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mardi 1 septembre 2020

Une nouvelle adaptation de l'allégorie de la caverne chez Cicéron : où le temps de l'otium est celui de l'erreur.

 Dans les Premiers Académiques, II, Cicéron reproche à Antiochus (d' Ascalon) d'avoir trahi la cause sceptique modérée, celle de la Nouvelle Académie, en opérant une sorte de retour vers un dogmatisme d'inspiration stoïcienne.

 Mais pourquoi a-t-il trahi ? Certains, écrit Cicéron, ont soutenu que c'était dans le seul but de se singulariser afin d'avoir une école à lui " dans l'espoir que les disciples qui le suivaient s'appelleraient Antiochiens ". Mais Cicéron l'explique par un autre motif, pas plus noble pour autant : par conformisme, il n'aurait pas pu supporter la pression exercée sur lui par les opinions philosophiques dominantes :

" Pour moi, je pense qu'il n'a pu résister à l'assaut de tous les philosophes réunis. Et en effet, sur tous les autres points, il y a bien des idées communes à tous les philosophes ; l'opinion des Académiciens (entendez la Nouvelle Académie) est la seule que les autres philosophes n'approuvent pas. Aussi a-t-il cédé." (Les Stoïciens, Gallimard, La Pléiade, 1962, p. 219-220)

Suit une comparaison qui est la raison d'être de ce billet. J'y vois un avatar de l'allégorie platonicienne de la caverne :

" Comme les gens qui ne supportent pas le soleil près des boutiques neuves, il s'est mis, tout suant, à l'ombre des Anciens Académiciens, comme ceux-là à l'ombre des terrasses."

Le soleil qui brille sur les Nouveaux Académiciens ne devrait pas être si brûlant, vu qu'il n'est plus l'astre du Vrai mais seulement celui du Probable. Mais c'est peut-être précisément la douleur que donne l'incertitude du Probable qui conduit à chercher l'ombre dans la terrasse platonico-stoïcienne de l'Ancienne Académie. Cette nouvelle mouture de l'allégorie platonicienne  a perdu de la sombreur de son modèle : plus de caverne, plus de prisonniers, juste des coins tranquilles à l'ombre. D'un autre côté, le soleil y a pris un air plus authentique, il chauffe à blanc  : loin de pouvoir le fixer sereinement, on y sue et on le fuit. On notera que l'otium est du côté de l'erreur et le business, le negotium en plein essor, du côté de la vérité.

La comparaison ne manque pas d'audace car elle semblait mieux convenir pour caractériser un fugitif du platonico-stoïcisme, venant trouver ombrage dans la pensée du Probable...

vendredi 28 novembre 2014

Découvrir la philosophie...

" À un âge encore tendre, ils (...) se sont laissé prendre par un seul discours, entendu pour la première fois, sur des sujets qu'ils ne connaissent pas ; alors ils jugent et quelle que soit la doctrine que les circonstances leur ont offerte, ils s'y fixent comme à un rocher. Ils disent bien qu'¡ls se fient à un homme qu'ils jugent être un sage, et je les approuverais, si des gens ignorants et incultes pouvaient en juger ; car il apparaît que c'est avant tout à un sage de décider qui est sage ; ils l'auraient pu s'ils avaient entendu le maître parler de tous les sujets, et s'ils avaient connu les opinions des autres ; mais ils jugent après l'avoir entendu parler d'un seul point et ils se rangent à l'autorité d'un seul. Je ne sais pourquoi la plupart des gens préfèrent se tromper et soutenir violemment l'opinion à laquelle ils sont attachés plutôt que de rechercher sans obstination des formules fermes et sûres." (Cicéron, Premiers Académiques, II, III, 8-9)

Commentaires

1. Le dimanche 14 décembre 2014, 12:46 par Sage Can Spell
Cicéron n'avait pas entendu parler des nouveaux réalistes.
2. Le lundi 15 décembre 2014, 20:00 par Lage selcanp
Un bon exercice sans doute pour les terminales, vous leur donnez deux ou trois textes de philosophes prétendus et un ou deux de vrais: qui est philosophe ? cherchez l'erreur.
3. Le lundi 15 décembre 2014, 20:49 par Philalèthe
Oui, bon exercice et pas que pour les Terminales ! À l'Université ce serait formateur aussi !
Si l'enseignement de la philosophie pouvait permettre à la plupart des jeunes gens qui le reçoivent de discerner les argumentations sérieuses des élucubrations...

lundi 18 août 2014

Qu'est-ce qui dépend de nous ? Cicéron à notre secours !

Dans Le Monde du 4 Août 2014, on peut lire un appel à François Hollande signé par Rony Brauman, Régis Debray, Christiane Hessel et Edgar Morin et intitulé M.Hollande, vous êtes comptable d'une certaine idée de la France qui se joue à Gaza. Dans les dernières lignes, les auteurs s'y réfèrent au stoïcisme pour engager le Président de la République à agir fortement contre l'intervention de l'armée israélienne dans le territoire palestinien. Voici le passage :
" L'école stoïcienne recommandait de distinguer, parmi les événements du monde, entre les choses qui dépendent de nous et celles qui ne dépendent pas de nous. On ne peut guère agir sur les accidents d'avion et les séismes - et pourtant vous avez personnellement pris en main le sort et le deuil des familles des victimes d'une catastrophe aérienne au Mali. C'est tout à votre honneur. A fortiori, un homme politique se doit de monter en première ligne quand les catastrophes humanitaires sont le fait de décisions politiques sur lesquelles il peut intervenir, surtout quand les responsables sont de ses amis ou alliés et qu'ils font partie des Nations Unies, sujets aux mêmes devoirs et obligations que les autres États."
On doit en effet à Épictète la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. Mais les auteurs de l'article ne la reprennent qu'en apparence ; voici en effet ce que soutenait Épictète :
" Dépendent de nous : jugement de valeur, impulsion à agir, désir, aversion, en un mot, tout ce qui est notre affaire à nous. Ne dépendent pas de nous, le corps, nos possessions, les opinions que les autres ont de nous, les magistratures, en un mot, tout ce qui n'est pas notre affaire à nous." ( Manuel, I.1, traduction de Pierre Hadot)
Dans la situation qui nous intéresse, dépendent donc de François Hollande le jugement de valeur (et plus généralement tout jugement) qu'il porte sur cette guerre, ses désirs et ses aversions relatifs à elle et sa capacité d'agir ou de ne pas agir dans cette affaire. Vus sous ce jour, la catastrophe humanitaire ne dépend pas plus du Président que le tremblement de terre. Reste qu'il dépend de lui de juger, de désirer et d'agir rationnellement en rapport avec le fait en jeu.
Résumons : la frontière entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas passe entre l'esprit propre et le reste du monde matériel, ce qui englobant mon corps, les autres et leurs esprits, et tous les êtres vivants et inanimés. Contrairement à son usage ordinaire aujourd'hui, l'opposition ne détermine pas les modifications du monde à ma portée par rapport à celles vis-à-vis desquelles je suis impuissant de fait.
Néanmoins cette rectification ne veut pas dire qu'un stoïcien contemporain n'aurait rien à dire sur la politique d'Israël en Palestine mais il devrait mobiliser d'autres distinctions comme celle entre l'utilité apparente et l'honnêteté, telle que par exemple Cicéron la présente dans ce passage du De Officiis :
" Il arrive très souvent que, sous prétexte d'utilité (utilitatis specie) on commette des fautes dans les affaires publiques : ainsi quand on détruisit Corinthe. Les Athéniens se montrèrent plus durs encore, en décidant de couper les pouces aux Eginètes dont la flotte était puissante : cela leur parut utile ; car Egine était menaçante pour le Pirée, dont elle était trop proche. Mais un acte cruel n'est jamais réellement utile (nihil, quod crudele, utile) : rien n'est plus contraire que la cruauté à la nature humaine que nous devons suivre. On a tort aussi d'empêcher les étrangers d'habiter nos villes et de les chasser comme firent Pennus au temps de nos pères et récemment Papius. Il est bon de ne pas permettre à quelqu'un qui n'est pas citoyen d'être pris pour tel ; c'est la loi qu'ont portée très sagement les consuls Crassus et Scévola ; mais c'est une grossièreté d'interdire aux étrangers de vivre dans notre ville. Il y a de fort belles actions où, par honnêteté, on ne tient pas compte d'un intérêt public apparent : notre république est remplie d'exemples de ce genre ; ils sont fréquents mais surtout pendant la seconde guerre punique ; la nouvelle du désastre de Cannes porta les coeurs plus haut que ne l'avaient jamais fait les événements favorables : il n'y eut nul signe de crainte et nul ne songea à la paix ; l'honnêteté a un tel pouvoir qu'elle efface l'apparence d'utilité (tanta vis est honesti, ut speciem utilitatis obscuret). Les Athéniens, absolument incapables de soutenir l'élan des Perses, décidèrent d'abandonner la ville, de laisser femmes et enfants à Trézène et de s'embarquer sur leurs navires pour employer leur flotte à défendre la liberté de la Grèce, et, comme un certain Cyrsilus leur conseillait de rester dans la ville et d'y accueillir Xerxès, ils l'abattirent à coups de pierres ; c'est pourtant Cyrsilus qui, en apparence, suivait leurs intérêts, mais ce n'était plus réellement leur intérêt, puisque l'honneur s'y opposait. Thémistocle, après la victoire dans la guerre contre les Perses, dit à l'assemblée qu'il avait un projet pour sauver la république, mais qu'il serait nuisible de le faire connaître ; il demanda qu'on lui indiquât quelqu'un à qui en faire part ; on lui indiqua Aristide ; Thémistocle lui dit que l'on pourrait mettre le feu en secret à la flotte spartiate qui s'était retirée près de Gytheion ; et que, cela fait, la puissance des Lacédémoniens serait brisée. Aristide l'ayant écouté vint à l'assemblée qui était dans l'attente et il dit que le projet présenté par Thémistocle était fort utile mais fort peu honnête. Les Athéniens estimèrent que ce qui n'est pas honnête n'est pas non plus utile (Athenienses, quod honestum non esset, id ne utile quidem putaverunt) et, à l'instigation d' Aristide, ils repoussèrent le projet sans en avoir même pris connaissance. Ils ont agi mieux que nous qui épargnons les pirates et imposons des tributs à nos alliés." (III 11, traduction de Bréhier).
Clairement la philosophie stoïcienne, hostile à la morale politique, prend position en faveur de la politique morale. Cependant une telle préférence laisse ouverte la question de savoir quelle est la politique morale à défendre vis-à-vis d' Israël en juillet-août 2014 quand on est un Président de la République français...

Commentaires

1. Le mardi 19 août 2014, 03:02 par pale glescan
Un numéro du Point en juillet attribuait à Hollande non pas la vertu stoïcienne, mais la virtù machiavelienne....laquelle autorise à mentir pour le bien public.
Il n'y a qu'en France que les conseillers du prince écrivent en se recommandant de la philosophie ...
2. Le mardi 19 août 2014, 10:16 par Philalèthe
Si les journalistes attribuent à un homme politique la virtu machiavélienne, n'est-ce pas l'indice qu'elle est possédée par celui-ci à un degré trop faible pour paraître vertu tout court et donc décourager toute comparaison avec le Prince ? En fait le Prince le plus machiavélien ne serait-il pas  celui qui, au moins aux yeux du peuple, ne le paraîtrait en rien ? De manière ressemblante, un crime réellement parfait n'est pas connu en tant que parfait.
3. Le mercredi 20 août 2014, 09:52 par pale glescan
On lui attribue cette virtù justement parce qu'il est totalement improbable qu'il la possède: il fait tellement son possible pour avoir l'air falot (pour avoir l'air mollet) que, pense-t-on, il ne peut pas l'être, et donc ce doit être un Brutus, capable de sortir du bois aux Ides de Mars (pour son malheur le brave Cicéron s'en apercevra).
4. Le mercredi 20 août 2014, 10:32 par Philalèthe
Certes cependant, même dans le cadre de l'hypothèse du journaliste, Hollande, à tant faire parler de sa possible mais improbable virtù, manifeste qu'il n'en a pas ! Bien sûr on peut se demander si un homme politique contemporain, vue la vulgarisation des préceptes machiavéliens, peut encore les appliquer en faisant croire précisément qu'il ne les applique pas. N'est-ce pas désormais réservé aux chefs d' État gouvernant des peuples sous-éduqués ? Les magiciens arrivent encore à émerveiller bien que soient publiés et accessibles les trucs de leurs tours, les hommes politiques paraissent, comparés à eux, bien démunis ; peut-être est-ce parce qu'on a du mal à accepter la réalité de leur impéritie que, comme  face à un clown scandaleusement pas drôle, on est porté à penser qu'à la fin on en aura quand même pour son argent, croyance qui est de l'ordre de l'illusion...
5. Le mercredi 20 août 2014, 16:11 par pale glescan
"N'est-ce pas désormais réservé aux chefs d' État gouvernant des peuples sous-éduqués ? "
Mais qu'est ce qui vous fait dire que nous n'en sommes pas un ? Mais je m'arrête ici avant que vous ne me payiez un bock au Café du Commerce.
6. Le mercredi 20 août 2014, 18:20 par Philalèthe
Si vous aussi, vous sombrez dans le scepticisme ! Vous ne savez donc pas que 80% d'une classe d'âge désormais  a le bac ?!

jeudi 31 mai 2007

Démocrite et Cicéron : la lettre sur les fantômes.

On peut identifier la perception à l’imagination : c’est une des raisons du doute hyperbolique de Descartes. Mais on peut identifier l’imagination à la perception : c’est la voie démocritéenne puis épicurienne.
Ce qui débouchera sur une preuve matérialiste de l’existence des dieux : si les dieux n’existaient pas, on ne les verrait pas la nuit en songe.
Clément d’Alexandrie (début du 3ème siècle après JC) attribue alors très logiquement à Démocrite l’idée qu’il n’y a pas de raison pour que les animaux ne soient pas autant que les hommes touchés par les atomes divins :
« Selon Démocrite, ce sont les mêmes images qui proviennent de la réalité divine pour frapper les hommes comme les animaux privés de raison. » (Stromates V 88 Les présocratiques p.788)
Voir un dieu n’est pas ici une expérience mystique mais un contact physique, une interaction atomique. Pas nécessaire de s’exhausser aux limites de l’humain : il suffit de rester dans celles de l’animalité.
D’ailleurs, je me demande si Démocrite pouvait soutenir à la fois cette thèse et celle de l’irréalité des sensibles, laquelle semble réduire les dieux à n’être que des conventions, pour reprendre la traduction consacrée.
Mais ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est une lettre de Cicéron à Cassius relative justement à cette identification de l’imagination à la perception. En effet, dans l’ensemble des textes souvent arides que Diels a regroupés autour du nom de Démocrite, ces lignes ont une certaine fraîcheur. Est-ce dû à ce que Cicéron s’appuie sur une sorte de phénoménologie de l’imagination pour réfuter la thèse démocritéo-épicurienne ? A vous de juger :
« En effet, lorsque je t’écris une lettre, il me semble que tu es, pour ainsi dire, là en face de moi – sans que je sache comment cela se fait – et cela sous une forme autre que celle propre à la « représentation de simulacres à l’imagination sensible », comme disent tes nouveaux amis, qui pensent que même les « représentations d’images intellectuelles » sont provoquées par les « fantômes » de Catius. Car, je te le rappelle, l’épicurien Catius, l’Insubrien (de Gaule transpadane, située au-delà du Pô, comme me l’apprend la note), qui vient de mourir récemment, appelle « fantômes » (spectra) les apparences auxquelles l’illustre philosophe de Gargette (Epicure) et, déjà avant lui, Démocrite donnaient le nom de simulacres (eidola). Moi, je veux bien que ces fantômes aient le pouvoir de venir frapper nos yeux parce qu’ils surgissent spontanément, que nous le voulions ou non ; mais je vois mal comment l’esprit, lui, peut en être frappé. Il faudra que tu m’apprennes, quand tu seras de retour ici à bon port, si vraiment il est en mon pouvoir de faire surgir à mon gré ton « fantôme », quand je pense à toi, et si ce pouvoir se limite à ta personne, qui m’est si étroitement liée, ou bien si je ne peux pas aussi faire voler jusqu' en mon cœur, à tire d’aile, le simulacre de l’île de Bretagne, rien qu’en me mettant à penser à elle. » (Correspondance familière XV 16 1 )
En effet la thèse démocritéenne est incompatible avec le fait que l’imagination, à la différence de la perception, est, partiellement au moins, sous le contrôle de la volonté.
Mais ce disant, je trahis la douceur et l’ironie insinuante de cette lettre adressée à C.Cassius Longinus, lieutenant de César et initiateur du complot qui assassinera ce dernier. Difficile d’ailleurs de concevoir comment cet homme politique orgueilleux et ambitieux a pu, venant du stoïcisme, embrasser l’épicurisme, tant cette philosophie semble incompatible avec la fougue et la violence de la carrière dudit Cassius. Mais Yasmina Benferhat est certainement éclairante quand elle écrit dans la notice qu’elle lui consacre :
« Ils (les Romains) ne trouvent en réalité dans les différentes écoles philosophiques grecques que leurs propres idées confortées par une connaissance non pas superficielle mais peut-être biaisée de leurs doctrines. Cassius est, comme nombre de ses contemporains, un adhérent sincère de la philosophie grecque, en l’occurrence de l’épicurisme, mais un adhérent romain. » (Dictionnaire des philosophes antiques 2005)