mardi 5 mai 2009

In memoriam canium (9): Athénodore, un cynique minimaliste ?

Une petite notice biographique consacrée par Richard Goulet à Athénodore prête à réflexions, mais lisons-la en premier lieu :
« Jeune homme de l’entourage de Proclus (mort en 485), parfaitement doué pour la philosophie, que le cynique Saloustios persuada, comme bien d’autres (cf. fr *144) de ne pas s’adonner à la philosophie (Damascius, V.Isidori, fr. *145) » (Dictionnaire des philosophes antiques Tome I p.653)
Pour quelles raisons Athénodore est-il donc retenu comme philosophe par Richard Goulet et son équipe de collaborateurs ? On peut en discerner trois:
a) il appartient à l’entourage d’un philosophe reconnu
b) il a suivi les leçons au double sens du terme d’un autre philosophe authentifié
c) il « est parfaitement doué pour la philosophie »
Chacune des raisons suffirait, les trois emportent la décision. Reste que si Athénodore est donc désormais, socio-institutionnellement pour ainsi dire, un philosophe, son identité est énigmatique.
D’abord est-il néo-platonicien (pour avoir été de l’entourage de Proclus) ? Cynique (pour avoir agi d’après les conseils de Saloustios) ? Cynico-néo-platonicien ?
Ensuite poussons plus loin l’interrogation. A-t-il en fin de compte une identité philosophique ? Pour répondre à une telle interrogation, il faut se demander si « être parfaitement doué pour la philosophie » veut dire « avoir comme propriétés toutes les potentialités du philosophe » ou « avoir actualisé toutes les potentialités en question ».
On est tenté de pencher pour la première solution si on considère que s’adonner à la philosophie signifie développer les potentialités philosophiques mais on retiendra la seconde si on interprète s’adonner à la philosophie comme voulant dire exercer les capacités actuelles du philosophe.
Dans le cas de la première solution, la question est de savoir si, dans l’ensemble des potentialités philosophiques, il y en a de divers types : potentialités cyniques, potentialités néo-platoniciennes etc. Si c’était le cas, je pourrais soutenir qu’Athénodore était un cynique en herbe et que le refus de s’adonner à la philosophie a actualisé une potentialité cynique (par exemple la disposition à ne pas faire ce qu’on s’est proposé de faire) : par ce refus même Athénodore serait un philosophe cynique achevé (se pose ici un problème : à partir de combien d’actes cyniques est-on un philosophe cynique ? Ici on admet qu’un seul suffit)
Dans le cas de la deuxième solution, Athénodore est déjà philosophe avant de cesser de l’être. Mais en cessant de l’être d'une certaine manière continue-t-il de l’être d'une autre manière ? Si on répond par oui, on fait une distinction entre s’adonner à la philosophie et être philosophe (un disciple de Wittgenstein pourrait ainsi opposer s’adonner à la philosophie au sens de participer la vie philosophique universitaire à être philosophe au sens de cesser de prendre au sérieux les problèmes philosophiques universitaires). Si on répond par non, ne plus s’adonner à la philosophie veut dire mener une vie ordinaire avec des raisons ordinaires. Néanmoins, vu que ce refus de philosopher est une conversion philosophique, Athénodore aurait choisi pour une raison philosophique de mener une vie ordinaire aux prises avec les questions ordinaires.
Il semble finalement justifié, malgré les apparences, d’inclure Athénodore dans la liste des philosophes. Son refus de philosopher est soit l’actualisation de ses potentialités soit la manifestation de cette actualisation (la maturité philosophique s’exprimant paradoxalement par la cessation de la vie philosophique conventionnelle ou par celle de la vie philosophique tout court).
Je ne prétends pas cependant avoir exploré toutes les interprétatons possibles de cette brévissime mais stimulante notice biographique.

Commentaires

1. Le samedi 9 mai 2009, 22:28 par Nicotinamide
1/ Quels sont critères attestant de l'existence historique d'un cynique ?
2/ Quels sont les critères permettant de le classer parmi les philosophes cyniques ?
1/
a/ Premier critère utilisé la fréquentation d’un maître cynique. Athénodore, comme vous le remarquez pourrait être classé parmi eux. C’est aussi le cas de Bétion par exemple ou d’Androsthène et son frère.
Une entorse : sans que la relation maître-disciple soit prouvée, Anaximène est classé dans le répertoire.
b/ Deuxième critère : une source déclare un individu comme un philosophe cynique.
Parmi les 81 philosophes classés par Goulet-Cazé, je trouve certains cyniques mineurs dont l’existence repose sur des sources peu fiables. Par exemple, elle reprend du Baillet (Inscriptions grecques et latines des tombeaux des rois ou syringes,) tous ceux qui ont signé, « je suis un cynique ». D’autres personnes plus autorisées doutent : à la page 372 du livre Le cynisme ancien et ses prolongements, PUF, 1993, on lit : "Ni Ménestratos ni Hermodote ne sont des personnages réels." (Que font-ils dans le répertoire ?)
Personnellement je remettrais en cause tous les personnages de Lucien. Je ne suis pas le seul. Il existe une étude en ce qui concerne Démonax (voir le dico des philosophes antiques)
Pour alimenter le sujet, des extraits de :
Proclus, Commentaire sur le Parménide suivi de la vie d’Isidore (Damascius) et de la souda.

§89. Salluste qui appartenait à la secte Cynique, ne marchait pas dans les voies ordinaires de la philosophie, mais dans une voie qu’il avait comme creusée lui-même et dirigée vers la critique, poussée jusqu’aux plus violentes injures, mais aussi et surtout vers l’effort laborieux qu’exige la vertu. Il portait rarement des chaussures, et celles qu’il portait étaient des Iphicrates attiques, ou des sandales vulgaires. Pendant sa longue vie, il ne laissa jamais voir d’infirmités corporelles, ni de souffrances de l’âme ; mais comme dit le proverbe, il supportait le régime ascétique en dressant le cou.

§92. Il dit que Salluste, rien qu’à regarder les yeux de ceux qu’il rencontrait, prédisait chaque fois à chacun d’eux la mort violente qui les menaçait. Il ne pouvait pas expliquer lui-même la cause de cette science divinatoire : cependant quand on l’interrogeait à ce sujet, il l’expliquait par un certain état sombre des yeux, remplis d’une humeur qui les couvrait comme d’un brouillard, comme celui qui se répand dans les grandes douleurs, sur les pupilles mêmes.

§250. Salluste ne porta plus son esprit vers les affaires judiciaires, mais se donna à la vie sophistique. Il avait appris par cœur toutes les harangues politiques de Démosthène. Il avait un beau talent de parole, mais il n’imitait pas les sophistes modernes ; il voulait plutôt rivaliser avec la force négligée du style archaïque, et il est certain qu’il a écrit des discours qui ne sont pas sensiblement inférieurs à ces écrivains.
§251. Il parcourut la terre entière, pour ainsi dire nu-pieds.




La souda

Salluste vint d’Athènes à Alexandrie avec Isidore, le philosophe. Sa façon d’être était contraire à tous les hommes ; car sa philosophie consistait d’une part à s’endurcir aux maux, de l’autre de se moquer et à railler, au-delà, à mon sens, des bornes convenables. Sa vie mérite autant que celle d’aucun autre philosophe, qu’on la connaisse. Du côté de son père, Salluste était originaire de Syrie ; du côté de sa mère, il était d’Emèse sur l’Oronte (capitale de la Syrie où se trouvait le grand temple du soleil, dont Hélagabal voulut être le Grand prêtre) où Alexandre Sévère était né, et où Aurélien en 273 battit Zénobie. Son père s’appelait Basilidès, sa mère Théoclia. Son esprit était également bien doué pour tous les genres d’études ; ses mœurs étaient austères, son âme était avide de gloire. Il se dirigea d’abord du côté des fonctions judiciaires alors fort recherchées, et étudia l’éloquence sous le sophiste Eunoios qui était alors à Emèse. Plus tard il quitta le barreau, s’adonna à la vie sophistique, et les écrits et discours qu’il composa dans ce genre ne firent pas moins admirer son génie naturel que l’art laborieux du talent. Il savait par cœur les harangues politiques de Démosthène. Outre cela, il avait un beau talent de parole ; il n’imitait pas les sophistes modernes, mais sous le rapport du style, rivalisait avec les formes négligées et austères des anciens : et cependant ses œuvres écrites ne sont pas inférieure aux leurs. (…) Salluste qui avait déjà fait de grands progrès dans l’art, voyant qu’Eunoios n’était pas en état de le mener plus loin, il s’en alla à Alexandrie pour essayer des maîtres alexandrins.


Salluste : philosophe. Il disait qu’il était non seulement difficile, mais encore impossible d’être philosophe. Ayant entendu ce propos, j’en éprouvé une véritable indignation ; car il n’est ni vrai ni digne d’être exprimé. Mais pour exprimer mon sentiment, Salluste, voulait dire autre chose ; car il n’attaquait pas distinction ni réserve les malhonnêtes gens, comme Héraclite se plaisait à poursuivre de ses railleries mordantes la tourbe humaine, s’en prenant à toutes les erreurs, de quelque nature qu’elles fussent, et saisissant toutes les occasions pour réfuter et tourner en ridicule chaque individu. Salluste au contraire le prenait parfois sur un ton sérieux et grave. Mais le plus souvent il préférait le tour plaisant, aimait les mots et les saillies satiriques. Car il avait beaucoup d’esprit, un esprit très alerte et très prompt, enfin un vrai génie satirique. Il tenait de famille, cette grâce dans l’art de plaisanter, mais il la possédait aussi par une qualité toute personnelle. Car celui qui a nommé la cinquième vertu, l’opinion vrai à l’égard des Dieux, et qui soutenait qu’elle se trouve parfois chez les plus malhonnêtes gens, c’est Salluste. Les étrangers, tout en louant ses autres qualités, ne trouvaient à lui reprocher qu’une seule chose, à savoir qu’il ne partageait pas, sur les Dieux, les sentiments de la plupart des hommes ; à quoi il répondait : laissez-moi ce défaut en l’honneur et pour la défense de Némésis. Ayant rencontré Pamprépius, qui jouissait déjà de toute la puissance de son talent, celui-ci, voulant faire le bel esprit, lui dit : qu’est-ce que les Dieux ont à se soucier des hommes ? A quoi l’autre répondit : qui ne sait que je n’ai jamais été Dieu, ni toi jamais homme ? Voilà en ce qui concerne Salluste. Sa philosophie était la philosophie cynique.
Athénodore avait les plus belles dispositions pour la philosophie et le plus vif désir de s’y consacrer, tant que vécut Proclus. Il se montrait visiblement supérieur à ses condisciples. Salluste, plein d’admiration pour son ardeur à ces études, disait qu’il ressemblait au feu, qui dévore par sa flamme tout ce qui l’approche : et cependant le détourna de la philosophie.

Mais Salluste a détourné les jeunes hommes de la philosophie, pour l'une ou l'autre de ces deux raisons : soit parce qu'ils s'opposent aux professeurs, en tramant contre eux, avec haine, à travers les diatribes philosophiques, soit parce que, en considérant la grandeur de la conquête, il finissent par considérer tous les hommes indignes de la philosophie.
2. Le dimanche 10 mai 2009, 07:23 par philalethe
D'abord merci pour cet apport très intéressant !
Bien sûr ce sont les deux derniers paragraphes du dernier texte qui retiennent mon attention.
Précisément les deux raisons justifiant le "détournement de disciple". La première invoque donc la haine et la seconde, semble-t-il, le mépris: haine des professeurs (identifiés à des rivaux ?) et mépris du genre humain (trop médiocre pour accéder à la vérité philosophique ?).
Il me semble y avoir une certaine ressemblance avec les raisons que Platon donne dans La République pour ne pas enseigner aux jeunes gens la philosophie (elle servirait juste à détruire les opinions communes et à justifier les passions ardentes). Certes la raison donnée par Platon est distincte mais dans les deux cas on insiste sur les effets moraux négatifs de la philosophie.
Ce qu'on ne sait pas, c'est si dans l'argumentation de Salluste ces effets sont des effets de la philosophie (autant cynique que néo-platonicienne par exemple) ou des effets de la philosophie cynique. J'ai l'impression que le cynique adopte un point de vue méta-cynique et dénonce les mauvais effets de l'enseignement cynique (en effet la diatribe n'est-elle pas un genre cynique ?). A lire ce texte cependant, on ne sait pas si l'arrêt de la philosophie est un retour à la case départ (l'homme ordinaire avant l'actualisation de ses potentialités - mais quelqu'un qui a ces potentialités est-il un homme ordinaire ?-) ou si c'est un meilleur accès à la case arrivée (le seul accès si la pratique de la philosophie entraînait inévitablement le développement de ces mauvaises passions ?). Autrement dit le cynisme ayant été défini comme un accès court à la vertu, y aurait-il un accès hypercourt justifié par la connaissance des limites de l'accès court ? Mais serait-ce alors une philosophie sans théorie ni pratique déterminées ? Quelle différence y a-t-il alors entre cette dernière et l'absence disons naïve de philosophie ?

mercredi 22 avril 2009

In memoriam canium (8): Asclépiade, sacrilège malgré lui.

L'empereur romain Julien (332-363), élevé dans le christianisme et converti au paganisme, était hostile à ses contemporains qui se présentaient comme cyniques. En effet il les jugeait infidèles au cynisme originaire. Ainsi dans son 7ème discours dirigé contre Héracléios, qu'il a entendu lors d'une conférence bafouer Héraclès et Dionysos (à noter en passant la figure inhabituelle du cynique conférencier), il fait l'éloge de Diogène qui serait venu à Olympie pour y honorer Apollon. Autant que Cratès, Diogène est identifié par Julien à un homme pieux qui s'en est seulement pris aux simagrées religieuses tout en menant une vie morale vertueuse inspirée par le respect des Dieux. Ainsi, se référant à Cratès, écrit-il:
" La sainteté de ses moeurs lui suffisait pour adresser aux dieux ses actions de grâces et il enseignait aux autres à préférer, dans les dévotions, non les dépenses à la sainteté mais la sainteté aux dépenses" (Les Cyniques grecs Léonce Paquet 1988 p.275)
Anti-chrétien, Julien compare les pseudo-cyniques à ceux des Galiléens qui renoncent au monde mais qui "n'abandonnent pas grand-chose, ramassent vraiment beaucoup, ou plutôt ramassent tout, de tous côtés, à quoi ils ajoutent les honneurs, les soldats d'escorte et les petits soins" (ibid. p.277). Autant chez les cyniques que chez les chrétiens renonçants, il dénonce "le même abandon de la patrie": "vous rôdez en tout lieu" écrit-il à Héracléios. C'est alors que Julien énumère quelques-uns de ces déracinés venus en 362 lui rendre visite à Constantinople:
"On a vu arriver Asclépiade, puis Sérénianus, puis Chytron, puis je ne sais quel garçon blond et tout en longueur, puis toi et d'autres - deux fois autant - qui vous accompagnaient: quel bien, en réalité, est-il résulté de votre venue, mes bons amis ?" (p.278)
De Sérénianus comme de Chytron, on ne sait quasi rien. En revanche Asclépiade mérite de retenir l'attention.
La première raison est qu'il ressemble à Antiochus de Cilicie. Aux yeux de Dion Cassius comme à ceux de Julien, ils sont tous deux des cyniques dégénérés. A dire vrai, le cas "Asclépiade" paraît encore moins défendable que celui d'Antiochus car on ne peut lui attribuer aucune action de type cynique, même sous forme de remake passablement ennuyeux.
Pourtant Asclépiade a causé un fait d'importance: l'incendie du temple d'Apollon à Daphné; mais il ne l'a pas fait intentionnellement. C'est l'historien romain Ammien Marcellin (330-395) dans ses Res Gestae qui en fait le récit:
" La même année, le 11 des calendes de novembre, le vaste temple d'Apollon, élevé à Daphné par le violent et cruel monarque Antiochus Épiphane, et cette statue du dieu, égale en grandeur à la figure de Jupiter Olympien, devinrent la proie d'un incendie. (2) Ce désastre irrita singulièrement l'empereur, qui ordonna l'enquête la plus sévère, et fit fermer l'église cathédrale d'Antioche. Il soupçonnait les chrétiens de cet attentat, où les aurait poussés leur dépit de voir entourer le temple d'un magnifique péristyle. (3) On attribuait toutefois, quoique assez vaguement, ce malheur à une cause purement accidentelle. Le philosophe Asclépiade, dont le nom est cité dans l'histoire de Magnence, pendant un voyage qu'il fit pour voir Julien, étant allé visiter le temple, avait déposé, disait-on, aux pieds de la colossale statue une figurine en argent de la mère des dieux, qu'il avait, suivant l'usage, entourée de cierges allumés, et ne s'était retiré que vers le milieu de la nuit, heure où personne n'était là pour porter secours. Or, les flammèches des cierges avaient gagné les parois du temple, que leur vétusté rendait au dernier degré susceptibles de prendre feu; et tout l'édifice, malgré son élévation prodigieuse, avait été en un instant réduit en cendres." (22-13)
Le fait est étrange car un tel incendie exemplifie radicalement l'accusation portée par Julien contre les cyniques et en revanche la religiosité d'Asclépiade est totalement contradictoire par rapport au texte de Julien. Si on était psychanalyste, on serait porté à parler d'acte manqué, comme si le désir iconoclaste du cynique se réalisait malgré sa volonté de donner des gages à l'empereur auquel il est venu se présenter.
Garcia et Villalobos proposent l'interprétation suivante qu'à vrai dire je ne trouve pas lumineuse mais elle a le mérite au moins de ne pas être d'inspiration psychanalytique:
" Ceci nous offre, pour la première fois, à notre connaissance, la curieuse figure d'un cynique pieux et pratiquant, ce qu'il convient de voir comme un signe des temps, bien qu'il s'agisse d'une divinité de type naturel et cosmique, en relation probablement avec sa province d'origine. Peut-être symbolisait-elle pour Asclépiade la conception cynique du monde et, en tant que croyance, elle ne paraît pas être très distante de celle du soleil, le dieu à la fois naturel et mystique de Julien et de ses ancêtres. Il semble possible de déduire de ce genre de données, comme un fait certain à cette époque, le commencement de l'abandon général de la religion des dieux olympiens traditionnels en faveur des croyances locales et personnelles ou, sinon chrétiennes." (Los filósofos cínicos y la literatura moral serio-burlesca Vol II p.1093-1094)
Ces lignes embarrassées me paraissent fournir au moins trois raisons incompatibles entre elles: a) le provincialisme - mais en quoi Apollon est-il un dieu local ? - b) l'allégorie c) la religion personnelle.
Peu importe, Asclépiade a malgré lui dans le texte d'Ammien Marcellin illustré à la merveille l'accusation portée contre sa secte dans le texte de Julien.

dimanche 19 avril 2009

A la grecque !! de Guillaume Clayssen (2): une oeuvre et théâtrale et philosophique.

J'ai vu et aimé A la grecque !!, le spectacle théâtral créé par Guillaume Clayssen, joué d'abord au théâtre de Suresnes et au programme désormais de la Maison des Métallos.
En effet il n'est pas donné de monter une pièce philosophique sans tomber dans le double écueil de la pièce didactique ou de l'oeuvre à thèse. Il n'y a en effet de théâtralité que si les comédiens ne sont pas simplement des porte-paroles. Mais la pièce ne peut être philosophique que si elle donne à penser philosophiquement. Le problème se pose donc ainsi: comment faire penser philosophiquement par le biais d'une oeuvre théâtrale en sachant qu'il ne faut absolument pas qu'à la fin le spectateur réduise la pièce à un cours ou à une thèse ?
Pour atteindre cette fin, Guillaume Clayssen a joué entre autres avec les ténèbres et la clarté; la lumière ne se substitue jamais à l'obscurité mais se contente de la trouer ponctuellement et même quand l'allégorie de la Caverne est mise en scène, le Soleil éclatant n'est jamais donné à voir. La philosophie ne tranche pas avec le mythe comme le jour avec la nuit, la lumière qui éclaire le combat des héros homériques n'est pas plus discrète que celle qui donne à voir le dialogue de Socrate avec le sophiste. Comme si rien d'évidemment lumineux n'était jamais dit par quiconque. La mise en scène de Guillaume Clayssen n'exemplifie pas les Lumières, elle est plutôt d'une époque où les clartés, toujours douteuses peut-être, ne sont jamais définitives et ne percent que temporairement et fragilement la nuit omniprésente.
Mais que donne à voir cette lumière rare? Des corps. Il va de soi en effet que Guillaume Clayssen ne considère pas les philosophes comme des esprits mais leur donne des corps visibles et ordinaires, autant d'ailleurs qu'aux combattants homériques. Et ces corps de tous les jours ne sont pas hissés à des hauteurs où ils ne pourraient paraître en fait que de bien ridicules sosies. En effet on ne peut plus représenter Socrate en héros martyrisé et sublime de la Pensée, il ne faut plus chercher à rivaliser avec les vagues souvenirs que laissent les représentations grandioses. Ne pensez pas pourtant que Guillaume Clayssen a choisi la parodie et la dérision. Ces corps ont de la tenue et quand il s'agit par exemple de jouer les morts de Diogène le Cynique, l'équilibre est trouvé entre le corps trop charnel et le corps excessivement stylisé. Si Diogène vomit, le spectateur voit quelque chose qui n'est réaliste ni symbolique. Il en va de même de la nudité des comédiens, qui n'est ni le dévoilement de leur anatomie particulière ni l'allégorie d'une attitude philosophique. On réalise que Guillaume Clayssen, s'il a donné leur part aux affects, n'a jamais souhaité qu'ils explosent au point de faire disparaître les concepts.
N'en doutons pas: cette pièce est d'un homme qui n'oublie pas que les discours philosophiques sont articulés par des êtres vivants et désirants mais qui est certain aussi que les textes qu'ils profèrent vont bien au-delà de l'expression idiosyncrasique de leurs particularités contingentes.

In memoriam canium (7): Antiochus de Cilicie, un cynique enrégimenté.

Antiochus de Cilicie (ca 215) est une énigme. Le seul texte qui le mentionne est un passage de l'historien Dion Cassius (Histoire romaine 77 19-1) repris au 10ème siècle par la Suda.
N'ayant pas accès au texte original de Dion Cassius, je dispose de deux traductions légèrement contradictoires concernant son engagement cynique. D'abord celle d'Odile Goulet-Cazé qui, dans l'article du Dictionnaire des philosophes antiques qu'elle lui a consacré, écrit qu' "au début il jouait au philosophe cynique"; ensuite celle (en espagnol) fournie par l'édition récente de García et Villalobos (Madrid Akal 2008): "au début il s'était proposé d'exercer la philosophie à la mode cynique". Il est vrai que le verbe grec πλάττω signifie feindre, s'en faire accroire. Il paraît donc raisonnable de privilégier la traduction de Goulet-Cazé: on aurait donc affaire moins à un cynique authentique qu'à un imitateur (surgit un problème à cette occasion: quel est le critère permettant de distinguer l'un de l'autre vu que par essence le comportement cynique est un comportement ostentatoire ? Les Cyniques sont en effet des philosophes de l'extériorité, ils n'ont pas d'intériorité secrète car ils ne cessent de montrer publiquement ce qu'ils sont au fond d'eux-mêmes).
Cependant, quand on joue au cynique, il paraît logique d'imiter les vrais; c'est en un sens ce que fait effectivement Antiochus. Laërce rapporte en effet que Diogène "l'été se roulait sur du sable brûlant, tandis que l'hiver, il étreignait des statues couvertes de neige, tirant ainsi profit de tout pour s'exercer" (VI 23). Or Antiochus se jette dans la neige et s'y roule. Cependant le contexte donne un sens différent à l'action: en effet Diogène s'exerçait à rendre son corps insensible et par là même à parvenir à une maîtrise totale de soi; Antiochus lui entraîne l'armée romaine: celle-ci, découragée par le froid dans le cadre de la guerre contre les Parthes, retrouve de la force à être témoin de ses excentricités, comme si marcher dans la neige n'était pas grand chose comparé à l'immersion extrême à laquelle se livre Antiochus.
On est habitué à penser le cynique comme isolé dans une forme de militantisme hostile à tout embrigadement, on le trouve ici (mais n'oublions pas qu'il s'agit peut-être d'un faux) incorporé à une armée à laquelle d'une certaine manière il ouvre la voie. La logique protestataire individuelle est récupérée par l'institution militaire ! Ça semble d'autant plus défendable qu'Antiochus reçoit en échange de sa résistance thermique de l'argent et des honneurs, qu'il accepte et qui lui montent à la tête - je suis ici de près le texte de Dion Cassius - au point qu'il déserte et va rejoindre l'ennemi, c'est-à-dire les Parthes. Voulait-il donc vendre à plus offrant son insensibilité ? En aucune manière le texte de Dion Cassius ne justifie l'hypothèse. Reste que sa désertion n'est pas une péripétie: en effet l'empereur romain met comme condition à la fin de la guerre la livraison par les Parthes d'Antiochus, ce qui eut lieu.
Si Antiochus n'était pas suspect d'avoir été un simulacre de cynique, on pourrait interpréter sa désertion comme une manifestion de détachement et d'indifférence, comme si être successivement d'un camp puis de l'autre signifiait la conscience de la vanité de tout camp. Il aurait alors trouvé son inspiration par exemple dans le comportement de Diogène tel que Laërce le décrit en VI 29: "il louait également ceux qui s'apprêtaient à vivre dans la compagnie desprinces et qui ne s'en approchaient pas". Antiochus qui se serait apprêté à servir la cause romaine et qui s'en serait détourné...
Sont-ce des rêveries ? Qui sait ? La même Odile Goulet-Cazé qui en 1994 émet en traduisant Dion Cassius des réserves sur la valeur du cynisme d'Antiochus était celle qui en 1986 dans L'ascèse cynique comptait Antiochus au nombre des 81 Cyniques dont l'existence historique est attestée. Il n'était donc pas alors un simple poseur.

Commentaires

1. Le mardi 21 avril 2009, 01:07 par Nicotinamide
Deux questions :
1° voulez-vous le texte grec de Dion (epitome 78, 19 1-2) ?
2° Où avez-vous lu que Goulet-Cazé émet des réserves sur le cynisme d'Antiochus en 94 ?
2. Le mardi 21 avril 2009, 14:35 par Philalèthe
1) oui, avec plaisir !
2) c'est dans l'article du DPHA où elle met tant en relief le "jouait au philosophe cynique".
3. Le mardi 21 avril 2009, 21:13 par Nicotinamide
1/ Le texte est parti par e-mail.
2/ L'article du dictionnaire et le passage concernant Antiochus dans le répertoire des cyniques est identique. Du moins le début car elle s'appuie sur Dion Cassius 78 19. Ainsi, en 86 et 94, elle dit la même chose : il jouait au cynique. Ce qui est nouveau en 94 est la partie qui s'appuie sur 78 21 de l'histoire de Dion. Ne pensez pas que je cherche à enculer les mouches avec des détails, je fus juste étonné, (je croyais que vous aviez un autre texte en tête.)
Sur l'anecdote, je vous rejoins : j'ai du mal à concevoir un cynique motivant les troupes. Vous connaissez l'attitude de Diogène préparant la guerrre (Lucien, repris par Rabelais) La reprise d'un cliché de l'école cynique (se rouler dans le froid) éloigne l'anecdote d'une pratique sincère du cynisme. Pourquoi il déserte ? Parce qu'il s'attacha à Tidirate ? Affinité élective plus que politique ou philosophique ?
je serais plus prudent en ce qui concerne les 81 cyniques dont l'existence historique est attesté. Est-ce que Démonax n'est pas une invention de Lucien ? Sans compter tous ceux qui ne sont connus que par un tag dans une tombe...
5. Le mardi 21 avril 2009, 23:34 par Philalèthe
Merci beaucoup.
Vos remarques précises permettent de poser le problème suivant - qui a une portée dépassant largement les cyniques bien sûr - : quels sont critères attestant de l'existence historique d'un cynique ? Dans le cas d'Antiochus, il semble qu'on veut dire que ça a été le nom d'un homme réel qui s'est fait passer pour un cynique, donc ç'aurait été plus logique de la part de Goulet-Cazé de le classer dans le troisième ensemble "personnages dont l'appartenance au cynisme est incertaine", sauf à penser que simuler le cynisme est un signe d'appartenance au cynisme... 
Quant à Démonax, Goulet-Cazé en fait le maître de Lucien et lui accorde approximativement 100 ans de vie. Il paraît donc bien historique. Mais peut-être que Flaubert est aussi un personnage de Maupassant.

mercredi 1 avril 2009

In memoriam canium (6): Anaximène de Lampsaque.

A Lara R. qui m'a aidé, entre autres, pour une traduction.
A ne lire que Diogène Laërce, on ne penserait pas qu'Anaximène de Lampsaque appartienne à l'école cynique. On ne lui attribuerait en effet que trois propriétés, précisément l'éloquence, l'obésité et la capacité à s'indigner:
" Diogène s'approcha de l'orateur Anaximène qui était obèse et lui dit: "Donne-nous un morceau de ton ventre, à nous les mendiants. Toi, tu te sentiras plus léger et nous, tu nous rendras service". Un jour que cet orateur prononçait un discours, Diogène brandit un hareng saur et détourna les auditeurs. Devant l'indignation d'Anaximène, il dit: "Un hareng saur d'une obole a mis fin au discours d'Anaximène" (DL VI 52 éd. Goulet-Cazé)
A propos de la deuxième anecdote, on relèvera que la description que Diogène fait de la situation ne ridiculise Anaximène et son discours qu'au prix d'être tout à fait incorrecte. Rectifiée ("Diogène brandissant un hareng saur a détourné d'Anaximène ceux qui l'écoutaient "), elle réduit Diogène à un trublion et laisse intacte la question de la valeur des paroles prononcées...
Les textes que livrent Martin García et Macías Villalobos dans Los filósofos cínicos y la lilteratura serioburlesca (Akal/Clásica 2008) donnent à Anaximène une identité plus riche et plus intéressante.
Lui aussi professeur d'Alexandre le Grand, comme Aristote et Philiscos, il a écrit une Rhétorique à Alexandre et une Histoire grecque(semblable en cela à Onésicrite). Ces textes sont bien sûr perdus mais on doit au doxographe Stobée (5ème siècle) quelques citations qui retiennent l'attention (je les traduis de la traduction espagnole):
" Nous avons l'habitude d'appeler hasard ce qui dans la vie a été mal calculé par les hommes, parce que si nous dirigions tout correctement avec notre esprit, le nom de hasard n'existerait pas" (II, 8, 17)
" Les riches n'ont pas l'habitude de s'apitoyer autant sur les malheureux que les pauvres , car ceux-ci compatissent aux malheurs des autres parce qu'ils craignent qu'ils ne leur arrivent." (IV, 33, 21)
" Les plaisirs affaiblissent les vieillards intelligents autant qu'ils développent chez eux en sens contraire les désirs des argumentations et leur fournit une plus grande fermeté pour dire ce qui est utile aux autres et l'entendre d'eux. Ainsi donc on peut voir que les plaisirs qui viennent de la nourriture, de la boisson et du sexe ne les satisfont pas tant sur le moment qu'ils ne les affligent après. En revanche le plaisir de l'argumentation et la connaissance les satisfont immédiatement et disposent ceux qui apprennent, à être bien disposés pour le reste de leur vie" (IV 50, 91)

Commentaires

1. Le mardi 19 mai 2009, 21:23 par gould
Hello!
J'aimerais ajouter une petite remarque: la Rhétorique à Alexandre n'a jamais été confirmée comme ayant été écrite par Anaximène. Même si des travaux récents font douter de son attribution à Aristote, comme on l'a longtemps crû, la paternité de l'ouvrage n'en revient pas néanmoins à Anaximène. Veuillez m'excuser pour cette remarque mais je n'ai pu m'empêcher de rectifier.
Bonne semaine!
Aurélien.
2. Le mardi 19 mai 2009, 23:21 par philalethe
Merci beaucoup pour cette rectification.

dimanche 29 mars 2009

In memoriam canium (5): chiens cyniques, chiens bactriens, chiens de Priam.

Dans l’histoire du cynisme, il y a deux Onésicrite.
Du premier, citoyen d’Egine, rien à dire sinon qu’il était le père de Philiscos et qu’au lieu de détourner ses deux fils de Diogène il s’est comme eux soumis à lui (Diogène Laërce VI 75).
Le second, Onésicrite d’Astypalée, disciple aussi de Diogène, mérite en revanche plus d’ attention ; certes je lui ai déjà consacré un billet mais il est à compléter.
On pourrait commencer par remarquer qu’à la différence de Diogène il n’ a pas éconduit Alexandre le Grand mais l’a conduit, comme Philiscos, à sa façon cependant.
En effet, d’après Plutarque (Vie d’Alexandre 66 3), il était le pilote en chef de ceux qui dirigeaient la flotte macédonienne vers l’Inde. Arrien (Indica 18 9) le fait même pilote du navire d’Alexandre. En outre il a rédigé une chronique de ce voyage en Inde, cependant autant Arrien que Strabon l’ont jugé porté à l’exagération, voire menteur.
Le philosophe-chien a rapporté de là-bas de bien étranges choses, que Pline reprendra dans son Histoire Naturelle (VII 28) comme par exemple l’existence d’hommes à cinq coudes et à quatre paumes de la main. En revanche pas de traces qu’il ait mentionné un usage relatif à des chiens et qui se prête aisément, on le verra, à un usage symbolique.
C’est Strabon qui en fait état (je traduis le texte de l’espagnol à partir de la version qu’en donne l’édition García-Villalobos- vol 1 p.458-)
« Anciennement, pour sûr, les Sogdiens et les Bactriens ne différaient pas beaucoup des nomades dans le mode de vie et les coutumes, bien que celles des bactriens soient un peu plus civilisées. Mais ceux qui suivent Onésicrite ne racontent pas ce qui est chez eux le plus singulier : en effet, ceux qui succombent à la vieillesse ou à la maladie ils les jettent vivants à des chiens spécialement élevés à cette fin, que dans leur langue maternelle ils appellent croque-morts (sepultureros). Le côté extérieur de la muraille de la capitale des Bactriens est propre mais la majeure partie de l’intérieur est pleine d’os humains. Alexandre mit fin à cette coutume » (Géographie XI 11 3)
A la différence des chiens de Priam qui dévorent leur maître par faute de la guerre et du bouleversement qu’elle introduit, les chiens bactriens sont dressés pour dévorer les humains, par cela plus proches des chiens cyniques qui eux aussi ne faisaient qu’une bouchée de tous ceux qui, à leurs yeux, étaient porteurs des stigmates de la mauvaise conduite.

samedi 28 mars 2009

In memoriam canium (4): Philiscos d’Egine

Ce billet est tout d’abord l’occasion de saluer la publication en espagnol de deux volumes qui constituent une précieuse anthologie de textes antiques sur les cyniques (Los filósofos cínicos y la literatura moral serioburlesca José A. Martin Garcia & Macías Villalobos ed. Akal Madrid 2008). Je l’explore aujourd'hui afin de donner un peu de corps à Philiscos d’Egine, que j'ai seulement évoqué en frère aîné incapable de faire revenir son jeune frère au domicile paternel tant il était comme lui sous le charme de Diogène.
On peut commencer par relier Philiscos de deux manières à la tragédie. D’abord parce que Diogène aurait composé une tragédie ayant Philiscos pour titre (Diogène Laërce VI 79), ensuite parce qu' il n’aurait pas été seulement le disciple conquis de Diogène mais aussi selon Satyros l’auteur des tragédies qu’on attribue au maître. Marie-Odile Goulet-Cazé soutient cependant que « les tragédies étaient certainement des ouvrages de Diogène » (éd. des Vies p.746). C’est l’avis de García et Villalobos pour lesquels on a attribué à Philiscos les tragédies de Diogène afin de donner une image du maître libérée du poids des positions scandaleuses que Diogène y aurait soutenues (ibid vol. 1 p.430). En effet,d’après Laërce VI 73, dans une de ses tragédies, Thyeste, Diogène aurait défendu l’anthropophagie. Il y a donc quatre possibilités selon que le Philiscos de la tragédie est ou non Philiscos d’Egine : ce dernier aurait écrit une tragédie ayant ou lui-même ou un homonyme comme personnage principal ou bien Diogène aurait consacré une tragédie à un disciple ou à un homonyme de son disciple. Dans les quatre cas cela reste étrange.
En revanche, d’après Simone Follet, Philiscos serait bel et bien l’auteur des vers inscrits sur la statue de bronze érigée, après la mort de Diogène, en son honneur, par ses concitoyens :
« Même le bronze subit le vieillissement du temps,
mais ta renommée, Diogène, l’éternité ne la détruira point.
Car toi seul as montré aux mortels la gloire d’une vie
Indépendante et le sentier de l’existence le plus facile à parcourir » (Laërce VI 78)
Philiscos aurait écrit aussi des dialogues philosophiques, la Souda cite le titre de l’un d’entre eux Codrus et Garcia et Villalobos rapportent une citation de lui faite par Stobée:
« Il est impossible, insensé, que ceux qui n’ont pas fait d’efforts reçoivent ce qui revient à ceux qui ont fait des efforts » (III 29 40 ibid. p.435) - on notera la contradiction entre l'éloge de l'effort ici et la référence à la facilité du sentier dans les vers cités plus haut.
Enfin Garcia et Villalobos m’apprennnent – mais sans mentionner la source – que Philiscos aurait été le professeur de grec d’Alexandre le Grand.
Qui imaginera un dialogue où Aristote et Philiscos devisent sur les mérites de leur illustre élève ?
En tout cas, qu’il s’appelle Diogène ou Philiscos, le cynique a à coeur de donner des leçons à Alexandre.

vendredi 27 mars 2009

Diogène de Sinope: réussir à être quelqu'un en n'étant pourtant plus personne aux yeux des autres.

"Certains disent que Diogène mourant ordonna qu'on le jetât en terre sans sépulture afin que n'importe quelle bête sauvage pût prendre sa part, ou qu'on le poussât dans un trou et qu'on le recouvrît d'un peu de poussière (selon d'autres, il demanda qu'on le jetât dans l'Illissos) afin qu'il fût utile à ses frères." écrit Laërce en VI 79.
Le texte est allusif mais il est permis d'identifier les bêtes sauvages et les frères aux chiens. Or, on mesure mieux à quel point Diogène s'oppose aux valeurs grecques traditionnelles si on sait que chez Homère le pire de ce qui peut arriver à un cadavre est précisément d'être déchiré par les chiens. Ainsi quand Priam évoque devant Hector sa mort dans Troie assiégée, il dit:
" Moi-même, le dernier, les chiens, à la porte extérieure, sanguinaires, me déchireront, quand quelqu'un, avec le bronze aigu, m'ayant frappé de près ou de loin, aura ôté la vie à mes membres; ces chiens que j'ai nourris dans mon palais, portiers vivant de ma table, et qui, ayant bu mon sang, le coeur enragé, resteront couchés devant les portes (...) Quand c'est la tête blanchissante, le menton blanchissant, les parties d'un vieillard égorgé qu'outragent les chiens, il n'y a rien de plus pitoyable chez les misérables mortels" (L'Iliade XXII 74-76 traduction Lasserre)
Certes il y sans doute ici un double outrage du fait que Priam imagine être dévoré par ses propres chiens. A ce propos, Jean-Pierre Vernant écrit:
" C'est le monde à l'envers qu'évoque Priam, toutes les valeurs sens dessus dessous, la bestialité installée au coeur du foyer domestique, la dignité du vieillard tournée en dérision dans la laideur et l'impudicité, la destruction de tout ce qui dans le cadavre appartient proprement à l'homme." (L'individu, la mort, l'amour p.1349 Oeuvres II)
Cependant la honte est déjà totale même si les animaux anthropophages sont sauvages. Le chant I de l'Iliade évoque dès la première ligne cette horreur:
" Chante la colère, déesse, du fils de Pélée, Achille, colère funeste, qui causa mille douleurs aux Achéens, précipita chez Hadès mainte forte âme de héros, et fit de leurs corps la proie des chiens et des oiseaux innombrables"
C'est contre une telle mort infâme que Priam met en garde Hector en le suppliant de ne pas affronter Achille:
" S'il te tue, plus moyen même de te pleurer sur un lit, cher rejeton, pour moi qui t'enfantai, ni pour ta femme, riche de cadeaux. Fort loin de nous, près des vaisseaux argiens, les chiens rapides te dévoreront." (Chant XXII)
Ce que Vernant commente ainsi:
" L'outrage porte ici l'horreur à son comble. Le corps est mis en pièces en même temps que dévoré tout cru au lieu d'être livré au feu, qui, en le brûlant, le restitue dans l'intégralité de sa forme à l'au-delà. Le héros dont le corps est ainsi livré à la voracité des bêtes sauvages est exclu de la mort en même temps que déchu de la condition humaine. Il ne franchit pas les portes de l'Hadès, faute d'avoir eu sa "part du feu"; il n' a pas de lieu de sépulture, pas de tertre ni de sèma, pas de corps funéraire localisé, marquant, pour le groupe social, le point de la terre où il se trouve situé, et où se perpétuent ses rapports avec son pays, sa lignée, sa descendance, ou même simplement les passants. Rejeté de la mort, il se trouve du même coup rayé de l'univers des vivants, effacé de la mémoire des hommes. Davantage, le livrer aux bêtes, c'est le dissoudre dans la confusion, le renvoyer au chaos, à une entière inhumanité: devenu, dans le ventre des bêtes qui l'ont dévoré, chair et sang d'animaux sauvages, il n'y a plus en lui la moindre apparence, la moindre trace de l'humain: il n'est strictement plus personne." (ibidem p.1357)
Si Diogène le cynique demande cette mort infâme, ce n'est pas pour ne plus être personne mais pour illustrer à quel point il enlève toute valeur au groupe social et à ses usages. L'entière humanité consiste désormais à ne plus identifier ce qu'on est à ce que le regard du groupe juge qu'on est. Mais on sait qu'il y a une autre mort de Diogène plus conforme aux usages.

mercredi 25 mars 2009

Voir dans les choses autre chose que de simples choses: vice ou vertu ?

Devenir stoïcien implique remettre les choses à leur place, les séparer de toutes leurs connotations, les réduire à leur matérialité neutre. Par exemple, comme l'écrit Marc-Aurèle, ne voir dans un mets précieux que le cadavre d'une bête, dans un vin rare que des raisins écrasés. On pourrait identifier là un appauvrissement de la perception, une renonciation paradoxale à la capacité d' estimer finement les nuances et les contextes. Mais ce que je souhaite souligner aujourd'hui, c'est l'extrême difficulté de l'exercice non pas en lui-même et intemporellement mais en relation avec l'image des choses qui accompagne ce que Jean-Pierre Vernant appelle dans L'individu, l'amour, la mort (1989) "le corps présocratique".
Lisons par exemple ces lignes où les armures sont essentiellement autre chose que des pièces métalliques travaillées d'une certaine manière:
" Les puissances qui, pénétrant le corps, opèrent sur sa scène intérieure pour le mouvoir et l'animer trouvent hors de lui, dans ce que l'homme porte ou manie: vêtements, protection, parure, armes outils - des prolongements permettant d'élargir le champ de leur action et d'en renforcer les effets. Prenons un exemple. L'ardeur du menos brûle dans la poitrine du guerrier; elle brille dans ses yeux; parfois, dans des cas exceptionnels où elle est portée à incandescence, comme chez Achille, elle flamboie au-dessus de sa tête. Mais c'est elle encore qui se manifeste dans l'éclat éblouissant du bronze dont le combattant est revêtu: montant jusqu'au ciel, la lueur des armes qui provoque la panique dans les rangs ennemis est comme l'exhalaison du feu intérieur dont le corps est brûlé. L'équipement guerrier, avec les armes prestigieuses qui disent la carrière, les exploits, la valeur personnelle du combattant, prolonge directement le corps du héros; il adhère à lui, s'apparente à lui, s'intègre à sa figure singulière comme tout autre trait de son armorial corporel." (Oeuvres II p.1318)
La tâche de l'élève stoïcien est donc multiple: défaire la chose des corps environnants, l'abstraire de sa fonction, en faire quasi une réduction physicaliste. En guise d'entraînement lire Homère comme un bêtisier, comme le catalogue de toutes les projections délirantes, de toutes les associations confuses.
Reste que, stoïcisme mis à part, les descriptions homériques sont peut-être, phénoménologiquement parlant, fort perspicaces.

mardi 24 mars 2009

Le garçon de café stoïcien.

Les Stoïciens opèrent une réduction des choses à leurs constituants objectifs afin de les détacher de toutes les propriétés qui font courir le risque à celui qui les reconnaît de perdre le contrôle de lui-même.
Ainsi un garçon de café stoïcien devrait réduire un pourboire à une quantité de métal.
En effet, vu qu’on ne peut pas passer de « ce pourboire n’est pas très généreux » à « cette quantité de métal n’est pas très généreuse », la mesquinerie des clients le laisserait impassible. Cependant s’il opérait une telle réduction systématiquement, il ne pourrait pas accomplir sa fonction sociale comme il se doit, ce à quoi s’oblige pourtant tout stoïcien. Par exemple remercier le client généreux (ce qu’on attend de tout garçon honoré d’un pourboire généreux) implique l’identification de ce qui est laissé par le client comme pourboire généreux.
Le garçon de café stoïcien paraît donc condamné à un va-et-vient entre réduction et identification coutumière. L’identification coutumière serait requise chaque fois qu’elle conditionnerait l’accomplissement correct de la tâche (ainsi dans un grand restaurant le serveur malhabile qui souillerait la nappe de gouttes de vin ne devrait pas réduire les traces à des modifications chimiques) ; en revanche la réduction serait impérative chaque fois qu’elle conditionnerait le contrôle de soi. Il y a alors une tension forte entre les deux attitudes car le contrôle de soi professionnel va dans le sens inverse du contrôle de soi éthique, vu que la réduction dessert le premier et sert le second.
On peut résoudre à première vue la contradiction en envisageant que le garçon de café fasse comme s’il reconnaissait la valeur du pourboire, comme s’il avait honte d’avoir taché la nappe etc. On peut cependant se demander dans quelle mesure ne pas tenir pour vraies les croyances inhérentes à l’exercice d’une profession n’est pas un obstacle à l’exercice en question. Entre quelqu’un qui joue au garçon de café et un garçon de café, il n’y a pas peut-être pas seulement la différence intérieure qu’on pourrait apprécier variablement selon qu’on reconnaît ou non la valeur des habitus, il y a peut-être aussi différence objective dans l’accomplissement de la fonction ( peut-on désirer faire quelque chose sans tenir pour vraies toutes les croyances qui justifient le faire en question ?).

" A la grecque !!" de Guillaume Clayssen

Guillaume Clayssen me dit avoir trouvé entre autres dans la lecture des textes que j'ai consacrés à Diogène Laërce l'idée de faire monter sur scène les philosophes antiques. Il est vrai que les plus exhibitionnistes d'entre eux, les Cyniques, font quelquefois un sacré théâtre.
Cette idée est devenue une oeuvre, qui par son titre doublement exclamatif et peut-être ainsi à mi-chemin entre nostalgie et ironie évoque une façon de faire, un style, un art de vivre - même s'il doit y avoir maintes manières de vivre et de penser "à la grecque".
J'invite donc mes quelques lecteurs, épisodiques ou fidèles, à se rendre au théâtre de Suresnes pour y assister à l'oeuvre de Guillaume Clayssen.

vendredi 13 mars 2009

Marc-Aurèle vu par Carla Bruni-Sarkozy.

Carla Bruni parlant de Nicolas Sarkozy:
"En ce moment il est plongé dans "Les mots" de Sartre, Alexandre Dumas et les "Pensées" de Marc-Aurèle qui sont très intéressantes puisque c'était un empereur philosophe." (source: Le Figaro Madame)
Problème: puisqu'il était un esclave philosophe, Epictète a-t-il eu des pensées intéressantes ?

Commentaires

1. Le mercredi 8 avril 2009, 16:30 par Arnaud
Absurde, en effet, même si l'on devine bien où elle veut en venir. Le terme "intéressant" aurait en l'espèce une connotation "utilitariste" et réflexive (au sens de spéculaire plutôt que de spirituel)...
2. Le vendredi 8 janvier 2010, 21:10 par M.A.
Il se peut aussi que Sarkozy soit, sans que nous le sachions, un esclave... de Carla ?
3. Le dimanche 10 janvier 2010, 11:37 par philalèthe
Il faudrait déjà qu'on sache déterminer à partir de quel degré une dépendance devient un esclavage ! L'appréciation semble largement personnelle.
Reste que pour de nombreux philosophes antiques - entre autres les épicuriens - liberté de l'esprit et amour ne peuvent pas coexister. En revanche l'esclavage au sens juridique n'impliquant pas une dépendance sentimentale, il est compatible avec la liberté de l'esprit. D'où la référence à Epictète, esclave philosophe.

mercredi 11 mars 2009

Socrate et la bourgeoisie hostile au Front Populaire.

C'est une remarque datée, tirée d'un livre fondamental, écrit pendant la 2ème guerre mondiale; elle offre, pour comprendre Socrate, une contextualisation et une comparaison inhabituelles.
"Le parti pris laconisant qui régnait dans les milieux réactionnaires d'Athènes, celui par exemple où vécut Socrate, est aussi fort que celui que la bourgeoisie française des années du "Front Populaire" manifestait en faveur de l'ordre et de la puissance mussoliniennes."
L'auteur est Henri-Irénée Marrou dans son Histoire de l'éducation dans l'Antiquité (Points Seuil p.52).

samedi 7 mars 2009

Éthique torera / éthique existentialiste.

Francis Wolff formule dans sa Philosophie de la corrida "les dix commandements du torero pour être torero". Voici le premier commandement:
"L'éthique "torera" est une éthique de l'être. Son premier commandement énonce donc:
Tu seras torero, c'est-à-dire tu seras d'abord, toujours, et absolument conforme à ton office.
Autrement dit: ton "être torero" précède, détermine et valorise tes actes de torero, même lorsque tu n'es pas en train de les accomplir, et même si tu les accomplis mal." (p.170)
Ce commandement exemplifie parfaitement une éthique essentialiste. C'est l'inverse de l'existentialisme. En termes sartriens, le torero est de mauvaise foi, il illustre l'esprit de sérieux, c'est un lâche.

vendredi 6 mars 2009

La corrida, le torero et le stoïcien.

Francis Wolff a publié en 2007 une Philosophie de la corrida. Dans ce livre incontestablement brillant, il se propose de "faire d'un objet d'amour un objet de pensée" (p.9).
Dans le chapitre III "Être torero", il souligne longuement l'identité de l'éthique du torero et de celle du stoïcien:
" C'est une éthique de l'ascèse (par opposition aux morales du bien-être), c'est une éthique de l'être (par opposition aux morales de l'action), c'est une éthique de l'individu d'exception, sage ou héros (par opposition aux morales communes), c'est une éthique internaliste de l'identification à son office - son costume si l'on veut -, par opposition aux morales de l'obéissance à des commandements extérieurs. C'est une éthique de la mise en scène de son propre détachement vis-à-vis de l'accidentalité et de la mort (par opposition aux morales de l'authenticité). C'est une éthique de la liberté par le combat - contre soi et le monde, contre la vie et la mort -, par opposition à la liberté d'agir à sa guise. On voit que tous ces éléments forment bien un échafaudage proche du système stoïcien, plus particulièrement dans sa version romaine, telle qu'on la trouve formulée au mieux chez Épictète, l'esclave maître des empereurs." (p.168-169)
Je ne veux pas aujourd'hui porter de jugement sur un tel rapprochement, juste rappeler un texte que Wolff ne mentionne pas mais qui, 125 ans avant son apologie de la corrida, compare déjà les stoïciens à des toreros. Il s'agit du fragment 122 du troisième livre du Gai savoir auquel j'avais consacré le billet du 12 Février 2008.
La différence entre Wolff et Nietzsche est nette: Nietzsche rabaisse le stoïcien en l'identifiant au torero alors que Wolff élève le torero en le comparant au stoïcien.

Commentaires

1. Le vendredi 6 mars 2009, 23:34 par Nicotinamide
Votre billet recherche la polémique, et plus que la polémique, l'étonnement. En effet pourriez-vous expliquer ce que signifie la succession des éthiques ?
Qu'est-ce qu'une éthique de l'ascèse ?
Qu'est-ce qu'une éthique du costume ?
Qu'est-ce qu'une éthique de l'être ?
Qu'est-ce qu'une éthique de l'individu d'exception ?
Qu'est-ce qu'une éthique de la liberté par le combat contre soi ?
Qu'est-ce qu'une éthique de la liberté par le combat contre le monde ?
Qu'est-ce qu'une éthique de la liberté par le combat contre contre la vie ?
Qu'est-ce qu'une éthique de la liberté par le combat contre la mort ?
Ces éthiques dont la somme constitue l'Ethique de la Bouse et du Torero s'opposent naturellement à des morales d'esclaves et du ressentiment vulgaire.
Ne comprenant pas ce qu'il veut dire, je ne saisis pas comment il arrive à conclure qu'un homme déguisé en poisson de lumière, plantant des banderilles dans le dos d'un bovin se compare avec un échaffaudage stoicien ?
En effet, la différence entre Wolff et Nietzsche est nette, je doute que Wolff tombe au cou d'un taureau battu par un charretier turinois. Il n'aurait pas écrit non plus l'aphorisme 220 du gai-savoir
2. Le samedi 7 mars 2009, 11:56 par Philalèthe
Votre référence à l'aphorisme 220 du Gai Savoir  (" Sacrifice. Pour ce qui en est du sacrifice et de l'esprit du sacrifice, les victimes pensent autrement que les spectateurs; mais jamais on ne les a laissés parler") est en effet opportune car d'abord Wolff pense que l'interprétation sacrificielle de la corrida la rend intelligible en partie et ensuite parce qu'en un sens il fait parler le taureau mais pas pour lui faire dire ce que vous imagineriez:
" L'animal qui combat, en tant qu'il est un animal bravo, met la valeur de son combat au-dessus de sa propre souffrance (...) la bravura est aussi un mode d'"être animal" , une certaine manière de vivre en combattant, qui se manifeste selon les degrés d'une vertu variable, la combativité. (...)Et qui pourrait nier que le taureau de combat, sans exprimer la morale absolue (il n'y en a pas) est porteur d'une éthique, qui se résume au slogan de la Pasionaria: "Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux" ?" 
Loin d'être objet de pitié, le taureau bravo est pour Wolff objet d'admiration:
"Qui aime la corrida aime forcément les taureaux. Il se rêve sûrement lui-même en taureau - il n'y a guère d'exception à cette règle. Il se plaît à cette pensée: devenir taureau - à défaut de pouvoir être torero."
Quant à ce que ressent le taureau, Wolff le détermine à partir de la réflexion sur les hommes d'une part et à partir de thèses de médecine vétérinaire:
" On sait que pour un vivant, des blessures au combat ne sont pas ressenties psychologiquement, ni même physiquement, comme des "souffrances": le soldat - ou le torero !- "oublie" ses blessures dans l'ardeur du combat, elles ne sont pas éprouvées comme simples douleurs, elles sont absorbées par l'action et transformées en actes justement (...) En outre le taureau libère, pendant son combat, une quantité exceptionnelle de beta-endorphines qui ont pour effet de bloquer les récepteurs de la douleur, en sorte que le combat provoque en lui une sorte d'excitation jouissive qui compense la souffrance."
Il faut cependant mettre au crédit de Wolff une certaine lucidité concernant le risque couru par son entreprise apologétique:
"N'avons-nous fait là que rationaliser une passion ? Peut-être"
Toutes les citations sont extraites du chapitre II (De nos devoirs vis-à-vis des animaux en général et des taureaux de combat en particulier). Pour la discussion du bien-fondé de cette défense de la corrida, je renvoie au billet de Julien Dutant.
3. Le samedi 7 mars 2009, 17:51 par herve
N'ayant pas lu le livre de Francis Wolff, je me permets quelques remarques et questions auxquelles Francis Wolff répond peut-être par ailleurs, mais inspirées seulement par les passages que vous citez.
Si l'éthique du torero est une "éthique de de la liberté par le combat - contre soi et le monde, contre la vie et la mort", alors, par un aspect au moins, la tauromachie rejoint ce que disent certains anthroplogues à propos du sacrifice animal : l'animal y joue un rôle substitutif, il _figure_ (au sens de la figuration) des enjeux humains. Francis Wolff confirme une approche anthropomorphique en faisant parler le taureau, et en évoquant l'identification de l'aficionado au taureau ("devenir taureau").
Comme il ne peut s'agir d'une pure et simple assimilation à un animal, il est plausible que soit plutôt visée une captation de la puissance du taureau telle qu'elle est suscitée, fabriquée par les hommes dans les conditions bien précises de l'élevage et de la ritualité de la corrida. Or, celles-ci ne correspondent en rien aux situations de combat que le taureau connaît lorsqu'il affronte des animaux non-humains...
Et pourquoi _mettre en scène_ "son propre détachement vis-à-vis de l'accidentalité et de la mort" par un spectacle comme la corrida ? Le stoïcien, puisque Francis Wolff s'en réclame, n'a-t-il pas suffisamment à faire avec sa vie et le monde comme il va pour y exercer "une éthique de l'ascèse" ?
De plus, et cela rejoint d'une certaine façon la question de "l'adresse" du discours et de l'action stoïciens, de leur(s) destinataire(s) (soi, l'ami, les autres, etc.), pourquoi faire étalage de "son propre détachement" devant la foule assemblée dans une arène ?
Sur ce dernier point, Francis Wolff, qui se réfère à Epictète, en est fort loin :
"Lorsque tu as frugalement accordé au corps ce qu'il exige, n'en tire point vanité. Si tu ne bois que de l'eau, ne va pas dire à tout propos que tu ne bois que de l'eau. Et si tu veux t'endurcir à la peine, fais-le pour toi et non pour les autres. Ne tiens pas les statues embrassées. Mais lorsque tu as grand soif, hume un peu d'eau fraîche, rejette-là et n'en dis mot à personne. (Epictète, Manuel XLVII)
4. Le samedi 7 mars 2009, 23:59 par Nicotinamide
Je crois que le rapprochement entre la danseuse macabre et le stoicien est grotesque. Le passage cité répète les inepties (éthique de la mise en scène de l'accidentalité, éthique du costume...). Il joue l'effet rhétorique en opposant une éthique, concept noble et singulier contre les morales, principes de troupeaux castrateurs et vulgaires). Ce texte alimenterait encore les critiques de Julien Dutant sur la poésie sophistiqué de Wolf.
Les passages suivants restent dans la logique de l'amour des spectacles sadiques. L'Ethique du taureau de combat s'oppose aux morales des vaches d'abattoir. Evidemment le taureau est content et en plus ça fait pas mal. (autre exemple de mauvaise foi après "le torero est un lâche")
En rentrant dans l’arène, mon fils me demandait : "y sont où les romains ?" La course camarguaise me semblait ludique, ils courent devant le coup de tête... Mais les raseteurs paraissaient devenir un bombinement de mouches douloureuses autour de ces pauvres vaches. Ils se croisaient pour venir griffer le front d'un boeuf déjà acculé contre le bord. Je ressentis du dégoût, un malaise et une profonde tristesse. Par conséquent, je ne comprends pas comment l'on peut prétendre être amoureux du spectacle d'une mise à mort. Peut-être que je ne me plait pas à cette pensée "devenir-taureau". Par contre une autre idée de Deleuze me vient lorsque je pense à la corrida et aux amoureux des sacrifices : la honte d'être un homme, j'ai honte d'être un homme.
PS :
Sénèque :
Lettre 7
La foule t’applaudit ! Eh ! qu’as-tu à te complaire si tu es de ces hommes que la foule comprend ? C’est au dedans de toi que tes mérites doivent briller.
Lettre 121
Quand je recherche pourquoi la nature a mis l'Homme au-dessus des autres animaux, crois-tu que je m’écarte bien loin de la morale ?
Lettre 108
je m’abstins dès lors de toute nourriture animale ; et un an de ce régime me l’avait rendu facile, agréable même. Mon esprit m’en paraissait devenu plus agile ; et je ne jurerais pas aujourd’hui qu’il ne l’était point. Tu veux savoir comment j’ai discontinué ? L’époque de ma jeunesse tomba sous le principat de Tibère : on proscrivait alors des cultes étrangers ; et parmi les preuves de ces superstitions était comptée l’abstinence de certaines viandes. À la prière donc de mon père, qui craignait peu d’être inquiété, mais qui n’aimait point la philosophie, je repris mon ancienne habitude ; et il n’eut pas grand’peine à me persuader de faire meilleure chère.
Lettre 80
je me promettais du silence, une solitude que rien n’interromprait ; et voici qu’une bruyante clameur, partie de l’amphithéâtre, vient, non m’arracher à mon calme, mais me faire songer à ce débat si passionné des spectateurs. Je considère à part moi combien de gens exercent leur corps, et combien peu leur esprit ; quel concours de peuple à un spectacle de mensonge et d’illusion, et quel désert autour de la science ; quels imbéciles esprits dans ces hommes dont on admire l’encolure et les muscles.
Lettre 37
Ta glorieuse obligation est la même quant à la formule que celle du vil gladiateur : souffrir le feu, les fers, le glaive homicide. Ceux qui louent leurs bras pour l’arène, qui mangent et boivent pour avoir plus de sang à donner, se lient de façon qu’on puisse même les contraindre à souffrir tout cela ; toi, tu entends le souffrir volontairement et de grand cœur. Ils ont droit de rendre les armes, de tenter la pitié du peuple ; toi, tu ne rendras point les tiennes et ne demanderas point la vie : tu dois mourir debout et invaincu
Nietzsche le voyageur et son ombre § 57:
rapports avec les animaux
5. Le dimanche 8 mars 2009, 00:10 par Nicotinamide
J'oubliai presque :
Plutarque rapporte un mot de Bion qui rapporte un mot d'Aristote :
"Les gamins se font un jeu de lancer des pierres aux grenouilles mais les grenouilles en meurent et non par jeu."
(p. 133 du Paquet, grand format)
6. Le dimanche 8 mars 2009, 12:02 par Philalèthe
Vos interventions, pour lesquelles je vous remercie, ne font qu'augmenter la grande réserve que j'ai ressentie en lisant ces passages de Wolff et en effet un des arguments réfutant cette identification met en évidence la relation du matador avec la foule, face à laquelle il s'exhibe, et de laquelle il attend la reconnaissance de sa valeur. Or, il va de soi que cette conduite est précisément condamnée par les stoïciens quand Epictète par exemple commande de ne pas jouer au philosophe devant les autres mais de l'être. Il y a alors une relation de soi à soi qui passe par la médiation de l'ami mais en aucun cas par celle du public (même à imaginer un public constitué exclusivement de connaisseurs).
En revanche je comprends bien qu'un matador puisse être stoïcien, au sens où il ferait son devoir de matador, c'est-à-dire son métier, rien de plus, de manière stoïcienne. Mais vue ainsi, la vie stoïcienne est compatible avec beaucoup de métiers (pas avec tous: on ne peut pas être un tortionnaire stoïcien). Mais à coup sûr on peut être par exemple un boucher stoïcien (ce n'est pas une manière de dire un torero stoïcien !).

mercredi 4 mars 2009

Sénèque (43): comment neutraliser et le corps et le luxe ou maison en soi et maison pour soi.

Voici les dernières lignes du cri (clamo) que Sénèque adresse aux autres (aliis) après avoir trouvé le droit chemin (iter rectum):
« Hanc ergo sanam ac salubrem formam vitae tenete, ut corpori tantum indulgeatis, quantum bonae valetudinis satis est. Durius tractandum est, ne animo male pareat: cibus famem sedet, potio sitim extinguat, vestis arceat frigus, domus munimentum sit adversus infesta temporis. Hanc utrum caespes erexerit an varius lapis gentis alienae, nihil interest: scitote tam bene hominem culmo quam auro tegi. Contemnite omnia, quae supervacuus labor velut ornamentum ac decus ponit: cogitate nihil praeter animum esse mirabile, cui magno nihil mágnum est
« Observez donc un mode de vie sage et salutaire de façon à ne complaire au corps que dans la mesure où c’est nécessaire à une bonne santé. Il faut le traiter assez durement pour qu’il n’obéisse pas mal à l’esprit : que la nourriture calme la faim, que la boisson apaise la soif, que le vêtement protège du froid, que la maison défende contre l’hostilité du temps. Il n’importe en rien qu' elle ait été construite en mottes de terre ou dans une pierre étrangère aux nuances variées : sachez que l’homme est abrité aussi bien par le chaume que par l’or. Méprisez tout ce qu’un travail superflu pose d’ornement et de parure : pensez que rien n’est plus admirable qu’un grand esprit pour lequel rien n’est grand »
A lire vite ce texte, il semble pouvoir avoir été écrit par un épicurien, il fait en effet l’éloge de la satisfaction simple des besoins. Mais l’image du corps qui en ressort le distingue nettement des présentations épicuriennes : le corps est présenté comme un ennemi potentiel et la vie droite repose sur sa neutralisation (le neutraliser, c’est lui donner juste sa part, rien de moins mais rien de plus). Or, il me semble que le corps n’est pas au fond le danger pour le penseur épicurien car ce qui conduit quelqu’un à satisfaire son corps au-delà du raisonnable, ce n’est pas le corps mais les opinions fausses relatives à l’usage du corps. L’épicurien suit les tendances de son corps en évitant seulement qu’elles soient détournées par l’erreur vers des objets inaccessibles.
Ceci dit, je crois voir dans ce passage deux argumentations distinctes. La première défend la frugalité et la sobriété mais la seconde explique comment on peut mener une vie simple tout en vivant dans le luxe. Cela repose sur trois conditions :
a) voir dans la chose luxueuse non sa matière mais sa fonction, ce qui permet de l’identifier à une chose ordinaire faite d’une matière commune mais ayant la même fonction (la pierre rare ne sert à rien de plus que la terre)
b) enlever toute valeur (mépriser) à ce qui objectivement (d’un point de vue monétaire) en a (la pierre rare n’est rien de mieux que la terre)
c) donner la plus haute des valeurs à l’esprit capable de réaliser a) et b).
Il s’agissait donc cette fois de neutraliser non plus le corps mais le luxe. Pour cela, il fallait voir ce qui est luxueux sous l’aspect de ce qui ne l’est pas.
Cette tactique neutralise le luxe acquis mais ne revient pas à justifier la recherche du luxe.
Il suffirait cependant qu’une telle recherche soit jugée nécessaire à l’accomplissement des devoirs pour que l’argument fonctionne de manière à faire de celui qui se bâtit une maison luxueuse en l’identifiant à une chaumière quelqu’un d'identique à celui qui se bâtit une chaumière (il va de soi que si ce dernier voyait la chaumière comme un palais, il ferait un mauvais usage de l’argument qui est destiné à réviser à la baisse et non à la hausse).

mardi 3 mars 2009

Sénèque (42): l'homme, chasseur chassé.

Sénèque poursuit ainsi la huitième lettre à Lucilius:
"Rectum iter, quod sero cognovi et lassus errando, aliis monstro. Clamo: “Vitate quaecumque vulgo placent, quae casus adtribuit: ad omne fortuitum bonum suspiciosi pavidique subsistite. Et fera et piscis spe aliqua oblectante decipitur. Munera ista fortunae putatis ? Insidiae sunt. Quisquis vestrum tutam agere vitam volet, quantum plurimum potest, ista viscata beneficia devitet, in quibus hoc quoque miserrimi fallimur : habere nos putamus, haeremus. In praecipitia cursus iste deducit : huius eminentis vitae exitus cadere est. Deinde ne resistere quidem licet, cum coepit transversos agere felicitas, aut saltim rectis aut semel ruere : non vertit fortuna, sed cernulat et allidit."
" Le droit chemin, que j’ai connu tard et fatigué d’errer, je le montre aux autres. Je leur crie : « Evitez tout ce qui plaît à la foule, tout ce que le hasard attribue : devant tout bien fortuit, soupçonneux et craintifs, tenez bon. La bête sauvage, le poisson sont abusés par une espérance qui les charme. Vous pensez que ce sont des faveurs de la fortune ? Ce sont des pièges. Quiconque parmi vous veut mener une vie sûre, qu’il fuie autant qu’il le peut ces bienfaits qui sont comme de la glu et sur lesquels, très misérables nous nous trompons à la pensée aussi que nous les avons alors qu’ils nous tiennent. Une telle course mène à des précipices : l’issue de cette vie élevée est la chute. En plus il n’est même pas permis, quand la félicité commence à pousser de travers, de couler au moins droit ou tout d’un coup: la fortune non seulement renverse mais culbute et fracasse."
Trois remarques:
1) Sénèque n' appelle pas ceux auxquels il s'adresse à autre chose qu'à rester soupçonneux et craintifs (pavidi) devant les biens qui ont la faveur de la foule. S'il ne les exhorte pas à être sûrs d'eux et impavides, c'est qu'il a affaire à des progressants.
2) L'animal représente ici ce que l'homme ne doit pas être, mais il n'est pas rare que dans le cadre du stoïcisme l'animal soit analysé comme un modèle de l'homme; comme le dit Goldschmidt (1953) , " le devoir chez l'animal est parfait d'emblée" (Le système stoïcien et l'idée de temps 1985 p.127). Mais à vrai dire autant la bête sauvage que le poisson accompliraient parfaitement leur devoir, c'est-à-dire vivraient selon la nature, si les chasseurs ne leur tendaient pas des appâts. Les hommes de la foule sont ainsi clairement identifiés à des bêtes chassées. Mais qui sont les chasseurs ? Les opinions fausses ?
3) En quelques lignes trois métaphores s'enchaînent: être malheureux, c'est être pris - par le chasseur -, tomber de haut et être fracassé par la tempête. Sénèque ne nie pas cependant la possiblité pour l'homme de la foule de faire l'expérience du bonheur (felicitas): l'espérance du plaisir (spes oblectans) tient en partie ses promesses, on monte en effet très haut (vita eminens), mais comme un vent qui brutalement détourne de la route qu'on veut suivre (transversos agere), l'enchaînement des faits incontrôlés produit la ruine (la dernière ligne de ce passage doit être méditée par les spéculateurs fous).

dimanche 1 mars 2009

Sénèque (41): s'éloigner des contemporains pour se rapprocher des hommes de demain.

Sénèque commence par ces lignes la huitième lettre à Lucilius :
« Tu me, inquis, vitare turbam jubes, secedere et conscientia esse contentum ? Ubi illa praecepta vestra, quae imperant in actu mori ? » Quod ego tibi videor interim suadere, in hoc me recondidi et fores clusi, ut prodesse pluribus possem. Nullus mihi per otium dies exit : partem noctium studiis vindico : non vaco somno, sed succumbo et oculos vigilia fatigatos cadentesque in opere destino. Secessi non tantum ab hominibus, sed a rebus, et inprimis a meis rebus : posterorum negotium ago. Illis aliqua quae possint prodesse conscribo: salutares admonitiones, velut medicamentorum utilium compositiones, litteris mando, esse illas efficaces in meis ulceribus expertus, quae etiam si persanata non sunt, serpere desierunt. »
« C’est toi, dis-tu, qui m’engage à éviter la foule, à me retirer et à me contenter de ma conscience ? Où sont vos grands préceptes, qui commandent de mourir en agissant ? » Conformément à ce qu’il semble que je te conseille parfois, je me suis tenu à l’écart et j’ai fermé les portes pour pouvoir être utile au plus grand nombre. Pour moi aucun jour ne s’écoule à ne rien faire : je revendique une partie des nuits pour les études, je ne donne pas mon temps au sommeil mais j’y succombe et je fixe sur le travail mes yeux qui se ferment, épuisés par la veille. Je me suis retiré pas seulement des hommes mais aussi des affaires et surtout de mes affaires : je travaille pour ceux qui viennent après nous. J’écris pour eux des choses qui peuvent être utiles : des remarques salutaires, pareilles à des préparations médicamenteuses, que je consigne par écrit et dont j’ai eu l’expérience de l’efficacité sur mes propres plaies qui, même si elles ne sont pas parfaitement guéries, ont cessé de s’étendre. »
L’objection à laquelle Sénèque répond est sensée : à partir du moment où il fait l’éloge du retrait, dans quelle mesure a-t-on encore affaire à une vie stoïcienne et non pas épicurienne ?
Sa réponse est nette : ce qu’on est porté à prendre pour du loisir (otium) n’en est pas, c’est un travail (neg-otium). Le modèle ici est le médecin qui met sa personne au service du bien-être des malades.
La dimension thérapeutique de la philosophie était déjà manifeste dans la Lettre à Ménécée d’Epicure mais ce qui caractérise le médecin auquel se rapporte Sénèque, c’est qu’il est un médecin convalescent, figure intermédiaire entre le médecin malade et le médecin sain. Ce dernier correspondrait à la figure du philosophe épicurien tandis que le médecin malade est dans le cadre du stoïcisme au moins une contradiction dans les termes.
Il ne me semble pas qu’on trouve dans les textes épicuriens de références aux médecins malades. Si c’est vraiment le cas, on peut s’interroger sur la raison d’une telle absence (hypothèse : l’épicurisme a des remèdes immédiatement efficaces, le stoïcisme a des remèdes dont l’efficacité prend du temps – les stoïciens auraient eu davantage conscience de la profondeur des blessures).
On ne trouve pas non plus dans le cadre épicurien cette figure du médecin laborieux, comme si la découverte des remèdes avait été aussi immédiate que leur effet une fois qu’on les prend.
Le souci du bien-être de la postérité que Sénèque manifeste ici le sépare aussi du souci épicurien qui s’adresse à l’ami. A ce propos, il y a une tension entre ce passage et l’élitisme explicite de la fin de la lettre 7. Plures (le grand nombre) n’est plus associé à ce qu’il faut mépriser (plus exactement Lucilius était encouragé à mépriser le plaisir venant de l’approbation du plus grand nombre) ; il désigne ceux auxquels Sénèque s’efforce d’être utile. Il y a en effet ici une distinction entre deux sortes d’engagement public : un engagement public politique visible relatif aux contemporains et un engagement public éthique invisible relatif aux descendants. Or, il semble bien qu’en se présentant en ces termes, Sénèque réécrit la sentence d’Epicure par laquelle il fermait la 7ème lettre, ce qui donnerait : « Haec ego non tibi, sed multis : non satis enim magnum alter alteri theatrum sumus »…