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mercredi 24 février 2010

Martha Nussbaum et sa lecture du livre IV du "Natura rerum" de Lucrèce.

À qui s'intéresse à l'analyse de l'amour présentée par Lucrèce dans le livre IV du Natura rerum et à laquelle j'avais consacré une série de billets (on trouve ici le premier d'entre eux), je recommande la fine lecture qu'en donne Martha Nussbaum dans le cinquième chapitre de The therapy of desire(1994). Il a pour titre Beyond obsession and disgust : Lucretius on the therapy of love(p.140 à p.191).
Elle met discrètement en évidence que l'argumentation de Lucrèce est sur certains points (le mariage, le rapport sexuel, les enfants) plutôt en accord avec une éthique d'inspiration aristotélicienne et donc en rupture avec Épicure, en tant que ce dernier place le Souverain Bien dans l'ataraxie individuelle. Le passage qui suit est assez représentatif de sa position :
" Its concerns for the social perspective leads it to take up a position on marriage and on sexual intercourse that is decidedly more positive than Epicurus's, just as Book V is, for similar reasons, more positive on children. These "distractions" are now held to be very valuable; indeed they may even be given intrinsic worth here, as expressions of our political nature. Furthermore, this new attachment to marriage and the family leads Lucretius to defend as valuable a way of life that does not seem to be the best suited for individual ataraxia, since it includes many risks and possibilities for loss and grief." (p.187)
Elle reproche cependant à Lucrèce de donner de la relation de couple une image encore marquée par une obsession d'autosuffisance et de contrôle. Elle identifie en plus une telle obsession à ce qui s'exprimait dans ce que j'ai appelé "la bataille de l'amour" et que Lucrèce a minutieusement décrit en clinicien entre les vers 1076 et 1121 du Livre IV. :
" The people he criticizes are doomed, in love, by their obsession with completeness and control. But cured Epicureans still cling to these goals. They may not insist on controlling and immobilizing their erotic partners. But this is not because they have actually learned to be humanly incomplete and needy without resentment; it is, I think, because they have become internally godlike in the Epicurean way, with no deep needs from the world or from one another. What neither the sick patient nor the cured pupil have found, it seems, is a way in which being simply human can be source of erotic joy." (p190-191)
Ces lignes mettent en évidence que l'idéal épicurien d'être un dieu parmi les hommes est de l'ordre de l'hubris aux yeux de Martha Nussbaum. La sagesse qui se profile à travers son ouvrage reste lucide sur la dépendance essentielle par rapport à la société et à autrui qui caractérise l'être humain. D'où l'idée reprise à Aristote que la vie réussie de la personne est conditionnée essentiellement par une certaine qualité de ce qui l'entoure - ce qui ne revient pas bien sûr à faire d'elle un produit de son milieu ! "Autre chose est en effet - dit Platon - ce qui est cause réellement, autre chose ce sans quoi la cause ne serait pas cause." Phédon 99b -

vendredi 19 février 2010

L'épicurisme est-il castrateur ?

Diogène Laërce rapporte l'anecdote suivante concernant Arcésilas:
"À qui lui demandait pourquoi on passait des autres écoles à celle d'Épicure et jamais de celle d'Épicure à une autre, il répondit : "Quand on est un homme, on peut devenir eunuque, mais lorsqu'on est eunuque, on ne peut devenir un homme." (IV 43 éd. Goulet-Cazé p.522)
On pourrait interpréter le trait platement comme simple expression de la rivalité entre le platonisme et l'épicurisme. Or, Martha Nussbaum prend le passage au sérieux. En effet, à travers la référence aux "autres écoles", elle a surtout en vue la pratique aristotélicienne de la philosophie, dont elle ne se cache pas d'être une adepte. Or, dans le cadre de l'aristotélisme, l'argumentation éthique a une valeur pratique non seulement par sa conclusion mais aussi par sa pratique et par le respect des valeurs épistémiques qui la rendent possible :
" Aristotle has argued that the practical benefit of ethical argument is inseparable from the dialectical scrutiny of opposing positions, from mutual critical activity, and from the essential philosophical virtues of consistency, clarity and perspicuous ordering." (The therapy of desire p.138)
Quelques lignes, plus loin, elle engage à ne pas oublier "the practical value of good philosophy - in really getting to the most powerful and justifiable pictures of human excellence, human functioning, human social justice."
C'est par rapport à cette pratique aristotélicienne que Martha Nussbaum présente la pratique épicurienne comme centrée sur la transmission à un disciple, identifié à un malade, de thèses-médicaments, à apprendre par coeur, pour les intérioriser, en vue de combattre les maux dont souffrent les hommes remplis d'idées fausses.
Centrée sur la guérison, vue selon les critères aristotéliciens, une telle pratique qui ne prend pas au sérieux les pensées de l'élève - du moins tant qu'il ne reproduit pas les thèses de l'École - est jugée sectaire, unilatérale, dogmatique. C'est donc dans une telle perspective que Martha Nussbaum lit le texte de Diogène Laërce cité plus haut :
" It is always possible, and in fact all to easy, to turn from calm critical discourse to some form of therapeutic procedure, as Epicurus himself turned from his Platonist teacher Nausiphanes to his own way. But once immersed in therapy it is much more difficult to return to the values of Aristotelician critical discourse. The passivity of the Epicurean pupil, her habits of trust and veneration, may become habitual and spoil her for active critical task." (ibid. p.139)
Il ne faut pourtant pas conclure de cette analyse que Martha Nussbaum discrédite l'héritage épicurien puisqu'elle ne lui attribue rien moins que la découverte de l'inconscient. Ce qui est à première vue tellement surprenant que cela mérite un autre billet.

Commentaires

1. Le vendredi 12 mars 2010, 08:48 par jeandler
Le maître ne peut que par essence être castrateur, l'élève ne devant que se conformer à la pensée de celui-ci, entrer dans un moule hors duquel il n'est pas de salut.

jeudi 18 février 2010

L'épicurisme, la neurologie et la psychanalyse ou le médicament au lieu du raisonnement ou de la cure ?

Si un Épicurien a à sa disposition un médicament capable, en modifiant sélectivement sa mémoire, de supprimer les idées fausses qui le tourmentent, pourra-t-il légitimement le prendre ? Martha Nussbaum répond affirmativement :
" Suppose we had a special drug that could make Nikidion (c'est le nom que Martha Nussbaum a donné à la disciple imaginaire qu'elle se plaît à mettre à l'épreuve des divers traitements philosophiques) instantly forget all her false beliefs, while retaining the true beliefs : we have no reason to think Epicurus would not have used it, provided that it did not impede the other instrumental functions of practical reason, such as the discovery of means to food and shelter. Therapy must go its arduous and difficult course through its rational powers. But the arguments that work through these powers have no intrinsic human value. We are never safe from bodily ills : so we need arguments around to counter them continually by going over Epicurean arguments. But arguments are with us as handmaids only : useful, even necessary, but not valuable in themselves." (The therapy of desire 1994 p.128)
La note de bas de page mérite aussi d'être citée :
" Similar issues seem to be at stake in some contemporary debates about the relative merits of psychoanalytic and chemical treatment for psychological problems : for one must ask, among other things, whether the psychoanalytic process of sel-scrutiny has an intrinsic worth, indpendendant of the worth of the "cured" state to which it leads."
À travers cette prise de position, Martha Nussbaum défend la thèse que pour Épicure l'usage du raisonnement pratique est purement instrumental et n'est justifié que par l'eudaimonia qu'il cause. Jugé à cette aune, le médicament serait un moyen plus facile d'atteindre le même but.

Commentaires

1. Le dimanche 21 février 2010, 12:33 par John Doe
D'où l'idée qu'on peut devenir "addict" à tout ce qui permettrait la cessation du désir.
La condition pour que le système perdure est cependant que celui-ci ne soit jamais complètement supprimé...
Curieuse "économie" mais finalement compréhensible et inévitable. N'est-ce pas ce que l'on voit actuellement dans tous les produits de consommation qui nous propose la satisfaction de nos désirs sans le risque associé (de la moutarde qui ne pique pas, du vin sans alcool, etc..)
Est-ce que Martha Nussbaum par cet argument par là une critique de l'épicurisme ou de notre société ?
2. Le dimanche 21 février 2010, 17:03 par philalèthe
1) L'épicurisme vise la fin de la souffrance mentale - il ne peut pas permettre la fin de la souffrance physique car même les sages vieillissent, ont des accidents et sont malades - et non celle du désir (en cela il se différencie par exemple du bouddhisme). Le sage s'est défait des désirs vains qui naissent des idées fausses (par exemple le désir d'immortalité qui est engendré par l'idée fausse que la mort est un mal ou le désir de pouvoir qui naît de l'idée fausse que le pouvoir est un bien) mais il doit satisfaire les désirs naturels et nécessaires pour être heureux et peut satisfaire si une telle satisfaction n'occasionne pas des peines, les désirs naturels et non nécessaires, comme le désir sexuel ou le désir des belles formes et des sons harmonieux.
2) Quant à la possibilité de vivre de manière épicurienne dans notre société de consommation, elle est facile à réaliser, d'autant plus qu'on vivrait dans une communauté épicurienne, par essence très fermée au monde extérieur (il ne faut pas avoir peur des mots : le Jardin était organisé comme une secte avec culte de la personnalité d' Épicure, rites en son honneur etc).
3) Martha Nussbaum critique l'épicurisme sur certains points, dont ceux que j'ai évoqués dans les billets, mais elle critique aussi très clairement nos sociétés, comme en témoigne ce passage :
" Epicurus invites us to look at ourselves, at our friends, at the society in which we live. What do we see when we look, and look honestly ? Do we see calm rational people, whose beliefs about value are for the most part well based and sound ? No. We see people rushing frenetically about after money, after fame, after gastronomic luxuries, after passionate love - people convinced by the culture itself, by the stories on which they are brought up, that such things have far more value than in fact they have. Everywhere we see victims of false social advertising : people convinced in their hearts that they cannot possibly live without their hoards of money, their imported delicacies, their social standing, their lovers - although these beliefs result from teaching and may have little relation to the real truth about worth. Do we, then, see a healthy rational society, whose shared beliefs can be trusted as material for a true account of the good life ? No. We see a sick society , a society that values money and luxury above the health of the soul ; a society whose sick teachings about love and sex turn half of its members into possessions, both deified and hated, the other half into sadistic keepers, tormented by anxiety ; a society that slaughters thousands, using ever more ingeniously devastating engines of war, in order to escape its gnawing fear of vulnerability. We see a society, above all, whose every enterprise is poisoned by the fear of death, a fear that will not let its members taste any stable human joy, but turns them into the groveling slaves of corrupt religious teachers." (The therapy of desire p.103).
On voit que Martha Nussbaum critique ici la société selon des critères épicuriens mais, de tradition largement aristotélicienne, elle ne partage tout de même pas la radicalité de la critique épicurienne.

mercredi 27 janvier 2010

Un jugement de Pierre Hadot sur Michel Foucault.

Afin de mettre en perspective la position de Martha Nussbaum, voici tiré des entretiens avec Arnold Davidson et Jeannie Carlier un passage éclairant le jugement que Hadot portait sur Foucault :
" A.D. : Pouvez-vous résumer vos divergences philosophiques avec Foucault, et notamment votre critique de ses idées de culture de soi, sur l'esthétique de l'existence ?
Il faut dire tout d'abord que nos méthodes étaient très différentes. Foucault était sans doute, en même temps que philosophe, un historien des faits sociaux et des idées, mais il n'avait pas pratiqué la philologie, c'est-à-dire tous les problèmes liés à la tradition des textes anciens, le déchiffrement des manuscrits, le problème des éditions critiques, le choix des variantes textuelles. En éditant et traduisant Marius Victorinus, Ambroise de Milan, les fragments du commentaire du Parménide, Marx-Aurèle, certains traités de Plotin, j'ai acquis une certaine expérience qui me permettait d'aborder les textes anciens dans une tout autre perspective que lui. Notamment, je me suis toujours attaché à l'étude attentive du mouvement de la pensée de l'auteur et la recherche de ses intentions. Il n'attachait pas beaucoup d'importance à l'exactitude des traductions, utilisant souvent de vieilles traductions peu sûres.
Ma première divergence se trouve dans la notion de plaisir. Pour Foucault, l'éthique du monde gréco-romain est une éthique du plaisir que l'on prend en soi-même. Cela pourrait être vrai pour les épicuriens, dont Foucault parle finalement assez peu. Mais les stoïciens auraient rejeté cette idée d'une éthique du plaisir. Ils distinguaient soigneusement le plaisir et la joie, et la joie, pour eux - la joie, et non pas le plaisir -, se trouvait non pas dans le moi tout court, mais dans la meilleure partie du moi. Sénèque ne trouve pas sa joie dans Sénèque, mais dans Sénèque identifié à la Raison universelle. On s'élève d'un niveau du moi à un autre , transcendant. Par ailleurs, dans sa description de ce qu'il appelle les pratiques de soi, Foucault ne met pas suffisamment en valeur la prise de conscience de l'appartenance au Tout cosmique, et la prise de conscience de l'appartenance à la communauté humaine, prises de conscience qui correspondent aussi à un dépassement de soi. Enfin, je ne pense pas que le modèle éthique adapté à l'homme moderne puisse être un esthétique de l'existence. Je crains que cela ne soit finalement qu'une nouvelle forme du dandysme." (La philosophie comme manière de vivre p.214-215 2001)
La critique centrale, la question de la compétence philologique laissée de côté, touche juste. Post-kantien et nietzschéen, Foucault ne pouvait pas prendre au sérieux le grandiose et bien fragile cadre métaphysique qui fonde l'éthique stoïcienne (le problème intéressant est précisément de savoir que garder alors du stoïcisme et comment le justifier). Pierre Hadot est donc en mesure de reprocher à Michel Foucault son refus de toute transcendance et de toute métaphysique ayant une portée cosmologique, sa méfiance vis-à-vis d'un concept aussi chargé métaphysiquement que celui d'humanité et donc une forme de nominalisme porté à prendre en compte les hommes concrets plutôt que l'Homme (à ce niveau l'héritage marxiste est aussi manifeste). On peut alors appeler dandysme une doctrine de la mise en forme de soi qui n'est pas en mesure de s'adosser sur une métaphysique, au sens classique de ce terme (et non au sens rajeuni que lui donnent certains philosophes analytiques).
Comme Martha Nussbaum, Pierre Hadot, à la différence de Foucault, ne décontextualise pas les éthiques antiques de leur arrière-plan métaphysique. À coup sûr, c'est le stoïcisme qui avec son finalisme providentiel semble le plus difficile à mettre en harmonie avec nos connaissances. L'épicurisme, rejetant le finalisme, dépeignant un univers sans raison et explicable exclusivement par des causes atomiques, sensible avec Lucrèce à l'évolution, paraît moins lourd à défendre dans la perspective d'un rationalisme post-Lumières. Ceci dit, c'est à condition de ne pas prendre non plus au sérieux l'affirmation épicurienne de l'existence des Dieux.

vendredi 22 janvier 2010

Michel Foucault jugé par Martha Nussbaum

Dans l'introduction de Therapy of desire(1994), Martha Nussbaum présente ainsi la critique qu'elle fait de l'approche que Foucault a eue des philosophies hellénistiques:
" There is one reclaiming of Hellenistic texts within philosophy -perhaps the most widely known to the general public- that seems to me, though exciting, also deeply problematic. This is Michel Foucault's appeal to the Hellenistic thinkers, in the third volume of his History of Sexuality, and in lectures given toward the end of his life, as sources for the idea that philosophy is a set of techniques du soi, practices for the formation of a certain sort of self. Certainly Foucault has brought out something very fundamental about these philosophers when he stresses the extent to which they are not just teaching lessons, but also engaging in complex practices of self-shaping. But this the philosophers have in common with religious and magical/superstitious movements of various types in their culture. Many people purveyed a biou techne, an "art of life." What is distinctive about the contribution of the philosophers is that they assert that philosophy, and not anything else, is the art we require, an art that deals in valid and sound arguments, an art that is commited to the truth. These philosophers claim that the pursuit of logical validity, intellectual coherence, and truth delivers freedom from the tyranny of custom and convention, creating a community of beings who can take charge of their own life story and their own thought. (Skepticism is in some ways an exception, as we shall see; but even Skeptics rely heavily on reason and argument, in a way other popular "arts" do not.) It is questionable whether Foucault can even admit the possibility of such a community of freedom, given his view that knowledge and argument are themselves tools of power. In any case, his work on this period, challenging though it is, fails to confront the fundamental commitment to reason that divides philosophical techniques du soi from other such techniques. Perhaps that commitment is an illusion. I believe that it is not. And I am sure that Foucault has not shown that it is. In any case, this book will take that commitment as its focus, and try to ask why it should have been thought that the philosophical use of reason is the technique by which we can be truly thinking and truly flourishing." (p.5-6)
On peut lire ce texte comme une défense, dans la tradition des Lumières, de la raison comme moyen d'émancipation réelle. En dehors de tout relativisme et de toute herméneutique du soupçon, Martha Nussbaum prend position en faveur de la valeur non seulement gnoséologique mais aussi éthique de la cohérence et du respect de la vérité. Elle tient ainsi à établir une frontière nette entre l'usage de la raison à des fins libératrices et l'usage de techniques irrationnelles, par exemple, religieuses. Il va de soi que le camp visé par Martha Nussbaum pourra juger avec condescendance ce plaidoyer en faveur de la raison qu'il taxera alors de naïf et illusoire. Mais aura-t-il raison ?

jeudi 21 janvier 2010

Martha Nussbaum et la conception de la philosophie comme thérapeutique.

Le livre de Martha Nussbaum The therapy of desire. Theory and practice in hellenistic ethics (1994) vient d'être réédité avec une nouvelle introduction. J'y trouve un passage qui clarifie le sens qu'elle donne à l'expression "philosophie thérapeutique". Je le transcris ici avec la volonté non seulement d'accéder, de faire accéder à la pensée de Martha Nussbaum mais aussi à celles - que je ne suppose pas d'emblée être tout à fait identiques sur ce point à celle de Nussbaum - de Pierre Hadot et de Michel Foucault - qui elles-mêmes bien sûr se distinguent entre elles ! - :
" The point of saying that philosophy should be therapeutic is not to say that philosophy ought to subordinate its own characteristic commitments to some other norms (e.g., flourishing, calm); it is, rather, to say that you can get the good things you are searching for (flourishing, calm) only through a lifelong commitment to the pursuit of argument. Other figures in the culture - soothsayers, magicians, astrologers, politicians - all claim to provide what people want , without asking them to think critically and argue. The philosophers say : no, only in the life devoted to reason will you really get what you want (Here, as I say in Therapy, I locate a major deficiency of Michel Foucault's otherwise illuminating writing on self-fashioning in the Hellinistic period. Self-fashioning can take many forms; the form it takes in the philosophers is a lifelong dedication to argument and analysis.)
So if teachers of philosophy avoid Hellenistic texts because they think of them as texts that persuade primarily through nonargumentative means, they are incorrect; they have misunderstood what Hellenistic therapy is about. Nonetheless, there are genuine difficulties involved in teaching these texts to students who are used to more familiar argumentative strategies. Therapeutic arguments have their own rhetoric and their own literary style. They cannot be decoded by someone who simply ignores those aspects of the argument, as much teaching of philosophy is apt to do. Only if one reads these arguments with sensitivity to their therapeutic purpose will on be able, after quite a lot of work, to see how good, as arguments, they really are." (p.XI)
En 1995, un an après la publication de The therapy of desire , Pierre Hadot, qui me mentionne pas le livre de Nussbaum dans sa bibiographie, écrivait des lignes qui paraissent aller dans la même direction, par exemple :
" Il ne faudrait pas non plus opposer mode de vie et discours, comme s'ils correspondaient respectivement à la pratique et à la théorie. Le discours peut avoir un aspect pratique, dans la mesure où il tend à produire un effet sur l'auditeur ou le lecteur (...) Il s'agit de montrer que le discours philosophique fait partie du mode de vie (...) Le discours du maître de philosophie pouvait d'ailleurs prendre lui-même la forme d'un exercice spirituel, dans la mesure où ce discours était présenté sous une forme telle que le disciple, en tant qu'auditeur, lecteur ou interlocuteur, pouvait progresser spirituellement et se transformer intérieurement." (Qu'est-ce que la philosophie antique ? p.20-21-22)
Ce que je note chez Martha Nussbaum est l'insistance sur la durée et la difficulté de l'effort requis pour la compréhension des arguments ("life-long commitment" "after quite a lot of work") ainsi que sur la sensibilité requise pour un tel effort intellectuel.
À première vue, ce qui distingue cette pensée de celle de Foucault est son engagement réaliste au sens philosophique du terme : les bonnes choses que les hommes recherchent (l'épanouissement, le calme) existent réellement et ne sont pas simplement des objets de croyance ; non seulement elles existent mais peuvent être aussi atteintes. Je fais l'hypothèse que Foucault aurait jugé une telle ontologie trop simple et naïve. Il n'aurait sans doute pas distingué les bonnes choses du discours et du training qui les visent. Ces points sont très largement à préciser.