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jeudi 7 juin 2012

Locke rend justice à un des premiers philosophes cyniques, Antisthène, mais pas aux stoïciens.

Dans le paragraphe 4 du chapitre 12 du livre IV de l' Essai sur l'entendement humain(1689), John Locke soutient qu' il est dangereux, prenant les mathématiques comme modèle, de bâtir sur des principes. Plus particulièrement il est dangereux moralement de fonder sa conduite sur des principes théoriques faux. C'est pour illustrer ce péril qu'il fait comme un tour d'horizon, certes incomplet mais peu importe cela, de la philosophie antique :
" Qu'on reçoive comme certain et indubitable ce principe de quelques anciens philosophes, que tout est matière, et qu'il n'y a aucune autre chose, il sera aisé de voir par les écrits de quelques personnes qui de nos jours ont renouvelé ce dogme, dans quelles conséquences il nous engagera. Qu'on suppose avec Polémon que le monde est Dieu, ou avec les stoïciens que c'est l'éther ou le Soleil, ou avec Anaximène que c'est l' air ; quelle théologie, quelle religion, quel culte aurons-nous ! Tant il est vrai que rien ne peut être si dangereux que des principes qu'on reçoit sans les mettre en question, ou sans les examiner, surtout s'ils intéressent la morale, qui a une si grande influence sur la vie des hommes, et qui donne un cours particulier à toutes leurs actions. Qui n'attendra avec raison une autre sorte de vie d'Aristippe, qui faisait consister la félicité dans les plaisirs du corps, que d'Antisthène qui soutenait que la vertu suffisait pour être heureux ? De même, celui qui avec Platon placera la béatitude dans la connaissance de Dieu élèvera son esprit à d'autres contemplations que ceux qui ne portent point leur vue au-delà de ce coin de Terre et des choses périssables qu'on y peut posséder. Celui qui posera pour principe avec Archélaüs que le juste et l'injuste, l'honnête et le déshonnête sont uniquement déterminés par les lois et non pas par la nature, aura sans doute d'autres mesures du bien et du mal moral, que ceux qui reconnaissent que nous sommes sujets à des obligations antérieures à toutes les constitutions humaines." (trad. Coste, Livre de Poche, p 931-932)
Spontanément je suis étonné par la mauvaise connaissance que Locke paraît avoir ici du stoïcisme en lui attribuant la croyance qu'une partie du monde est Dieu et par la vue en revanche sur ce qu'est le cynisme, ne cédant pas à la caricature (mais, à la fin du 17ème en Angleterre, diffusait-on une image caricaturale et mutilée du cynisme ?)

vendredi 16 septembre 2005

Anaximène, une nouvelle version du Principe.

On ne devient pas philosophe tout seul. Anaximène a écouté Anaximandre. Mais comme on ne devient pas non plus philosophe en étant excessivement fidèle à son maître, il innove. Certes il reprend à son compte l'entreprise milésienne, identifier le fondement de la nature, mais ce qui était pour Thalès l'Eau et pour Anaximandre l'Illimité, est devenu chez lui l'Air. (1)
En l'air il a les yeux assurément, ce philosophe dont on ne conserve aucun propos sur l'homme. A l'exception de ce que lui fait dire Galien, médecin grec du 2ème siècle ap. JC :
"L'homme est totalement composé d'air" (Sur la nature de l'homme d'Hippocrate, XV, 25).
Ne pas conclure que l'homme est creux ou vide, c'est tout le contraire. Plutôt un compliment que fait Anaximène, en nous identifiant à la matière originaire du monde. Epargnés que nous sommes par les raréfactions et les condensations, deux concepts anaximènéens pour rendre compte de la genèse de la multiplicité à partir de l'unité primordiale.
Préoccupé par les lointains, par le soleil et la lune, Anaximène en parle pourtant comme des objets proches. Qu'on en juge:
" Il dit que les astres ne se meuvent pas sous la Terre, ainsi que d'autres l'avaient supposé, mais autour de la Terre, comme autour de notre tête pivote le bonnet ". C'est ce que rapporte le saint évêque Hippolyte dans sa Réfutation de toutes les hérésies (I, 7)
Mais de source sûre on sait que "bonnet" est un terme d' Anaximène en personne. Comme "clous", si l'on en croit le doxographe Aétius:
"(Il) disait que les astres sont comme des clous enfoncés dans la voûte cristalline" (Opinions, II, XIV, 6)
La mobilier quotidien est aussi au rendez-vous:
" Anaximène dit que la Terre a la forme d'une table." (III, X, 3)
Diogène Laërce, lui, n'a vraiment pas grand-chose à écrire sur Anaximène: une dizaine de lignes en tout. Mais je lui sais gré de nous avoir transmis une lettre (bien sûr apocryphe) adressée par lui à Pythagore à propos de Thalès. Elle contient en effet une nouvelle version, un peu énigmatique, de la chute thalésienne:
" De nuit, comme il en avait l'habitude, s'avançant hors de son logis accompagné de sa servante, il observait les astres; et - bien sûr il ne s'en souvint pas-, étant descendu, en les observant jusqu'à l'escarpement, il tombe." (II, 4)
Et il en meurt.
Ceci dit, j'ai du mal à comprendre comment il peut à la fois avoir l'habitude de l'astronomique excursion et ne pas se souvenir de la nécessité d'une marche prudente. Je note aussi que, si la servante est toujours la bien inutile accompagnatrice, elle a au moins ici la pudeur de rester muette et donc de taire ses moqueries. C'est vrai aussi que généralement on ne réprimande pas un mort.
Diogène rapporte une deuxième lettre d'Anaximène adressée encore à Pythagore. Il y félicite ce dernier d'avoir fui les tyrans de Samos pour s'installer à Crotone et semble même l'envier un peu pour la tranquillité et la célébrité dont il jouit. Par comparaison, il évoque les tyrans milésiens et la menace que fait peser sur la ville la domination perse. C'est alors que ce philosophe au regard tourné vers le haut dit très bien que les conditions de la contemplation réussie se trouvent en bas, dans la paix civique:
"Comment donc Anaximène aurait-il eu encore le coeur de parler du ciel, quand il est dans la crainte de la mort ou de l'esclavage ?" (II, 5)
Le stoïcisme n'a pas encore été inventé: ce philosophe nous ressemble , comme nous, il a peur des malheurs (2).
(1) Ajout du 06-01-17 : dans les Confessions(10.6), Augustin remet l'air à sa place :
" Et qui est celui-ci (i.e Dieu) ? J'ai demandé à la terre, et elle a dit : " je ne le suis pas " ; et toutes les choses qui sont en elle ont reconnu la même chose. J'ai demandé à la mer et aux abysses et, parmi les animaux, à ceux qui rampent sur le sol, et ils ont répondu " nous ne sommes pas ton Dieu ; cherche au-dessus de nous ". J'ai interrogé les vents qui soufflent et tout l'air ditavec ses habitants : " Anaximène fait erreur : je ne suis pas dieu."
(2) Ajout du 01-12-14 : en hommes ordinaires, les Stoïciens ont eu peur bien sûr mais ont-ils eu peur de leur peur ? en tout cas, extraordinaires en cela, ils ont formulé les règles de maîtrise de la peur. Ont-ils pu un seul jour les appliquer efficacement ?