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mardi 30 avril 2013

Popper et Russell, Descartes et les Rose-Croix.

On sait que Popper a distingué dans les propositions empiriques celles qui courent le risque d'être réfutées par les faits et celles qui sont immunisées contre ce risque. Si je raconte par exemple que "tous les hommes sont méchants", l'existence d'un seul homme bon rend fausse la phrase en question. Mais si j'ajoute que "certains sont assez dissimulateurs pour jouer aux bons", j'aurai à première vue toujours raison: le monde sera toujours au rendez-vous de mes prédictions à ce sujet. On a appelé infalsifiables ces propositions qu'on ne peut pas rendre fausses (to falsify en anglais).
Or, je trouve dans la biographie de Descartes par Adrien Baillet (1691) un exemple savoureux de déclarations infalsifiables.
Revenant de ses voyages dans le Nord de l'Europe, Descartes arrive en Paris en 1623. La venue supposée des Rose-Croix (ils ont leur QG en Allemagne) dans la capitale est annoncée par une "campagne médiatique" moqueuse qui multiplie les annonces infalsifiables :
" Il (Descartes) en avait reçu la première nouvelle par une affiche qu'il en avait lu aux coins des rues et aux édifices publics, dès son arrivée. L'affiche était de l'imagination de quelque bouffon, et elle était conçue en ces termes : Nous députés du collège principal des frères de la Rose-Croix faisons séjour visible et invisible en cette ville... Nous montrons et enseignons sans livres ni marques à parler toutes sortes de langues des pays où nous habitons. Sur la foi de cette affiche, plusieurs personnes sérieuses eurent la facilité de croire qu'il était venu une troupe de ces invisibles s'établir à Paris. On publiait que les trente-six députés que le chef de leur société avait envoyés par toute l'Europe, il en était venu six en France ; qu' après avoir donné avis de leur arrivée par l'affiche que nous venons de rapporter, ils s'étaient logés au Marais du Temple ; qu'ils avaient ensuite afficher un second placard portant ces termes : S'il prend envie à quelqu'un de venir nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec nous. Mais si la volonté le porte réellement et de fait à s'inscrire sur le registre de notre confraternité, nous qui jugeons des pensées lui feront voir la vérité de nos promesses. Tellement que nous ne mettons point le lieu de notre demeure, puisque les pensées jointes à la volonté réelle de celui qui lira cet avis seront capables de nous faire connaître à lui, et lui à nous." (Éditions des Malassis, 2012, p.162)
On pense à la théière de Russell :
" Si je suggérais qu'entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j'aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. Mais si j'affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n'est pas tolérable pour la raison humaine d'en douter, on me considérerait comme un illuminé."
"Illuminé" : j'interromps la citation, le temps de reprendre une phrase de Baillet consacrée encore aux Rose-Croix :
" Ayant eu le malheur de s'être fait connaître à Paris dans le même temps que les alumbrados, ou les illuminés d' Espagne, leur réputation échoua dès l'entrée." (ibid. p.161)
Russell de nouveau :
" Cependant, si l'existence de cette théière était décrite dans des livres anciens, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l'école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d'excentricité et vaudrait au sceptique les soins d'un psychiatre à une époque éclairée, ou de l'Inquisiteur en des temps plus anciens." (Y a-t-il un Dieu ? 1952).
Rappelons pour terminer le principe de Clifford :
" C'est un tort, toujours, partout et pour quiconque de croire quoi que ce soit sur la base d'une évidence insuffisante." (L'éthique de la croyance, 1901)
Le principe renvoie au néant les théières invisibles et leurs avatars mais le sceptique se demandera si le principe de Clifford est suffisamment prouvé pour qu'on le tienne pour vrai.
Concernant Descartes, ajoutons que, pour démentir la rumeur selon laquelle il faisait partie des Rose-Croix, il lui a suffi de se faire voir dans les rues de la capitale !

jeudi 19 avril 2007

Xénophane, le héros poppérien...

Karl Popper dans une conférence prononcée en 1981 à l’université de Tübingen et intitulée Tolérance et responsabilité intellectuelle fait de Xénophane le fondateur de la tradition sceptique. Cette identification est loin d’aller de soi mais ce qui est encore plus surprenant, c’est que Popper attribue au présocratique deux thèses franchement ... popériennes :
« (Il) présenta une théorie de la vérité reliant l’idée de la vérité objective à celle de la faillibilité humaine principielle. » (trad. Folcher et Howlet Lire les philosophes Chomienne p.520)
Plus explicitement , « la vérité est l’accord de ce que j’énonce avec les faits, que je sache ou non en quoi consiste cet accord » (p.522) et « il comprit que ce qu’il avait découvert à propos de sa propre théorie – qu’elle n’était malgré sa force de persuasion intuitive qu’une supposition – devait valoir pour toutes les théories humaines : tout n’est que supposition. » (ibidem).
Dans d’autres textes, Popper a expliqué comment dégager de toutes les théories la meilleure : cette dernière fait des prédictions d'abord qui courent plus que d'autres le risque d’être démenties par l’expérience et ensuite qui passent le cap de cette épreuve. Il a qualifié de falsifiable une supposition ayant cette qualité et l'a distinguée nettement des jugements infalsifiables toujours confirmés eux par l’expérience, pour la seule raison qu’ils sont formulés de manière à ne jamais courir le risque d’être démentis.
Les prédictions astrologiques (« vous ferez sous peu une rencontre décisive mais il se peut que vous n’en preniez pas conscience »), certaines considérations sur l’homme (« tous les hommes sont méchants mais, étant hypocrites, certains font semblant d’être bons. »), certains énoncés religieux (« Dieu est bon mais l’intelligence humaine est trop limitée pour comprendre comment elle s’exerce ») peuvent servir d’exemples pour comprendre ce que sont des énoncés infalsifiables.
Or, il se trouve que je peux mettre au crédit de son héros Xénophane un bel exemple d’énoncé de ce type :
« Empédocle lui ayant dit que le sage était introuvable, il lui répondit : « C’est normal : car il faut être sage pour pouvoir reconnaître le sage » (IX 20)
Soutenir qu’il existe des sages se prêterait à l’objection de ceux qui, malgré leurs recherches , n’en identifient aucun mais défendre que les sages sont invisibles pour les non-sages assure qu’on ne sera jamais démenti. En effet si un non-sage ne trouve aucun sage, c’est qu’il ne les a pas repérés ; si un non-sage identifie un sage, il est en fait lui-même sage (prime narcissique pour l’interlocuteur qui au moment où il s’apprête à démentir la vérité la ratifie) ; si un sage identifie un autre sage, la confirmation est directe ; si un sage ne découvre aucun sage, l’énoncé xénophanien continue d’être vérifié puisqu’existe au moins un sage, celui qui, malgré sa sagesse, n’en voit pas d’autres.
Ceci mis à part, cette certitude xénophanienne sur l’existence des sages n’est guère compatible avec la volonté poppérienne d’en faire le premier défenseur de l’idée que, si on peut savoir qu’on est dans le faux, on ne peut en revanche jamais être sûr d’être dans le vrai