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vendredi 9 août 2019

Stoïcisme et néo-cortex.

Relisant Proverbes, maximes et émotions de Jon Elster, j'en viens à repenser au stoïcisme. Pourquoi ne peut-on être stoïcien qu'en rêve ? Dit autrement, pourquoi des philosophes stoïciens majeurs comme Sénèque ou Marc-Aurèle ont-ils reconnu qu'il leur restait beaucoup à faire pour devenir des sages ?
Deux explications sont concevables : (1) les conditions pour devenir sage sont difficiles à réunir et (2) devenir sage est humainement impossible.
C'est la deuxième position que les lignes d' Elster favorisent, même ni elles ne mentionnent ni explicitement ni implicitement la philosophie du Portique.
Elster, analysant les causes de l'émotion, reconnaît, comme les Stoïciens l'ont fait aussi, que les émotions dépendent des croyances. C'est ce fait psychologique qui explique l'importance accordée par le stoïcisme au contrôle rationnel des croyances, condition nécessaire du contrôle des émotions. Spinoza a ainsi expliqué que, si on identifie autrui à un être déterminé par ses passions, on ne développe pas vis-à-vis de lui les émotions ressenties quand on le juge libre. Cette leçon demeure bonne à prendre assurément.
Néanmoins le hic est, comme l'explique Elster en s'appuyant sur les recherches de Joseph LeDoux (The emotional brain, 1996), que le chemin qui va de la perception à l'émotion ne passe pas toujours par le néo-cortex, siège de la raison, pour faire vite. En effet il est quelquefois direct, du thalamus à l'amygdale. Alors on prend par exemple le simple bâton pour un dangereux serpent. Au sens strict, on n'a pas jugé que c'était un serpent... LeDoux assurait que cette réaction est avantageuse sélectivement : " il est préférable de répondre aux événements potentiellement dangereux comme si ils étaient en fait la réalité, plutôt que de ne pas leur répondre." (Proverbes, maximes et émotions, p. 15).
En tout cas, il semblerait que le stoïcisme n'ait pris en compte que le chemin thalamus-néo-cortex-amygdale. L'autre chemin a des effets que le stoïcisme aurait donc interprétés à tort comme accidentels et évitables, indice seulement d'un manque de maîtrise de soi, non d'une structure essentielle de l'être humain.
Jonathan Haidt dans son excellent livre, The happiness hypothesis. Finding modern truth in ancien wisdom (2006), écrivait :
" Le système contrôlé peut difficilement vaincre le système automatique par le simple pouvoir de la volonté. Le premier est comme un muscle : il se fatigue, s'épuise, et cède. Le second continue automatiquement sans effort et sans fin. Lorsqu'on a compris le pouvoir du contrôle par les stimuli, on peut l'utiliser à notre avantage. On peut changer les stimuli dans notre envirionnement et éviter ceux qui sont indésirables, ou, si ce n'est pas possible, penser à leurs côtés les plus désagréables." (traduction française, p.33)
Dit autrement, c'est sage d'aller se promener dans les endroits où on sait qu'il n'y a pas de serpents. Certes Haidt évoque aussi ce que Sandrine Alexandre a appelé la redescription dégradante mais cette redecription du stimulus dérangeant est beaucoup moins sûre que le simple évitement... La raison en est peut-être qu'on n'y croit pas vraiment : on se la dit, on aimerait y croire...

mardi 14 mai 2013

Le renard, le piétiste et le stoïcien : ce qu'ils auraient en commun.

Dans La pensée de Kant comme source paradoxale du nationalisme (1972), Isaiah Berlin explique ce qu'est le piétisme :
" Le piétisme, ancêtre du méthodisme, s'était développé dans les pays germaniques au XVIIème et XVIIIème siècles, époque d'humiliation et d'impuissance où les Allemands vivaient éparpillés, gouvernés par quelques centaines de petits princes, pour la plupart peu compétents et peu respectables. Les plus sensibles de leurs sujets avaient eu la même réaction que les stoïciens au moment de la conquête des cités grecques par Alexandre : ils s'étaient repliés dans leur vie intérieure. Le tyran menace de me prendre mes biens : je vais donc m'exercer à n'y être plus attaché. Le tyran veut me prendre ma maison, ma famille, ma liberté : alors je vais apprendre à m'en passer. Comment pourrait-il m'atteindre encore ? Je suis le seul maître de mon âme ; mon for intérieur est hors d'atteinte. Le reste ne compte pas. En restreignant la part vulnérable, je me libère de la nature et de l'homme comme ses premiers chrétiens qui, dans leur thébaïde ou leurs monastères isolés, fuyaient les persécutions et les tentations, le diable et la chair. Cette fuite s'apparente, à l'évidence, à la fable des raisins trop verts : ce que je ne puis atteindre, je le déclare sans valeur. Puisque je ne peux obtenir ce que je veux, je ne voudrai que le possible. L'impuissance politique est une liberté pour l'esprit, la défaite matérielle se transforme en victoire morale. Comme les conséquences de mes actes m'échappent, je me contente de ce qui est en mon pouvoir - les mots." (Le sens des réalités, éditions des Syrtes, p. 304)
Sans parler du piétisme, c'est un rude coup pour le stoïcisme, réduit à être l'effet d'un mécanisme psychologique. Dans Explaining social behaviour (2007), Jon Elster semble aller dans la même direction (en remplaçant le piétisme par le bouddhisme):
" The ideal of extinguishing the emotions that one finds in many ancient philosophies, notably Stoicism and Buddhism, emerged in societies where the environment may have offered more occasions for emotions with negative valence. Writing during the wars of religion that were devastating France, Montaigne may have been in the same situation." (p.152)
À première vue est reprise ici une analyse présente déjà chez la Rochefoucauld et Nietzsche. La conduite ainsi disséquée est désignée par Elster sous le nom de "sur-adaptation au possible" (L'irrationalité, t.2, p.107) :
" C'est par ce trait, me semble-t-il, que l'on peut distinguer les préférences adaptatives de la simple et tranquille résignation au fait qu'il existe des biens désirables hors de notre portée, avec en même temps un effort délibéré de nourrir un goût pour d'autres biens. Lorsque le fait de renoncer à l'objet désiré conduit à le dénigrer, nous sommes bien en présence de ce que l'on peut appeler l'auto-empoisonnement de l'esprit." (ibidem)
Seulement par une note, Elster tient bien, lui, à distinguer le renard, qui s'empoisonne l'esprit, du stoïcien, lucide résigné :
" Selon le stoïcisme, nous devons "regarder comme équivalent à ne vouloir pas le fait de ne pouvoir plus" (Sénèque, Entretiens - Lettres à Lucilius, op.cit., XXVI, 3), attitude sereine et transparente qui diffère entièrement de l'adaptation ou sur-adaptation inconsciente dont il est question ici."
C'est aimable pour les Stoïciens mais ils ne sont ni des résignés ni des sur-adaptés pour la raison suivante : s'ils ne recherchent pas certains biens, c'est qu'ils pensent savoir qu'ils n'ont pas de valeur et que les posséder ou non ne change rien à la valeur d'un homme. Que la genèse psychologique des jugements de valeur soit cruelle (Berlin) ou bienveillante (Elster), elle se trompe de cible : l'éthique stoïcienne prétend se fonder sur une connaissance des valeurs. Pour les affaiblir, il faut soutenir que cette connaissance est fausse.

vendredi 18 janvier 2013

Marie Stuart donne raison à Jon Elster.

Les états essentiellement secondaires sont entre autres, comme l'écrit Jon Elster, des "états purement psychiques ou individuels qui ont la propriété de se dérober devant la main qui les cherche" (L'irrationnalité, Traité critique de l'homme économique II, p.93, 2010, Seuil).
Elster en donne de nombreux exemples, dont "vouloir être heureux" :
" Selon un proverbe, "le bonheur fuit celui qui le cherche". Selon un autre proverbe, "si tu fuis le bonheur, il te poursuit ; si tu le cherches, il te fuit"." (ibid.)
Si l'argument est vrai, l'épicurisme mais aussi l'utilitarisme reposent sur une base fausse : en effet ces deux philosophies tiennent pour vrai que le bonheur est un but accessible par des moyens volontaires et rationnels.
Épicure identifie dans la Lettre à Ménécée le bonheur de chacun à "la santé de son âme" et commande de "faire de ce qui produit le bonheur l'objet de ses soins" (Les Épicuriens, p.45 La Pléiade).
Marie Stuart, morte, avait encore toute sa tête quand, dialoguant avec David Riccio ( mort aussi pour avoir été son possible amant ), elle lui dit :
" Laisse-là le jargon et les chimères des Philosophes. Lorsque rien ne contribue à nous rendre heureux, sommes-nous d'humeur à prendre la peine de l'être par notre raison ?"
Riccio, fidèle à la philosophie eudémoniste, proteste :
" Le bonheur mériterait pourtant bien qu'on prît cette peine-là."
C'est alors que, sans le savoir, la reine d'Écosse soutient plus ou moins la thèse du bonheur comme état essentiellement secondaire :
" On la prendrait inutilement ; il ne sauroit s'accorder avec elle : on cesse d'être heureux, sitôt que l'on sent l'effort que l'on fait pour l'être. Si quelqu'un sentoit les parties de son corps travailler pour s'entretenir dans une bonne disposition, croiriez-vous qu'il se portât bien ? Moi, je tiendrais qu'il serait malade. Le bonheur est comme la santé : il faut qu'il soit dans les hommes, sans qu'ils l'y mettent ; et s'il y a un bonheur que la raison produise, il ressemble à ces santés qui ne se soutiennent qu'à force de remèdes, et qui sont toujours très faibles et très incertaines."
C'est avec ces lignes que Fontenelle termine le troisième dialogue de ses dialogues des morts modernes. On peut penser qu'il présente ainsi ce qu'il tient pour vrai.
En toute rigueur, ce n'est pas exactement la position de Jon Elster car Fontenelle fait seulement du bonheur complet un état essentiellement secondaire, sans juger fausse l'idée qu'un bonheur médiocre puisse être atteint par un effort le visant directement.
Le quadruple remède épicurien ne serait pas aux yeux de Fontenelle un remède absolument inefficace, mais une médecine ne pouvant pas causer ce qu'elle promet.
Si le bonheur est comme la bonne santé, il est donc largement une affaire de chance. Les calculs philosophiques en vue de l'atteindre sont des ersatz laborieux et décevants, les sagesses, des inventions de malheureux surévaluant le pouvoir de leurs raisonnements.
En tout cas, si Jon Elster a raison, le bonheur ne peut pas être identifié au plaisir : en effet, c'est à juste titre qu'on dit "se donner du plaisir", "prendre du plaisir", "se faire plaisir" etc. Le plaisir en général n'est pas un état essentiellement secondaire, même si certains désirs de plaisir peuvent être tels qu'ils n'obtiennent pas leur objet.

samedi 17 novembre 2012

L'humilité, un effet essentiellement secondaire ?

Dans L'irrationalité, Traité critique de l'homme économique (II) (2010), Jon Elster fait un inventaire des états (ou effets) essentiellement secondaires. Je rappelle que ce sont des états "qui ont la propriété de se dérober devant la main qui les cherche" (p.93). Voici en abrégé la liste des états qu'il retient :
- faire impression sur quelqu'un.
- croire une chose.
- être heureux.
- obtenir la gloire.
- oublier une chose.
- ne pas penser à une chose.
- ne pas faire attention à quelqu'un.
- être spontané.
- réussir.
- être naturel.
- s'offenser.
- avoir une mine grave.
Elster explique que chaque fois qu'on veut directement un de ces états, on ne l'obtient pas, pour la seule et bonne raison qu'on le vise directement.
À cette liste, j'ajouterai "être humble", comme m'en convainc un passage de Sainte-Beuve consacré à un des fondateurs du jansénisme, Saint-Cyran :
" Il considérait l'humilité (ce sont ses propres termes) comme l'ombre que ceux qui courent plus fort n'attrapent point pour cela, et il ne croyait pas qu'il y eût un meilleur moyen de la posséder, que d'arrêter son activité naturelle pour s'anéantir en soi-même, et que de se tourner tellement vers le soleil divin, et si en plein dans le juste sens de son rayon, que tout ombre autour de nous disparût." (Port-Royal, Livre II, p.373, La Pléiade).
En visant directement Dieu, on obtient indirectement l'humilité désirée.

Commentaires

1. Le dimanche 18 novembre 2012, 21:43 par Ruy Blas
Elster reprend, comme vous l'avez noté , son idée plus ancienne dans Ulysse et les sirènes.
Mais la définition de ces états comme ceux "qui ont la propriété de se dérober devant la main qui les cherche" est un peu égarante car elle laisse entendre que l'on a un but et que l'on a un effet secondaire *de ce même but* . C'est vrai de certains des états décrits par Elster, comme vouloir être naturel ou spontané, qui ne s'obtient pas en voulant paraître naturel , mais en l'étant. Mais c'est plus problématique pour la gloire ou la croyance. Je peux chercher à croire que p , mais ne n'obtiendrai pas pour autant par effet secondaire la croyance que p, de même pour la gloire. La route causale
reste encore indéterminée.
Ce qui reste obscur, pour moi c'est le lien entre le but primaire recherché t l'effet secondaire.
2. Le dimanche 25 novembre 2012, 19:41 par Philalethe
Excusez-moi, Ruy Blas, de vous répondre si tard !
Acceptez que je n'écris pas pour vous instruire (!) mais pour clarifier mes idées.
Il me semble que l'idée est la suivante : si on a par exemple comme but de s'endormir, on n'obtient pas le résultat qu'on vise précisément parce qu'on le vise. L'effet "s'endormir" est secondaire par rapport à un autre but que celui de s'endormir. Par exemple, s'endormir peut être l'effet secondaire obtenu quand on a comme but de ne pas s'endormir. Mais est-ce que ça marche si on a comme but premier de ne pas s'endormir en vue du but de s'endormir ? J'en doute.
Pour "vouloir obtenir la gloire", Elster cite Sénèque : "On est poursuivi par les bienfaits lorsqu'on n'en réclame pas le prix" (Les Bienfaits). Ici l'effet secondaire est en fait l'effet inverse de celui qui est visé. La route causale est simple : c'est en faisant tout ce qu'il faut pour ne pas l'avoir qu'on a l'effet, on l'obtient : "la gloire s'attache de préférence à ceux qui la fuient".
Concernant la croyance, c'est plus compliqué car ce n'est pas en faisant tout ce qu'il faut pour ne pas croire que p qu'on croira que p. En revanche on peut peut-être croire que p en cherchant à croire que p, Pascal dit qu'en cherchant à faire comme si on croyait en Dieu, on finira par croire en Dieu. Autre possibilité : si on cherche de bonnes raisons de croire que p, on arrivera peut-être à croire que p mais alors on peut peut-être dire que la croyance est un effet secondaire de la découverte des bonnes raisons qu'on se fixait comme but de découvrir.
Il semble en tout cas que sous le concept d'effet secondaire se cachent pas mal de mécanismes distincts.
3. Le dimanche 25 novembre 2012, 21:33 par Philalethe
D'après Russell, on peut penser le bien (dans la pensée) et le bonheur comme des effets essentiellement secondaires :
" Si la philosophie ne doit pas demeurer un ensemble de rêves agréables, cette croyance [ que le bien peut être voulu et réalisé directement ] doit être évacuée. C'est un lieu commun de dire que le meilleur moyen d'atteindre le bonheur n'est pas celui des gens qui le cherchent directement ; et il semblerait que la même chose soit vraie du bien. Dans la pensée, en tout cas, ceux qui oublient le bien et le mal et cherchent uniquement à connaître les faits ont plus de chances d'atteindre le bien que ceux qui voient le monde à travers le miroir déformant de leurs propres désirs." (La méthode scientifique en philosophie)
4. Le samedi 9 février 2013, 11:18 par Ruy Blas
Cher Philathète
Je viens de trouver une équivalent esthétique de la notion d'effet essentiellement secondaire d'Elster , chez l'admirable Taine
“La perfection du style, c’est la disparition du style.”
Vérifiez avec les classiques , d'Homère à Chateaubriand ( je ne justifie pas cette date mais j'ai tendance à penser que le classicisme finit à peu près là) : chez eux le style n'est jamais le résultat d'une recherche, mais vient naturellement sans *effet * de style .
Un classique moderne peut exister. Il faudra que le style ne paraisse pas, s'efface en douce. Quelques uns seulement y parviennent. Chez les autres , tout effet de style tourne au manièrisme. C'est pourquoi les retours au classicisme semblent forcés comme quand on s'efforce d'être naturel , rationnel, moral .
Cela définit aussi l'aristocratie,qui sans effort, quand elle est vraie, est capable de parler au peuple. Le drame du bourgeois,puis du petit bourgeois, puis du mini bourgeois d'aujourd'hui, est qu'il se force.
5. Le dimanche 10 février 2013, 12:26 par philalèthe
Merci, intéressant. Je crois que Taine est en effet largement caricaturé et qu'il faudra aussi qu'on lui rende justice.
Ne faut-il pas une éducation longue et approfondie pour que par un tel training le style se manifeste ainsi sans effort de style ?
Vu que notre éducation -au niveau de l'apprentissage de la langue au moins- est le contraire de cela et que plus aucun canon esthétique n' a le monopole en s'imposant comme soit-disant naturel, les classicismes seront condamnés à être des formes aussitôt contestées et hantées par la nostalgie.
Ceci dit, pour avoir un style classique, il fallait l'avoir voulu, c'est juste la naturalité de ce style qui est un effet secondaire.
Quant aux rapports sociaux, on ne va tout de même pas regretter qu'ils aient cessé de passer pour naturels !
6. Le dimanche 10 février 2013, 22:14 par R.B
Querido Don Salluste

Je ne suis pas sûr de m'être fait comprendre. De même que chercher à
paraître naturel, ou chercher à croire , ne peut pas produire le naturel, ni la
croyance, chercher à avoir du beau style ne peut pas produire le style. C'est
un effet essentiellement secondaire.
A cela j'ajoutais que le style classique est celui qui , par définition,
cherche le moins ces effets, et est le "naturel" ; cela ne veut pas qu'il en
soit totalement dépourvu

Vôtre

R.B.
7. Le lundi 18 février 2013, 18:37 par Philalèthe
Cher Ruy Blas,
Je pense vous avoir compris du premier coup mais en revanche je ne comprends pas pourquoi vous croyez que je ne vous ai pas compris.
Merci tout de même d'avoir pris la peine de la reformulation !
Bien cordialement.
D.S.

jeudi 25 octobre 2012

Proverbes et philosophes.

Sauf à me tromper, dans L'Être et le Néant (1943), Sartre ne consacre pas une ligne aux proverbes, en revanche dans sa conférence de 1945, L'existentialisme est un humanisme, il s'étend sur eux. Pour dire qu'au fond il ne les aime guère. En effet "la sagesse des nations" véhiculées par eux est "fort triste" :
" Quoi de plus désabusé que de dire "charité ordonnée commence par soi-même", ou encore "oignez vilain il vous plaindra, poignez vilain, il vous oindra" ? On connaît les lieux communs qu'on peut utiliser à ce sujet et qui montrent toujours la même chose : il ne faut pas lutter contre la force, il ne faut pas entreprendre au-dessus de sa condition, toute action qui ne s'insère pas dans une tradition est un romantisme, toute tentative qui ne s'appuie pas sur une expérience éprouvée est vouée à l'échec ; et l'expérience montre que les hommes vont toujours vers le bas, qu'il faut des corps solides pour les tenir, sinon c'est l'anarchie. Ce sont cependant les gens qui rabâchent ces tristes proverbes, les gens qui disent : comme c'est humain, chaque fois qu'on leur montre un acte plus ou moins répugnant, les gens qui se repaissent des chansons réalistes, ce sont ces gens-là qui reprochent à l'existentialisme d'être trop sombre (...)"
En somme les proverbes transmettraient une conception de l'homme totalement opposée à la philosophie de la liberté défendue par Sartre. Pour parler sartrien, la sagesse proverbiale est tout à fait de mauvaise foi, sagesse de salauds et de lâches (pour les lecteurs non avertis, je signale que ces deux derniers mots sont grâce à Sartre entrés dans la langue philosophique parce que d'injures qu'ils étaient - et restent la plupart du temps - ils ont été promus au rang de concepts)
À la différence de Sartre, Jon Elster n'est pas enclin à retrouver entre sa philosophie et les proverbes l'opposition platonicienne entre l'epistémé et la doxa. Il les aime bien, les proverbes, Jon Elster. Et donc il leur rend d'abord justice. Sartre n'a vu que le verre à moitié plein dans les proverbes. En effet "il est proverbialement vrai que pour tout proverbe on peut trouver un proverbe , et qui affirme l'opposé" (Proverbes, maximes, émotions, p.34, 2003, PUF). Par exemple au sombre "La Roche Tarpéienne est près du Capitole ", on peut opposer le dynamisant " Rien ne réussit comme la réussite" !
Mais ce qui intéresse surtout Jon Elster dans les proverbes, c'est qu'ils relèvent des mécanismes. Elster définit très précisément les mécanismes :
" (Ce) sont des structures causales aisément reconnaissables et qui interviennent fréquemment, et qui sont déclenchées sous des conditions en général inconnues ou avec des conséquences indéterminées" (p.25)
Dit autrement, Elster renonce à chercher une théorie et des lois psychologiques permettant la prédiction (l'influence de Davidson est ici manifeste) et se contente modestement de remplacer l'inaccessible "Si A, toujours B" par "si A, alors quelquefois C, D, et B" (p.29). Or si les proverbes sont à ses yeux à la fois précieux et contradictoires, c'est parce qu'ils énumèrent les mécanismes (proverbe 1 = si A, alors B, proverbe 2 = si A, alors C, proverbe 3 = si A, alors D, etc.). Bien sûr on aurait tort d'en cultiver un, mais les cultiver tous met sur le chemin des mécanismes psychologiques réels. Ainsi est-il vrai que quelquefois "les vêtements font l'homme" et que d'autres fois "l'habit ne fait pas le moine".
On notera que dans sa défense des proverbes, Jon Elster a un argument typique de la philosophie du langage ordinaire :
" Les proverbes ne survivront pas à moins qu'ils ne donnent un éclairage évident sur un comportement qui est très fréquemment observé" (p.34).
Ce qui rappelle Austin dans une de ses interventions au colloque de Royaumont en 1958 :
" Si une langue s'est perpétuée sur les lèvres et sous la plume d'hommes civilisés,si elle a pu servir dans toutes les circonstances de leur vie, au cours des âges, il est probable que les distinctions qu'elle marque, comme les rapprochements qu'elle fait, dans ses multiples tournures, ne sont pas tout à fait sans valeur." (La philosophie analytique, p.335, Éditions de Minuit, 1962)
Face à cette réhabilitation des proverbes par la durée de leur usage, on pourra rétorquer que les préjugés ont, eux aussi, la vie dure. Mais peut-être ne fait-on alors que s'appuyer sur une croyance qui a quelque chose, elle aussi, du proverbe ?
Serait-ce un mécanisme de plus ; "Quand une phrase est répétée, c'est qu'elle est vraie"" / "Quand une phrase est répétée, c'est un préjugé" ?

mercredi 25 novembre 2009

Est-il donc vain de vouloir le bonheur ?

Jon Elster conclut son article intitulé States that are essentially by-products -1983- (Le laboureur et ses enfants -1986-) par les lignes suivantes:
" On dit que les bonnes choses de la vie sont gratuites : en fait, on pourrait dire que les bonnes choses de la vie sont des effets essentiellement secondaires " (p. 98 de l'édition française)
S'il a raison, les philosophes antiques se sont trompés, qui faisaient des "bonnes choses de la vie" la fin de leur éthique. Comme se tromperait également toute philosophie qui ferait du bonheur une fin de l'activité humaine. La condition nécessaire d'obtention des "bonnes choses" en question serait de ne pas les viser mais de viser très sérieusement, on pourrait dire de tout son coeur, les fins qui, une fois atteintes, produisent lesdites "bonnes choses".
Dans l'ensemble des philosophies hellénistiques, on doit pourtant mettre à part le scepticisme car il semble bien que le bonheur ait été atteint par hasard:
" En fait il est arrivé au sceptique ce qu'on raconte du peintre Apelle. On dit que celui-ci, alors qu'il peignait un cheval et voulait imiter dans sa peinture l'écume de l'animal, était si loin du but qu'il renonça et lança sur la peinture l'éponge à laquelle il essuyait les couleurs de son pinceau ; or quand elle l'atteignit, elle produisit une imitation de l'écume du cheval. Les sceptiques, donc, espéraient aussi acquérir la tranquillité en tranchant face à l'irrégularité des choses qui apparaissent et qui sont pensées, et, étant incapables de faire cela, ils suspendirent leur assentiment. Mais quand ils eurent suspendu leur assentiment, la tranquillité s'ensuivit fortuitement, comme l'ombre suit un corps." (Sextus Empiricus Esquisses pyrrhoniennes I, 12, 28-29 trad. Pellegrin Points p.71)
Il faut faire cependant deux réserves: d'abord, c'est de l'échec d'une entreprise que naît l'effet essentiellement secondaire (alors qu'Elster se centre plutôt sur les effets essentiellement secondaires des succès); ensuite l'effet secondaire en question ayant eu lieu au stade de la découverte de la philosophie en question, la doctrine qui en naît est présentée comme ayant, elle, comme effet principal et intentionnel les "bonnes choses de la vie" (dans la mesure où on peut interpréter non dogmatiquement l'expression en question).

Commentaires

1. Le mercredi 25 novembre 2009, 18:07 par Cédric Eyssette
Il me semble que l'idée se rapproche de ce qu'on appelle le « paradoxe de l'hédonisme ».
Je crois avoir remarqué (je vais vérifier) des versions antiques de ce paradoxe.
2. Le mercredi 25 novembre 2009, 18:20 par patrick ducray
En effet.
On trouve dans l'Ethique à Nicomaque X 4 cette phrase qui va dans la même direction:
" Le plaisir achève l'acte, non pas comme le ferait une disposition immanente au sujet, mais comme une sorte de fin survenue par surcroît, de même qu'aux hommes dans la force de l'âge vient s'ajouter la fleur de la jeunesse"
La fleur de la jeunesse est un effet essentiellement secondaire.
3. Le jeudi 26 novembre 2009, 15:24 par patrick ducray
Descartes redoute d'avoir été, sinon manipulé, du moins induit en erreur. Mais c'est justement afin de se débarrasser des effets inconscients d'une telle mauvaise instruction (et aussi des effets de la confiance dans les sens) qu'il se contraint à douter en imaginant le truc du Malin Génie. Le texte de Méditation II est clair sur ce point: " Mais ces remarques ne suffisent pas encore, il faut que je prenne soin de m'en souvenir ; inlassablement en effet reviennent les opinions accoutumées, et elles s'emparent de ma crédulité, qu 'un long usage et le droit que donne la familiarité leur ont comme asservie, et presque malgré moi. Et je me désaccoutumerai jamais d'y consentir et de m'y fier, tant que je les supposerai telles qu'elles sont effectivement, à savoir en quelque façon, bien sûr douteuses, comme cela vient d'être montré, mais néanmoins fort probables, et telles qu'il est beaucoup plus conforme à la raison de les croire que de les nier. C'est pourquoi, je crois, je ne ferai pas mal si, la volonté entièrement convertie au parti opposé, je me trompe moi-même et feins pour quelque temps que ces opinions sont tout à fait fausses et imaginaires, jusqu'à ce que, enfin, les poids des deux sortes de préjugés ayant été pour ainsi dire rendus égaux, aucune mauvaise habitude ne détourne plus mon jugement de la perception correcte des choses." (Trad. M. Beyssade 1990)
Dans Méditation VI, il va dans le même sens en présentant ainsi sa deuxième raison de douter de l'existence des choses matérielles:
" La seconde était que, puisque j'ignorais encore, ou que du moins je feignais d'ignorer, l'auteur de mon origine, l'auteur de mon origine etc"
Va dans le même sens dans les Réponses aux cinquièmes objections la métaphore de la "personne qui, pour redresser un bâton qui est courbé, le recourbe de l'autre part" (éd Alquié TII p.790). N'a-t-on pas ici un effet essentiellement secondaire ? Il faut faire l'effort de courber le bâton pour l'avoir finalement droit.
Pour en revenir au concept d'engagement préalable que vous jugez bien convenir à la démarche cartésienne, je suis dubitatif: en effet au sens où Elster l'emploie (precommittment cf p.102 in Le laboureur et ses enfants), il désigne un dispositif contraignant imaginé par le sujet et destiné à permettre au sujet d'avoir une attitude rationnelle alors que par lui-même il ne l' aurait pas. L'exemple est l'attitude d'Ulysse qui se fait enchaîner car il sait qu'il ne pourra pas résister aux sirènes. Or, je crois comprendre - mais vous m'aiderez à fortifier ma compréhension - que ce dispositif fait nécessairement intervenir les autres et plus généralement le monde extérieur. Or, Descartes parvient seul à arriver au doute radical parce qu'il s'est rationnellement manipulé à cette fin. Mais je ne tiens pas à garder à tout prix ce concept de manipulation pour caractériser une partie de la progression de Méditation I.

4. Le dimanche 29 novembre 2009, 10:51 par patrick ducray
Jon Elster définit ainsi les effets essentiellement secondaires:
" Ce sont des états que l'on ne peut jamais atteindre par l'intelligence ou la volonté, car le fait même d'y essayer interdit de réussir (...) Puisque certains de ces états sont utiles ou souhaitables, il est souvent tentant d'essayer de les atteindre - bien que la tentative soit vouée à l'échec." (ibid. p.18)
Dans ces conditions, la feinte n'est pas un effet essentiellement secondaire. Tout au contraire, ça n'a pas de sens de dire "j'ai feint mais je n'avais pas l'intention de feindre" (alors qu'on peut dire: "je suis admiré mais je n'avais pas l'intention d'être admiré"). Feindre et vouloir feindre me paraissent généralement substituables l'un à l'autre. Si on dit de quelqu'un qu'il fait semblant inconsciemment, on suppose que l'intention est réelle mais inaccessible au sujet.
5. Le mardi 1 décembre 2009, 16:19 par patrick ducray
Où avez-vous lu que je ne vois pas dans la feinte une entreprise rationnelle ? Elle a au moins une rationalité instrumentale au sens où Descartes s'en sert pour atteindre la vérité.
6. Le mercredi 2 décembre 2009, 16:48 par laurence harang
Bonjour Patrick,
En fait, je ne vois pas où vous voulez en venir ! Je veux simplement montrer quelle est la lecture que fait Elster de Descartes. Pour sortir de cette forme de rationalité limitée, Elster préconise "l'engagement préalable" ! A partir de là, beaucoup de choses s'éclairent quant au mécanisme de la décision ! Voir mes oeuvres de jeunesse...
7. Le mercredi 2 décembre 2009, 17:10 par patrick ducray
Ma foi, je dois alors lire vos oeuvres de jeunesse :-) 
Reste qu' Elster donnant comme condition de l'engagement préalable que "la décision prise à l'instant t doi(ve) avoir pour effet d'établir un processus causal dans le monde extérieur" (c'est la condition 3 p.109), il faut m'expliquer en quoi Descartes établit par la feinte dont nous parlons (précisément le recours au malin génie) un processus causal dans le monde extérieur. Autrement dit, comment réduire Descartes à Ulysse ? C'est l'objet de notre échange, non ? Vous tenez que c'est justifié, moi non.
8. Le mercredi 2 décembre 2009, 19:06 par laurence harang
Bon, si vous avez de l'humour c'est parfait. C'est pourquoi, je m'entends bien avec moi_même.
Je ne réduis pas Descartes à Ulysse ! Une question: Ulysse fait-il preuve de rationalité ou est-il un cas "d'incontinent"?
je relirai vos objections quand la clarté sera en moi! Il faut que je progresse; mais je suis actuellement débordée.
9. Le mercredi 2 décembre 2009, 19:16 par patrick ducray
Vous me direz un jour où faire passer la limite entre la bonne entente avec soi-même et l'auto-satisfaction :-)
Ulysse fait preuve de rationalité en maîtrisant rationnellement son irrationalité: prévoyant qu'il va céder aux sirènes, il se fait attacher. C'est un engagement préalable où la condition 3 est respectée.
10. Le samedi 5 décembre 2009, 17:39 par laurence harang
Bonsoir,
Jamais d'auto-satisfaction ! Je suis comme Descartes: j'essaie de me persuader en ce qui concerne la nature de mes arguments.
A propos d'Ulysse, on peut dire que la rationalité (de second ordre) consiste à se projeter dans le futur... Plus tard, je poursuivrai l'analyse.
A plus,
LH
11. Le lundi 14 décembre 2009, 16:23 par philalèthe
Le plus simple est de reprendre les premières lignes de l'article:
"certains états mentaux et sociaux semblent avoir pour propriété de ne pouvoir se réaliser qu'en tant qu'effets secondaires d'actions entreprises à d'autres fins."
Donc la condition de l'effet essentiellement secondaire est nécessairement une action réussie. Certes les effets essentiellement secondaires ne sont pas toujours "utiles ou souhaitables" (cf commentaire 6). Ils ne sont jamais identifiables à des échecs de la volonté (qu'ils soient utiles ou non, souhaitables ou non) mais à des limites de la volonté (je réussis à faire ce que j'entreprends mais il y a des buts que je ne peux atteindre qu'à condition de ne pas chercher à les atteindre).

mardi 17 novembre 2009

La croyance dans le cogito, un effet essentiellement secondaire ?

Jon Elster, dans un article de 1983 States that are essentially by-products (Le laboureur et ses enfants Minuit 1986), se centre sur les effets essentiellement secondaires qu'il définit ainsi:
" Certains états mentaux et sociaux semblent avoir pour propriété de ne pouvoir se réaliser qu'en tant qu'effets secondaires d'actions entreprises à d'autres fins" (p.17)
Par exemple, la spontanéité (une spontanéité artificielle n'est pas une spontanéité réelle).
Le passage qui retient mon attention correspond à une argumentation destinée à soutenir la thèse que la croyance est un effet essentiellement secondaire.
Elster commence par citer un texte de Tocqueville tiré De la démocratie en Amérique et venant selon lui à son appui:
" Un grand homme a dit que l'ignorance était aux deux bouts de la science. Peut-être eût-il été plus vrai de dire que les convictions profondes ne se trouvent qu'aux deux bouts, et qu'au milieu est le doute. On peut considérer, en effet, l'intelligence humaine dans trois états distincts et souvent successifs. L'homme croit fermement, parce qu'il adopte sans approfondir. Il doute quand des objections se présentent. Souvent, il parvient à résoudre tous ces doutes, et alors il recommence à croire. Cette fois, il ne saisit plus la vérité au hasard et dans les ténèbres; mais la voit face à face et marche directement à sa lumière. (...) On peut compter que la majorité des hommes s'arrêtera toujours dans l'un de ces deux (premiers) états : elle croira sans savoir pourquoi, ou ne saura pas précisément ce qu'il faut croire. Quant à cette autre espèce de conviction réfléchie et maîtresse d'elle-même qui naît de la science et s'élève du milieu même des agitations du doute, il ne sera jamais donné qu'aux efforts d'un très petit nombre de l'atteindre."
Sans prétendre que les deux premières Méditations métaphysiques de Descartes soient visées par ce passage, je crois possible cependant de donner, en me référant à elles, ce philosophe comme exemple d'homme qui accède au savoir à partir des "agitations du doute".
Je suis donc surpris de lire le commentaire que fait Elster du texte de Tocqueville:
" Ce passage suggère que la deuxième forme, adulte, de la croyance est un effet essentiellement secondaire de l'apprentissage et de l'expérience. Il m'est impossible d'imaginer quelqu'un qui induirait le doute en lui-même pour atteindre la croyance réfléchie, car une personne si subtile n'accepterait pas de croire naïvement et dogmatiquement en premier lieu. Si la solution est à la portée de la main, alors le problème n'existe pas." (p.37-38)
Or, ne peut-on pas dire que Descartes a bel et bien induit le doute en lui-même pour atteindre la croyance réfléchie ?
Il me semble que l'argumentation d'Elster est double. En effet, vu que dans la suite il compare le désespoir au doute en soutenant à juste titre qu'un désespoir voulu n'est pas un désespoir authentique, un premier argument revient à défendre que le doute voulu n'est pas un doute authentique (il me semble que cet argument s'inspire de Wittgenstein). Ceci dit, dans le texte cité, l'argumentation est autre puisqu'un tel doute n'est pas identifié à un faux doute mais à un doute psychologiquement improbable: la personne subtile qui produirait le doute à des fins de connaissance ne peut pas être caractérisée, à cause de sa subtilité même, par les erreurs dont elle vise à se débarrasser au moyen du doute. Mais revenons à Descartes: en aucun moment, il n'a accepté de croire naïvement et dogmatiquement; il réalise seulement qu'autrefois il a cru naïvement. Le problème existe donc parce que le mal et sa solution ne sont pas contemporains.
Dans le cas de Descartes, on peut faire l'hypothèse de l'existence de deux doutes: un doute involontaire qui naît à la sortie de son éducation par l'expérience du décalage entre ce qui est transmis à l'école et ce qui est découvert dans l'investigation scientifique; plus un doute volontaire, prolongeant en un sens le premier mais qui est moins l'expérience d'une incertitude qu'une argumentation destinée à faire voir le certain sous l'aspect de l'hypothétique.
On peut soutenir que Descartes a induit le doute en lui-même pour savoir. Il n'a pas dans un premier temps douté puis dans un deuxième temps eu accès à la vérité comme effet non intentionnel de l'expérience du doute.
En revanche c'est défendable de dire qu'il n'a pas douté pour avoir accès au cogito. La croyance dans le cogito peut-elle donc être identifiée, elle, à un effet essentiellement secondaire ?
Si c'est le cas, l'enseignement de Descartes ne peut en aucune manière être fidèle à l'ordre que le philosophe a génétiquement suivi: en effet si on fait douter hyperboliquement les élèves, c'est dans l'intention de leur donner un accès indirect à une vérité inaccessible directement. En revanche, tant qu'on fait douter les élèves pour les faire parvenir à de l'indubitable, on reproduit à la lettre la démarche cartésienne.

Commentaires

1. Le mercredi 25 novembre 2009, 13:08 par patrick ducray
Désolé de vous avoir fait perdre patience !
Je me demande si en considérant l'hypothèse du Dieu trompeur, ou mieux celle du Malin génie, ça ne serait pas correct de soutenir que Descartes en un sens se manipule. Il trouve un truc pour se placer dans un état psychologique (la suspension totale du jugement), duquel il attend la connaissance, au moins la connaissance minimale qu'il n'y a pas de connaissance. Mais il trouve le cogito comme by-product. Ce n'est pas contradictoire avec l'engagement préalable. L'engagement préalable de douter se heurte au réalisme spontané de l'homme Descartes. C'est pour surmonter ce réalisme qui limite l'investigation philosophique que Descartes ne pouvant accéder directement au doute hyperbolique ruse et passe par la croyance dans un dieu rusé. Ce doute est la fin visée, plus précisément elle est ce qu'on attend de lui, le savoir, mais effet secondaire, apparaît la vérité du cogito.