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mercredi 9 septembre 2009

Les servantes de Pénélope ne valent pas mieux que l'orge.

Diogène Laërce rapporte dans les Vies et doctrines des philosophes illustres (IV 49) cette anecdote concernant le cynique Bion:
" A Rhodes, alors que les Athéniens s'exerçaient à la rhétorique, il enseignait la philosophie. A quelqu'un qui l'en accusait, il répondit: " J'ai apporté du blé et je vais vendre de l'orge ?" (éd. Goulet-Cazé p. 527)
Or, lisant De l'éducation des enfants de Pseudo-Plutarque, je trouve dans la même perspective une comparaison assez savoureuse:
" Le philosophe Bion disait aussi avec finesse, que, comme les prétendants de Pénélope ne pouvant obtenir ses faveurs s'en consolaient dans les bras de ses suivantes, de même ceux qui sont incapables d'atteindre à la philosophie se déssèchent sur les autres études qui n'ont pas de valeur." (trad. Bétolaud 1870)
Ou si on préfère la traduction d'Amyot, trois siècles avant (1572):
" Or tout ainsi, disait plaisamment le philosophe Bion, que les amoureux de Penelopé, qui poursuivaient de l'avoir en mariage, ne pouvant jouir de la maîtresse, se meslerent avec les chambrieres: aussi ceux qui ne peuvent advenir à la Philosophie, se consument de travail apres les autres sciences, qui ne sont d'aucune valeur à comparaison d'elle."

Commentaires

1. Le jeudi 10 septembre 2009, 21:33 par Nicotinamide
En parcourant votre billet, je trouve l'attitude des soupirants assez cynique. En effet pourquoi courir la maitresse inatteignable alors que les bonnes font aussi affaire... Référence à Antisthène qui prétendait se contenter de la première venue.
2. Le vendredi 11 septembre 2009, 09:40 par philalèthe
Bonjour Nicotinamide,
Soupirer pour quelqu'un, est-ce vraiment une propriété des cyniques ? L'indépendance en prend un coup, non ?
En plus se contenter de peu faute de mieux ne revient pas à se contenter de peu par choix.

jeudi 25 mai 2006

Bion et les Danaïdes.

Les Danaïdes: cinquante soeurs qui expriment leur refus d’être mariées de force par leur oncle Egyptos en tuant sur ordre de leur père Danaos pendant leur nuit de noces leurs maris, leur cinquante cousins.
Mais c’est moins leur crime qui est bien connu que leur punition : remplir éternellement un tonneau percé.
On plaint inévitablement l’essentiel inaccomplissement de la tâche sans porter son attention sur l’inépuisable source de l’approvisionnement. Montaigne, lui, l’avait en vue qui identifie l’eau infinie à deux philosophes antiques :
« Je n'ay dressé commerce avec aucun livre solide, sinon Plutarche et Seneque, ou je puyse comme les Danaïdes, remplissant et versant sans cesse. J'en attache quelque chose à ce papier, à moy, si peu que rien. (Essais I XV)
Montaigne, tête trouée, gâchant donc continuellement la matière qu’il retire de la lecture constante de ces deux favoris, ne se l’assimilant guère, ne l’incarnant qu’un peu dans le corps de ses essais, mais, à lui seul, tout de même moins supplicié que les cinquante ouvrières inutiles et stériles.
Pourtant Bion, lui, pensait que leur torture trop légère aurait dû être alourdie :
« Il disait que ceux qui sont dans l’Hadès subiraient une punition plus pénible s’ils portaient de l’eau dans des récipients intacts et non pas troués. » (IV 50)
La pire douleur serait donc physique: pas tant la frustration jamais finie de n’en finir jamais qu’une fatigue du corps toujours plus intense et jamais terminée par la mort.
Mais oubliant l’entrée et obsédé par l’inefficace sortie, Bion n’a-t-il donc pas réalisé que pour remplir sans fin les tonneaux troués il faut porter sans fin aussi de lourdes amphores ? Combinant les deux souffrances, les dieux ont donc bien fait les choses...

mercredi 24 mai 2006

Bion, doctrinalement insaisissable, ou de prendre ou de donner, quel est le meilleur ?

On se souvient de la constance avec laquelle Socrate refuse d’accepter le rôle d’amant que lui tend pourtant avec acharnement Alcibiade, pressé, en offrant son corps, de gagner largement au change :
« Comme je le croyais sérieux dans l’attention qu’il portait à ma beauté, alors en sa fleur, je crus que c’était pour moi une aubaine et une exceptionnelle bonne fortune, qu’il m’appartînt, en cédant aux voeux de Socrate, d’apprendre de lui absolument tout ce qu’il savait. » (Le Banquet 217a trad. de Léon Robin)
Or, ce haut fait de la geste socratique, cette indifférence ostentatoire, hautement pédagogique, car destinée à montrer que l’on doit se tourner vers des biens plus hauts que des corps éphémères, sont dénoncés par Bion :
« Il s’en prenait également à Socrate, disant que s’il désirait Alcibiade et s’en abstenait il était stupide, tandis que s’il ne le désirait pas, sa conduite n’avait pas de quoi surprendre. » (IV 49)
Sans doute quand il proféra tel jugement n’était-il plus académicien ni cynique mais cyrénaïque. Socrate aurait-il dû alors se conduire avec Alcibiade comme Aristippe avec Laïs ?
« Je possède Laïs, mais je ne suis pas possédé par elle. Car c’est de maîtriser les plaisirs et de ne pas être subjugué par eux qui est le comble de la vertu, non point de s’en abstenir. » (II, 75)
Prendre sans être pris, cela finalement ne me semble être guère différent de ce que commandent les normes stoïciennes. Certes le fidèle du Portique, à la tâche conjugale (car je ne peux pas lui attribuer d’autre occasion d’exercer ses amoureuses capacités), ne devait pas avoir du tout en vue le plaisir mais seulement l’impeccable accomplissement du rôle de mari (à ce propos, j’ai d’ailleurs été surpris de découvrir dans l’excellent livre de Charles Taylor que les puritains anglais ont eu sur le mariage une perspective très proche : « La réponse à l’absorption dans les choses qui résulte du péché ne consiste pas dans le renoncement mais dans un usage détaché des choses, tourné vers Dieu. Il s’agit de s’y intéresser et de s’en désintéresser ; le paradoxe de cette attitude apparaît dans la notion puritaine qu’il faut se servir du monde avec des « affections sevrées ». Servez-vous des choses, « mais ne les épousez pas, sevrez-vous en, de façon que vous les utilisiez comme si vous ne les utilisiez pas » Les sources du moi p.287)
Bion a donc condamné l’abstinence, attribuant même à Socrate une ruse digne d’un esclave nietzschéen, en supposant qu’il aurait pu faire voir une indifférence pathologique sous le jour flatteur d’une apathie vertueuse. Reste que cette démystification du héros platonicien ne colle pas avec la phrase qui la précède :
« Il disait constamment qu’il vaut mieux faire don à autrui de sa beauté que de cueillir celle d’autrui : car cela nuit à la fois au corps et à l’âme. » (49)
C’est bien du Laërce tout craché d’attribuer sans ciller à un même philosophe des thèses incompatibles. Certes une telle contradiction perd de son mordant si cette condamnation totale du rôle de l’amant s’inscrit, elle, dans la logique d’un platonisme ascétique. Mais le passage reste tout de même intéressant par son étrangeté, car pourquoi alors faire de l’acte en question quelque chose de nocif autant pour le corps que pour l’âme ? On aurait davantage attendu, si l’optique platonicienne est ici requise avec pertinence, une opposition entre les plaisirs du corps et les dégâts animiques.
En outre, prescrire de préférer le rôle d’aimé au rôle d’amant suppose la capacité d'incarner les deux rôles, mais, si l’on se réfère aux règles du jeu longuement présentées par Pausanias, la distribution des fonctions est essentiellement conditionnée par l’âge, au point que l’aimé prétendant aimer se prendrait vaniteusement pour un homme fait et que l’amant prétendant être aimé se rabaisserait au statut déplacé de jouvenceau (d’où, je crois, l’habituel ostracisme vis-à-vis des hommes adultes adeptes de l’homosexualité passive)
Pour finir, il vaut la peine d’ajouter à nos perplexités la lecture de la dernière phrase du paragraphe :
« Il blâmait Alcibiade, en disant que dans sa prime jeunesse il enlevait les maris aux épouses, tandis que, jeune homme, il enlevait les épouses aux maris. » (49)
Actif/passif ? Là n’est plus la question. Mais quel costume philosophique Bion de Borysthène a-t-il donc là endossé ? A vrai dire, autant un platonicien qu’un cynique, un cyrénaïque ou un aristotélicien peut défendre l’ordre conjugal établi. Ce qui différerait en partie, ce serait les raisons d’une telle défense. Certes on pourrait s’étonner qu’un cynique défende le mariage, lui si prompt à disqualifier toutes les conventions. Mais si c’est au nom d’une dénonciation de la recherche effrénée du plaisir, un tel « conservatisme », même à l’intérieur de l’école cynique, est concevable. Bien sûr il va de soi alors que cela ne reviendrait tout de même pas à défendre la valeur du mariage.

mardi 23 mai 2006

Bion de Borysthène ou contre le deuil cynique.

Le 11 Mars 2005, j’ai consacré à Bion une chronique plutôt expéditive (sectateur de Montaigne, j’avais alors daubé sa mort lamentable) mais, lisant le long article que lui consacre Jan Fredrik Kindstrand dans le Dictionnaire des philosophes antiques (TII p.108-112), je suis pris d’un léger remords.
Malgré que c'est en tant que cynique que je l’ai épinglé, son identité philosophique est fluctuante, voire contradictoire. Si on en croit Laërce, il commença platonicien (d’où sa présence dans ce livre IV) et finit aristotélicien, précisément auditeur de Théophraste; mais entre le point de départ et le point d’arrivée, il y eut deux stations : une chez les cyniques, une autre chez les cyrénaïques, plus exactement chez Théodore l’Athée.
A première vue, le passage du cynisme au cyrénaïsme est malaisé tant est détesté dans la première école ce qui est recherché dans la seconde, je veux dire le plaisir. Cependant Bion retrouvait dans l’enseignement de Théodore une moquerie qui lui était familière à l’égard des prêtres et des images fausses des dieux
De l’ensemble des traits rapportés par Laërce se dégage généralement un air de famille cynique. Laissant de côté les plus provocants, j’en choisirai un destiné à pointer les incohérences des rites funéraires :
« Il blâmait aussi ceux qui brûlent les cadavres en les tenant pour insensibles et déposent à côté d’eux des lampes allumées en les tenant pour sensibles. » (IV 48)
On sait qu’entre la chosification des morts et la personnification des cadavres, les cyniques ont choisi le premier terme, renvoyant le deuxième non au respect des personnes qu’ils furent mais aux conventions sans fondements de la culture. Reste que la conduite dénoncée est pour la plupart d’entre nous la seule à être humaine. L’absence de toute identification à la matière relèverait du pathologique et du déni de réalité ; tout aussi bien ne pas traiter le mort comme s’il vivait encore, comme s’il n’était qu’enfermé dans un sommeil impénétrable, est la négation radicale et scandaleuse de la personne qu’il fut.
Ainsi, entre regard clinique et illusion délirante, le deuil juste se cherche en hésitant.

Commentaires

1. Le mercredi 24 mai 2006, 15:13 par Nicotinamide
« A première vue, le passage du cynisme au cyrénaïsme est malaisé tant est détesté dans la première école ce qui est recherché dans la seconde, je veux dire le plaisir. »

Permettez moi de commenter cette phrase.

« Les plaisirs que connaît Diogène toi tu les appelles des peines. » (Maxime de Tyr) Bonheur d’une poignée de lupin, s’entraîner à la dure, se torcher le cul avec de la neige, dépouillement, frugalité, renoncement à ses désirs… Est-ce que Diogène aimer les femmes ? « Asked what a woman was, he replied, deception and loss. » (saying by diogenes preserved in arabic, Dimitri Gutas) Il comparait les « libertins à des figuiers plantés au front des falaises : aucun homme ne peut jouir de leurs fruits que dévorent seuls les corbeaux et les vautours. » Sans ville, sans maison, gueux vagabond, vivant au jour la jour… beau programme pour une jouissance cynique qui laisserait un malaise pour passer du cynisme à Aristippe… Pourtant il a été reconnu chez Diogène un hédonisme cynique couplé paradoxalement à un anti-hédonisme. Cependant ces auteurs penchaient plutôt en faveur d’un rigorisme estimant que les anecdotes hédonistes provenaient de détracteurs. Je dirais plutôt que les anecdotes rigoristes ont suivi les voies stoïques et des pères de l’église. Les anecdotes hédonistes n’ayant pas été retenues. Brancacci dans son article, érotique et théorie du plaisir chez Antisthène démontre l’hédonisme d’Antisthène. Même sans cette article, en relisant les fragments, l’idée vient d’elle-même : « le plaisir dont on ne se repent pas est un bien (Antisthène). » Et que dire de Cratès qui disait que chaque jour devait être une foire joyeuse. Plutarque écrit : « Cratès a passé sa vie à plaisanter et à rire, comme s’il était à une fête. » Sans compter les morceaux de plaisirs que relatent les fragments : Diogène va aux putes, Diogène bouffe du gâteau, Diogène avale des poignées de figues, Diogène secoue son balanoglosse en public… nombreux exemples de plaisirs dont on ne se repent pas. Diogène baptisa Aristippe : chien royal… preuve que le saut de l’un à l’autre n’est que le saut d’un chien à un autre dos de chien.
2. Le mercredi 24 mai 2006, 19:33 par philalethe
Merci pour cette contribution éclairante; j'ai sans doute fait ici une lecture trop stoïcienne des cyniques.

vendredi 11 mars 2005

Bion de Borysthène, la triste fin d'un cynique, grenouille de bénitier.

Bion a tout eu pour faire un bon cynique. D’abord la profession des parents : Père : esclave pour ne pas avoir payé l’impôt puis affranchi « qui se mouchait du revers de la main » (D.L., IV, 46) Mère : « elle sortait tout droit du bordel » (ibid.) Ensuite, les débuts dans la vie : ce fils d’esclave est d’abord jeune esclave.
« Je fus donc acheté par un certain rhéteur qui me légua sur son lit de mort tous ses biens. Mais je mis tout cela en pièces, je jetais ses volumes au feu, et je m’en vins à Athènes pour me consacrer à la philosophie. » (ibid.)
Le rhéteur n’avait-il que des livres de rhétorique ? Peu importe au fond, brûler les livres, c’est brûler le maître mais c’est surtout l’indice d’une indéniable orthodoxie cynique, dans le droit fil de la pensée du fondateur :
« C’est Antisthène, en tout cas, qui affirme : « Les gens sensés ne devraient pas apprendre les lettres, de peur d’être pervertis par des influences étrangères. » (VI, 103).
Certes cet acte inaugural a pour nous des allures inquiétantes d’autodafé, mais qu’on l’entende bien : il ne s’agit pas de brûler certains livres en en idolâtrant d’autres mais de condamner l’écriture et la lecture quand elles se substituent à la vie qu’il est juste de mener. On se rappellera pourtant que les cyniques ont écrit des livres ; j’imagine qu’ils contenaient les règles de leur bon usage, c'est-à-dire de leur traduction en actions. Malheureusement ce disciple de Cratès, qui joue juste si jeune, finit complètement désaccordé. Laërce le prend lui-même à parti et lui reproche avec une prolixité inhabituelle sa tardive conversion :
« En proie à une lente maladie Et craignant la mort, Ce négateur des dieux, qui ne regardait Même pas un temple, Et raillait abondamment les mortels Qui sacrifient aux dieux, Ne s’est pas contenté de flatter les narines Des dieux Par l’encens, la graisse et les offrandes Déposées sur les foyers, les autels et la table ; Il n’a pas seulement dit : « J’ai péché Pardonnez mes fautes passées » ; Mais il a complaisamment tendu à son cou à une Vieille pour qu’elle y mît des amulettes ; Il s’est laissé persuader, a lié ses bras De lanières, A posé sur sa porte le nerprun (arbuste à fruit épineux) Et la branche de laurier Prêt à tout endurer plutôt que de mourir. Insensé celui-là qui voulait se concilier Dieu à prix d’argent, Comme si les dieux n’existaient qu’au moment Où il plaisait à Bion d’y croire. Eh bien donc ! Il rêve en vain ce morveux Quand il n’est plus que cendres, Tendant la main et disant : « Salut, salut, Pluton ! » (VI, 55-56-57)
J’imagine le plaisir de Laërce à prendre en flagrant délit de contradiction le cynique finissant. Ce long poème, je le vois comme une vengeance lettrée de compilateur mais enfin ce n’est pas parce que je vais bientôt parler de Nietzsche que je dois transformer ce second Diogène en homme du ressentiment !