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mardi 10 avril 2012

Locke sur Pythagore et Euphorbe

En écho à un billet déjà ancien sur l'identité de l'esprit en termes pythagoriciens, ces lignes de Locke où le philosophie anglais défend la position que l'idée de l'identité n'est point innée :
" Si l'idée de l'identité (pour ne parler que de celle-ci) est naturelle, et par conséquent si évidente et si présente à notre esprit, que nous devions la connaître dès le berceau, je voudrais bien qu'un enfant de sept ans, ou même un homme de soixante-dix ans, me dît, si un homme qui est une créature composée de corps et d'âme, est le même lorsque son corps est changé ; si Euphorbe et Pythagore qui avaient eu la même âme, n'étaient qu'un même homme, quoiqu'ils eussent vécu éloignés de plusieurs siècles l'un de l'autre ; et, si le coq dans lequel cette même âme passe ensuite, était le même qu' Euphorbe et que Pythagore (...). Car supposé que tout le monde n'ait pas la même idée de l'identité que Pythagore, et mille de ses sectateurs en ont eu, quelle est donc la véritable idée de l'identité, celle qui nous est naturelle, et qui est proprement née avec nous ? Ou bien, y a-t-il deux idées d'identité, différentes l'une de l'autre, qui soient pourtant toutes deux innées ?" (Essai sur l'entendement humain, Livre I, chapitre 3, trad. Coste)

samedi 13 janvier 2007

Pythagore: mort à cause de fèves.

Diogène Laërce a consacré quatre épigrammes à Pythagore. Voici la dernière :
« Hélas, pourquoi Pythagore a-t-il porté une telle vénération aux fèves ?
Pourquoi est-il mort au milieu de ses disciples ?
Il y avait un champ de fèves. Pour éviter de piétiner les fèves,
Il fut tué par les gens d’Agrigente à un carrefour. » (VIII 45)
Des quatre versions de la mort de Pythagore, deux donnent en effet aux fèves, précisément à un champ de fèves, un rôle décisif. Fuyant ceux qui le poursuivent, Pythagore est rattrapé car un champ de fèves qu’il s’interdit de fouler fait obstacle à sa progression.
J’imagine que dans des circonstances identiques un stoïcien n’aurait pas fui, qu’un sceptique aurait pu aussi bien fuir que ne pas fuir, qu’un épicurien aurait pris ses jambes à son cou dans le seul but de retrouver au plus vite la forteresse de ses amis. Un cynique aurait, lui, dans sa fuite, pris plaisir à profaner un champ sacré.
Seul Pythagore préfère la mort à la transgression d’un interdit relatif à une plante.
Laërce a donné de multiples raisons justifiant l’exclusion de la fève du régime alimentaire. Les voici dans leur ordre chronologique d’apparition :
1)« En raison de leur nature venteuse, elles participent au plus haut point du souffle de l’âme » (VIII 24). Je ne peux pas ne pas penser au frère d’Hipparchia, Métroclès, qui dut quitter l’école de Théophraste pour avoir lâché un vent en public et dont Cratès sut tirer parti de la honte injustifiée pour en faire une recrue de l’école cynique. Quel abîme entre la naturalisation cynique du pet et sa psychologisation pythagoricienne !
2)« En outre, si on n’en a pas pris, on laisse son estomac plus calme. » Voici en revanche une raison qui aurait converti n’importe quel épicurien.
3)« Et grâce à cela, on rend aussi plus douces et dénuées de troubles les images oniriques ». La fève comme drogue perturbatrice. Les deux dernières raisons sont clairement prophylactiques.
4)« Elles ressemblent à des testicules. » (34)
5)« Elles ressemblent aux portes de l’Hadès, car c’est l’unique plante qui n’a pas de nœuds » (Luc Brisson apporte sur ce point la note suivante : « Probablement un jeu de mots sur agonatos, qui n’a pas de « nœuds » pour la tige des plantes, et qui n’a pas de « gonds » pour les portes. »)
6)« Elle est semblable à l’univers. » Voici donc la cosmologisation des fèves ; reste que ces trois dernières raisons me paraissent faire corps avec la première : la fève symbolise les plus hautes réalités. J’entends rire l’épicurien à la lecture de ces lignes, lui qui a définitivement mis tout le réel sur le même plan immanent en l’analysant en atomes et en vide…
7)« Elle entretient des rapports avec l’oligarchie ; en tout cas elles sont utilisées dans le tirage au sort. » Raison à part, politique. Imaginons : refus du choix hasardeux, préférence donnée aux meilleurs, pas aux chanceux (« Il donna des lois aux Italiotes, ce qui lui valut une grande estime, tout comme à ses disciples qui, au nombre de trois cents environ, administraient au mieux les affaires de la cité : de la sorte, le régime était à peu près un gouvernement des meilleurs. » (3))
Je réalise qu’à la différence des autres philosophies grecques, la doctrine pythagoricienne permet une pratique formaliste, ritualiste, à la limite vidée de substance mais scrupuleusement attachée à la lettre. Ainsi les pythagoriciens font secte et ne courent guère le risque d’être confondus. Pas des actions justes, juste des actions, aux codifications surdéterminées qui n’ont pas d’autre fonction que de rappeler une appartenance singulière. Aussi est-ce finalement légèrement paradoxal que dans l’esprit de quasi tous le nom de Pythagore soit associé à une vérité géométrique universelle…

Commentaires

1. Le vendredi 9 février 2007, 21:40 par jean centini
Cher Philalethe,

Un peu comme vous, j'ai tendance à penser que l'interdiction des fêves chez les pythagoriciens n'a pas à être expliquée par des causes extérieures. Il en va de même pour leurs autres interdictions. L'interdit est à soi-même sa propre raison suffisante. Il structure le groupe. Par ailleurs, en l'instituant, le maître affirme son autorité sur le groupe. J'irai même jusqu'à dire que plus l'interdit est opaque et incompréhensible, plus il est efficace.

Au total, dans tout ce que Diogène Laerce nous dit de la doctrine pythagoricienne, une question revient : pourquoi fait-elle mois penser à une école philosophique antique qu'à ce que nous appellerions aujourd'hui une secte ?
2. Le samedi 10 février 2007, 11:54 par philalèthe
Au moins, deux traits poussent à la comparaison avec la secte: 1) l'immense distance entre les initiés et Pythagore 2) l'incapacité dans laquelle on se trouve aujourd'hui de justifier rationnellement les interdictions et les prescriptions du pythagorisme.
Comme je l'ai dit, cette incapacité est d'autant plus troublante que la doctrine pythagoricienne a une relation forte avec les mathématiques.
3. Le jeudi 29 juillet 2010, 22:54 par pierre palero
Les fèves ont toujours eu ces aspects familiers de nourriture autant que de forme et mystérieux de graines contenantes. "Celui qui n'a pas mangé un crabe n'a jamais satisfait son ventre" entend-on dans la philosophie confucianiste: j'en dirais autant des fèves bouillies à l'ail. De pain, de vin de sel et d'ail; de fèves aussi.
4. Le lundi 20 septembre 2010, 15:15 par Michel Leporrier
Erreur dans mon commentaire précédent : c'est bien entendu de Pythagore qu'il est question et non de Diogène Laerte. Les lecteurs auront corrigé.
5. Le lundi 20 septembre 2010, 15:23 par Michel Leporrier
L'interdiction des fèves a peut-être un fondement scientifique : chez certains sujets, la consommation de fèves ou l'inhalation de leur pollen provoque une destruction parfois extrêmement grave des globules rouges. On sait aujourd'hui que cette sensibilité est en relation avec un déficit d'enzyme dans les globules rouges, qui peut être observé dans les populations du pourtour méditerranéen. De là à penser que Diogène Laerte en était lui même atteint n'est pas impossible. Se sachant vulnérable en cas de contact, on peut comprendre pourquoi il érigea la consommation de fèves en interdit, et pourquoi la légende du refus de traverser un champ de fèves, fût-ce pour échapper à ses poursuivants.
6. Le mercredi 20 octobre 2010, 16:23 par Philalèthe
Merci pour votre savante remarque.
Le problème est de savoir dans quelle mesure c'est légitime d'attribuer sans anachronisme un savoir contemporain à des hommes qui d'après nos connaissances n'en disposaient pas du tout. Il faut peut-être accepter que certains interdits alimentaires qui se trouvent avoir aujourd'hui des raisons scientifiques n'ont pas été quand ils sont apparus formulé pour des raisons scientifiques mais religieuses, sociales, philosophiques etc. Votre explication est du même type que celle qui explique originairement la circoncision par la prévention des infections du gland.
7. Le mercredi 7 mai 2014, 12:49 par Mix per deliquum
Bonjour, il serait également intéressant de noter que l'interdiction de consommer des fèves n'est pas propre à Pythagore mais à tous les "mystes" d'Eleusis, sans qu'il y ait appartenance à la "secte" pythagoricienne. C'est Pausanias qui le rapporte sans, toutefois, en apporter l'explication.
8. Le mercredi 7 mai 2014, 12:53 par Mix per deliquum
(pour compléter mon précédent message) Est-ce que l'attitude de Pythagore envers les fèves aurait été influencée par le fait qu'en Egypte, suivant Hérodote, les égyptiens ne cultivent pas de fèves et que les prêtres ne supportent même pas de les voir ?
9. Le jeudi 15 mai 2014, 14:53 par Philalethe
Voici ce que je lis dans Le dictionnaire des symboles de Chevalier et Gheerbrant :
" Les fèves font partie des fruits sacrifiés au cours des offrandes des labours ou des mariages. Elles représentent les enfants mâles à venir : de nombreuses traditions confirment et expliquent ce rapprochement. D'après Pline, la fève est employée dans le culte des morts, parce qu'elle contient les âmes des morts. Les fèves, en tant que symboles des morts et de leur prospérité, appartiennent au groupe des charmes protecteurs. Au sacrifice du printemps, elles représentent le premier don venu de dessous terre, la première offrande des mors aux vivants, le signe de leur fécondité, c'est-à-dire de leur incarnation. Ainsi nous comprenons l'interdit d' Orphée et de Pythagore, au terme duquel manger des fèves était l'équivalent de manger la tête de ses parents, de partager la nourriture des morts, l'un des moyens de se maintenir dans le cycle des réincarnations et de s'asservir aux pouvoirs de la matière. Elles constituaient au contraire, en dehors des communautés initiatiques orphiques et pythagoriciennes, l'élément essentiel de la communion avec les Invisibles, au seuil des rites de printemps.
En résumé les fèves sont les prémices de la terre, le symbole de tous les bienfaits des gens de dessous-terre.
Le champ de fèves égyptien, ainsi nommé symboliquement, était le lieu où les défunts attendaient la réincarnation. Ce qui confirme l'interprétation générale de ce féculent."
À la lumière de cela, les raisons 1, 4 et 5 fournies par Diogène Laërce apparaissent les meilleures.
Ceci dit, ce qu'écrit Larousse est très riche et intéressant :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bp...

samedi 16 décembre 2006

Pythagore, la vie, la sexualité.

“Il divise ainsi la vie de l’homme: “Enfant vingt ans, tout jeune homme vingt ans, jeune homme vingt ans, vieillard vingt ans. Et les âges sont dans la correspondance suivante avec les saisons : enfant (pais) – printemps, tout jeune homme (neèniskos) – été, jeune homme (neèniès)- automne, vieillard (gerôn) – hiver ». Pour lui, le tout jeune homme est l’adolescent, et le jeune homme, l’homme mûr. » (VIII 10)
Je suis déconcerté par une telle division de la vie. Hors contexte, elle pourrait donner de l’inspiration à un esprit à la Cioran: on lui ferait dire alors que l’homme passe de l’immaturité au déclin. Mais la dernière phrase du passage met sur une autre piste : quarante ans de maturation, vingt ans de maturité, vingt ans de déclin.
La note de J.F. Balaudé va dans ce sens:
« L’image (…) pourrait être celle d’une vague, s’élevant progressivement, jusqu’à l’automne, suivie d’une sorte d’effondrement final. » (p.949)
Comme c’est surprenant pourtant d’identifier à l’automne le temps de la maturité et à l’été celui de la maturation finissante !
Quelques lignes plus haut, Laërce avait déjà évoqué les quatre saisons mais au sens propre cette fois et dans un tout autre but : régler la sexualité.
« Sur l’acte sexuel, il s’exprime de la façon suivante : « On accomplira l’acte sexuel l’hiver, mais non l’été ; à la fin de l’automne et au printemps, l’acte sexuel est un peu plus léger à supporter, bien qu’en toute saison il soit pesant et sans bienfait pour la santé. » (9)
Lisant la suite, je me rappelle alors du livre de Van Gulick (La vie sexuelle dans la Chine ancienne) où il expliquait que l’homme devait pour ne pas perdre sa force se retenir d’éjaculer tout en donnant à la femme un plaisir qui ne ferait qu’accroître sa force à lui l’homme…
« Et aussi lorsqu’une fois on lui avait demandé quand il fallait avoir des relations sexuelles, il répondit. « Chaque fois que tu veux te rendre plus faible. » » (ibidem)
Beaucoup plus loin, Laërce éclaire peut-être ce discrédit jeté sur la sexualité :
« La semence est une goutte du cerveau qui contient en elle-même une vapeur chaude. Lorsque cette goutte est projetée dans la matrice à partir du cerveau, elle émet du sérum, de l’humeur et du sang, à partir desquels sont constitués les chairs, les tendons, les os, les cheveux et le corps dans son ensemble, tandis que c’est à partir de la vapeur que sont constituées l’âme et la sensibilité» (28)
L’économie de la dépense sexuelle se comprendrait ainsi sur fond de l’attribution à l’homme du plus beau rôle dans la procréation.

jeudi 14 décembre 2006

Le philosophe : un spectateur né ou un homme converti à une chasse d’un certain type ?

“ Il disait que la vie ressemble à une panégyrie (« réunion de tout le peuple pour célébrer une solennité » selon Littré): de même que certains s’y rendent pour concourir, d’autres pour faire du commerce, alors que les meilleurs sont ceux qui viennent en spectateurs, de même dans la vie, les uns naissent esclaves et chassent gloire et richesses, les autres naissent philosophes et chassent la vérité. » (VIII 8)
Que les philosophes préfèrent la chasse de la vérité à celle de la gloire et des richesses, c’est un lieu commun de la philosophie antique ; mais qu'ils naissent philosophes alors que d’autres hommes naissent non-philosophes, cela en revanche me surprend. La philosophie comme destin, c’est contraire à tant d’appels à philosopher, qu’ils soient platoniciens, cyniques, épicuriens, stoïciens… Certes le concept de destin joue un rôle dans la philosophie antique, immense dans le stoïcisme, plus mineur dans l’épicurisme, mais reste toujours préservée la possibilité de la conversion à la vie philosophique, impensable sans la maîtrise de soi.
Je repense au Ménon où Platon met en relief que même un petit esclave, s’il est guidé par les questions adroites d’un Socrate, est capable d’accoucher de vérités mathématiques universelles.
Ce passage est étrange pour une autre raison : si c’est en effet très parlant de comparer les ambitieux aux athlètes et les cupides aux commerçants, c’est plus inattendu de comparer le philosophe à un spectateur. D’abord parce que le spectateur ici se plaît au spectacle des hommes ordinaires alors que le philosophe détournerait plutôt son regard; ensuite parce qu’assister à un spectacle n’a rien d’une quête, même s’il est vrai qu’ainsi est évoquée la dimension contemplative de l’activité philosophique.
Etonnant aussi d’avoir choisi l’image de la fête qui réunit tout un peuple pour transmettre l’idée de séparations radicales au sein des hommes.

mardi 12 décembre 2006

Derechef de la hanche dorée de Pythagore.

Dans la deuxième des Considérations inactuelles (1874), pour définir l’histoire monumentale et sa dimension falsificatrice, Nietzsche évoque Pythagore d’une manière, à mes yeux, inattendue :
« Quand la considération monumentale du passé domine les autres façons de considérer les choses, je veux dire les façons antiquaire et critique, le passé lui-même en pâtit. On oublie des périodes tout entières, on les méprise, on les laisse s’écouler comme un flot gris ininterrompu dont seuls émergent quelques faits comme des îlots. Les rares personnages qui deviennent visibles ont quelque chose d’artificiel et de merveilleux, quelque chose qui ressemble à cette hanche dorée que les disciples de Pythagore croyaient reconnaître chez leur maître. » ( De l’utilité et de l’inconvénient de l’histoire pour la vie )
A dire vrai, Nietzsche trahit le texte de Laërce qui en aucune manière ne permet de penser à une illusion de disciples fascinés. Je le rappelle :
« On raconte qu’une fois il s’était dénudé, et qu’on avait vu sa cuisse en or. » (VIII 11)
Mais, au fait, qui est ce « on » ? Se référant à Jamblique (250-330) et à sa Vie de Pythagore, il s’agirait d’Abaris l’Hyperboréen, prêtre du culte d’Apollon :
« Selon Jamblique, V. pyth. 90, Abaris, prêtre d’Apollon, de retour de Grèce dans sa patrie, après avoir récolté de l’or pour son Dieu (cf V.pyth. 141), reconnut en Pythagore Apollon lui-même et lui confia la flèche magique (en V. pyth.140, Pythagore lui prend la flèche) sur laquelle il voyageait et dont il se servait pour accomplir des purifications, éloigner les pestilences (cf Jamblique, V. pyth 135 ; 141) et détourner les vents (Porphyre, V. pyth.29). Pythagore, pour lui donner une preuve de sa divinité, lui dévoila sa cuisse en or (Porphyre, V.pyth. 28 ; Jamblique, V.pyth 135) et l’invita à rester et à instruire la communauté des adeptes. Abaris devint ainsi, à un âge déjà avancé, disciple de Pythagore (cf Jamblique, V.pyth. 142 ; dans la Souda et Schol. Plat.in Remp. 600b, le rapport maître-disciple est inversé), lequel, plutôt que d’en faire, à la manière habituelle, un auditeur pendant cinq ans, l’introduisit directement à la connaissance de ses ouvrages sur la nature et sur les dieux ; il lui enseigna également la divination par les nombres alors qu’Abaris n’avait utilisé jusque là que les entrailles des animaux (Jamblique, V.pyth 147). » (Dictionnaire des philosophes antiques Bruno Centrone T I p.45)
Pythagore y croit donc à sa jambe en or ; d’ailleurs est-il pertinent de parler de Pythagore ? Il s’agit plutôt d’Apollon apparaissant sous les traits de Pythagore. Devenant le disciple de Pythagore, Abaris reste ce qu’il est : un prêtre du culte d’Apollon. Comment préserver donc l’identité de Pythagore en le voyant comme un avatar d’Apollon ?
Et comment, en préservant son identité, ne pas en faire un maître ès supercheries ? Mais non, un regard voltairien ne convient pas du tout pour caractériser un monde où le divin et le rationnel, loin de s'opposer, se mêlent intimement.

Commentaires

1. Le jeudi 14 décembre 2006, 12:15 par 99711
En ce qui concerne le terme "Or" il signifie "la lumière" en langue hébraique, c'est le même sens que phanés pour la mystique orphique d'origine iranienne (L. Brisson). Chez le penseur juif VITAL Or-ein-sof est directement relié à une ligne droite (flèche ?). Nietzsche (lettre à Gast du 20 mai 1883) : " Aujourd'hui j'ai appris par hasard ce que signifie Zarathoustra, à savoir étoile d'Or. Ce hasard m'enchante." Ce qui est sûr ( source : Eudéme de Rhodes, élève d'Aristote) c'est que c'est par l'intermédiaire des Maguséens que les grecs connurent la religion iranienne. Ensuite, pour cacher les emprunts des cultures extérieures à Athènes, il faudra construire des mythes et des faux mystères pour le peuple... Le mythe vérouille les emprunts ou les vols de pensées entre les cultures... (PYTHAGORE = ZARATHOUSTRA)
2. Le jeudi 14 décembre 2006, 12:27 par 99711
En plus, comme c'est bientôt Noël, il est de bon ton de parler des Maguséens...
3. Le jeudi 14 décembre 2006, 19:05 par philalethe
Merci beaucoup pour ces remarques savantes mais je reste réservé par rapport au "syncrétisme ésotérique"...
4. Le jeudi 14 décembre 2006, 20:27 par 99711
Il n'y a aucun syncrétisme mais peut-être une origine commune
il n'y a rien d'ésotérique... La cabale lourianique est d'origine pythagoricienne, le pythagorisme est d'origine iranienne, il y a eu une influence croisèes entre la cuture iranienne et je judaïsme au 7e av J-C et peut être d'autres doctrines, soulévement de Pythagore pour en finir avec le culte de Mithra fondamental d'origine égyptienne (pour en donner que le lieu de développement). Quant aux Maguséens, est-ce vraiment un mélange de la culture iranienne et chaldéenne ? Mettez tout cela dans un mythe et vous avez la confiture grecque... La naissance de Jésus, par contre, est un syncrétisme car elle résume à un moment T tout le savoir disponible de l'époque...
5. Le jeudi 14 décembre 2006, 20:43 par 99711
A ce sujet, s'il y a une controverse entre les prêtres iraniens et les prêtres juifs, ce qui est en cours en Iran et ce que les journalistes nomment le révisionisme (de surface), je ne sais pas qui sera le gagnant ? Mais le socle grec risque fortement d'être détruit et, avec lui, la fausse histoire de la philosophie occidentale...

Thomas Nagel et Pythagore.

Le philosophe américain Thomas Nagel écrit dans Le point de vue de nulle part (1986) :
« On peut concevoir que le moi se déplace d’un corps à un autre, même si en réalité ce n’est pas possible. On peut également envisager la persistance du moi au-delà d’un effondrement total de la continuité psychologique – comme dans le fantasme de la réincarnation sans mémoire. » (p.43 de l’édition française)
A la lumière de ce texte, il est clair que les deux possibilités conceptuelles envisagées par Nagel ne correspondent ni l'une ni l'autre à la théorie pythagoricienne de la migration des âmes. Pythagore, lui, a formulé l’impensable : un moi qui, telle une poupée russe, en contient un autre qui en contient un autre, sachant que la première poupée russe n’attend que la mort de son corps pour se retrouver à son tour incluse dans une autre poupée et ceci sans fin ni une quelconque progression (par absence de capitalisation des mémoires). Pythagore a finalement voulu l’impossible : faire d’autrui un autre moi (au sens fort où l’esprit d’autrui serait tout entier en moi). « Je me souviens à la première personne des souvenirs d’autrui. » ainsi parle le pythagoricien. Clairement le pythagorisme repose sur une impossibilité conceptuelle.

dimanche 10 décembre 2006

Pythagore et Descartes: deux manières différentes de sortir de chez soi.

Descartes dans le Discours de la Méthode (1637) a mis en évidence la valeur relative des voyages du point de vue de la connaissance de la vérité ; les livres l’ayant à ce sujet passablement déçu, il décide de chercher la vérité ou en lui-même ou « dans le grand livre du monde » : c’est cette voie qu’il explore en premier.
Mais il ne part pas à la recherche des savants des autres pays, l’exercice de la raison spéculative et purement théorique lui paraissant corrompu par le désir de se distinguer : s’éloigner des pensées communes n’a alors à ses yeux que ce seul but ; non, Descartes est plutôt curieux de s’instruire des raisonnements des hommes de métier car ils ont intérêt, eux, à ne pas se tromper pour ne pas échouer dans leurs entreprises.
Même s’il ne le dit pas explicitement, il semble que Descartes n’ait pas plus appris à cette école qu’à celle des précepteurs. Il tire cependant de ses voyages une conscience aigue de la diversité des mœurs et se défait d’un ethnocentrisme spontané qui l’encourageait à identifier les mœurs françaises aux meilleures mœurs possibles. Mais, vu que l’étude du livre du monde dura plusieurs années, cela reste un bilan plutôt maigre. On sait que c’est en lui-même que Descartes découvrira la vérité principielle sur laquelle il prétendra fonder une philosophie nouvelle.
Pythagore d’une certaine manière anticipe partiellement le processus de formation cartésien. Lui aussi écoute d’abord les maîtres, Phérécyde de Syros (cf les billets des 7 et 8-09-05) puis Hermodamas. Mais ils ne le comblent pas:
« Comme il était jeune et avide de savoir, il voyagea hors de sa patrie, et fut initié à tous les mystères, aussi bien grecs que barbares. Ainsi donc, il se rendit en Égypte, et c’est alors que Polycrate le recommanda par lettre à Amasis (roi d’Egypte) ; il apprit même leur langue, comme le dit Antiphon dans son ouvrage Sur ceux qui se sont distingués dans la vertu, et il alla aussi chez les Chaldéens et les Mages. Ensuite, en Crète, il pénétra en compagnie d’Epiménide dans la grotte de l’Ida (lieu légendaire de la naissance de Zeus), tout comme en Égypte il avait pénétré au cœur des sanctuaires ; il y apprit les doctrines secrètes relatives aux dieux. » (VIII 3)
Comme le jeune Descartes, Pythagore quitte sa patrie mais ce n’est pas pour « fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions » (Discours de la méthode Première Partie) et s’immerger dans une quotidienneté dont il espèrerait quelque enseignement ; tout au contraire, ce sont les multiples manifestations du divin auxquelles il est attentif. Sa manière à lui de sortir de la caverne, c’est d’entrer dans une autre, tant il cherche la Vérité dans le caché et le secret.
L’ayant trouvée, loin d’imiter Descartes qui écrit en français, langue vulgaire, pour la diffuser au-delà du cercle étroit de la raison universitaire, il recréera à l’échelle de son école les manières de faire des cultes à mystères. S’il faut en croire Isocrate (-437 -338) qui certes semble ne l’avoir guère aimé, Pythagore acquiert la célébrité non par la rupture avec l’ordre religieux établi mais bien plutôt en étant consacré par lui :
« Particulièrement pour tout ce qui est rites et pratiques cérémoniales dans les sacrifices il fit montre d’un zèle plus manifeste que les autres ; car, pensait-il, même si cela ne devait rien lui valoir de plus de la part des dieux, il en retirerait une excellente réputation auprès des hommes ; et ce fut précisément le cas. En effet il surpassa tout le monde en réputation au point que les jeunes, unanimement, brûlèrent de devenir ses disciples et que les aînés, de leur côté, virent avec plus de plaisir leurs propres enfants devenir ses disciples que se préoccuper de leurs affaires domestiques » (Busiris 28-29 traduction de Daniel Delattre)
Cette jeunesse, qui s’affole autour de Pythagore, n’a sans doute pas le même esprit que celle qui plus tard s’agglutinera autour de Socrate. Plus fidèle que cette dernière à l’éthique grecque traditionnelle, elle a comme valeur la gloire. Par ce côté « tala », Pythagore est vraiment, sans le savoir encore, l’anti-cynique : faire la cour aux prêtres, se laisser initier par eux puis ensuite les imiter au point de les éclipser, voilà qui aurait répugné à un Diogène de Sinope. Mais l’entreprise pythagoricienne ne fructifia pas.
Nietzsche, qui semble avoir particulièrement aimé de Pythagore l’idée du silence de cinq ans (« Une école de l’orateur. Lorsqu’on se tait pendant un an, on désapprend le bavardage et l’on apprend la parole. Les pythagoriciens furent les meilleurs hommes d’Etat de leur temps » Aurore IV 347) commente ainsi son échec :
« Insuccès des réformes. C’est à l’honneur de la civilisation supérieure des Grecs que, même en des temps assez reculés, les tentatives de fonder de nouvelles religions grecques aient plusieurs fois échoué ; cela fait croire qu’il y eut très anciennement en Grèce une foule d’individus différents dont les multiples misères ne s’abolissaient pas avec une unique ordonnance de foi et d’espérance. Pythagore et Platon, peut-être Empédocle, et bien antérieurement les enthousiastes orphiques firent effort pour fonder de nouvelles religions ; et les deux premiers avaient si véritablement l’âme et le talent des fondateurs de religions que l’on ne peut pas assez s’étonner de leur insuccès ; mais ils n’arrivèrent que jusqu’à la secte. Chaque fois que la réforme de tout un peuple ne réussit pas et que ce sont seulement des sectes qui lèvent la tête, on peut conclure que le peuple a déjà des tendances très multiples et qu’il commence à se détacher des grossiers instincts grégaires et de la moralité des mœurs : un grave état de suspens que l’on a l’habitude de décrier sous le nom de décadence des mœurs et de corruption, tandis qu’il annonce au contraire la maturité de l’œuf et le prochain brisement de la coquille. » (Le Gai Savoir III-149 trad. de Albert révisée par Lacoste)
Bizarrement c’est à cause d’un théorème mathématique que le nom de Pythagore est aujourd’hui connu ; cette survivance dans les esprits donne à son œuvre une rationalité proprement scientifique qu’elle n’a jamais eue et que, faute des catégories adéquates, Pythagore ne pouvait guère viser. Qu’on médite simplement sa manière de fêter la grande découverte :
« Apollodore, le spécialiste du calcul, dit qu’il avait offert en sacrifice une hécatombe (cent bœufs !), parce qu’il avait découvert que le carré de l’hypoténuse du triangle rectangle est égal à la somme des carrés des côtés. » (VIII 12)

vendredi 8 décembre 2006

Jouer au jeu d'Androcyde.

Etrange Pythagore ! D’un côté, il éprouve ses disciples, les condamnant pendant 5 ans et à ne pas le voir et à ne pas parler ; d’un autre, il lui suffit pour lier amitié avec un quidam que ce dernier ait adopté ses symboles (VIII 16). Pour préserver la cohérence de sa conduite, force est donc ou de ne pas identifier l’ami au disciple, même s’il devient difficile de concevoir l’amitié sans le partage des connaissances ésotériques ou de supposer que quiconque adopte les symboles en question est nécessairement un ex-disciple.
Mais que veut dire exactement « adopter les symboles de Pythagore » ? C’est reprendre à son compte des impératifs, des normes, des principes qui font référence à des choses concrètes de la vie ordinaire (le couteau, la marmite, les couvertures etc) mais qui doivent être généralement interprétés dans un sens éthique; j’imagine donc que leur adoption revient à:
1) se les dire pour 2) agir conformément à leur sens littéral et 3) agir conformément à leur sens figuré.
Faire l’économie de 2 reviendrait à ne plus adhérer à la dimension ésotérico-élitiste de la secte, ces actions ayant valeur de mot de passe. Se dispenser de 3 équivaudrait, semble-t-il, à se contenter de se faire passer pour pythagoricien.
Mais combien y avait-il donc de signes de reconnaissance ? Diogène Laërce en cite 17 mais n’en explique que 5. Commençons par eux :
« Il voulait dire par « ne pas tisonner le feu avec le couteau » ne pas provoquer l’irritation et le gonflement de colère des puissants ; « ne pas passer par-dessus la balance » veut dire ne pas passer par-dessus l’égal et le juste ; « ne pas s’asseoir sur le boisseau » équivaut à voir également le souci du futur, car le boisseau, c’est la ration quotidienne ; par « ne pas manger le cœur », il indiquait de ne pas consumer son cœur en chagrins et en afflictions ; par « quand on part en voyage, ne pas se retourner », il enjoignait ceux qui quittent la vie de ne pas se montrer pleins du désir de vivre, et de ne pas se laisser mener par les plaisirs d’ici (comment ne pas penser ici à ce passage d’Epictète : « Si le pilote fait retentir son appel, cours vers le navire en laissant toutes ces choses, sans te retourner en arrière. Et si tu es vieux, ne t’éloigne pas un moment loin du navire, de peur qu’il arrive que tu manques à l’appel » Manuel 1-7 ?) (18)
Plus loin Laërce en élucide quelques autres :
« Il prescrit de ne pas ramasser ce qui est tombé (de table) pour signifier : s’habituer à ne pas manger de façon immodérée, ou parce que ce qui est tombé évoque la mort de quelqu’un. (…) Il prescrit de ne manger aucun des poissons qui sont sacrés. En effet, il ne faut pas attribuer les mêmes choses aux dieux et aux hommes, pas plus qu’aux hommes libres et aux esclaves. (…) Il prescrit de ne pas rompre le pain, parce que dans le passé les amis avaient l’habitude de se réunir autour d’un seul pain, comme le font aujourd’hui encore les barbares ; il faut éviter de diviser le pain qui réunit les amis. » (35)
Cette ultime référence au pain brisé est l’occasion pour Laërce de souligner indirectement l’ambiguïté de ces signes :
« Certains rapportent cette interdiction au jugement (des morts) dans l’Hadès, d’autres expliquent que ce geste rend lâche au combat, d’autres enfin disent que c’est de l’un que l’univers tire son principe. »
Ce dernier dissensus met en évidence la diversité des principes d’interprétation :
a) l’interprétation mythologique
b) l’interprétation prophétique
c) l’interprétation métaphysique.
On notera ici l'absence de l'interprétation éthique qui dans les autres cas semble vraiment requise.
Androcyde (dont on sait seulement qu’il vivait entre le 3ème siècle et le 1er avant JC) aurait consacré tout un ouvrage à discuter des interprétations des symboles pythagoriciens.
Malheureusement le livre étant perdu, qui veut bien m’aider à interpréter les 12 symboles du sens desquels Laërce ne dit mot ?
1) « aider à déposer le fardeau et non pas à le charger » (Jean-François Ballaudé dit traduire exactement le manuscrit mais pense que la bonne version se trouve en effet chez Jamblique : « ne pas aider à déposer le fardeau, mais à la charger »)
2) « avoir ses couvertures toujours liées ensemble »
3) « ne pas faire circuler une image de dieu gravée sur sa bague »
4) « effacer la trace de la marmite dans la cendre »
5) « ne pas s’essuyer aux latrines à la lumière d’une torche »
6) « ne pas pisser tourné vers le soleil »
7) « ne pas marcher hors la grand-route »
8) « ne pas tendre trop facilement la main droite »
9) « ne pas avoir d’hirondelles sous le même toit que soi »
10) « ne pas élever d’oiseau de proie »
11) « ne pas uriner ni se placer sur des rognures d’ongles et de cheveux coupés »
12) « détourner le couteau tranchant »
Merci d’avance à ceux qui mettent leur talent interprétatif à contribution !

Commentaires

1. Le vendredi 8 décembre 2006, 19:45 par sw
Je tente la maxime 7 : rester dans le droit chemin. Mais comment rester dans le droit chemin sans "tendre trop facilement la main droite" ? ;)
2. Le samedi 9 décembre 2006, 13:07 par 99711
Le réseau sémantique ne peut être retenu pour l'interprétation, l'interprétation doit être iconique. Sans le support d'une image, toute tentative d'interprétation serait veine... Sauf peut-être par l'usage fréquent de l'homophonie chez les grecs, comme dans l'activité onirique...
3. Le samedi 9 décembre 2006, 13:19 par 99711
Exemple : dans les rites d'Eleusis : on présentait des tableaux lors de l'initiation... un peu comme sur les parois du mythe de la caverne de Platon. Il crache le morceau Platon dans ce mythe qui n'en est pas un justement...
4. Le samedi 9 décembre 2006, 17:24 par philalethe
réponse à sw: intéressante mise en perspective, mais "tendre trop facilement la main droite" veut-il dire "venir trop facilement au secours " ?

réponse à 99711: nulle part Laërce ne parle d'image allant de pair avec le symbole; en outre une image est-elle franchement moins énigmatique qu'un texte ? L'homophonie est en revanche une piste accessible, malheureusement je ne suis pas assez savant pour cela. Quant à votre interprétation de l'allégorie de la caverne, je ne la comprends pas du tout: il me semble qu'il y a une différence radicale de fonction entre ce que les prisonniers voient sur le mur de la caverne et les tableaux que vous évoquez: il faut se détourner des images de la caverne (même si au fond elles réflètent en fin de compte le Réel sous une forme dégradée) alors que ces tableaux ont une fonction d'élévation du disciple, non ? Il me semble que c'est plutôt du côté du Banquet qu'il faudrait alors chercher une analogie: les beaux corps vus d'une certaine manière élèvent eux aussi et peuvent être vus comme des icones du Beau en soi.
5. Le samedi 9 décembre 2006, 21:27 par sw
Je doute moi aussi que l'expression puisse signifier "venir trop facilement au secours". Si tel était le cas, à quoi servirait l'adjectif "droite" ? Je l'interprète ainsi : ne pas être trop soumis, avoir du sens critique, faire un usage modéré des conventions sociales. Ce qui entre en contradiction avec la maxime 8 qui enjoint de ne pas s'écarter de la normalité, de l'orthodoxie. C'est un peu tiré par les mots, mais n'est-ce pas, en l'absence de tout con-texte, l'esprit même du jeu ? ;)

jeudi 7 décembre 2006

Pythagore et la viande.

La première mention que Diogène Laërce fait de la viande est en relation avec le régime alimentaire des sportifs :
« Il est le premier, dit-on, à avoir entraîné les athlètes en leur donnant de la viande, à commencer par Eurymène, comme le dit Favorinus dans le troisième livre de ses Mémorables, tandis qu’auparavant ils pratiquaient des exercices physiques en prenant des figues sèches et des fromages frais, ainsi que des aliments de blé, comme le rapporte le même Favorinus dans le huitième livre de son Histoire variée. » (12)
Mais Laërce fait immédiatement naître le doute chez son lecteur en introduisant l’image d’un Pythagore en réalité végétarien :
« Mais d’autres disent que c’était un maître de gymnase du nom de Pythagore qui faisait s’alimenter de cette façon, et non lui. » (13)
Suit une première justification de ce végétarisme, appelons-la métaphysique :
« Car lui interdisait même de tuer, sans parler de se nourrir des animaux dont l’âme possède en commun avec nous la justice. »
Ce qui est en accord avec la théorie de la migration de l’âme, qui peut autant se réincarner dans un corps humain que dans un animal ou un végétal (en toute rigueur, si le régime alimentaire était fondé sur une telle métaphysique, il serait interdit de manger quoi que ce soit, sauf ce que produiraient les animaux et les végétaux…)
Peu importe au fond cette question de cohérence car Laërce discrédite cette première justification par la présentation de la "vraie raison" que j’appellerai humaniste et médicale :
« Mais ceci n’était que le prétexte : en vérité, il interdisait de se nourrir des animaux, pour entraîner et habituer les hommes à une vie simple, de telle sorte qu’en mangeant des aliments qui ne nécessitaient pas de cuisson, et en buvant de l’eau pure, leurs nourritures fussent aisées à trouver. De là résultent en effet la santé et la vivacité de l’âme. »
A ce niveau, c’est désormais du pur épicurisme ; le régime végétarien évite simplement les détours coûteux, entre autres ceux de la chasse ou de l’élevage ; faisons l’hypothèse que le cru a ici juste une valeur d’économie de moyens et qu’il est dépourvu de son sens cynique de refus de l’artifice. Reste que Delatte en 1922 dans son édition critique de La vie de Pythagore de Diogène Laërce éclaire ce passage par une « contamination des théories pythagoriciennes par l’idéal cynique », comme me l’apprend une note de Jean-François Ballaudé : je formule donc avec une extrême prudence ma conjecture épicurienne !
Diogène Laërce dérive alors d’un tel souci de la vie simple une pratique rituelle :
« Et bien sûr le seul autel qu’il honorait était, à Délos, celui d’Apollon Père, qui se trouve derrière l’autel aux Cornes, parce qu’on y déposait seulement des offrandes de blé, d’orge, et des galettes, sans faire usage du feu, et aucune victime sacrificielle, comme le dit Aristote dans sa Constitution de Délos. »
Donc encore un lien avec Apollon, qu’il ne faudrait tout de même pas interpréter comme une troisième raison du végétarisme (qu’on pourrait appeler cette fois religieuse) mais comme l’expression rituelle d’une préoccupation pour la vie bonne.
Certes Diogène Laërce ne partage pas mes tourments clarificateurs puisque les lignes suivantes sont celles-ci :
« Le premier, dit-on, il a déclaré que l’âme parcourant le cercle de la nécessité tantôt se lie à un animal, tantôt à un autre. » (14)
D’où un retour en force de la justification métaphysique. Puis plusieurs pages sans aucune référence à la question de la nourriture carnée et tout d’un coup :
« Plus que tout il interdisait de manger du rouget et du poisson à queue noire, et prescrivait de s’abstenir du cœur et des fèves (auxquelles il vaudra la peine de consacrer un billet entier) ; et Aristote parle aussi de la matrice et du mulet (de mer), à certains moments. » (19)
Attention ! Diogène Laërce vient juste de présenter les « symboles » pythagoriciens (traduisez par signes de reconnaissance dotés d’un sens symbolique) ; or, parmi ceux-ci, j’ai repéré « ne pas manger le cœur », ce qui autorise l’évocation d’une quatrième justification que je désignerai du nom d’éthico-ésotérique : l’interdit alimentaire concernant telle viande exprime que le disciple qui le respecte fait partie de ceux qui ont la connaissance des impératifs de conduite régissant la vie des pythagoriciens.
Suit la présentation du régime alimentaire propre à Pythagore lui-même :
« Certains disent que lui-même se satisfaisait de miel seul (nourriture effectivement compatible avec la reconnaissance de la plante comme lieu d’incarnation de l’âme), ou d’un rayon de miel, ou de pain (mais voilà du blé moulu…), et que dans la journée il ne buvait pas de vin (« il substitue au terme d’ébriété celui de dommage » (9)) ; pour le plat, il prenait la plupart du temps des légumes cuits et crus, et rarement des poissons (ce qui corrobore la dimension contextuelle de certains interdits). »
Convaincu du végétarisme militant de Pythagore, le lecteur ne peut donc qu’être troublé par la description que Laërce fait alors des pratiques sacrificielles de Pythagore :
« Les offrandes sacrificielles qu’il faisait étaient toujours de non-vivants ; mais selon certains (médisants ou plus éclairés ?), il sacrifiait seulement les coqs, les chevreaux, et les animaux de lait que l’on appelle « porcelets » mais surtout pas les agneaux. Aristoxène dit qu’il permettait de manger de tous les êtres animés, mais demandait seulement que l’on s’abstienne du bœuf laboureur et du mouton. » (20)
On en perd son latin mais une chose est sûre : pour qu’elle ait donné lieu à un tel conflit des interprétations la question de la valeur de la viande n’est pas un point de détail …
Tournant les pages, je tombe alors sur un renforcement de la justification médico-humaniste :
« Ne pas détruire ni endommager la plante cultivée, non plus que l’animal qui ne cause aucun dommage aux hommes. Il disait (…) qu’il faut éviter l’excès d’aliments carnés. » (23)
Quand Diogène ne prétend plus rapporter la diététique mais l’ontologie pythagoricienne, le lecteur y cherche bien évidemment une possibilité de clarification de la question alimentaire. Que trouvons-nous précisément dans cette description à visée exhaustive de tous les êtres ? Une définition du vivant : « sont vivants tous les êtres qui participent au chaud » (28), une identification de la plante à un vivant : « voilà pourquoi les plantes sont aussi des êtres vivants », une différenciation au sein du vivant : « tous les êtres vivants n’ont pas une âme (elle-même identifiée à une réalité immortelle) », une spécification de l’âme humaine par rapport à l’âme animale : « l’âme de l’homme est divisée en trois parties : la conscience (nous), l’esprit (phrénes) et le principe vital (thumos). Cela étant, la conscience et le principe vital se trouvent aussi dans les autres vivants (si on tient compte de la division du vivant en deux genres, il faudrait rajouter : dans les autres vivants qui ont une âme), mais l’esprit se trouve seulement dans l’homme. » (30)
Cela me paraît fort raisonnable d’attribuer à l’animal la conscience (quelle que soit en fait l’indétermination pour nous du sens de ce concept dans la philosophie pythagoricienne), plus sensé en tout cas que la réduction cartésienne de l’animal à une machine.
La suite du texte semble donner dans l’ensemble du monde animal une valeur plus grande aux espèces grégaires (parce qu’il y a là analogie avec la société humaine ?) et aux animaux domestiques (qu’on se rappelle supra la référence au bœuf laboureur) :
« L’air en sa totalité est rempli d’âmes, et ces âmes sont appelées « démons » et « héros ». Ce sont eux qui envoient aux hommes les songes et les signes et les maladies, et pas seulement aux hommes, mais aussi aux bêtes qui vivent en troupeau et aux autres animaux domestiques. » (32)
Une telle ontologie encouragerait à penser une diététique fine, réglée sur les différences d’êtres plus que sur l’opposition trop simple vivant humain /vivant non humain. Mais la suite du texte laissera le lecteur sur sa faim, si on peut parler ainsi. Laërce mentionnera de nouveau des interdits alimentaires spécifiques à visées éthiques autant que médicales, semble-t-il :
« La pureté s’obtient grâce à des purifications, à des ablutions et à des aspersions, en se gardant de tout contact avec les cadavres, avec les femmes qui accouchent et de tout ce qui souille, en s’abstenant de chairs d’animaux comestibles morts de maladie, de rougets, de mulets de mer, d’œufs, d’animaux ovipares (…) » (33)
Pour terminer, Laërce s’étendra longuement sur la question du coq et précisément de sa couleur:
« Il prescrit de ne pas manger de coq blanc, parce qu’il est consacré au Mois et que c’est un suppliant. Or le fait d’être un suppliant se trouve, disait-il, du côté des choses bonnes ; et le coq est consacré au Mois, car il indique les heures. » (34)
Visiblement ce n’est pas en tant qu’animal que le coq est respecté mais en tant qu’être consacré. Le Dictionnaire des symboles (Chevalier et Gheerbrant Seghers 1973) m’apprend que « le coq se trouvait auprès de Léto, enceinte de Zeus, lorsqu’elle accoucha d’Apollon et d’Artémis » et qu’il est « consacré à la fois à Zeus, à Léto, à Apollon et à Artémis, c’est-à-dire aux dieux solaires et aux déesses lunaires. » (T.II p.85). Dois-je donc évoquer à cette occasion une justification civico-religieuse ?
Quelque confuse qu'ait été la présentation laërtienne de la question de l’alimentation carnée, Diogène y trouvera l’inspiration de deux épigrammes fort moqueuses :
« Tu n’es pas le seul à ne pas lever la main sur des êtres animés, nous aussi nous nous abstenons de le faire.
Qui en effet a jamais goûté à des êtres animés, Pythagore ?
En vérité, quand nous avons fait cuire un mets, que nous l’avons fait griller ou que nous l’avons fait macérer dans le sel,
alors ce que nous mangeons n’a plus d’âme. »
« Ainsi donc, Pythagore était sage, au point qu’il
ne voulait pas goûter à la viande, et disait que c’était un acte injuste.
Mais il laissait les autres en manger. J’admire ce sage. Il ne faut pas, dit le maître,
commettre l’injustice, mais les autres il les laisse le faire. »
Ou l’exécution d’un grand par un petit…

Commentaires

1. Le vendredi 4 juin 2010, 21:12 par yaesm
pythagore a toujours été végétarien et s'il laissait les autres ne pas l'être c'est parce que, en étant un Grand Maître Illunminé, il connaissait les lois de l'Univers et nottament la loi des niveaux !

mercredi 22 novembre 2006

Qui donc aujourd'hui se souvient d'avoir été Pythagore ?

Autre moyen de relier Pythagore à Héraclide du Pont, partir de ce que ce dernier dit du premier:
« Il (Pythagore donc) racontait sur lui-même les choses suivantes : il avait été autrefois Aithalidès et passait pour le fils d’Hermès ; Hermès lui avait dit de choisir ce qu’il voulait, excepté l’immortalité. Il avait donc demandé de garder, vivant comme mort, le souvenir de ce qui lui arrivait. Ainsi dans sa vie, il se souvenait de tout, et une fois mort il conservait des souvenirs intacts. Plus tard, il entra dans le corps d’Euphorbe et fut blessé par Ménélas. Et Euphorbe disait qu’il avait été Aithalidès, et qu’il tenait d’Hermès ce présent et cette manière qu’avait l’âme de passer d’un lieu à un autre, et il racontait comment elle avait accompli ses parcours, dans quelles plantes et quels animaux elle s’était trouvée présente, et tout ce que son âme avait éprouvé dans l’Hadès, et ce que les autres y supportaient. Euphorbe mort, son âme passa dans Hermotime qui, voulant lui-même donner une preuve, retourna auprès des Branchidées et pénétrant dans le sanctuaire d’Apollon, montra le bouclier que Ménélas y avait consacré (il disait en effet que ce dernier, lorsqu’il avait appareillé de Troie, avait consacré ce bouclier à Apollon), un bouclier qui était dès cette époque décomposé, et dont il ne restait que la face en ivoire. Lorsque Hermotime mourut, il devint Pyrrhos, le pécheur délien ; derechef, il se souvenait de tout, comment il avait été auparavant Aithalidès, puis Euphorbe, puis Hermotime, puis Pyrrhos. Quand Pyrrhos mourut, il devint Pythagore et se souvint de tout ce qui vient d’être dit. » (VIII 5)
Voilà donc une forme curieuse de dualisme. Le dualisme est cette doctrine selon laquelle chaque homme est constitué de deux substances indépendantes l’une de l’autre : le corps et l’âme. Il va de pair avec l’affirmation de l’immortalité de l’âme ; Descartes en est le défenseur paradigmatique.
La version donnée ici est étonnante car si l’âme est réellement distincte du corps, c’est de plusieurs corps successifs qu’elle est l’âme. Mais en quel sens est-elle la même âme ? Il n’est nulle part affirmé que Pythagore ait été psychologiquement le même homme que Pyrrhos, Hermotime, Euphorbe et Aithalidès. Cette thèse aurait en plus l’étrange conséquence que certaines plantes et certains animaux auraient été animés eux aussi successivement par cette âme permanente qui ne serait donc plus une âme humaine mais une âme tout court, accidentellement végétale ou animale ou humaine (1).
Pour identifier plus exactement l’âme en question, il faut garder à l’esprit qu’elle conserve constamment la même mémoire ; la conséquence en est que si Aithalidès est simple, Euphorbe, lui, est double, puisqu’il a à l’esprit la vie d’Aithalidès et la sienne. Ce qui revient à se remémorer les événements vécus par Aithalidès ni du point de vue de la troisième personne (car Euphorbe dit "je" en parlant d'Aithalidès qui n'est pourtant pas lui !) ni du point de vue de la première personne (car Euphorbe ne continue pas sa vie dans un nouveau corps). Je conçois donc une mémoire commune, condition d'existence d' une série discontinue de séries elles-mêmes continues. Pythagore peut dire qu’il a été Aithalidès mais pas au sens où on dit qu’on a été l’enfant qu’on n’est plus. On découvre à vrai dire un monstre psychologique : c’est au cœur de soi la mémoire d’un autre soi, comme si je me rappelais à la première personne de la vie d’un autre que soi dont pourtant je partage sans qu’elle contamine la mienne la mémoire à la première personne. Moi, Pythagore, je me rappelle que moi, j’ai combattu Ménélas, mais le même mot "moi" renvoie impossiblement à deux personnes distinctes. C’est l’identité d’autrui introduite à la première personne par le biais de sa mémoire dans mon esprit.
Fidèle à cette construction conceptuellement impensable, il me semble donc logique de conclure que si Pythagore n’existe plus du tout existe la Mémoire qui héberge parmi d’autres la sienne et qui continue de s’actualiser sous la forme individualisée mais toujours changée d’un « je me souviens que j’ai été Pythagore. » Hermès n’a donc réellement pas donné à son fils une forme déguisée d’immortalité : Aithalidès est mort mais la Mémoire de personne dont il était le premier locataire, elle, est bel et bien immortelle. Elle passe d’individu en individu sans jamais pouvoir elle-même s’exprimer à la première personne, sinon sous la forme d’un emprunt éphémère d’identité. Au fond, le sujet pythagoricien n’est pas un homme à l' expérience exceptionnelle, il héberge le temps de sa vie la mémoire d’une série d’expériences qui ne communiquent pas entre elles et donc n’enrichissent pas la sienne.
(1)Diogène Laërce fera plus loin parler ainsi Empédocle :
« Car j’ai déjà été autrefois garçon et fille,
buisson, oiseau et poisson cheminant à la surface de l’eau. » (VIII 77)

Commentaires

1. Le jeudi 23 novembre 2006, 06:53 par François Loth
La réponse dualiste à l’antique, telle que vous l’évoquez, exprime surtout le souci de la transmission du passé aux générations du présent. Cette construction métaphysique du sujet, raconte, me semble-t-il, une préoccupation majeure : le lien entre les hommes. La philosophie de l’esprit, telle qu’elle se développe dans le débat contemporain, exprime avant tout un souci d’adéquation avec les diverses découvertes empiriques : la psychologie, les neurosciences, etc. Bien que les mondes ne soient pas les mêmes, les préoccupations demeurent et les questions concernant l’esprit restent, à mon avis, largement des questions métaphysiques – une métaphysique certes comprise comme autre chose que la poursuite de vérités éternelles, mais une métaphysique qui cherche à construire de la cohérence avec le travail empirique de notre monde.
2. Le jeudi 23 novembre 2006, 22:30 par Nicotinamide
"La réponse dualiste à l'antique". Je n'irai pas aussi loin comme si on pouvait parler d'une réponse antique unique. certains antiques ne se posaient pas la question d'ailleurs.

mardi 21 novembre 2006

Salmoxis et Pythagore: un esclave à l'école de son maître.

C’est la vie de Pythagore qui ouvre le livre VIII, consacré tout entier à lui-même et à ses disciples. Ainsi débute une nouvelle tradition, antérieure de loin à Héraclide du Pont. Reste que le thème de l’imposture, illustré à plusieurs reprises par ce dernier, peut servir de fil directeur.
Pour cela il faut faire un double détour : par Salmoxis, esclave de Pythagore, et par Hérodote qui rapporte son histoire dans les Enquêtes :
« À ce que j’ai appris des Grecs de l’Hellespont et du Pont, ce Salmoxis, qui était un homme, avait été esclave à Samos, et esclave de Pythagore, fils de Mnésarchos. Puis, devenu libre, il s’était constitué une grosse fortune qui lui avait permis de rentrer dans sa patrie. Mais comme les Thraces étaient des gens pauvres et plutôt naïfs (si je me rappelle du Théétète, la servante qui se moque de Thalès, bien que d’origine thrace, n’a pourtant, elle, rien d’une demeurée), ce Salmoxis, qui avait fait l’apprentissage de la façon de vivre propre à l’Ionie et était d’un caractère plus réfléchi que les Thraces pour avoir fréquenté des Grecs, et parmi eux le Sage apparemment le plus éminent, Pythagore, avait fait aménager un appartement réservé aux hommes, où il recevait et régalait les notables de la cité. Il leur enseignait que ni lui ni ses convives ni leurs descendants ne mourraient, mais qu’ils iraient vers un lieu où, continuant à vivre pour l’éternité, ils jouiraient de tous les biens (il semble que Salmoxis diffuse une version plutôt défigurée de la théorie pythagoricienne de la réincarnation). Or, tandis qu’il faisait tout ce que je viens de dire, et tenait ces propos, il se faisait aménager un appartement souterrain ; quand cet appartement fut achevé, il disparut de la société des Thraces et descendit dans l’appartement souterrain, où il vécut trois ans. On se mit à le regretter et à le pleurer, en croyant qu’il était mort. Puis, au bout de trois ans, il réapparut aux Thraces qui dès lors eurent foi en tout ce que Salmoxis disait. » (IV 95 traduction de Daniel Delattre)
Or, à en croire Hermippe de Smyrne, auteur, lui aussi, mais bien avant Laërce, de Vies de philosophes, Pythagore en personne avait usé du même stratagème. De manière étrange, c’est dans la partie du texte consacrée aux différentes versions de la mort de Pythagore que Laërce reprend le témoignage d’Hermippe (à qui on doit déjà le récit d’une des supercheries d’Héraclide) :
« Arrivé en Italie, Pythagore se serait fait construire une habitation souterraine et aurait demandé à sa mère de consigner sur une tablette les événements qui allaient se produire et leurs dates, puis de lui faire parvenir ces notes sous la terre jusqu’à ce qu’il remonte. Ce que fit sa mère. Après un certain temps, Pythagore remonta, maigre et squelettique. S’étant rendu à l’Assemblée, il déclara qu’il revenait de l’Hadès, et de plus il rappela à ceux qui étaient là ce qui s’était passé. Secoués par ce qui venait d’être dit, ces derniers fondirent en larmes, gémirent et crurent que Pythagore était un dieu, de sorte qu’ils lui confièrent leurs femmes pour qu’elles apprennent quelque chose de ces doctrines : ce furent les Pythagoriciennes. » (VIII 41 traduction de Luc Brisson)
Ce qui fait entre autres la singularité de la deuxième version, c’est la présence des femmes (indépendamment du rôle décisif de complice joué par la mère) : alors que Salmoxis ne pense qu’à augmenter son crédit auprès des hommes, Pythagore tire de sa remontée des Enfers un pouvoir nouveau sur les femmes. Ceci dit, j’aimerais comprendre pourquoi les hommes délèguent leurs femmes à la relation avec le dieu; leur geste fait en tout cas des disciples féminines de Pythagore des créatures doublement dominées : par l’autorité traditionnelle des maris et par le maître lui-même qui abuse en plus de leur crédulité.
Plus tard Porphyre donnera un tour rationnel à l’histoire et lavera qui plus est Pythagore de tout soupçon d’imposture:
« Lorsque Pythagore eut débarqué en Italie et qu’il se fut installé à Crotone, dit Dicéarque, les citoyens de Crotone comprirent qu’ils avaient affaire à un homme qui avait beaucoup voyagé, un homme exceptionnel, qui tenait de la fortune de nombreux avantages physiques : il était en effet noble et élancé d’allure, et, de sa voix, de son caractère et de tout le reste de sa personne émanaient une grâce et une beauté infinies. Ils le reçurent si bien que, après avoir servi de guide spirituel à l’assemblée des anciens par des nombreuses et belles interventions, il entreprit de conseiller les jeunes, cette fois sur les problèmes de l’adolescence (l’expression a un côté anachronique), à la demande des magistrats de la cité ; puis ce fut le tour des enfants, accourus en masse des écoles pour l’écouter, et il en vint par la suite à organiser également des réunions réservées aux femmes. Tout cela ne fit qu’accroître sa réputation déjà grande ; et son public, nombreux déjà à Crotone même et composé non seulement d’hommes mais aussi de femmes dont nous n’avons conservé qu’un seul nom, celui de Théano (1), s’accrut encore considérablement des barbares du voisinage, des rois et des chefs. » (Vie de Pythagore 18-19 trad. de Delattre)
Ainsi l’influence pythagoricienne gagne des cercles de plus en plus éloignés de l’excellence masculine : adolescents, enfants, femmes, non-Grecs. La femme donc, avant le barbare mais après le petit garçon…
(1) Diogène Laërce donne deux versions de l’identité de Théanô :
« Pythagore avait une femme, du nom de Théanô, la fille de Brontinos de Crotone ; d’autres disent que Théanô était la femme de Brontinos et une disciple de Pythagore. » (42)
Manque une possibilité : la femme-disciple, telle Hipparchia par rapport à Cratès.

Commentaires

1. Le vendredi 22 avril 2011, 15:06 par el hidraoui
Bonjour,
J'ai trouvé ce récit très intéressant, concernant notamment une explication simple à ce que peut-être un imposteur.
Vive l'athéisme. :)
2. Le jeudi 28 avril 2011, 17:47 par Philalèthe
Je ne suis pas sûr qu'on ne trouve pas des imposteurs aussi parmi les athées !