autres philosophes, et comme on n'est pas armé pour résister à son entreprise de persuasion, on mord à l'hameçon. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais j'ai entendu dire que les philosophes raisonnent, avancent des arguments et vous, vous les décrivez comme des rhéteurs !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - C'est vrai, ils justifient ce qu'ils disent, c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles on est séduit quand on les lit, ils s'adressent à notre intelligence. À les entendre, ils prouvent leurs positions. Et pour montrer leur supériorité quelquefois, ils font même parler leurs adversaires. Mais leurs raisonnements ne sont jamais contraignants au sens où le sont des raisonnements mathématiques, qui conduisent l'auditeur, qu'il le veuille ou non, à une conclusion indiscutable. Leurs références aux faits ne sont pas plus impérieuses : Nietzsche par exemple commence son oeuvre philosophique par une réflexion sur le fait de la tragédie grecque mais il a une manière initiale à lui de la décrire ; aussi, quand on veut apprendre ce qu'est la tragédie grecque, on ne doit pas lire Nietzsche mais les historiens contemporains qui en ont fait leur spécialité...</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais aucun philosophe n'a jamais voulu vraiment partir du début, je veux dire sans s'appuyer sur des points de départ au fond fragiles ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si, bien sûr, parmi eux il y a eu Descartes qui a rêvé de débarrasser son esprit de toutes les certitudes discutables. De son point de vue, il l'a fait mais du point de vue de qui creuse plus que lui, il ne l'a pas fait. Lui aussi avait des présupposés indiscutés, par exemple il était sûr que la vérité s'obtient t par réflexion interne et solitaire de l'esprit, esprit qu'il distingue dès le début du corps.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Et les philosophes sceptiques ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Eux, ils ne peuvent pas faire autrement que détruire les convictions philosophiques, en prenant bien garde de ne pas leur en substituer de nouvelles. Leurs modes d'expression favoris sont le silence et l'interrogation. Et si vous les suivez, c'est comme si vous mangiez maigre tous les jours !</div><div style="text-align: left;"><br /></div><p><br /></p>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-15043920364945768472023-04-02T12:09:00.007+02:002023-11-29T10:36:27.670+01:00Ça commence mal (1)<div style="text-align: left;">MOI : - Vous qui dites vous passionner pour la philosophie depuis plus de 50 ans, dites-moi donc ce qu'elle est !</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Vous m'embarrassez car je peux bien vous répondre mais je sais que ce n'est pas une réponse vraie.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Comment est-ce possible de passer sa vie sur quelque chose qu' on connaît à moitié ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Pour être honnête, je ne peux même pas dire que je connais la philosophie à moitié ou à peu près, car quand on a une connaissance approximative, on sait indubitablement certaines choses : par exemple, si je connais de vue quelqu'un, je sais qu'il est de tel sexe, jeune ou vieux, etc. Or, de la philosophie, je ne peux rien dire de certain.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi alors m'avez-vous dit que vous êtes tout de même capable de répondre à ma question ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce que dès qu'on fait de la philosophie, on s'en fait une image, on a des croyances sur elle, et au fil du temps, on pense les améliorer, mais il suffit de vouloir les partager avec une personne ayant comme soi-même une formation philosophique, mais de nature différente, pour réaliser que le premier mot que vous prononcez dans le but de définir la philosophie peut être légitimement contesté. </div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi dites-vous que seule une personne ayant une culture philosophique est en mesure de discuter ce que vous présentez comme la définition de la philosophie ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce que les autres sont portés à la croire vraie !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Pourquoi, si elle n'est pas vraie ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Parce qu'elle est vraisemblable, qu' elle sonne vrai et puis sans doute parce qu'on reprend une définition dont ils ont déjà entendu parler. Et qu'ils désirent fortement s'approprier quelque chose dont on dit que c'est précieux !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Vous ne pouvez pas donner un exemple de définition vraisemblable ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Si, bien sûr. On dit que la philosophie, c'est la critique des opinions reçues, c'est leur dire non.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Oui, j'ai déjà entendu ça quelque part, mais pourquoi cette définition n'est-elle pas vraie ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Entre autres, parce qu' on ne dispose pas d'une définition vraie de l'opinion ! Certes les dictionnaires font l'inventaire des sens donnés au mot " opinion " mais ce qu'ils ne disent pas, c'est si l'opinion existe et ce qu'elle est en vérité. Et puis on ne sait pas plus s'il est bon de combattre les opinions reçues...</div><div style="text-align: left;">MOI : D'accord, mais quel est le sens philosophique d'opinion ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Il n'y en a pas un, mais plusieurs, autant que de philosophies particulières.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais alors on peut bien connaître le sens d' opinion pour tel philosophe ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, cependant c'est déjà toute une affaire, car généralement les philosophes ont varié dans les sens qu'ils donnaient aux mots qu'ils utilisaient. Et puis surtout ça n'assure en rien que vous connaissez alors grâce au philosophe en question ce qu'est l'opinion. Caricaturons un peu : le fait qu'un auteur donne des sens différents au mot fantôme, que vous les connaissiez et que vous connaissiez aussi les autres sens que les auteurs ont donnés au même mot (ajoutons aussi le fait que vous sachiez les traductions de tous ces sens dans de multiples autres langues) ne garantit en rien que vous ayez la moindre connaissance vraie sur le fantôme. Si vous êtes athée, mettez Dieu à la place de fantôme !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Mais si vous avez raison, comment se fait-il qu'on fasse de la philosophie ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Sans doute parce que par amour-propre on pense faire mieux que les autres et qu'on est entouré de personnes qui pensent comme nous et qu'on lit des personnes qui ont pensé comme nous et qu'on est cru par des personnes qui ne sont pas très exigeantes en termes de preuves !</div><div style="text-align: left;">MOI : - Alors il y a un malentendu au départ des formations philosophiques ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - Oui, en un sens. Au début d'un enseignement de la philosophie, on devrait tenir le discours que je tiens, mais si on le tient et si on est cru, alors le public se détournera de nous car il a hérité d' une idée bien plus haute de la philosophie et il est donc déçu par ce que, toi, tu juges honnête de transmettre.</div><div style="text-align: left;">MOI : - Alors ou on trompe sur la marchandise ou on ne vend rien ?</div><div style="text-align: left;">ELLE : - On peut dire les choses comme ça. Mais attention à ce que je viens de vous dire ! Je n'ai fait que développer l'image sceptique de la philosophie...</div><div style="text-align: left;"><br /></div><div style="text-align: left;"><br /></div><div style="text-align: left;"><br /></div>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-84041943708860866772023-01-03T14:24:00.003+01:002023-01-03T14:24:59.034+01:00S'éloigner de l'individuel pour mieux le connaître.<p>À une époque individualiste (pardon de ne pas me consacrer à la définition précise de ce terme vague), où certains sont portés à fuir les concepts généraux pour se qualifier individuellement, privilégiant, entre autres, les adjectifs et les verbes décrivant ce qu'ils sont ici et maintenant, voire renonçant aux paroles et se contentant de se montrer, il faut relire ces lignes des <i>Catégories </i>où Aristote défend la valeur gnoséologique des caractérisations spécifique et générique, au service de l' identification de l'individu, humain ou pas, bien sûr :</p><p>" Lorsqu'on rend compte de ce qu'est tel homme, on en rendra compte de façon appropriée en répondant par son espèce ou son genre, et on le fera mieux connaître en répondant que c'est un homme ou un animal, alors que si on en rend compte par quoi que ce soit d'autre (si par exemple on répond qu'il est blanc ou qu'il est court, ou toute autre réponse de cette sorte), on en aura rendu compte d'une façon qui lui est étrangère." (2b, <i>Oeuvres complètes</i>, Flammarion, 2014, p. 35)</p><p>Certes un platonicien pourrait avoir écrit la même chose, à la différence près que les substances individuelles sont chez Aristote premières ontologiquement et non secondes, comme chez Platon : donc pas d' Idée d' homme, pas d' Homme.</p>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4181898349940634242.post-91795921573356050902022-12-13T13:48:00.002+01:002022-12-13T13:48:39.150+01:00Tout n'est-il que fiction ? La position de Spinoza.<p>Tout esprit rationaliste , quelle que soit la variante du rationalisme qu'il défend, combat l'idée que " tout est fiction " et que la vérité n'est qu'une fiction utile, pour ainsi dire. Aussi aime-t-il trouver dans le <i>Traité de l'amendement de l'intellect - </i>pour reprendre la version du titre défendue par Bernard Pautrat dans la nouvelle édition des oeuvres complètes de Spinoza parue dans La Pléiade en septembre 2022 - un texte où le philosophe présente la thèse de l'inexistence de la vérité et de l'omniprésence de la fiction. Déjà en 1954, dans la première édition de Spinoza dans La Pléiade, Roland Caillois reconnaissait dans une note ne pas pouvoir identifier vraiment qui était visé par les lignes en question (dans la nouvelle édition, aucune note n'abordant la question, il semble donc que l'énigme demeure). On verra que Spinoza formule moins des objections contre cette thèse qu'il ne l'explicite, en supposant qu'une telle explicitation suffira à en souligner la fausseté :</p><p>" Peut-être se trouvera-t-il quelqu'un pour penser que c'est la fiction qui met un terme (<i>terminat</i>) à la fiction, et non l'intelligence ; c'est-à-dire, une fois que j'ai feint un quelque chose et que, par une certaine liberté, j'ai voulu donner mon assentiment à l'idée que ce quelque chose existe tel dans la nature des choses, cela a pour effet que par la suite il nous est impossible de penser ce quelque chose d'une autre manière. Par ex., une fois que j'ai feint (pour suivre leur raisonnement) telle nature de corps, et que, de par ma liberté, j'ai voulu me persuader qu'elle existe telle dans la réalité, il ne m'est plus possible de feindre, par ex., une mouche infinie, et une fois que j'ai feint l'essence de l'âme, je ne peux pas la faire carrée, etc. (<i>il n'y a donc de contradiction que relativement à un cadre imaginaire donné)</i>. Seulement il faut examiner ceci. Premièrement : ou bien ils nient, ou bien ils accordent que nous pouvons comprendre quelque chose. S'ils l'accordent, alors cela même qu'ils disent de la fiction, il faudra nécessairement le dire aussi de l'intellection (<i>si l'imagination " constituante " coexiste avec l'intellection, le pouvoir de la première est réduit au domaine propre de l'imagination : c'est en imaginant qu'on remplace une fiction par une autre ; alors l'intellection mettra un terme à l'intellection au sens où une chose qu'on croyait comprise sera remplacée par une autre, mieux comprise. On voit que la thèse alors ne met pas en danger le savoir, qui garde et sa réalité et son indépendance). </i>Et s'ils le nient, voyons, nous qui savons que nous savons quelque chose (<i>Spinoza a quelques pages plus haut dénoncé la vanité du scepticisme radical</i>), ce qu'ils disent. Ce qu'ils disent, c'est ceci : que l'âme est capable de sentir, et de percevoir de nombre de manières, non pas elle-même, ni les choses qui existent (<i>en effet s'il n'y a que fiction, pas plus de psychologie que d'ontologie ou de cosmologie !), </i>mais seulement ce qui n'est ni en soi ni où que ce soit ; c'est-à-dire que l'âme peut, par sa seule force, créer des sensations ou des idées qui ne sont pas celles des choses ; si bien qu'ils la considèrent, en partie, comme Dieu (<i>peut-on dire que tout idéalisme ne prend pas au sérieux l'humanité de l'esprit, vu qu'il l'affecte d'un pouvoir de création quasi divin ?)</i>. Ensuite, ils disent que nous, ou notre âme, possédons une telle liberté qu'elle nous contraint nous-mêmes, ou que notre âme se contraint, bien plus qu'elle contraint la liberté elle-même. Car, une fois qu'elle a feint un quelque chose et lui a donné son assentiment, elle ne peut plus penser ni feindre ce quelque chose d'une autre manière, et en outre cette fiction la contraint à penser encore à d'autres choses de manière que la première fiction ne soit pas battue en brèche ; exactement comme ici ils sont aussi contraints d'admettre, à cause de leur fiction, les absurdités que je passe ici en revue, et que nous ne nous fatiguerons pas à rejeter par aucune démonstration." (p. 24-25)</p>Philalèthe, aka Patrick Ducray http://www.blogger.com/profile/13177293588828108301noreply@blogger.com0