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samedi 21 janvier 2006

Criton dans les derniers moments de Socrate.

Diogène m'ayant un peu laissé sur ma faim concernant l'identité de Criton, je vais voir ce que m' apprend Platon sur son compte. Dans l' Apologie , je découvre qu'il a le même âge que Socrate et qu'il est du même dème que lui (le dème est à Athènes une circonscription territoriale). Mais c'est dans le Phédon que quelques lignes valent la peine d'être relevées. Phédon, qui a assisté en direct à la mort de Socrate, raconte à Échécrate, pressé d'en connaître le détail, que la vingtaine de disciples et d'amis dont il fait partie (mais à laquelle n'appartient pas Platon, malade ce jour-là) découvre en prison non seulement celui qu'elle vient voir mais aussi son épouse Xanthippe portant leur plus jeune enfant (Socrate a été en effet un père de famille nombreuse: il a eu trois enfants ) et assise contre son mari:
"Mais, aussitôt qu'elle nous vit, Xanthippe se mit à prononcer des imprécations et à tenir ces sortes de propos qui sont habituels aux femmes: "Ah ! Socrate, c'est maintenant la dernière fois que tes familiers te parleront et que tu leur parleras !" (59 a)
Encline à souligner le côté extraordinaire du moment qu'ils vivent, l' épouse représente ici l' anti-Socrate, attaché à faire jusqu'au bout comme si de rien n'était. On comprend la réaction du philosophe. Elle est en trop dans la pièce car elle gâche la mise en scène:
" Alors Socrate, regardant du côté de Criton: "Qu'on l'emmène à la maison, Criton !" dit-il. Et, pendant que l'emmenaient quelques-uns des serviteurs de Criton, elle poussait de grands cris en se frappant la tête." (59 a-b)
Fidèle, Criton obtempère mais j'imagine qu'il aurait pu casser l'ordre du jour et, inspiré par l'image du dernier-né, faire jouer la corde sensible comme dans le dialogue platonicien auquel il a donné son nom:
" Ce sont tes fils que tu te presseras de laisser derrière toi (Criton imagine alors les conséquences du refus de Socrate de s'évader de sa prison), quand il t'était possible de les élever jusqu'au bout, de faire jusqu'au bout leur éducation; et, pour ce qui te concerne, tu ne t'inquiètes pas de savoir quel sort ils pourront bien avoir ! Ce sort, vraisemblablement, ce sera d'être exposés à ce genre de malheurs auquel, d'habitude, la situation d'orphelin expose les orphelins: ou bien, en effet il ne faut pas faire d'enfants, ou bien il faut prendre la peine de les élever et de faire leur éducation ! Or, tu m'as l'air, toi, de prendre le parti qui présente le moins de difficulté, alors que celui qu'il faut prendre, c'est le parti que prendrait un homme de bien et un vaillant ! Et tu proclames qu'une conduite méritoire est le souci de toute ta vie " (Criton 45 d)
Mais dans le Phédon, Criton, accompagné de son fils Critobule, n' opposera aucune contradiction et se contentera d'écouter. Il sera encore là à la fin quand on fait venir pour une ultime visite les enfants de Socrate et les femmes de sa famille (je souris en lisant la note écrite à cet endroit par Léon Robin: " Des parentes seulement, semble-t-il. Il serait étonnant, si Xanthippe était là, qu'elle s'abstînt des manifestations bruyantes de 60 a." Il m'avait déjà amusé quand il avait jugé bon de placer cette autre note à propos de l' absence de Platon, retenu par une maladie: " Il n'y a pas de bonnes raisons de supposer à l'absence de Platon un autre motif.")
C'est maintenant le coucher du soleil, l'entretien tarit:
"Après cela, on ne se dit plus grand-chose" (116 b)
Le Serviteur des Onze (ils avaient comme fonction d'administrer la prison et de faire exécuter les criminels) s'adresse à Socrate, fait son éloge puis, se mettant à pleurer, quitte la pièce. Socrate dit à ses disciples tout le bien qu'il pense du gardien-chef comme l'appelle Robin et demande à Criton de faire apporter le poison broyé. Criton cherche à retarder l'issue en disant qu'il croit qu'il ne fait pas encore nuit et lui propose assez incroyablement de prendre le temps de jouir une dernière fois des plaisirs de la vie:
" Il y a d'autres (condamnés) qui ont bu le poison longtemps après qu'on le leur a enjoint, et non sans avoir bien mangé et bien bu, quelques-uns même après avoir eu commerce avec les personnes dont ils avaient d'aventure envie. Allons ! Ne te presse pas, puis qu'il te reste encore du temps " (116 e)
Socrate avec une grande douceur ne manifeste aucune réprobation mais met clairement les points sur les i:
" Ils ont bien raison, les gens dont tu parles, de faire ce que tu dis, car ils pensent qu'ils gagneront à le faire ! (Nul n'est méchant volontairement: chacun veut d'abord le bonheur mais la plupart ne sont pas éclairés sur le moyen de l'atteindre) Quant à moi, c'est aussi avec raison que je ne le ferai pas, car je ne crois pas que j'y gagne, en buvant un peu plus tard le poison, sinon de me prêter à rire de moi-même, en m'engluant ainsi dans la vie et en l'économisant alors qu'il n'en reste presque plus ! " (116e-117a)
Criton commande alors à un serviteur non d'emmener la femme mais d'apporter le poison. Socrate ayant bu impassiblement la coupe, Criton s'effondre en larmes et doit quitter la pièce. Peu à peu le corps de Socrate devient insensible, la froideur partie des pieds a atteint le bas-ventre, elle va bientôt gagner le coeur, alors Socrate adresse à Criton et à tous les autres ses dernières paroles:
" - Criton, à Asclépios, nous sommes redevables d'un coq ! Vous autres, acquittez ma dette ! n'y manquez pas ! - Mais oui ! dit Criton, ce sera fait ! Vois cependant si tu n'as rien de plus à dire." (118 a)
En vain, aucune parole, supplémentaire et moins prosaïque, ne sortira de sa bouche et Criton lui fermera les yeux.

jeudi 20 janvier 2005

Criton, un petit tour et puis s'en va.

Dans le dialogue de Platon qui porte son nom, Criton ne manque pas d’arguments pour persuader Socrate de fuir de la prison en achetant le silence du gardien. On n’entendrait presque que lui dans les premières pages, même s’il se réduit finalement vite, c'est le coup classique avec Socrate, au rôle de muet approbateur de la leçon de morale que lui fait son maître. Il est aussi très présent chez Diogène Laërce mais, d'une autre manière, comme un fidèle dévoué et soucieux avant tout de l'intendance :
« C’est lui surtout qui portait à Socrate une très grande affection (ce début est ambigu : dois-je comprendre que, parmi tous les disciples, il se détache par son extrême attachement ou que Socrate ne lui rendait pas l’affection que Criton lui portait ?) et il s’occupait tellement de lui que jamais Socrate ne manquait de quoi que ce soit dont il pouvait avoir besoin » (II, 121)
Je retrouve cette image d’un Socrate soigné aux petits oignons par ses proches, qu’Aristippe avait déjà évoquée (« il avait pour assurer son approvisionnement les premiers des Athéniens », avait-il rétorqué à qui lui reprochait de faire payer ses élèves). Socrate d’autant plus détaché des biens que ses amis étaient attachés à lui ! Et Criton dans ce cadre apparaît comme le premier des fournisseurs ! Mais il a su produire aussi des enfants qui, je n'en doute pas, auront relayé le père dans l'assistance au Philosophe en danger. C'est congénital le socratisme chez les Criton !
« Et les enfants de Criton : Critobule, Hermogène, Epigène et Ctésippe, furent les auditeurs de Socrate. » (ibid.)
Mais le papa n’assure pas seulement l’intendance, il joue aussi à Platon et écrit comme lui des dialogues, 17, tous perdus comme c'est l'usage, et assez minces pour tenir dans un seul volume. Les érudits rectifient : ils n’auraient en fait rien écrit. Peu importe. Je n'ai jamais pris Diogène Laërce pour un archiviste ! Malheureusement les titres, bien qu'imaginaires, ne font ni méditer ni rêver. C’est du classique, du solide, du traditionnel, pour tout dire : Sur le beauSur la sagesseSur le divin etc. Rien à rajouter. Exit Criton, au premier plan chez Platon, figurant éphémère chez Diogène Laërce.