vendredi 5 septembre 2008

Quelle différence entre une pensée profonde et une formule creuse qu'on voit comme une pensée profonde ?

Dans Le raisonnement de l’ours (2007), portant l’enquête en direction des sens possibles de « philosophie pratique », Vincent Descombes écrit :
« Il est vrai aussi que, au rayon philosophique d’une librairie, on pourra trouver des livres qui prétendent proposer une sagesse pratique (…). Nous vous offrons, annoncent-ils, une philosophie utile, nous allons vous dire comment réussir votre vie ou comment conserver votre sérénité en toutes circonstances. Hélas cette littérature déçoit forcément. Il y aurait un art du bonheur ou une technique de l’humeur tranquille si l’on pouvait mettre le doigt sur la chose, l’unique chose, qui suffit à rendre les hommes heureux et légers. Le lecteur ne trouvera donc pas dans ces livres les recettes et les méthodes qu’il espérait peut-être découvrir, mais seulement des préceptes formels : pour réussir, ne fais rien que tu risques d’avoir un jour à regretter d’avoir fait – pour être serein, n’attache d’importance qu’aux choses qui sont vraiment dignes de retenir ton attention. On pense à la mésaventure de l’abbé de Saint-Pierre que rapporte Jean Paulhan pour illustrer le fait que ce qui pour l’un est pensée profonde n’est qu’une formule creuse pour l’autre :
L’abbé de Saint-Pierre avait beaucoup réfléchi à la vanité des jugements humains. Il en était venu à dire, toutes les fois qu’il approuvait quelque chose : « Ceci est bon, pour moi, à présent. » Il passa en proverbe sur cette manie. Mais comme on le plaisantait un jour sur sa formule : « Malheureusement ! s’écria-t-il, une formule ! C’est une vérité que j’ai mis trente ans à découvrir. »
A la lecture de ce passage, deux questions hétérogènes me viennent à l’esprit :
1) Doit-on lire ce passage comme dénonçant aussi la vanité du stoïcisme et de l’épicurisme en tant qu' ils visent comme d’autres « sagesses », elles bien douteuses, à conduire au bonheur leurs disciples, même s’ils ne sont pas réductibles à cette fin ? A dire vrai, qu’ils ne soient pas réductibles à une fonction thérapeutique illusoire n’est pas très rassurant si on est porté à penser que leur métaphysique, leur épistémologie, leur psychologie sont dépassées. Que restent-ils alors de solide en eux ?
2) Qu’est-ce qui transforme une formule creuse en pensée profonde ? Le fait qu’on mette du temps à la trouver par soi-même en réfléchissant sur son expérience – ce que suggère l’anecdote relative à l’abbé de Saint-Pierre - ? Mais alors n’importe quelle puérilité est profonde aux yeux de l’imbécile laborieux…Le fait qu’elle a du poids dans les délibérations personnelles auxquelles on la mêle, à la différence des phrases qui ne servent qu’à donner des leçons aux autres mais qu’on est les premiers à ne pas prendre en compte au moment d’agir ? Mais pourquoi un précepte prend-il du poids ? Il ne suffit certainement pas de répondre : parce qu’on a vu son importance ! Donner de l’importance à une formule suffit-il à la rendre profonde ? Non, je fais l’hypothèse qu’en le voyant vivre les amis de l’abbé réalisaient bien que sa formule était profonde. Elle n’était pas seulement profonde pour lui.

Commentaires

1. Le samedi 6 septembre 2008, 11:14 par herve
Bonjour,
En ce qui concerne le 1), il me semble que Descombes récuserait en effet une sagesse au sens épicurien ou stoïcien, comme le montre un autre passage du même ouvrage, en raison même de sa conception de la philosophie :
"Je doute que la philosophie puisse rendre les hommes meilleurs. Mais alors,
dira-t-on, que peut la philosophie ? Ses pouvoirs sont limités, mais ils
sont réels. Ce que la philosophie sait faire, c'est dénouer des difficultés
purement intellectuelles, des manières de noeuds qui se sont formés dans
l'esprit des gens, à la suite d'interférences entre les diverses et
multiples "lignes" conceptuelles que chacun doit tirer et tisser dans son
esprit afin de comprendre où il en est et ce qu'il fait." (op. cit. p. 432)
Quant au 2) je ne trouve aucune profondeur au proverbe du bon abbé :
- si ceci est bon, pour moi, à présent, cela signifie que n'importe quoi peut être bon à l'instant suivant. Ce proverbe ne donne donc aucun précepte, ne guide en aucune mesure l'action.
- si ce proverbe est présenté comme une vérité, elle est auto-destructrice : puisqu'elle n'est bonne, pour moi, qu'à présent, elle peut très bien être infirmée d'un moment à l'autre.
2. Le samedi 6 septembre 2008, 11:51 par philalethe
1) je pense qu'en effet vous avez raison. Cette attitude est d'ailleurs dans le droit fil de Wittgenstein quand il écrit entre autres dans Remarques mêlées (p.118) que "toute sagesse est froide et qu'il est tout aussi impossible de redresser sa vie grâce à une sagesse, qu'il l'est de forger le fer à froid"
2) moi non plus je ne trouve aucune profondeur à la formule en question mais cela ne fait précisément qu'illustrer l'idée qu'une formule creuse pour l'un est une pensée profonde pour l'autre. Maintenant à quelles conditions cette formule peut-elle être une pensée profonde ? Par exemple si elle sert vraiment à apaiser: si je suis inquiété par le souci de définir en vérité ce qui est bon, la phrase me détourne de la recherche de généralisations dont j'ai douloureusement constaté l'insuffisance; la fin de ce souci me donne alors une attention à ce qui se présente, plus complète. Bien sûr on peut imaginer quelqu'un qui s'appuie sur la phrase par incapacité à différer ses désirs, dans une sorte d'indifférence aux conséquences. Mais alors ce n'est pas une pensée profonde au sens où j'ai cherché dans le billet à le définir car la phrase n'est pas un élément motivant dans une délibération, c'est juste la rationalisation de quelque chose comme une compulsion.
Je ne suis donc pas tout à fait d'accord avec votre première critique, car, vue sous le jour que je viens de présenter, la phrase guide dans une certaine mesure l'action: je ne multiplie pas les actions à la recherche d'une action qui me donnerait accès à ce qui est Bon.
Quant à la deuxième critique, elle suppose que la phrase est prise comme une vérité alors que je comprends plutôt ces "pensées profondes" comme des outils qui font varier la perspective, l'angle de vue. Je zoome sur quelque chose ou choisis le grand angle pas dans le but de décrire ce qui est le cas mais dans celui de modifier la réalité en fonction de mes voeux. La question que je posais dans le billet était: à quelles conditions une phrase creuse fait effectivement varier la vue ? Qu'est-ce qui fait qu'avec des phrases le fer cesse d'être froid et puisse être forgé ?
3. Le samedi 6 septembre 2008, 13:00 par Mathieu
Concernant le premier point, je ne pense pas qu'une pensée puisse jamais être "dépassée" - si l'on entend par là qu'on puisse en être quitte et la laisser en arrière. Paradoxalement, toute pensée demeure, toujours, vraie. Elle peut tout au plus être approfondie en direction d'une vérité plus profonde qui intègre ou reprend sa propre vérité au sein d'une vérité plus profonde. Mais cela ne la rend pas pour autant superficielle, bien au contraire. L'approfondir signifie de toute manière la comprendre c'est-à-dire la penser, ce qui implique d'en acquérir ou d'en découvrir l'intelligence et partant d'étendre sa propre intelligence.
Je ne partage donc pas le doute de Descombes portant sur la capacité ou sur la puissance de la philosophie de rendre "les hommes (j'imagine que le "qui la pratique" est sous-entendu) meilleurs" - à moins que l'on en reste à une relation simplement extérieure entre "la philosophie" et "les hommes", qui plus est sans faire la moindre distinction entre "les hommes", auquel cas il n'y a tout simplement pas (de sens à évoquer la) philosophie puisque celle-ci est d'abord une pratique que l'on exerce en première personne. Une véritable question est toujours une question que l'on SE pose à SOI-MÊME : Descombes se donnerait-il la même réponse si c'est à lui qu'il adressait la question que son doute suppose ? La pratique de la philosophie ne l'a-t-elle pas, lui-même, rendu meilleur ? Ne serait-ce qu'en ce qui concerne la probité ou l'humilité qui lui permettrait de répondre à cette question, sa réponse fût-elle négative. Je doute qu'un quelconque philosophe puisse jamais ne serait-ce que douter de l'étendue de l'amélioration que la philosophie a entraîné sur lui-même.
Concernant le second point - qu’est-ce qui transforme une formule creuse en pensée profonde ? - la question est déjà un commencement de réponse au sens où la profondeur renvoie à la pensée, qui diffère du tout au tout d'une "formule", quelle qu'elle soit. Je dirais que la profondeur d'une pensée tient au fait qu'elle est l'expression de la manière dont une pensée a approfondi une question qu'elle s'est posée. Autrement dit à la profondeur de la question posée et à la profondeur avec laquelle elle a été posée. C'est pourquoi il n'y a pas de réponse ou de règle générale à la question qui vaudrait quelle que soit la question posée et quelle que soit la manière de la poser. Mesurer la profondeur d'une question implique de mesurer la question et la façon dont elle a été posée.
4. Le samedi 6 septembre 2008, 13:51 par philalethe
Mathieu:
Le premier point porte sur la question de savoir si c'est pertinent de parler de progrès en philosophie. La position que vous défendez est orthodoxe mais, sauf à violer le principe de contradiction (deux philosophies qui se contredisent ne peuvent être toutes deux vraies), il faut embrasser, comme vous le faites, une sorte de hegélianisme qui est de mon point de vue philosophiquement trop peu modeste.
Quant à la transformation produite par la pratique de la philo, doit-on soutenir qu'elle rend meilleur ? Il y a bien sûr une amélioration qui est intrinsèque à la maîtrise d'une pratique. En ce sens, quand on sait s'y prendre en philo, on est meilleur mais c'est en un sens trivial où on est aussi meilleur quand on sait nager, lire etc.
Quant à l'amélioration morale, sauf à la définir par une meilleure connaissance des philosophies morales, je ne vois pas de relation nécessaire entre la connaissance des philosophies et la conduite de nos actions. Il me semble que la valeur morale est indépendante de la connaissance de la philosophie: c'est, pour faire vite, une affaire de caractère et d'éducation et je doute que la connaissance théorique du kantisme soit une condition nécessaire de l'acquisition, disons, de la droiture. J'irais presque jusqu'à soutenir que la connaissance théorique de la philosophie morale est un obstacle à la formation morale, tant tout et son contraire y ont été défendus (que penser du plaisir ? dois-je faire lire Kant ou Mill ?).
Et l'amélioration intellectuelle ? Tout dépend comme on la définit. Vous parlez de probité. C'est certes une vertu épistémique qui est liée à la recherche de la connaissance mais pourquoi soutenir que seule une culture philosophique la développe ? La pratique d'une science en est une condition suffisante.
Quant au lien que vous faites entre pensée profonde et approfondissement du questionnement, est-il nécessaire ? Ne puis-je pas soudainement convertir une formule creuse en pensée profonde (je ne veux pas dire que ça dépend de ma volonté) ? Le critère de ma conversion ne serait pas que je suis convaincu de son existence mais que ceux qui me connaissent bien réalisent comme moi que certaines formules contribuent à motiver la conclusion de mes raisonnements pratiques. On peut même se demander si le fait  que je juge que la phrase est une pensée profonde est une condition nécessaire de sa profondeur. Certes il est indispensable qu'au moins je l'aie à l'esprit, sans quoi elle ne pourrait pas être une des mes raisons.
5. Le samedi 6 septembre 2008, 14:42 par Mathieu
Je pense que l'on peut soutenir l'idée d'une progression ou d'un approfondissement, qui se distingue bien sûr de la notion de "progrès" linéaire et continu prise en sens naïf ou moderne, sans pour autant tomber dans un hégélianisme qui ne sauve les pensées que comme des moments du Système, ce que je trouve aussi manquer de modestie et, au fond, de vérité. Cela me fait penser à un texte repris dans Signes où Merleau-Ponty critique cette manière là d'entendre "toute les pensées sont vraies" - même si elles se contredisent, ironiquement. Il (n') y a contradiction (qu')à tel ou tel niveau, (toujours) dans telle ou telle perspective. Il n'est donc pas a priori impossible que ce qui est contradiction sur un certain plan ne le soit plus si l'on respecte les différents plans et si l'on se situe à un autre plan. Cela ne supprime pas les contradictions et pas même leur vérité respective, mais qu'il y ait contradictions implique bien de penser les contradictions, de se demander ce qu'elles signifient et quelles sont leurs raisons d'être.
Je suis certain qu'il n'y a pas que Hegel qui puisse soutenir que deux pensées peuvent toutes les deux êtres vraies tout en se contredisant, et qu'on peut le penser sans le penser au sens où Hegel l'a pensé. Ici aussi je pense à la pensée de Platon.
Concernant l'amélioration morale, j'ai serais tenté de vous répondre malicieusement ce que Socrate vous aurait certainement objecté : y a-t-il vraiment une différence entre savoir ce qu'est l'excellence et agir selon l'excellence - si l'on SAIT et si l'on parle VRAIMENT ce que signifie "savoir" et de ce que signifie "devenir meilleur" ? Disons au moins que la question se pose, aussi, en ce sens là. Puisque vous avez vous-même conscience de ce qui nous sépare de la pensée antique, je suis surpris que vous parliez de "connaissance théorique" avec un accent tout à fait moderne et que vous déconnectiez aussi fortement le savoir de la pratique, alors que la pensée antique a tant pensé leur liaison et même, en un sens, l'identité liant leur différence.
Vous dites que l'on peut avoir une "connaissance théorique de la philosophie morale" sans être pour autant en mesure de connaître la réponse à la question "que penser du plaisir ?". C'est vrai, mais pas au sens où Platon entendait la théorie, le savoir, et le savoir du Bien. En ce sens là, et il se pourrait bien que ce soit le sens véritable, ou du moins un sens plus véritable (et plus profond si j'ose le clin d'oeil) que le sens dans lequel nous les entendons d'une oreille moderne, ce n'est plus vrai, c'est faux.
J'ai bien conscience que l'on peut "faire de la philosophie" sans vivre "vertueusement", mais la question me semble alors être de savoir si justement, dans ce cas, il est vrai de dire que l'on "fait de la philosophie". Au lieu d'y voir une remise en cause d'une liaison, ne serait-il pas plus juste d'y voir sa confirmation ? Et au lieu d'une remise en cause de la capacité ou de la puissance de la philosophie, c'est moi-même et la réalité de ma pratique de la philosophie que j'estimerai toujours devoir être remise en cause et en question. Vous me direz peut-être "oui, tout dépend de ce qu'on entend par philosophie", mais ce n'est pas pour cette raison là que je dis cela : c'est parce que je crois qu'en parlant de la philosophie en ce sens là, on ne parle pas de ce qu'est vraiment la philosophie, et il ne s'agit plus là d'une question d'option mais de la question de savoir ce que c'est que cette pratique "la philosophie" - question éternellement ouverte certes, mais absolument pas arbitraire ou indécidable. Je crois qu'il faut renverser le problème, ou tout du moins que l'on peut le faire, et que prise dans l'autre sens, la question aboutit à la réponse inverse.
Mais même si vous n'acceptiez pas de renverser la relation et la question, je crois que ça rejoint ce que vous écrivez lorsque vous parlez de "maîtrise" : en effet, de toute manière, là aussi, la question est bien de savoir ce que l'on maîtrise (ou ce que l'on s'efforce de maîtriser) lorsque ce que l'on pratique est la philosophie. Même si c'est contre toute apparence, il n'est pas exclu que ce soit "se rendre meilleur".
6. Le samedi 6 septembre 2008, 15:18 par herve
Mathieu :
Une véritable question est toujours une question que l'on SE pose à SOI-MÊME : Descombes se donnerait-il la même réponse si c'est à lui qu'il adressait la question que son doute suppose ?
Hervé
Si on se fait "de soi-même à soi-même" les questions et les réponses en philosophie, on a de grandes chances de ne pas se décevoir...
7. Le samedi 6 septembre 2008, 15:34 par Mathieu
Hervé :) votre trait d'humour a sa vérité : il est toujours possible que l'on se trompe et même que l'on préfère s'abuser soi-même. Néanmoins cela implique bien que l'on sache et que l'on dise, si l'on consentait à faire preuve d'honnêteté et de discernement, ce qu'il en est.
Ce n'était pas une condition suffisante mais une condition sine qua non, qui est déjà suffisamment difficile et exigeante à satisfaire - notamment parce qu'elle est si facile à esquiver, comme vous le dites avec humour.
8. Le samedi 6 septembre 2008, 15:38 par Mathieu
Pour vous répondre sérieusement Hervé, vous m'avez mal lu : je n'ai pas dit que l'on se "faisait" les questions et les réponses, mais que l'on se les posait. Les deux démarches sont si différentes l'une de l'autre que je pourrai ajouter que l'on ne se pose vraiment que les questions qui SE posent à nous-mêmes. En la matière, on est donc bien loin de l'arbitraire, comme chacun le reconnaîtra s'il est honnête envers lui-même.
9. Le samedi 6 septembre 2008, 15:44 par herve
Philalethe
si je suis inquiété par le souci de définir en vérité ce qui est bon, la phrase me détourne de la recherche de généralisations dont j'ai douloureusement constaté l'insuffisance; la fin de ce souci me donne alors une attention à ce qui se présente, plus complète. Bien sûr on peut imaginer quelqu'un qui s'appuie sur la phrase par incapacité à différer ses désirs, dans une sorte d'indifférence aux conséquences. Mais alors ce n'est pas une pensée profonde au sens où j'ai cherché dans le billet à le définir car la phrase n'est pas un élément motivant dans une délibération, c'est juste la rationalisation de quelque chose comme une compulsion.
Hervé
Certes, mais dans le _contenu_ de la formule, rien ne permet de distinguer entre
une attention plus complète à ce qui se présente et une rationalisation d'une impulsion, donc de deux choses l'une :
- soit cette formule est incomplète
- soit sa profondeur n'est pas dans son contenu. Mais alors où est-elle ?
Philalethe
Quant à la deuxième critique, elle suppose que la phrase est prise comme une vérité
Hervé
C'est bien ainsi qu'elle est présentée par l'abbé dans l'extrait de Descombes.
Philalethe
La question que je posais dans le billet était: à quelles conditions une phrase creuse fait effectivement varier la vue ? Qu'est-ce qui fait qu'avec des phrases le fer cesse d'être froid et puisse être forgé ?
Hervé
Je doute qu'une phrase creuse puisse faire varier la vue et donne plus que l'illusion que le fer puisse être forgé
10. Le samedi 6 septembre 2008, 16:09 par philalethe
Hervé:
1. je dirais que la profondeur est dans l'usage et j'ai essayé de caractériser les critères d'un usage profond d'une phrase.
2. certes hors contexte c'est une affirmation qui implique sa vérité mais on peut dire la phrase pour se transformer; c'est à cet usage que je pensais. Ceci dit, est-ce une vérité contradictoire ? Quand je dis "ceci est bon, pour moi, maintenant", l'identité du "ceci" doit être précisée par le contexte (si c'est un livre ou une promenade, ce n'est pas contradictoire). Si je dis "cette phrase est bonne, pour moi, maintenant", ce n'est pas contradictoire non plus. Ça exclut juste qu'elle soit absolument bonne. Mais une telle exclusion n'est pas incompatible logiquement avec le fait qu'à une autre occasion je la répète.
3. Cette dernière remarque me laisse donc penser que vous donnez à la phrase creuse le caractère d'être essentiellement creuse. Moi, je cherchais à comprendre comment une phrase creuse peut être une pensée profonde vraiment (je veux dire du point de vue de quelqu'un qui n'est pas lui aussi creux !).
11. Le samedi 6 septembre 2008, 16:20 par herve
Mathieu ; je suis d'accord avec les précisions que vous apportez : "les questions SE posent (...)" "si chacun est honnête envers lui-même (...)".
Elles indiquent clairement que la réflexion philosophique implique plus que la relation de soi à soi. Ce qui nous force à penser c'est le mouvement même de la paideia, disait Deleuze dans son commentaire du célèbre passage de l'allégorie de la caverne où le prisonnier est tiré de ses chaïnes.
12. Le samedi 6 septembre 2008, 16:41 par Mathieu
@Hervé
J'aurais tendance à suivre la même logique que pour la liaison entre la puissance de la philosophie et le Bien (d'ailleurs cela me fait songer que dans notre manière de poser la question de leur liaison nous avons surtout envisager, ou plutôt dénié, une puissance à la philosophie, sans même nous poser la puissance du Bien lui-même, qui est pourtant tout aussi importante sinon plus), c'est de deux choses l'une : soit la relation de soi à soi en est une, auquel cas c'est vraiment avec moi-même que je suis en relation et c'est une véritable relation, soit ce n'est pas vraiment avec moi-même mais alors il n'y a tout simplement pas, à parler vrai, de relation "de soi à soi", mais une "relation de soi à un autre".
Aussi provoquant et paradoxal que cela semble être, on peut donc dire que toute relation de soi à soi est (nécessairement) véridique, sinon ça n'en est tout simplement pas une, elle ne mérite pas ce nom et c'est ce payer de mots que d'en parler dans tous les autres cas.
Il faut toujours essayer d'entendre (le sens de) ce que l'on dit.
13. Le samedi 6 septembre 2008, 17:04 par philalethe
Mathieu:
Vous semblez envisager deux solutions elles-mêmes contradictoires pour justifier l’idée que les philosophies sont toutes vraies : soit on respecte tous les plans – c’est « le point de vue » de Dieu, non ? - soit on est sur un autre plan – mais alors on n’accède pas à la pensée de la philosophie comme totalité sans contradiction. Il faudrait mettre ce que vous dites à l’épreuve par exemple d’une contradiction incontestable : par exemple le dualisme corps-esprit cartésien / le matérialisme. Ou bien l’opposition kantisme / utilitarisme etc.
Quant à la différence entre savoir ce qu’est l’excellence et agir excellemment, vous avez raison de pointer qu’elle n’est pas platonicienne. Mais Platon a-t-il raison ? L’acrasie n’est-elle pas justement de ne pas agir excellemment malgré la connaissance des raisons d’agir excellemment ? Vous me répondrez peut-être que la connaissance est alors insuffisante.
Vous êtes étonné que je ne reprenne pas certains mots d’ordre antiques (vivre conformément à la vérité etc). C’est que je ne prône pas dans mon blog un retour aux Anciens. Je ne lis pas non plus leurs textes comme des documents historiques. Quelquefois je pense que ce sont des philosophies de rêve – avec l’ambiguïté du dernier terme…-
Vous invoquez ensuite la Philosophie (certes vous ne mettez pas de majuscule). Là j’ai dû mal à vous suivre ; ce n’est pas que je refuse les essences (il y a une essence du carré par exemple), mais philosophie comme art, comme religion, sont des notions qui regroupent des pratiques qui ont entre elles un air de famille et on échouerait bien à vouloir trouver un point commun substantiel à toutes ces pratiques (même pas l’amour de la vérité…).
14. Le samedi 6 septembre 2008, 17:14 par herve
Philalethe
Moi, je cherchais à comprendre comment une phrase creuse peut être une pensée profonde vraiment (je veux dire du point de vue de quelqu'un qui n'est pas lui aussi creux !).
Hervé
Alors, il me semble que vous donnez des éléments de réponse : c'est la façon d'utiliser une phrase creuse qui pourrait être profonde. Pour vérifier cela, il faudrait donc examiner les actes, la "forme de vie" de celui qui l'utilise.
A quoi devrait ressembler une forme de vie utlisant cette phrase creuse (ou une autre) pour être dite profonde ?
15. Le samedi 6 septembre 2008, 17:19 par philalethe
Hervé:
Tout à fait d'accord, on est maintenant sur la même longueur d'onde. J'ai essayé en effet de clarifier la réponse à la dernière question que vous posez.
16. Le samedi 6 septembre 2008, 17:44 par herve
Mathieu
c'est de deux choses l'une : soit la relation de soi à soi en est une, auquel cas c'est vraiment avec moi-même que je suis en relation et c'est une véritable relation, soit ce n'est pas vraiment avec moi-même mais alors il n'y a tout simplement pas, à parler vrai, de relation "de soi à soi", mais une "relation de soi à un autre".
Hervé
Peut-il y avoir une relation sans une distinction entre les termes reliés ?
Je suis en train de lire le commentaire du Shobogenzo de Dogen par Yoko Orimo, elle donne un joli exemple : la tranche d'une feuille de papier relie ET distingue le côté recto et le côté verso...
Pour revenir à l'exemple de la relation de soi à soi, ne suppose-t-elle pas toujours en soi plus que soi ?
Ou, comme le dit Ricoeur, que l'on se considère soi-même _comme_ un autre ?
Ce qu'impliquent le "vraiment" et l'ipséité que vous soulignez : dans la relation de "soi" à "soi-même", le "même" fait la différence en marquant l'identité.
En tout cas, merci à tous les deux pour cette intéressante conversation de rentrée.
17. Le samedi 6 septembre 2008, 18:54 par Mathieu
Philalethe,
Pour être tout à fait précis, par "respecter" les différents plans, je voulais dire "respecter la distinction, et même les distinctions, des différentes plans sur lesquels les pensées sont vraies". Ce n'est pas le point de vue de Dieu mais entrer dans le questionnement que se pose chaque pensée et dans la manière dont elle y répond, dans la logique et le parcours propre à chaque pensée. C'est surtout parvenir à concevoir que la vérité n'est pas, n'est jamais exclusive et qu'elle a de nombreux niveaux.
Dans mon esprit, on ne peut pas pour autant tirer de ces distinction ou de ces différences la conclusion qu'il n'y aurait pas "la philosophie" mais "des philosophies". Cela signifie par contre que c'est une question (qui ne cesse de reposer à toute pensée et qu'elle ne cesse de reposer) de savoir quel est le sens de la philosophie - au double sens du terme "sens" : signification et direction, les deux sens étant liés en ce que penser la signification de la philosophie c'est, toujours, repenser sa direction, c'est-à-dire la nature et le sens de sa provenance et ceux de sa destination ou de sa destinée. Raison pour laquelle la philosophie est quelque chose d'essentiellement historial.
Je n'"ai" donc pas "la" réponse à cette question, et je pense qu'il n'y a pas de réponse unique et définitive à la question, et surtout : qu'est-ce que la philosophie ? ou plutôt qu'est-ce que cela peut être, la philosophie ? Comment cette puissance là est-elle capable de se déployer ?
Toute réponse n'est de toute manière jamais quelque chose que l'on "a", vis-à-vis de quoi la relation serait aussi extérieure ou extrinsèque que l'est la relation de possession.
Une réponse qui me semble toucher à quelque chose qui est vrai de toute philosophie, donc à l'essence de la philosophie, est la réponse socratique/platonicienne : la philosophie est le questionnement. Pas n'importe quel questionnement, le plus profond de tous, l'essence du questionnement, qui consiste à s'interroger sur sa propre nature et sur son propre sens et qui doit par lui-même, dans son interrogation, découvrir à chaque fois non seulement la ou les réponses qui y réponde, mais sa propre interrogation.
Vous dites que l'amour de la vérité n'est pas une réponse, il est vrai que certains philosophes ont eu une manière bien particulière de l'aimer comme le disait Nietzsche et comme il l'aima lui-même du reste, mais peut-être était-ce bel et bien encore, et toujours, de l'amour. Même si la vérité est loin d'être, en tant que telle, le questionnement porteur de toute pensée, il me semble néanmoins qu'il y a bien, pour le moins, une singulière liaison érotique à la vérité propre à la philosophie et qu'il y aurait beaucoup à dire de ce côté là.
Pour revenir à la question de la relation entre contradiction(s) et vérité, reprenant l'exemple de la pensée de Descartes, je n'ai aucun problème à dire que la distinction entre l'âme et le corps est vrai. Il est vrai, pour toujours, que l'âme n'est pas étendue alors que le corps l'est. La question serait : la distinction est-elle la vérité la plus profonde à laquelle on puisse aboutir ? Faut-il s'en tenir à elle ou bien faut-il questionner autrement, dans une autre perspective que celle-ci ? On peut tout à fait, on doit même, continuer à penser après Descartes, cela n'ôtera jamais à sa pensée sa vérité et sa profondeur propres. Qui plus est, si l'on ne reconnaît pas de vérité propre à toute pensée, quelle possibilité pourrait-il bien rester, justement comme vous le dite de "ne pas lire les Anciens comme de simples documents historiques" ?
C'est cela que je veux dire lorsque je parle de respecter les différences de plans et de ne pas rabattre toutes les vérités ou toutes les pensées sur un seul et même plan (quel pourrait-il bien être ? Le plan des "contradictions irréductibles" est-il, au fond, celui d'une sorte de "relativisme" plus ou moins pondéré? Le point est que cette déception, ou plutôt cette résignation, me semble traduire, comme toujours, une exigence excessive et même exclusive : que "l'une des deux" pensée ait raison et l'autre tort - je vais y revenir plus bas). Il n'y a pas vraiment de contradiction, il y a que l'on pense les choses différemment, de manière plus ou moins approfondies, et partant que l'on atteint des vérités différentes, mais elles ne sont pas contradictoires, elles ne sont pas inconciliables, elles sont étagées. Il y a des vérités qui sont, si j'ose dire, plus vraies, plus profondes que d'autres.
Kant dit vrai lorsqu'il dit que l'espace est l'une des deux conditions de possibilités transcendantales. Cela n'empêche pas tel ou tel autre penseur de dire que l'espace est, aussi, par ailleurs, autre chose et même tout autre chose, et de dire vrai. C'est seulement la confusion des plans, seulement pour l'aplatissement ou pour une lecture superficielle de l'histoire de la philosophie qu'elle se réduit à être une longue somme de contradictions et d'avis irréconciliables.
Quoiqu'il en soit, il demeure, comme toujours, la possibilité et la nécessité de mettre en question cette idée de contradictoires irréductibles : ses présupposés surtout. En voici un de taille, me semble-t-il : les philosophes savent bien que la vérité et l'être sont profonds, ils ne prétendent jamais avoir dit toute la vérité lorsqu'ils parviennent, finalement, à en saisir une part. C'est bien assez de parvenir à en découvrir une part. S'en tenir aux "contradictions", c'est supposer chez eux une prétention envers la vérité, et au fond une ignorance de la nature de la vérité et de l'être, qu'ils n'ont pas et qu'ils ne songeraient même pas à faire valoir - peut-être pas même Hegel. C'est certainement pour cela, au fond, que je doute que les contradictions soient la vérité dernière. De toute manière, je ne me RÉSIGNE pas à m'en tenir au niveau des contradictions.
C'est du reste un paradoxe (une contradiction ?) de cette position qui consisterait à s'en tenir aux contradictions, donc à l'idée qu'elles ne peuvent pas se rejoindre et se penser et se TENIR ensembles, puisque dire cela c'est bien une certaine manière de tenir ensemble les pensées, fût-ce de manière contradictoire.
Je ne lis pas non plus historiquement les Anciens, j'essaye de les lire philosophiquement. Je ne prône donc pas non plus un "retour" aux Anciens - pour y revenir en ce sens là, encore faudrait être parvenu à comprendre ce dont il retourne avec eux, et je sais que nous en sommes encore assez loin, et que le véritable retour n'a pas ce sens là. Comme vous le demandez vous-même, il n'y a pas d'autre moyen d'aboutir à une réponse que de se poser la question : Platon a-t-il raison ? D'une certaine manière, c'est ce que nous faisons.
18. Le samedi 6 septembre 2008, 19:05 par Mathieu
Pour prendre un exemple de deux contradictions flagrantes qui ne sont en réalité qu'apparemment contradictoires :
Galilée : "et pourtant elle tourne"
Husserl : "La Terre ne se meut pas".
Les deux pensées sont contradictoires, et pourtant, paradoxalement, toutes les deux absolument vraies. La seconde est même plus profonde que la première.
Il n'y a "contradiction", apparente, que si on les ramène sur un même plan, alors qu'en réalité elles sont sur deux plans : "La Terre telle qu'elle apparaît depuis l'espace" et "La Terre telle qu'elle apparaît depuis le sol".
Les deux phénomènes sont aussi véritable l'un que l'autre. Les deux pensées aussi vraies l'une que l'autre.
La prétendue "contradiction irréconciliable" résulte en fait d'une confusion, autrement dit d'une erreur.
19. Le samedi 6 septembre 2008, 20:51 par Mathieu
@Hervé 16
Ici aussi je tiens que Platon dit vrai : autres sont les termes en relation, autres sont les relations qui les relient. Il n'y a pas de théorie formelle de la relation qui vaudrait en soi, indépendamment des étants en relation(s). Entre parenthèse, et de manière générale, penser ne consiste pas à établir une théorie formelle mais à s'appliquer à discerner, selon le problème posé, quelles sont les relations et comment elles relient les étants ou les Idées. Littéralement, à faire preuve d'intelligence.
Or il se trouve que le "soi", et en l'occurrence la pensée, n'est pas une chose comme une autre. Ce n'est pas une chose mais un mouvement, une liaison qui est une certaine puissance. Elle n'A pas une relation avec elle-même, elle EST cette relation elle-même - ce qui la distingue absolument -, et c'est cette relation, et les manières dont elle se noue, qui lui donnent ses visages et font d'elle ce qu'elle est : un soi-même, ou pour dire les choses dans les termes de la pensée, ce qui est à elle-même sa propre question.
20. Le dimanche 7 septembre 2008, 00:41 par herve
En effet, la relation/distinction entre le recto et le verso d'une feuille de papier est spatiale, elle _est posée_.
La pensée est l'acte de poser cette relation/distinction qui se comprend lui-même.
Passablement hegelien, n'est-il pas ?
21. Le dimanche 7 septembre 2008, 08:50 par philalethe
Mathieu:
L’opposition Husserl /Galilée n’est pas une opposition entre deux croyances philosophiques sur un objet philosophique mais entre une croyance commune et une croyance scientifique concernant un objet physique. Certes on est en mesure d’expliquer la cause de la croyance commune par les connaissances scientifiques. Mais la fonction de rendre intelligible les contradictions est accomplie par la science, pas par la philosophie. Ce qui fait précisément défaut en philosophie, c’est une connaissance philosophique qui rende compte de toutes les contradictions intra-philosophiques.
22. Le dimanche 7 septembre 2008, 10:57 par philalethe
Hervé:
Merci à vous d’avoir participé à la discussion.
23. Le dimanche 7 septembre 2008, 11:33 par Mathieu
Si je reprends la détermination du principe de contradiction énoncée par Aristote en Métaphysique Γ 4 :
""Il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport", sans préjudice d'autres déterminations qui pourraient être ajoutées afin de parer à des difficultés logiques."
Je dirais que la raison pour laquelle les distinctions et les oppositions des pensées ne sont pas des contradictions est qu'elles ne pensent pas les mêmes choses "sous les mêmes rapports" mais toujours sous des rapports différents.
La question devrait être assez simple à trancher : donnez-moi ne serait-ce qu'un seul exemple, disons le plus exemplaire, de ce que vous estimez être une contradiction irréconciliable entre deux pensées qui sont toutes les deux vraies.
24. Le dimanche 7 septembre 2008, 12:57 par philalethe
Mathieu:
Par exemple: ( 1) l’homme est composé de deux substances (le corps et l’âme) / (2) l’homme n’est qu’un corps (monisme matérialiste) (par exemple Descartes / Epicure).
Je soutiendrais personnellement que seule (2) est vraie. Il va de soi que j’accorde aux 2 thèses la même prétention ontologique .
25. Le dimanche 7 septembre 2008, 14:40 par philalethe
@Hervé 18
Merci beaucoup pour ces apports intéressants.
Concernant Wittgenstein, je crois aussi que dans le sens que vous indiquez, on pourrait aussi se rapporter entre autres aux Remarques mêlées 1947, par exemple p. 132:
"Il me semble qu'une foi religieuse pourrait n'être qu'une sorte de décision passionnée en faveur d'un système de référence. Que, par conséquent, bien que ce soit une foi, c' est cependant une manière de vivre, ou une manière de juger."
Je suis sensible au fait que Wittgenstein discrédite la sagesse philosophique au profit d'un certain usage - je dirais non-ontologique, thérapeutique et motivant l'action - de la religion. Il semble donc implicitement exclure que l'on puisse faire un tel usage aussi des sagesses philosophiques. Mais pourquoi pas ? Certes le coût est lourd puisqu'on les prive alors de leurs dimensions scientifiques, ontologiques. Elles perdent aussi leur visée monopolistique. C'est tout un travail de mesurer alors à quoi au fond elles riment (on peut se poser la même question concernant la religion: qu'est-ce qui distingue alors l'Evangile d'un texte de Tolstoï par exemple ?). Le seul fait que la société présente une forme de vie évangélique alors que fait défaut une forme de vie tolstoïenne ? D'un autre côté, il semble que Wittgenstein voit comme corrolaire des institutions religieuses la prétention intenable - et en ce sens il est kantien - à faire du discours religieux un discours à portée ontologique.
26. Le dimanche 7 septembre 2008, 17:00 par Mathieu
1/Allons-y, je reformule en explicitant un point essentiel :
"Pensé sous le rapport de la substance, il est vrai de dire que l'homme est composé de deux substances qui se distinguent essentiellement."
Et en effet, c'est incontestablement vrai.
2/ Je pense que personne ne contestera qu'Épicure ne pense pas l'homme "sous le rapport de la substance" - et pour cause. Sous le rapport (non-substantiel) sous lequel Épicure pense l'homme, il est absolument vrai de dire qu'il n'est pas composé de deux substances - et pour cause.
L'essentiel, qui restait implicite dans votre manière d'entendre ou de donner à entendre la pensée, est qu'il le pense sous un rapport autre, et peut donc tout à fait énoncer une vérité autre. Il n'y a pas de contradiction, pour la bonne et "simple" raison que le même sujet n'est pas pensé, dans l'un et l'autre cas, "sous le même rapport".
Cela n'empêche pas de reconnaître aux deux pensées une même prétention ontologique. Il s'agit bien, dans tous les cas, de penser l'être. Seulement il ne faut pas omettre que l'être du corps ou de l'homme n'est pas pensé, d'un penseur à l'autre, sous le même rapport, sans quoi, en effet, il y aurait contradiction.
C'est une illustration du fait que c'est seulement l'aplatissement les deux vérités sur un seul et même plan, c'est-à-dire la réduction des pensées à des formules qui n'auraient pas besoin d'être pensées pour être comprises, qui produit la confusion des rapports, et partant, la confusion consistant à y voir une contradiction.
27. Le dimanche 7 septembre 2008, 17:24 par philalèthe
@ Mathieu 27
1) c'est incontestablement vrai conceptuellement (je ne peux pas décrire une activité humaine en termes exclusivement physiques: l'intentionnalité - et donc l'esprit - sont nécessairement requis); ce qui n'implique pas que ce soit vrai ontologiquement (comme vous l'affirmez à travers votre référence à la substance). Autrement dit la différence conceptuelle esprit / cerveau n'implique pas la différence réelle.
2) Epicure ne dispose pas du concept de substance mais comme Descartes il semble avoir visé la connaissance de l'homme en soi et non tel qu'il nous apparaît - c'est en ce sens que leurs thèses sont inconciliablement contradictoires - Pour dire autrement, il y a contradiction parce que les deux penseurs sont réalistes et qu'ils fournissent deux définitions incompatibles de la réalité humaine (Epicure: elle est essentiellement matérielle / Descartes: elle est essentiellement matérielle et spirituelle).
Vous suggérez en outre que par défaut du concept de substance Epicure n'aurait pas pu avoir accès à une conception cartésienne. Mais le courant mainstream en philo de l'esprit est aujourd'hui matérialiste alors que le concept de substance est largement assimilé par les matérialistes en question; en effet qu'est-ce qui interdit d'affirmer que l'homme est une substance matérielle dont la description requiert des concepts psychologiques ?
Ceci dit, je ne veux vraiment pas vous entraîner dans une discussion en philo de l'esprit !
Je vous remercie en tout cas de votre patience dans la défense de votre argumentation.
28. Le dimanche 7 septembre 2008, 17:42 par Mathieu
Merci beaucoup à vous aussi !
29. Le dimanche 7 septembre 2008, 21:45 par herve
Tout d'abord, désolé pour la coquille de mon précédent message, l'ouvrage d'Emmanuel Halais s'intitule "Wittgenstein et l'énigme de l'existence".
Je suis très dubitatif quant à la possibilité de faire un usage thérapeutique, non-ontologique des sagesses philosophiques. Que resterait-il de la sagesse d'Epictète sans la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, avec tout son arrière-plan métaphysique ? De même, que garder de la sagesse épicurienne si on lui enlève l'idée selon laquelle il n'existe de bien ou de mal que dans la sensation ?
Même s'il est très difficile de déterminer quelle fut la position religieuse de Wittgenstein dans sa vie personnelle, plusieurs de ses écrits attestent de son intérêt pour les Evangiles.
Pour tenter une réponse à votre question sur la différence entre les Evangiles et Tolstoï, je pense qu'il préférait les façons de montrer plutôt que de dire fréquemment utilisées par Jésus ; cf à ce sujet le récit du bon Samaritain en Luc 10, 29-37 qui détourne la question "Qui est mon prochain ?" en figurant le prochain, en lui donnant un visage, en montrant comment le Samaritain s'approche de quelqu'un que plusieurs bien-pensants laissent à son sort.
En ce sens, il est compréhensible que Wittgenstein ait plus été attiré par la façon tolstoïenne de présenter la vie éthique que par les prêches religieux institutionnels, et la visée ontologique de certains discours théologiques.
30. Le dimanche 7 septembre 2008, 23:17 par Mathieu
@ 28 philalèthe
"il semble avoir visé la connaissance de l'homme en soi et non tel qu'il nous apparaît - c'est en ce sens que leurs thèses sont inconciliablement contradictoires"
Cela n'illustre à mon sens que ce que j'écrivais précédemment : ce n'est pas la prétention (tout à fait réelle et légitime) de penser l'être de l'homme qui les rend contradictoires, c'est l'idée, que je crois seulement présente dans votre pensée et non dans celles d'Épicure ou de Descartes, que la vérité est exclusive, et que ce qu'est l'homme, réellement, ce ne peut donc qu'être ceci OU cela, ceci et PAS cela, et non pas ceci ET cela, et encore bien autre chose.
Et cela vient au fond, en toute logique, d'un présupposé sur l'être : celui selon lequel il serait impossible que l'homme soit (et soit pensable en vérité en tant que) ceci, et en un autre sens, en tant que cela, et soit en un autre sens encore telle autre chose, etc. Or l'être se dit bel et bien en plusieurs sens.
Une conception aussi restrictive de l'être et de la vérité - un amour aussi jaloux et aussi exclusif de la vérité pour le dire d'une manière nietzschéenne - n'est pas dans la pensée de Descartes, d'Épicure ou de quelque penseur que ce soit. Elle est simplement dans votre lecture de leurs pensées.
31. Le dimanche 7 septembre 2008, 23:21 par philalethe
@ Hervé 30:
Ne resterait-il pas des sagesses stoïcienne et épicurienne autant ou aussi peu que des Evangiles quand on les lit en les privant et de valeur historique et de rationalité (lecture que propose justement Wittgenstein dans les Remarques mêlées) ? C’est clair que du point de vue de ces philosophies c’est une défiguration (mais n’est-ce pas tout autant une mutilation des Evangiles ?)
Concernant Tolstoï, ma question était la suivante: pourquoi ne pas accorder aux oeuvres d’art et précisément aux récits romanesques le même type de fonction que celle accordée aux textes religieux quand on cesse de les voir comme décrivant ce qui est ?
32. Le dimanche 7 septembre 2008, 23:34 par philalethe
@ Mathieu 31
Où dans les textes d’Epicure ou de Descartes trouvez-vous de quoi soutenir l’idée qu’ils pensaient ne connaître l’homme que sous un jour ?
L’être peut certes se dire de multiples manières mais en restant dans le cadre de la non-contradiction; de même une action peut être décrite de plusieurs manières correctes et distinctes mais si deux descriptions se contredisent, l’une au moins est nécessairement fausse.
Certes, si on prive certaines philosophies de leur dimension dogmatique, il est plus facile de les conserver toutes, mais est-ce justifié par les textes ?
33. Le lundi 8 septembre 2008, 11:00 par Mathieu
:) Je n'ai encore jamais lu sous leurs plumes l'idée, plus ou moins explicitée, que leurs pensées seraient vraies "à l'exclusion de toutes les autres", ni même qu'elles exigeraient cette clause là pour l'être.
J'ai du mal à imaginer sérieusement un esprit de la profondeur de celui de Descartes se dire ou venir nous dire, sans rire, que sa vérité nous permet d'être quitte de toutes les autres vérités les plus essentielles et que ceux qui l'ont précédé et ceux qui le suivront se sont, pour l'essentiel, mis le doigt dans l'oeil :)
C'est quelque chose dont on fait soi-même l'expérience lorsque l'on pense - et qui doit donc être encore encore plus prononcé chez des penseurs de la taille d'un Épicure ou d'un Descartes - que, par principe, on ne peut jamais s'imaginer être parvenu à découvrir "LA" vérité mais seulement, aussi essentielles et profondes soient-elles, DES vérités et qu'il faut toujours continuer à penser, que la pensée c'est justement cet appel là qui ne cesse pas, à moins de s'arrêter de penser - ce qui n'est pas votre cas bien sûr, mais il est si fréquent de rencontrer quelqu'un qui pense qu'on peut être "cartésien" ou "épicurien" ou "spinoziste" ou "nietzschéen" et qu'il a trouvé, lui à la différence d'un autre, le fin mot de la philosophie ou de la vérité...
Et puis j'ai, comme vous-mêmes, à coeur d'essayer de penser une certaine cohérence dans l'histoire de la philosophie. Même si, bien sûr, cela ne va pas jusqu'à déformer les textes pour y introduire à toute force des choses qui n'y sont pas ou jusqu'à leur dénier toute dimension antithétique. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il n'y a, jamais, aucune contradiction. Sur ce point nous sommes bien d'accord. Disons que je défends juste un principe de lecture qui fasse preuve de prudence en exigeant d'examiner s'il y a vraiment contradiction et le cas échéant si elle se trouve bien là où il semblait qu'elle se trouve de prime abord avant d'admettre un peu trop rapidement (comme nous aurions, de nos jours, tendance à le faire me semble-t-il) une foule de contradictions. De combien de contradictions ai-je pu être convaincu avant de me rendre finalement compte qu'elles n'étaient pas là où elles semblaient être ou même qu'elles n'en étaient pas...
Si la lecture des auteurs m'a appris une chose, c'est bien qu'il soit nécessaire de faire preuve du principe selon lequel les auteurs et les textes sont, sans exception, infiniment moins grossiers que les lectures que nous en faisons. Et que l'on n'en a jamais fini d'apprendre à lire, à mieux lire.
34. Le lundi 8 septembre 2008, 14:50 par Mathieu
Précision : à l'exception notable de Parménide.
35. Le lundi 8 septembre 2008, 19:54 par philalethe
@ Mathieu 34
Pour Descartes, il faudrait distinguer deux thèses: 1) la raison peut justifier toutes les vérités 2) Les vérités découvertes par la raison sont absolues.
Descartes soutient 2 mais pas 1. En effet 1) est faux à cause des vérités de la foi inaccessibles à la raison - la raison philosophique a une portée ontologique restreinte. Mais dans les limites de sa portée, elle découvre des vérités absolues, comme par exemple l'immatérialité de l'esprit. Donc Descartes pense en effet qu'il y a plus dans la réalité que ce que la raison en fait connaître (par exemple Dieu dont on ne peut pas comprendre l'infini) mais il n'affirme en aucune manière que les jugements clairs et distincts sont révisables ou sont un point de vue etc.
Il faut distinguer:
"ce que je connais de la réalité ne me permet pas de la connaître dans son integralite clairement et distinctement"
de
" ce que je connais de la réalité est une philosophie sujette à révision "
Le fait que Descartes soutient que ce qui est contradictoire pour la raison humaine ne l'est pas pour Dieu ne veut pas dire que les thèses contradictoires aux siennes sont possiblement vraies. Les theses cartesiennes sont absolument vraies même si Dieu aurait pu créer d'autres vérités éternelles.
Quant à l'idée qu'il y a des contradictions imaginaires, elle va de soi puisqu'il y a des contradictions réelles. Je ne peux que ratifier votre appel à la lecture prudente. Il y a un principe de charité qui s'applique autant à la lecture d'un seul philosophe que de plusieurs
36. Le mardi 9 septembre 2008, 09:01 par Mathieu
J'entends bien, mais vous partez du principe qu'il y a contradiction pour envisager quelles conséquences il est possible ou impossible d'en tirer - selon la manière dont Descartes pense la puissance, l'étendue et la nature de la raison et celles de la vérité à laquelle elle est en mesure d'accéder.
C'est incontestablement une vraie question, mais elle présuppose ce qui est en question, à savoir qu'il y a, dans tel ou tel cas précis, contradiction, ou pas. C'est certainement à vos yeux une évidence ou un fait bien établi, mais pas aux miens. Souffrez ma faible vue et la lenteur de mon pas cher Philalethe, afin que je parvienne à la conclusion dont vous partez, comme le dirait ironiquement le vieux Socrate :)
37. Le mardi 9 septembre 2008, 18:31 par Mathieu
Merci beaucoup, et merci encore pour ce dialogue. Félicitations à vous aussi pour votre blog.

samedi 28 juin 2008

Un sceptique court-il le risque d'être mordu par un chien ?

" A quelqu'un qui nous dirait: "Il y a un chien enragé derrière toi !" allons-nous répondre: "Qu'est-ce qui m'assure qu' à ta représentation de chien enragé correspond quelque chose ?" Si c'est notre réponse, elle montre que nous ne prenons pas l'avertissement au sérieux". (Le réalisme esthétique Roger Pouivet 2006 p.53)
" Pyrrhon était conséquent (avec ses principes) jusque par sa vie, ne se détournant de rien, ne se gardant de rien, affrontant toutes choses, voitures, à l'occasion, précipices, chiens, et toutes choses de ce genre, ne s'en remettant en rien à ses sensations". (Vies et doctrines des philosophes illustres IX 62 Diogène Laërce Pochothèque p.1100)
" Un jour qu'un chien s'était précipité sur lui et l'avait effrayé, il répondit à quelqu'un qui l'en blâmait qu'il était difficile de dépouiller l'homme de fond en comble". (ibid. 67 p.1104)
Le blâme en question peut autant avoir été adressé du point de vue de l'adversaire (cf Pouivet) que du point de vue sceptique ("en rien nous ne déterminons" ibid. 74).

Commentaires

1. Le samedi 28 juin 2008, 23:40 par Nicotinamide
Je ne comprends pas bien. Existe-t-il une représentation qui corresponde à quelque chose sinon à elle-même ?
Ma représentation d'un chien enragé égale l'image d'un bull dog baveux, charriant des morsures et un virus. Pour être compris, il faut à mon sens que cette représentation soit partagée. Ainsi quelqu'un dit : il y a un chien enragé derrière toi, je ne cherche pas à comprendre quelle est sa représentation, je l'a idéjà comprise car j'ai la mienne...
par contre, il y a un toupaye derrière toi, provoque la recherche de nouvelles représentations.
2. Le dimanche 29 juin 2008, 10:07 par philalèthe
Pyrrhon dans la première anecdote parvient à être représentationnaliste, dans la seconde il y échoue. Je reprends à Pouivet sa définition du représentationnalisme: "le monde pour-nous n'est rien d'autre que nos représentations mentales". Il me semble que quand vous écrivez "existe-t-il une représentation qui corresponde à quelque chose sinon à elle-même ?", vous êtes aussi représentationnaliste, au sens où vous ne semblez pas penser que le chien enragé réel est perçu par vous; vous ne semblez pas non plus penser qu'il y a une représentation du chien réel. La différence entre cette dernière version (représentation du chien réel) et la précédente (perception du chien réel) est celle qui sépare un réalisme indirect d'un réalisme direct. En termes réalistes, si quelqu'un me dit: "il y a un chien enragé derrière vous", généralement je pense qu'il y a un chien enragé derrière moi. Si je ne le pense pas, ce n'est pas que je réduis le chien à une image de chien, c'est que je crois que celui qui parle est un farceur par exemple ou prend un chien Sony pour un chien réel etc. Si on emploie un mot inconnu, je ne fais pas une recherche dans mes représentations, je me retourne ou si j'en suis incapable j'interroge mon interlocuteur.
3. Le jeudi 24 juillet 2008, 23:41 par Pyrrhon
Dans le contexte de DL et de sa source (Antigone de Caryste) le blâme en question vient clairement d'un adversaire dogmatique qui reproche à Pyrrhon de ne pas pouvoir vivre en cohérence avec ses principes (c'est-à-dire sans croyance). La question de cohérence théorique et pratique que pose la philosophie analytique au scepticisme est déjà posée par les adversaires du pyrrhonisme que sont les stoiciens et les épicuriens.
A mon avis la question - même si elle est intéressante en soi - passe un peu à côté de la position de Pyrrhon qui cherche à se présenter comme une ascèse, un travail sur soi qui irait jusqu'à se déprendre de ses propres croyances, peurs, souffrances...

jeudi 19 juin 2008

Camus et la simplicité.

Je lis dans L'envers et l'endroit (1937) ces quelques lignes qui évoquent le stoïcisme:
" J'ai besoin de ma lucidité. Oui, tout est simple. Ce sont les hommes qui compliquent les choses. Qu'on ne nous racontent pas d'histoires. Qu'on ne nous dise pas du condamné à mort: "Il va payer sa dette à la société", mais "On va lui couper le cou." Ça n'a l'air de rien. Mais ça fait une petite différence. Et puis, il y a des gens qui préfèrent regarder leur destin dans les yeux." ( La Pléiade p.54)
Rêve d'un monde où à chaque événement, à chaque fait, à chaque chose correspondrait une et une seule description vraie. Alors il serait possible de voir la réalité en face. Simplement.

dimanche 15 juin 2008

Sénèque (27) : le malade médecin.

La sixième lettre débute de manière inhabituelle. Alors que les précédentes commençaient par une référence à son destinataire, Sénèque se rapporte ici à lui-même :
« Intellego, Lucili, non emendari me tantum sed transfigurari : nec hoc promitto jam aut spero, nihil en me superesse, quod mutandum sit. Quidni multa habeam, quae debeant colligi, quae extenuari, quae adtolli ? Et hoc ipsum argumentum est in melius translati animi, quod vitia sua, quae adhuc ignorabat, videt. Quibusdam aegris gratulatio fit, cum ipsi aegros se esse senserunt. » = Je remarque, Lucilius, que je suis non seulement amendé mais aussi métamorphosé : mais je n’assure pas déjà ni n’espère qu’il ne reste rien qui doive être changé. Pourquoi n’aurais-je pas beaucoup à contenir, à affaiblir, à redresser ? Et c’est la preuve même d’un esprit porté vers le mieux que de voir les vices que jusqu’alors il ignorait. On félicite certains malades quand ils se sont rendus qu’ils sont malades.
Entre la seconde et la sixième lettre, la maladie a changé de fonction.
Elle était au départ la métaphore du degré maximum d’imperfection. Associée désormais à la conscience d’elle-même, elle désigne cette fois une perfection naissante.
Mais le maître n’est-il rien de plus qu’un homme conscient d’être imparfait ? Non, l’âme du maître évoque un chantier, a work in progress.
On peut certes s’étonner qu’il ne suffise pas à Sénèque de reconnaître ses réformes intérieures mais qu’il évoque une transfiguration. On doit sans doute comprendre que les corrections visent non le maintien mais la conversion de soi.
On a ici la curieuse alliance d’une conception gradualiste et d’une conception instantanéiste du perfectionnement.
Au-delà d’un certain seuil, ce qui change devient autre, même si la nouvelle identité requerra pour s'actualiser pleinement des changements ultérieurs. Quelque chose dans le sujet prend forme, tel un bâtiment en construction qui soudainement est anticipé comme monument, tel un ensemble de couleurs et de formes posés sur une toile et d’un instant à l’autre devenant figure identifiable.
Mais cet éloge que le maître adresse à lui-même laisse perplexe : qu’est-ce qui assure Sénèque, vu qu’aucun maître supérieur ne l’évalue, qu’il se corrige bel et bien et qu’il n’est pas simplement en train de croire qu’il se corrige ?

samedi 14 juin 2008

Sénèque (26) : comment vivre sans espérer ?

La condamnation de la sauvagerie artificielle des cyniques n’implique pas celle de la sauvagerie naturelle des bêtes. Ce n’est pas seulement que les bêtes suivent nécessairement la nature alors que les cyniques eux ne font que suivre la mode cynique ; c’est que les bêtes sont un modèle pour l’apprenti stoïcien. C’est sous ce jour que les animaux font leur entrée dans les Lettres à Lucilius, précisément à la fin de la lettre V :
« Ferae pericula, quae vident, fugiunt ; cum effugere, securae sunt : nos et venturo torquemur et praeterito. Multa bona nostra nobis nocent : timoris enim tormentum memoria reducit, providentia anticipat. Nemo tantum praesentibus miser est.” = les bêtes sauvages fuient les dangers qu’elles voient ; quand elles ont fui, elles sont tranquilles : nous, nous sommes tourmentés et par le temps à venir et par le temps écoulé. Beaucoup de nos biens nous nuisent : en effet la mémoire ramène le tourment de la crainte, la prévoyance l’anticipe. Personne n’est malheureux seulement à causes des choses présentes.
On comprend qu’il ne s’agit pas de supprimer l’humanité en soi, dans un effort vain de se débarrasser de la conscience du temps. Sénèque le dit explicitement :
« Providentia maximum bonum condicionis humanae » = la prévoyance est le bien suprême de la condition humaine.
Il s’agit donc de faire un usage bénéfique de la capacité humaine d’anticipation.
Comment donc anticiper l’avenir de manière à pouvoir être prêt pour le présent, adapté, disposé aux choses présentes (ad praesentia aptamur) ? Une telle disponibilité pour le présent est conditionnée par la disparition de quelque chose de double auquel Sénèque donne plusieurs noms.
Si l’on se tient au texte d’Hécaton qu’il cite (« notre Hécaton » : pour la première fois Sénèque se réfère à un stoïcien), c’est l’opposition entre craindre (timere) et espérer (sperare). Mais Sénèque n’utilise pas seulement timor et spes, noms de la même famille que les deux verbes mentionnés. Il associe metus à timor (ce qui se comprend car ce sont des synonymes) et cupiditas (le désir, la passion) à spes. Cette dernière association, plus intéressante, permet de comprendre que la fin de l’espérance n’est pas la suppression impossible de l’anticipation de l’avenir, mais l’absence d’une anticipation exprimant des désirs violents.
Pour faire comprendre à Lucilius que cette double chose ne forme qu’un tout et qu’on ne peut pas se débarrasser d’un des éléments sans se débarrasser du tout, il la compare au couple formé par le soldat (miles) et son prisonnier (custodia), tous deux unis (copulare) par une chaîne (catena) : ils marchent ensemble (pariter incedunt) mais la crainte suit l’espérance. Il est donc clair que la crainte de l’avenir n’est en rien l’anticipation prudente des dangers, c’est juste l’envers de l’attente passionnée. La métaphore militaire est reprise pour articuler ce qu’il en est de ce type d’attente :
« Cogitationes in longinqua praemittimus »
Dans la langue de César, praemittere c’est envoyer des soldats en avant-garde explorer des terres encore inconnues. Les soldats sont devenus ici les pensées (cogitationes) chargées d’identifier les temps lointains (longinqua). On devine donc qu’un élément de l’anticipation prudente est nécessairement de ne pas voir comme un ennemi le temps à venir.
Il va de soi qu’une telle transformation psychologique implique la conversion à une métaphysique providentialiste dont Sénèque n’a pas encore touché un mot à Lucilius.

Commentaires

1. Le dimanche 14 septembre 2008, 23:34 par Elias
"La condamnation de la sauvagerie artificielle des cyniques..."
Cette condamnation porte-t-elle sur tous les cyniques (y compris Diogène) où vise-t-elle particulièrement les cyniques contemporains de Sénèque? Dans la première hypothèse cela marquerait une différence entre le stoïcisme de Sénèque et celui d'Epictète. Ce dernier "récupère" la figure du cynique (Entretiens III 22) et concentre ses critiques contre ceux qui veulent jouer les cyniques mais ne sont pas à la hauteur de la mission.
2. Le mardi 16 septembre 2008, 15:11 par philalèthe
Sénèque est porté, si je ne me trompe, à déprécier les cyniques contemporains au profit des cyniques antiques. Mais parmi les cyniques contemporains, il fait cependant l'éloge de Démétrius.

mercredi 11 juin 2008

Wittgenstein, vu par Dennett: plus proche de Socrate qu'il ne l'aurait pensé !

Wittgenstein, "Saint-Louis" comme le surnomme Dennett, est très sevère avec Socrate dans les Remarques mêlées (cf billet du 16-09-07).
Pourtant Dennett voit dans l'enquête socratique l'origine d'une erreur véhiculée encore dans la philosophie oxonienne des années 60 - marquée précisément par Wittgenstein -. Il la dénonce dans le cadre d'une polémique avec Peter Hacker.
Ce dernier, qui forme avec Backer le couple d'exégètes wittgensteiniens, a écrit en collaboration avec le neurologue Maxwell Bennett Philosophical foudations of neuroscience (2003). Hacker y dénonce l'erreur de catégorie que commettent les neuroscientifiques quand ils attribuent au cerveau des activités de la personne (par exemple, "le cerveau interprète, juge, classe etc").
A l'arrière-plan de cette argumentation, il y a la distinction tranchée entre la science, chargée d'enquêtes empiriques, et la philosophie, dont la tâche est pré-empirique au sens où elle clarifie la grammaire des concepts.
C'est contre cette dichotomie rigide que Dennett proteste en donnant en premier l'argument suivant: l'examen de l'usage des mots est une investigation empirique, soumise à révision en fonction de l'étendue de l'enquête. Or, c'est précisément l'erreur de croire qu'une telle enquête n'est pas empirique dont il attribue la paternité à Socrate:
" La conviction selon laquelle les intuitions personnelles (grammaticales ou d'un autre type) est entièrement distincte de la recherche empirique a une longue tradition (qui remonte non seulement à l'Oxford des années 60 mais à Socrate), cependant elle ne résiste pas à l'analyse réflexive" (Philosophy as naive anthropology: comment on Bennett and Hacker Columbia University Press 2007 trad. personnelle)
Dans Sweet dreams: philosophical obstacles to a science of consciousness (2005), Dennett qualifie ce type d'enquête d' "auto-anthropologie aprioristique ingénue".

mardi 10 juin 2008

Quine et les Cyniques: que mettre à la place des usages ?

Sous les conventions ou au-dessus d'elles, les Cyniques trouvaient la nature, leur norme revenant à remplacer le conventionnel par le naturel. En somme ils étaient fondationnalistes.
Quine, lui, ne trouve qu'un vide, au fond embarrassant, et donc l'arbitraire:
" Que peut-on inventer pour célébrer un mariage de manière non conventionnelle ? Ou, si l'on fait l'impasse là-dessus, en quels termes désigner ou présenter la personne qui cohabite avec vous ? Comment se montrer aimable sans se rabattre sur les amabilités de convention ? Décider, encore décider. Se libérer des entraves d'une époque désuète, c'est se remettre au pied du mur à chaque tournant, faute de code, précédent, modèle ou même claire image de soi." Quiddités article liberté 1987 p. 128 (Ed. du Seuil)

Commentaires

1. Le vendredi 13 juin 2008, 23:40 par Nicotinamide
Si j'ai bien compris, selon Quine, dans ce passage, la liberté est de suivre la convention ?
Contre-pied au Cynisme, où celui-ci prétend que la liberté est une falsification de la valeur des coutumes (et donc pas forcément une opposition nature/coutume)
2. Le dimanche 29 juin 2008, 10:19 par philalèthe
Oui, vous comprenez bien Quine:

" La contrainte est reposante dans une multitude de détails. La contrainte de l'uniforme épargne au marin la peinde choisir ses vêtements de tous les jours. "Libre de toute contrainte" sonne à l'oreille comme un pléonasme, mais, en fait, la contrainte est bien une liberté de second ordre: elle libère du poids des décisions" (Quiddités p.128).
Kant traduisait "être libéré du poids des décisions" par " être asservi à un tuteur" (du moins si on a l'âge de prendre des décisions). Cf. entre autres, Qu'est-ce que les Lumières ?
Quant aux Cyniques, vous avez raison de présenter certaines conduites (par exemple, traîner en laisse un poisson mort) non comme des conduites naturelles mais comme des manifestations de dérision par rapport aux usages. Cependant celui qui s'y livre attend un développement d'une vertu fondée sur la nature (ici indifférence par rapport à la foule).

lundi 9 juin 2008

Quine, Ennius et la question de la traduction.

Quine dans Quiddités (1987) écrit:
" Alors que notre alphabet latin était depuis longtemps établi, le poète romain Ennius fit un retour original à la pictographie sans sortir du médium alphabétique. "Saxo cere-comminuit-brum", écrivit-il, autrement dit: "Il lui fendit le crâne avec une pierre"; et Ennius accomoda la parole aux gestes en fendant le mot cerebrum, "crâne" avec son verbe." (p.11 trad. Goy-Blanquet et Marchaisse)
On peut aussi traduire: "D'une pierre il lui lecer-brisa-veau", car il me semble qu'en écrivant ainsi Ennius a rompu volontairement avec les conditions usuelles d'intelligibilité. Mais que veut dire bien traduire ? Transmettre exactement un sens ? Reproduire dans la mesure du possible une forme ? Faire les deux ?

lundi 2 juin 2008

Le couple originaire: un couple de lâches.

Alors qu'en 1943 dans L'être et le néant le mot "lâche" n'a pas retenu l'attention de Sartre, en revanche, deux ans plus tard, dans une conférence qu'il reniera (L'existentialisme est un humanisme), il élève ledit mot au rang de concept:
" (ceux) qui se cacheront par l'esprit de sérieux ou par des excuses déterministes, leur liberté totale, je les appellerai lâches" (Folio p.70)
Dans le même texte, Abraham est la figure de l'homme qui a conscience de sa liberté même par rapport à un ordre transcendant:
" Est-ce que c'est bien un ange ou est-ce que je suis bien Abraham ? Qu'est-ce qui me le prouve ?" (p.34-35)
Sartre aurait pu choisir aussi Adam et Eve comme exemples de mauvaise foi:
" "Tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger !" L'homme répondit: "C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné de l'arbre, et j'ai mangé !" Yahvé Dieu dit à la femme: "Qu'as-tu fait là ?" et la femme répondit: " C'est le serpent qui m'a séduit, et j'ai mangé"." (Genèse 3-11/13).
Puis Dieu maudit le serpent qui, bien que sachant parler, n'est pas interrogé et n'a donc pas l'occasion de prouver ou sa mauvaise foi ou son authenticité.

Commentaires

1. Le lundi 9 juin 2008, 16:52 par Karpov
L'exemple du serpent de l'Ancien Testament prouve l'hypocrisie du dieu créateur, qui flanque au couple originel un arbre dont les fruits sont interdits.
L'arbre, c'est l'arbre de la connaissance ; le serpent, c'est le serpent de la subversion et la femme y trouve le rôle que dieu lui a dévolu : tentatrice, maléfique, lascive, etc.
2. Le lundi 9 juin 2008, 17:07 par philalèthe
En quoi Dieu était-il donc hypocrite ? Il a joué franc jeu en formulant et l'interdit et l'effet de la transgression: la mort. Ce qui restait dans l'ombre, c'était si l'effet de la transgression serait dû à une punition ou à un empoisonnement (selon l'interprétation spinoziste, qui, en somme, naturalise l'événement)
3. Le mercredi 11 juin 2008, 10:57 par Karpov
Karpov prend l'a priori d'un "dieu créateur" et tout puissant au pied de la lettre : il y a dans toute l'oeuvre de ce dieu-là une perversité fondamentale, à susciter une créature "à son image" pour pouvoir ensuite mieux la tourmenter, l'asservir, la corrompre.
Si l'on fait un pas en arrière et que l'on observe la scène première de l'Ancien Testament, on y voit l'interdit religieux éminemment POLITIQUE : ne pas croquer la pomme sinon, se reconnaître honteusement nu, s'habiller et se mettre à l'esclavage du travail pour l'éternité.

dimanche 1 juin 2008

Dennett / Spinoza: un exemple de progrès en philosophie ?

Dennett (1942- ) écrit dans Breaking the spell. Religion as a natural phenomenon (2006):
" We don't love babies and puppies because they're cute. It'is the other way around: we see them as cute because evolution has designed us to love things that look like that." (p.129 Penguin)
" Nous n'aimons pas les bébés et les petits chiens parce qu'ils sont mignons. C'est dans l'autre sens: nous les voyons mignons parce que l'évolution nous a faits pour aimer les choses qui leur ressemblent." (trad.personnelle)
C'est un pas de plus par rapport à Spinoza (1632-1677):
" Constat itaque ex his omnibus , nihil nos conari, velle, appetere, neque cupere, quia id bonum esse judicamus; sed contra nos propterea, aliquid bonum esse, judicare, quia id conamur, volumus, appetimus, atque cupimus" (Ethique III proposition IX scolie)
" Il ressort donc de tout cela que, quand nous nous efforçons à une chose, quand nous la voulons , ou aspirons à elle, ou la désirons, ce n'est jamais parce que nous jugeons qu'elle est bonne; mais au contraire, si nous jugeons qu'une chose est bonne, c'est précisément parce que nous nous y efforçons, nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons." (trad. de Bernard Pautrat 1988)

Commentaires

1. Le dimanche 1 juin 2008, 22:59 par Nicotinamide
Je n’aime pas la remarque de Dennet. L’évolution ne nous a pas fait aimer les bébés, les chiots ou les petits du ténébrion. Comptez ceux qui dorment dans les congélateurs, ceux qui finissent secoués ou dans les poubelles… L’évolution ne nous a pas fait un nez proéminent dans le but d’y poser des lunettes… L’attachement mère-progéniture est connu : sécrétion d’ocytocine pendant l’accouchement et l’allaitement. Mais qu’en est-il du mammifère humain qui subit une césarienne et n’allaite pas ?
Ils disent : « le jugement de valeur (chose bonne, clébard mignon) ne crée pas le désir mais au contraire en découle. »
Intuitivement, je ne pense pas qu’il y ait un sens de lecture, les interactions sont circulaires. Le jugement de valeur crée du désir. Le désir crée des jugements de valeur.
2. Le lundi 2 juin 2008, 17:37 par philalèthe
Prendre Darwin au sérieux ne revient pas à invoquer l'évolution pour tout expliquer, l'hypernaturalisme est aussi faux que l'hyperculturalisme mais même si par exemple on est intéressé par une conception mimétique du désir (Girard) ou par une conception sociologique (Bourdieu par exemple), il y a un soubassement naturel de besoins qui est donné et c'est un tel soubassement que l'évolutionnisme cherche à expliquer (par exemple pourquoi les nourrissons aiment-ils le sucré et pas le salé ?). En tout cas quelqu'un comme Dennett n'est vraiment pas réductionniste; simplement pour qu'il y ait une transmission culturelle, il faut un équipement naturel, c'est lui dont l'évolutionnisme veut rendre compte.
Ce que je trouvais intéressant dans cette juxtaposition Dennett / Spinoza, c'est qu'il me semblait que Dennett avait les moyens de faire des désirs non plus des causes premières mais des phénomènes à leur tour explicables.
3. Le mercredi 4 juin 2008, 23:48 par Nicotinamide
Tout peut s'expliquer en faisant appelle aux seules propriétés de la matière. Expliquer un amour par production de lulibérine ou la naissance d'un lien par la libération d'ocytocine n'apporte rien. La littérature s'avère plus utile pour vivre ces moments. (Sans connaître la chimie du cerveau, Spinoza comprit notre déterminisme.) Dennett, que je n'ai jamais lu, dans cette citation dit une connerie. Dawkins , Gould, Duve et (un quatrième non traduit dont le nom m'échappe) incarnent 4 "néo-darwinismes" diférents. L'évolution demande de la prudence car c'est une science synthétique (elle absorbe toutes les connaissances biologiques) et ne rassemble que des conjectures.
(Test, répondre spontanéement ou interroger son collègue de sciences nat. :
"qu'est-ce qu'un gène ?"
Je suis sûr de démolir vos réponses)
4. Le jeudi 5 juin 2008, 10:25 par philalèthe
1) tout ne peut pas s'expliquer en faisant appel aux seules propriétés de la matière: par exemple, je n'explique pas un poème ou une inflation en faisant appel aux seules propriétés de la matière.
2) expliquer un amour par production de molécules x ou z n'apporte pas rien mais une explication partielle et insuffisante.
3) la littérature s'avère plus utile pour vivre ces moments: c'est possible mais vivre un moment ce n'est pas l'expliquer.
4) doit-on en rester en termes de connaissances scientifiques à celles de Spinoza ? ("Sans connaître aucune de nos sciences, Démocrite comprit notre déterminisme")
4) vous avez tort de présenter l'évolutionnisme comme une hypothèse (à vous lire j'ai l'impression de lire un créationniste). La théorie évolutionniste n'en est plus aux stades des conjectures et c'est la seule théorie scientifique dont on dispose pour rendre compte du vivant et de son évolution. Qu'il y ait comme dans toute science des divergences au niveau de la recherche ne conduit pas à la délégitimer.
5) je ne comprends pas votre test.
5. Le vendredi 6 juin 2008, 00:26 par Nicotinamide
1/ La pensée scientifique recherche les déterminismes. Néanmoins, certains physiciens travaillent sur des particules dont le comportement est aléatoire. Oui, mais même l'indéterminé possède ses lois (les probabilités). Les phénomènes complexes engendrent du hasard car les causes sont trop nombreuses. Les propriétés de la matière ne pourront pas expliquer l'inflation ou un poème pour cette raison. Toutefois vous ne pouvez pas nier que ce n'est rien d'autres que des flux de potassium et de sodium dans le cerveau du poète qui ont conduit à la production de vers.
2/ Oui
3/ J'ai choisi le mot vivre pour son ambiguité. Lire les souffrances du jeune Werther n'est pas vivre une amourette dans un café. Néanmoins, je trouve que l'on s'explique une humanité qu'une fois que l'on en a fait l'expérience... La littérature (décrite comme Mallarmé (ou Valéry ?) : "Non pas peindre l'objet mais l'effet qu'il produit") apporte aux questions auxquelles nous sommes confrontées. La science donne des réponses à des questions que l'on ne se pose pas. La mort, le sentiment amoureux, la solitude, l'éthique, la prière sont des problèmes pour lesquelles la science ne sert pas. Les Cyniques déconseillaient l'étude de la logique, de la géométrie... Les seules savoirs exigibles étaient la connaissance d'Homère. (Avez-vous remarqué le nombre de référence à Homère dans le discours antisthénien et diogénisiaque ?)
Ainsi, j'en viens au 4/. Et là, je le confesse, je ne sais plus.
Je regroupe les deux derniers points. Le test consiste à poser une question dont la réponse apparait comme une certitude. La notion de gène connut une phase d'élaboration, puis de remaniement. Aujourd'hui, elle est sur le point d'être détruite. Progression normale de la sience, un paradigme en chasse un autre... La science saute d'hypothèses en hypothèses.
Je présente l'évolution comme une hypothèse car elle prétend synthétiser des connaissances scientifiques. De plus, il s'agit d'une science "historique" la part conjecturelle est immense. Le créationisme n'est pas une hypothèse mais un dogme, il ne résiste pas à l'analyse scientifique. Le problème est qu'un dogme s'avale plus facilement qu'une démonstration scientifique. Nous atteignons rapidement nos limites. Sauriez-vous expliquer pourquoi les reptiles sont un groupe caduque ? Sauriez-vous dire si l'oeil de la mouche et celui de l'homme sont hérités d'un ancêtre commun ou s'ils sont une convergence adaptative ? Feuilletez l'Atlas de la création (est-ce qu'il traine dans le CDI ?), des photos de fossiles et d'espèces actuelles, sans réfléchir, on découvre que rien n'a changé...
6. Le vendredi 6 juin 2008, 10:08 par philalèthe
1) si vous voulez dire que toute activité humaine a des causes physiques, comment le nier ? Reste qu'il n'est pas pertinent de se tourner vers ces causes au moment d'expliquer un poème; ça le serait plus au moment d'expliquer par exemple pourquoi ce poète quand il écrivait ce poème a eu subitement l'esprit, disons, complètement vide (je dis plus car même à supposer que la cause du trouble soit cérébrale, elle serait déterminée en termes neurologiques et non physiques). Ceci dit, votre phrase: "ce n'est rien d'autre que des flux de potassium et de sodium dans le cerveau du poète qui ont conduit à la production de vers" se heurterait hors contexte à beaucoup d'objections sensées du genre: "ce qui l'a conduit à la production de ces vers c'est le désir qu'il avait de devenir poète et la croyance qu'en écrivant ces vers-là il serait reconnu comme poète."
2)"Lire les souffrances du jeune Werther n'est pas vivre une amourette dans un café." Lire n'implique pas lire avec réflexion et vivre une amourette n'implique pas la vivre sans réflexion; par exemple si Monsieur Teste vit une telle amourette, il est certainement plus, disons, "profond" que si un midinet lit Goethe. En revanche je suis d'accord avec l'idée que la littérature augmente notre connaissance sans que je parvienne vraiment à définir précisément les objets qu'elle éclaire (je crois que le dernier livre de Bouveresse est sur ce point-là un apport). Quant aux Cyniques, ne voient-ils pas dans l'attachement à la science pour la science un divertissement détournant de l'urgence pratique de changer de vie ? A propos de la relation des Cyniques avec le texte homérique, je n'ai pas d'idées mais le texte homérique n'est-il pas le proto-texte que tous les philosophes grecs à "commencer" par Platon ont cherché à récupérer, voire ont, à cette fin, détourné ? N'est-il pas à la fois une source et une cible ? Un peu comme la Bible pour la philosophie postérieure.
4) Je répète que l'évolutionnisme n'est plus une hypothèse. Arrêtez d'apporter de l'eau au moulin des créationnistes. Certes je vois que vous tenez un discours de type kühnien (les paradigmes) et que vous cherchez à juger ce que vous croyez aujourd'hui à la lumière de ce qu'on pourrait penser en l'an 4000. En fait, on n'a aujourd'hui aucune raison de penser que dans deux millénaires l'évolutionnisme sera dans la poubelle des théories fausses. C'est juste une possibilité logique mais on n'a pas de raisons pour lui donner plus de prix qu'à la possibilité qui la contredit. Je crains que votre attention à l'histoire des sciences ne vous tire vers un scepticisme post-moderniste sans fondement.
Quant aux questions que vous me posez sur l'oeil de la mouche etc, je ne vois pas ce qu'on peut tirer de mon ignorance ou de mon savoir concernant la valeur de l'évolutionnisme. Les réponses vous apprendraient quelque chose sur l'état de mon savoir et rien d'autre.
Quant à l'Atlas en question, je ne sais pas de quoi il s'agit et je ne comprends pas votre dernier argument (je serais juste tenté de dire: que rien n'a changé pour celui qui pense sans réfléchir prouve seulement qu'on doit réfléchir)
7. Le samedi 7 juin 2008, 00:26 par Nicotinamide
Sur le 4/ tout d'abord
En ce qui concerne l’atlas de la création, il a été envoyé à l’école (université, rectorat, lycée…).
J’ai copié l’article qui décrit « l’affaire » (Ici : http://www.lexpress.fr/actualite/so...
« Il pèse quelques kilos, a l'air d'un livre pour enfants et a été envoyé en nombre dans les écoles françaises: apologie d'un créationnisme mâtiné d'islam, L'Atlas de la création est un drôle d'objet
Au premier abord, c'est un livre somptueux. L'Atlas de la création, édité en décembre dernier en Turquie, est un pavé de 770 pages richement illustré. Plusieurs milliers de photographies en couleur de fossiles d'animaux lui confèrent l'apparence d'un ouvrage de vulgarisation scientifique à mettre entre les mains des enfants. D'ailleurs, depuis plusieurs jours, des centaines d'établissements scolaires français ont reçu gratuitement dix mille exemplaires de cet ouvrage signé Harun Yahya, le pseudonyme d'Adnan Oktar, un "intellectuel" turc auteur de dizaines d'ouvrages depuis les années 1980.
"Preuves" à l'appui...
Le problème - majeur - est que, sous couvert de pédagogie, cet Atlas de la Création conteste les travaux de Darwin et la théorie de l'évolution des espèces. Le ministère de l'Education nationale a immédiatement mis en garde les établissements scolaires contre cet ouvrage d'inspiration musulmane dont le contenu "ne correspond pas aux programmes". Selon Harun Yahya - qui cite le Coran à de multiples reprises - les espèces animales, et l'homme, n'ont pas évolué mais ont été "créés" par Dieu telles que nous les connaissons aujourd'hui. Pour "prouver" ses affirmations aberrantes, Harun Yahya tente de démontrer que des fossiles vieux de plusieurs centaines de millions d'années sont identiques aux espèces actuelles. Et que l'homme ne descend pas du singe. Ces idées créationnistes, propagées par certaines églises et sectes chrétiennes nord-américaines, connaissent un succès croissant dans les milieux musulmans osbcurantistes. L'objectif affiché du livre est "d'anéantir les arguments des idéologies athées". L'entreprise de prosélytisme y est clairement affiché: "Ce livre et tous les autres travaux [...] peuvent être abordés en groupes". Dans L'Atlas de la création, à côté d'une photo des attentats du 11 septembre 2001, on peut même lire que "ceux qui perpétuent la terreur dans le monde sont en réalité les darwinistes. Le darwinisme est la seule philosophie qui valorise et encourage le conflit".
Mais la phraséologie véhiculée par Harun Yahya, d'inspiration musulmane, dépasse pourtant la simple propagande islamiste radicale. Elle évoque des théories encore plus hallucinantes, un confusionnisme d'inspiration sectaire. Dans le dernier chapître, l'auteur affirme que "la matière n'existe pas": le monde ne serait qu'un ensemble d'images présentées par Dieu à l'âme humaine pour la tester... On serait tenté de rire, mais vu les moyens financiers employés pour diffusé cet Atlas dévoyé, l'auteur n'est certainement pas un plaisantin »)
Il me semble qu’à travers cet exemple, vous avez compris ce que je voulais dire : « rien n’a changé » pour celui qui applique un dogme, pour celui qui ne réfléchit pas. Cependant, il est dur de réfléchir sur une science synthétique. Les limites de nos connaissances sont approchées rapidement. Nous faisons confiance aux scientifiques pour rétorquer aux arguments créationnistes des arguments d’autorité.
Je ne comprends pas bien pourquoi dites vous que l’évolutionnisme n’est pas une hypothèse. En effet, la science est en mouvement. Inutile de prendre 2000 ans de recul pour le constater. Par exemple : « Rick Young, a geneticist at the Whitehead Institute in Cambridge, Massachusetts, says that when he first started teaching as a young professor two decades ago, it took him about two hours to teach fresh-faced undergraduates what a gene was and the nuts and bolts of how it worked. Today, he and his colleagues need three months of lectures to convey the concept of the gene, and that's not because the students are any less bright. "It takes a whole semester to teach this stuff to talented graduates," Young says. "It used to be we could give a one-off definition and now it's much more complicated. » (Tiré de là : http://www.nature.com/nature/journa... )
Ici ( http://www.nature.com/nature/journa... ) les auteurs montrent qu’il existe une transmission de caractère (tache blanche sur la queue de souris) qui ne repose pas sur la transmission d’un gène (ADN) mais sur la transmission d’ARN. Ailleurs (http://www.nature.com/nature/journa... )des chercheurs montrent qu’une plante réécrit son ADN à partir de ces « micro-ARN ».
A la lumière de ces résultats (2005-2006), vous comprenez que la théorie de l’évolution ne peut plus être la même théorie qu’il y a 20 ans ?
Mes questions étaient des pièges. On ne sait pas si l’œil de la mouche et l’œil humain sont une convergence ou l’héritage d’un ancêtre commun. Ou autre question d’évolution : est-ce que vous rapprocheriez les oiseaux des crocodiles ou des mammifères ? Des crocodiles si vous considérez la présence d’un gésier, une membrane sur l’œil, la réduction d’os du crâne qu’ils partagent avec les crocodiles. Des mammifères si vous considérez l’anse de henlé dans le rein, le tronc aortique unique, l’endothermie… qu’ils partagent avec les mammifères… Exemples un peu lourd cherchant à montrer qu’une science historique est un ensemble de conjectures.
8. Le samedi 7 juin 2008, 21:37 par Nicotinamide
Le 2/
Je me suis emballé sur Homère. Les références grouillent chez tous les philosophes antiques. Cependant, je suis certain d'avoir lu, que l'éducation consistait à apprendre par coeur des poèmes et Homère. ce soir, je n'ai pas retrouvé où.
Je recopie, celles-ci, évoquant les relations Cyniques-"sciences" :
"Un certain géomètre qualifiait Diogène d'inculte et d'ignorant. Ce dernier lui dit : "reconnais avec moi que je n'ai pas appris ce que Chiron lui-même n'a pas enseigné à Achille (soit la géométrie)"
Joan. Damasc., Exercepta...
"je (Diogène) préfère une goutte de chance à un tonneau d'esprit" (Anton. Maxi., de fortuna...
"vous vous donnez bien du souci au sujet de l'ordre cosmique, leur répondit Démonax, mais vous ne vous préoccupez pas du tout de votre désordre intérieur"
(Stobée, eclog...
Diogène Laërce VI 103-104 ou Bion IV 53
9. Le samedi 7 juin 2008, 22:15 par Florian Cova
Je me joins à la discussion :
Je ne sais pas ce que signifie que l'évolution est une science "synthétique" (en un sens, toute science est "synthétique", non ?). J'ai l'impression que vous voulez entendre par là qu'elle part des acquis en biologie (la génétique par exemple) pour construire des conjectures sur l'histoire du vivant. D'un point de vue historique, c'est faux, me semble-t-il. C'est la théorie de Darwin qui amène à poser la notion de gène au début du XXe siècle et donne son impulsion au programme de recherche qui deviendra la génétique.
Il est évident que la génétique enrichit en retour la théorie de l'évolution, et que donc celle-ci s'est beaucoup modifiée, complexifiée, enrichie. C'est là un indice de sa fécondité : vous semblez y voir un indice de sa caducité. Pourquoi ?
Enfin, la théorie de l'évolution est en grande partie historique mais pas seulement. Elle postule l'existence de mécanismes (comme la spéciation) qui ont pu être reproduits en laboratoires. Enfin, même dans le cas de spéculations historiques, il existe de nombreux cas d'expérimentations. Par exemple en psychologie évolutionniste : on pose l'hypothèse que telle fonction F a évoluée dans un contexte C pour répondre à un problème P. On en déduit alors qu'elle devraient (mieux / différemment / ne pas) fonctionner dans un contexte précis. Et on teste. Une épistémologie inductionniste empêche de tester des hypothèses historiques. Mais pas une épistémologie falsificationnistes. Or, les méthodes scientifiques se rapprochent plus des secondes.
Enfin, sur votre objection : " L’évolution ne nous a pas fait aimer les bébés, les chiots ou les petits du ténébrion. Comptez ceux qui dorment dans les congélateurs, ceux qui finissent secoués ou dans les poubelles". L'objection est : X n'est pas naturel parce X n'arrive pas à tous les coups. Dans ce cas, je vous ferai l'objection que certains m'ont déjà fait : meuh non, tous les corps ne sont pas attirés vers la terre, la preuve en est que le ballon d'hélium s'envole. Vous répondrez : une certaine force tire le ballon vers la terre, mais une force plus grande le pousse vers le haut (en termes non techniques). Pareil pour l'évolution : l'évolution nous pousse à X, mais il peut exister des motifs d'ordre externe plus puissant qui vont contre X : ce qui fait qu'il peut y avoir des cas où ne X-ons pas sans que cela rende caduque l'affirmation selon laquelle l'évolution nous pousse à X.
10. Le samedi 7 juin 2008, 23:30 par philalèthe
Nicotinamide: merci d'avoir bien voulu éclairer les allusions que je n'avais pas comprises. Ceci dit, je maintiens qu'il y a une grande différence entre soutenir que l'évolutionnisme est une théorie scientifique en évolution (sic) - d'où production d'hypothèses, conflits d'hypothèses etc - et soutenir que l'évolution est une hypothèse. Comme vous l'avez compris, je serais porté à soutenir 1 mais pas 2; quant à vous, il me semble que par endroits au moins vous n'hésitez pas à soutenir 2, d'où notre différend.
11. Le dimanche 8 juin 2008, 09:04 par philalèthe
Florian: Merci d'abord de me rendre visite !
Ceci dit, rien à dire concernant l'explication de la trajectoire  "exceptionnelle" du ballon en hélium, mais dans le cas qui est discuté (pour dire vite, les comportements hostiles aux petits enfants), elle suggère inévitablement que d'autres causes naturelles expliquent les conduites qui à première vue ne confirment pas l'évolutionnisme. Or, il me semble que si lesdites conduites ont comme tout phénomène des causes naturelles, ce n'est pas vers elles qu'on se tournera pour les rendre intelligibles mais vers des raisons psycho-sociales. Certes il ne me paraît pas interdit alors de chercher les bases évolutionnistes de telles raisons. Reste que l'explication éclairante, celle qui rend le cas intelligible, ne sera pas prima facie naturaliste, mais culturaliste.
12. Le dimanche 8 juin 2008, 19:21 par Florian Cova
A Philalethe :
"D'autres causes naturelles expliquent les conduites qui à première vue ne confirment pas l'évolutionnisme. Or, il me semble que si lesdites conduites ont comme tout phénomène des causes naturelles, ce n'est pas vers elles qu'on se tournera pour les rendre intelligibles mais vers des raisons psycho-sociales"
Tout à fait d'accord ! L'évolution n'explique pas tout. Et nous n'avons pas la possibilité de décrire toute cause d'un point de vue purement naturaliste.
13. Le mercredi 11 juin 2008, 00:23 par Nicotinamide
Florian Cova :
Je reprends des lignes :
"Je ne sais pas ce que signifie que l'évolution est une science "synthétique" (en un sens, toute science est "synthétique", non ?). J'ai l'impression que vous voulez entendre par là qu'elle part des acquis en biologie (la génétique par exemple) pour construire des conjectures sur l'histoire du vivant."
Oui. Elle synthétise de nombreuses connaissance en biologie et en géologie.
(Revenons par exemple à la comparaison entre l'oeil humain et l'oeil d'une mouche. S'agit-il d'une homologie (caractère hérité d'un ancêtre commun) ou d'une homoplasie (convergence adaptative) ? Les recherches pousseraient à comparer l'anatomie, l'histologie, la physiologie, la génétique de l'oeil. Le champs s'élargirait aux autres espèces, aux fossiles...)

"D'un point de vue historique, c'est faux, me semble-t-il. C'est la théorie de Darwin qui amène à poser la notion de gène au début du XXe siècle et donne son impulsion au programme de recherche qui deviendra la génétique.
Non, la théorie de Darwin n'amène pas à poser la notion de gène. La naissance de la génétique repose sur les travaux de Mendel. Il comptait les petits pois. (L'ancêtre du gène pourrait être les biophores de Weissmann, les pangènes de Vries.)
"Il est évident que la génétique enrichit en retour la théorie de l'évolution, et que donc celle-ci s'est beaucoup modifiée, complexifiée, enrichie."
Oui c'est incontestable. (Je dirai que la théorie de l'évolution endacre la génétique)
"C'est là un indice de sa fécondité : vous semblez y voir un indice de sa caducité. Pourquoi ?"
Non sur ce point je suis d'accord
"Enfin, la théorie de l'évolution est en grande partie historique mais pas seulement. Elle postule l'existence de mécanismes (comme la spéciation) qui ont pu être reproduits en laboratoires. "
oui ou observés dans la nature.
"Enfin, même dans le cas de spéculations historiques, il existe de nombreux cas d'expérimentations. Par exemple en psychologie évolutionniste : on pose l'hypothèse que telle fonction F a évoluée dans un contexte C pour répondre à un problème P. On en déduit alors qu'elle devraient (mieux / différemment / ne pas) fonctionner dans un contexte précis. Et on teste. Une épistémologie inductionniste empêche de tester des hypothèses historiques. Mais pas une épistémologie falsificationnistes. Or, les méthodes scientifiques se rapprochent plus des secondes."
Pour ces lignes, j'aurai besoin d'éclaircissments ? Qu'est-ce que la psychologie évolutionniste ? Pourriez doner un exemple ? Est-ce qu'inductionniste s'oppose à falsicationnistes ? (Souvenir de Hume : "qu'est-ce qui nous prouve que E=mc² sera encore vrai demain ?")
En ce qui concerne votre dernier point "l'évolution nous pousse à X, mais il peut exister des motifs d'ordre externe plus puissant qui vont contre X : ce qui fait qu'il peut y avoir des cas où ne X-ons pas sans que cela rende caduque l'affirmation selon laquelle l'évolution nous pousse à X."
Prenons un exemple : la théorie du phlogistique explique les combustions. Un métal donne de la chaux par combustion. La combustion libère du phlogistique contenu dans le métal. Oui mais alors pourquoi la chaux est plus lourde que le métal si celui-ci perd du phlogistique ? Le scientifique ne peut pas répondre : "certes, mais votre objection n'entame pas la théorie car il doit y avoir des motifs plus puissants qui masque l'action du phlogistique."
non, soit on trouve ces motifs, (ils ne peuvent pas être psycho-social), soit on adapte la théorie aux observations ou aux découvertes et (par conséquent l'affirmation Y pousse X change.)
Dire l'évolution nous pousse à aimer les larves ressemble au "génie de l'espèce schopenhauerien" qui pousse les femmes à la fidélité et les hommes à l'infidélité.
14. Le mercredi 11 juin 2008, 00:53 par Nicotinamide
Philalethe, il serait absurde d'écrire que la physique voire même l'histoire est une hypothèse. Par contre, selon Popper, l'évolutionnisme n'est pas une science mais une recherche à visée métaphysique. La théorie est non falsifiable. L'évolutionnisme ne prévoit rien. (En biologie, il existe deux types de causalité : les causes immédiates : (comment expliquer qu'une chèvre s'attache à son chevreau ? réponse physiologique: hormones...) et les causes lointaines (pourquoi une chèvre s'atache à son petit ? réponse : sélection des chèvres qui ont eu un meilleur succès reproductif))
15. Le mercredi 11 juin 2008, 10:48 par philalèthe
Nicotinamide: sauf à me tromper, les critiques que Popper adresse à l'évolutionnisme ont 45 ans d'âge (1963). Au vu de l'évolution de la théorie en question, sont-elles encore pertinentes ? Ce n'est pas une question rhétorique.
16. Le vendredi 13 juin 2008, 23:36 par Nicotinamide
La question m'est d'autant plus difficile que je n'ai pas les textes dans lesquels Popper évoquent l'évolutionisme. Cependant, je crois qu'il est revenu sur ses propros.