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jeudi 17 septembre 2015

Le stoïcisme aujourd'hui : ou religion ou technique psychologique ?

Dans Les sources du moi (1989), Charles Taylor a raison d'écrire :
" Chez les stoïciens, l'hégémonie de la raison était celle d'une certaine vision du monde selon laquelle tout ce qui arrive procède de la providence divine. Voyant cet ordre du monde, le sage est en mesure d'accepter et de se réjouir de tous les évènements qui surviennent dans cet ordre, et il se guérit ainsi de la fausse opinion que ces évènements importent en tant que satisfactions ou frustrations de ces besoins ou désirs individuels." ( Le Seuil, p.198)
Dans ces conditions, peut-on greffer le stoïcisme sur l'athéisme ?
Plus modestement, est-ce même cohérent de défendre l'éthique stoïcienne dans le cadre d'une conception strictement scientifique de l'univers et donc, au moins, agnostique sur la question de l'existence de la providence ?
J'en doute. En effet soit on réduit le stoïcisme à des recettes psychologiques dépourvues de leur justification métaphysique (et on peut alors faire, entre autres, des initiations au stoïcisme en vue par exemple de réduire les cas de burn-out chez les cadres...), soit on prend ce système au sérieux mais qui peut le faire aujourd'hui sinon un esprit, pour dire vite, religieux ?
Le croyant alors n'avance-t-il pas masqué, sous les traits du stoïcien contemporain ?
Certes le catholique fidèle aux dogmes de l' Eglise ne peut pas reprendre à son compte l'ontologie stoïcienne (ne serait-ce que parce qu'elle est matérialiste...). Pas plus ne peut le faire le juif ou le musulman. Mais il y a une religiosité qui flotte à la dérive des dogmes institutionnels. N'est-ce pas elle qui peut faire revivre le stoïcisme en s'ancrant alors dans des textes présentés désormais comme philosophiques et rationnels ?
Le stoïcisme 2015 ne serait-il quelquefois que l' avatar engageant d'une bien vieille croyance ?

dimanche 5 février 2012

Si Dieu existait, quel sport pratiquerait-il ?

C'est une métaphore inhabituelle et savoureuse. On la doit à Charles Taylor. Contre la conception grecque, précisément stoïcienne d'un Dieu-Providence ("Dieu a prévu le péché ; aussi peut-il préparer d'avance une forme de grâce"), le philosophe canadien explique que dans la Bible " la Providence divine est précisément cette capacité que Dieu a de répondre à tout ce que l'univers et l'agence (agency) humaine émettent". C'est alors que Taylor écrit :
" Dieu est un excellent joueur de tennis qui peut toujours retourner le service." ( L'âge séculier, Seuil, 2011, p.492)

samedi 28 janvier 2012

Inviteriez-vous Saint-François d' Assise à dîner ?

Charles Taylor dans L'Âge séculier (2007) au chapitre consacré au déisme providentiel, analysant les aspects du christianisme qui ont pu le rendre haïssable aux yeux des philosophes des Lumières, rappelle l'opposition faite par David Hume entre les véritables vertus et les "vertus monacales" puis cite un passage du philosophe écossais :
" Un sinistre fanatique, à la cervelle d'oiseau, aura peut-être, après sa mort, une place dans le calendrier, mais personne, presque jamais, ne l'admettra, de son vivant dans son intimité et en sa société, si ce n'est ceux qui sont aussi délirants et aussi lugubres que lui." (Enquêtes sur les principes de la morale, trad. Ph. Baranger et Ph. Saltel, Paris, Flammarion, 1991, section IX, par. 219, p.186)
À laquelle citation, Charles Taylor ajoute la note suivante, tirée de sa lecture d'une biographie du saint (Francis of Assisi Londres, Chatto, 2000, p.244) :
" Le point de vue de Hume pourrait être formulé de manière incisive par la question rhétorique suivante : " Est-ce que vous inviteriez François d'Assise à dîner ?". En réalité, même son protecteur, le cardinal Ugolino, avait raison de se poser la question. Lorsque François d' Assise accepta un jour, avec réticence de dîner à la table du cardinal en compagnie de nombreux nobles, chevaliers et châtelains, il s'absenta au préalable discrètement pour aller mendier dans les rues. Lorsqu'il revint, il déballa les croûtons et autres aumônes qu'il avait reçus. Le cardinal en fut, cela va sans dire, profondément offensé. Cette conduite extravagante n'était bien sûr pas sans raison ; elle était liée à l'imminence de la la reconnaissance papale des aspects les plus radicalement ascétiques de la loi franciscaine. Cela aurait pu toutefois être signifié avec plus de délicatesse." (trad. Patrick Savidan, Le Seuil, 2011, p. 466)
Par l'ascétisme, la mendicité et la brutalité du défi, le saint évoque une provocation cynique, mais un trait fait la différence : François d' Assise joue le pape et la transcendance qu'il représente contre le cardinal. Dit autrement, c'est appuyé sur une institution sacrée que le saint transgresse la règle. Le cynique, lui, joue toujours la nature immanente contre toutes les règles des hommes.
Reste qu'on risque gros à inviter un cynique à sa table, car l'animal est imprévisible.
En revanche, rien n'est à craindre avec un épicurien (il prendra part au festin avec modération, conscient qu'une variation occasionnelle des plaisirs n'est aucunement un dérèglement tant qu'elle demeure exceptionnelle) ou avec un stoïcien (il saura à la fois se comporter convenablement en tant qu'invité et exemplifier les vertus ).
Le sceptique sera aussi un hôte tranquille : ne parlant guère, il se comportera selon la coutume.