vendredi 29 juillet 2011

C.R.S. = S.S. Qui ont eu droit les premiers à un point Godwin, les communistes ou les gauchistes ?

J'étais persuadé que le slogan C.R.S = S.S. était une invention de Mai 68. Or quelle n'est pas ma surprise de le trouver dans un article de Roger Vailland paru dans Action, le quotidien communiste en novembre 1948 :
" Des camarades venus les uns d' Amérique du Sud, les autres de Pologne ou de Tchécoslovaquie, me disaient au cours de ces dernières semaines que "l'opéra est à réinventer". Ils entendaient par là que les travailleurs de leurs pays réclamaient un spectacle complet : danses, chants, mimes, décors et texte significatif, - tout ce que l'opéra aurait pu donner s'il n'était devenu très vite un genre purement formel qui n'intéresse plus que les amateurs du bel canto. L'opéra réinventé sera sans doute par excellence le spectacle populaire de l'avenir. Imaginez aujourd'hui même un opéra réinventé sur la grève des mineurs. Quel décor, quel ballet de tragédie, quelques textes à faire sur le thème C.R.S. = S.S. !"
On trouve ce texte ainsi que beaucoup d'autres articles de Vailland dans Roger Vailland publié en 1973 chez Seghers dans la collection Ecrivains d'hier et d'aujourd'hui par Elisabeth Vailland et René Ballet.
En 1955, l’usage de l’expression est assez ordinaire pour que Vailland en fasse une identification quasi réflexe qu’il place dans la bouche des ouvriers et de leur famille, au moment où ils voient les C.R.S s’apprêter à charger les grévistes :
“ Les femmes et les vieux travailleurs étaient sur le pas de leurs portes, le visage blanc. Ils enfonçaient les ongles dans la paume de la main. Ils regardaient dans un terrible silence les hommes noirs monter vers leurs maris et leur fils, la matraque noire à la main, ils murmuraient : “ Les S.S.” ( Les journées d’Homecourt L’Humanité Dimanche 10 Juillet 1955)

Commentaires

1. Le vendredi 5 août 2011, 19:21 par sopadeajo
"L'opéra réinventé sera sans doute par excellence le spectacle populaire de l'avenir."
Et qui aurait pu expliquer à un vieux loup communiste, combien il se fourvoyait en 1948, puisque ce seraient les amerloques, avec l´utilisation des anciens esclaves noirs, à peine affranchis à cette époque aux étatsunis , qui populariseraient l´opéra partout dans le monde et que cela s´appellerait le pierre-et-roule.

jeudi 28 juillet 2011

Roger Vailland, mythologue aussi.

Ce sont quelques lignes consacrées au Frigidaire, écrites par Roger Vailland dans La Tribune des Nations du 14 Mars 1952 et extraites d'un article intitulé Le ménage n'est pas un art de salon .
Immédiatement, il m' a fait penser, au style près, par son objet mais aussi par son intention ( identifiable clairement dans la dernière phrase ) au Barthes du Degré zéro de l'écriture, texte un peu plus tardif (1953) :
" Il faut bien en conclure que le Frigidaire, à l'heure actuelle, en France, n'est pas tant un objet d'utilité qu'un symbole. C'est le symbole de l'aisance matérielle, d'une certaine bonne vie. " Mon mari m'a acheté un Frigidaire ", cela veut dire : " J'ai un homme qui s'est élevé au-dessus du niveau commun ", et aussi " Mon homme attache tellement de prix à moi qu'il s'est donné un mal fou pour pouvoir m'acheter un Frigidaire " et encore : " Je n'ai plus rien à envier aux femmes américaines, dont mon magazine favori me décrit hebdomadairement la vie merveilleuse."
Le même jugement vaut pour les machines à laver, que ne peuvent acheter que les femmes qui n'ont jamais lavé leur linge elles-mêmes, les machines à faire la vaisselle, etc. Et, dans la plupart des cas, pour l'automobile et le manteau de fourrure.
Quand un symbole ne correspond pas à la réalité, mais s'y substitue pour la faire oublier, il faut le nommer mystification."

Commentaires

1. Le vendredi 5 août 2011, 19:07 par sopadeajo
Nous vivions en effet dans un monde foncièrement en dédéquilibre: le frigidaire et le manteau de fourrure pour ceux qui n´ont jamais eu froid, la voiture pour ceux qui n´ont jamais eu à marcher, la machine à vaisselle pour ceux qui ne la faisaient jamais. Et maintenant que les prix ayant baissé, atteignent tout le monde, on dépense le temps et les kilos gagnés dans les gymnases , pour retrouver la forme que nous avions avant; la conservation de l´espace-temps et l´éloignement du naturel qui ne revient ni au galop ni en promenade.

jeudi 30 juin 2011

Julien Benda et Pascal : comment parvenir à croire à ce à quoi on ne croit pas ?


Les Amorandes est un roman écrit par Julien Benda en 1922. Il y présente Etienne hanté par le souvenir d'une ancienne maîtresse et pour cela incapable d'aimer passionnément sa jeune épouse. Or, Etienne, qui est un être moral, veut mettre fin à cette situation qu'il juge injuste pour sa femme. Le moyen qu'il trouve à cette fin est tout à fait inspiré de Pascal. En effet, de même que Pascal conseillait à l'athée de singer la foi pour finalement l'éprouver, Etienne pense qu'il doit faire l'amour le plus possible à sa femme pour parvenir à ressentir comme effet ce dont il regrette l'absence en tant que cause :
" Mais comment la faire naître, cette passion ? qui ne se déclarait pas ? qui ne voulait pas se déclarer ? Eh bien, en en prenant l'attitude, en en faisant les gestes. Le geste crée le sentiment. Il se rappelait le conseil des profonds médecins de l'âme : " Faites les gestes de la foi, la foi viendra ". Oui, il allait vivre tout contre cette enfant, la serrer dans ses bras, non plus pour la rassurer, mais dans toute l'intensité de sa volonté de guérir, la prendre souvent, très souvent. Et l'amour viendrait, il oublierait cette femme. Rien ne l'autorisait à en douter. Avait-il jamais essayé ? Cette toute-puissance du lien charnel, s'y était-il jamais vraiment offert ? Ne s'appliquait-il pas, au contraire, à s'y dérober le plus qu'il pouvait, lâchement, cruellement ? Oui, c'était là une puissance intacte, inéprouvée. Elle ferait son effet. " (p. 211 éd. Émile-Paul frères)
On se demandera alors : est-ce que le remède est efficace ?
En réalité il aggrave le mal car les gestes de l'amour passionné causent les images de l'objet premier de la passion :
" Et voilà que la résurrection, exacte, totale, constante, de circonstances qui avaient été imprimées dans la conscience d' Étienne en liaison, et combien étroite ! avec l'image d'une autre, ramenait peu à peu avec elle, exacte, totale,constante, l'image de cette autre, de plus en plus vivante, de plus en plus durable, dans le coeur du jeune homme, la vision d'un autre être qui y avait été associé à cette forme précise de mouvements. Voilà que l'infortuné sentait son mal l'envahir davantage par les actes mêmes qu'il faisait pour s'en évader." (p. 223)
En fait, le remède va être le passage du temps :
" Cependant, comme un pauvre malade qui, dans une nuit de torture, entrevoit, avec l'aube, la fin possible de son supplice, Étienne croyait sentir qu'avec le temps l'image de sa maîtresse perdait de son terrible empire ; pour peu qu'on ne la provoquât point par des remuements de l'être trop profondément liés à elle, bien des circonstances, qui autrefois le suscitaient fatalement,n'y parvenaient plus toujours ; souvent elle apparaissait sans netteté, sans couleur, sans durée, comme s'évanouissant avant de s'être formée ; ou, encore, demeurant un simple état du connaître - " Irène faisait ceci ; elle avait été là ", - dénué de retentissement dans le sentir. " (p. 247-248)
Certes la langue classique et largement abstraite de Benda est quelquefois désuète mais ce roman gagne à être lu, pour son analyse rationnelle des passions et de leurs composantes.

mercredi 29 juin 2011

Peut-on identifier les qualia à des processus physiques ? L'étonnement de Pascal et la perspicacité de Léon Brunschvicg.

" Quand on dit que le chaud n'est que le mouvement de quelques globules (Littré : Terme de physiologie. Nom donné à des corpuscules plus ou moins arrondis, qui existent dans beaucoup de liquides et dans quelques tissus animaux ), et la lumière le conatus recedendi (Brunschvicg : le conatus recendendi est la force centrifuge dont sont animés "tous les corps qui se meuvent en rond pour s'éloigner des corps autour desquels ils se meuvent" Descartes, Les principes de la philosophie, III, 54) que nous sentons, cela nous étonne (étonner a un sens fort dans la langue de Pascal, Littré donnant pour étonner : causer un ébranlement moral) . Quoi ! que le plaisir ne soit autre chose que le ballet des esprits (les esprits animaux sont "des parties du sang très subtiles et qui se meuvent très vite, car ce que je nomme ici des esprits ne sont que des corps" Descartes, Traité des passions, I, 10) Nous en avons conçu une si différente idée ! et ces sentiments-là nous semblent si éloignés de ces autres que nous disons être les mêmes que ceux que nous leur comparons ! Le sentiment du feu, cette chaleur qui nous affecte d'une manière tout autre que l'attouchement, la réception du son et de la lumière, tout cela nous semble mystérieux, et cependant cela est grossier comme un coup de pierre. Il est vrai que la petitesse des esprits qui entrent dans les pores touche d'autres nerfs, mais ce sont toujours des nerfs touchés." (Pensée 580 édition Le Guern, 368 édition Brunschvicg)
Dans une note - qui date aujourd'hui d'à peu près un siècle -, Brunschvicg commente ainsi la pensée :
" La science moderne semble avoir confirmé cette vue cartésienne suivant laquelle les différents sens seraient des modifications et des raffinements du toucher primitif ; en revanche, le passage des conditions physiologiques de la sensation au sentiment que nous en prenons et qui la constitue en tant que fait de conscience, semble être demeurée tout à fait mystérieux malgré l'affirmation de Pascal. Du point de vue scientifique au moins, le progrès aurait consisté à considérer comme une énigme ce que Descartes croyait pouvoir poser comme une solution " ( Pensées et opuscules, p.407-408, Hachette, 1922).
Comme Brunschvicg est perspicace ! En effet, David Chalmers dans L'esprit conscient (1996) voit encore dans ce rapport entre le côté physique du fait et son côté vécu, ressenti, le mystère central de ce qu'on appelle aujourd'hui la philosophie de l'esprit :
" La partie la plus difficile des rapports du corps et de l'esprit consiste en la question suivante : comment un système physique peut-il donner lieu à une expérience consciente ?" (p. 49, Ithaque, 2010)
Certes une lecture rapide de la pensée de Pascal pourrait faire croire que le mystère auquel Chalmers se réfère est précisément celui que mentionne Pascal. Mais il n'en est rien : ce qui étonne l'auteur des Pensées, c'est que toutes les perceptions soient contre toute apparence causées par des contacts.

dimanche 26 juin 2011

La sagesse vue par Céline.

" N'hésite surtout pas devant la difficulté apparente. Crache devant, dessus, dessous tous les gens qui te diront que c'est folie. On arrive à ce qu'on veut, et les choses les plus difficiles d'apparence sont protégées surtout par sa propre peur et la lâcheté bruyante des arguments dits de la sagesse. La destinée est une putain qui se tait quand on l'enfile. Mais pour cela il faut bander, et les vieux voudraient bien encore, mais la Pondération les tue." (Lettre à Albert Milon, 1920)
Ce qui me fait penser de loin à La Rochefoucauld :
" Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n'être plus en état de donner de mauvais exemples." (Maxime 93, édition de 1678)

Commentaires

1. Le dimanche 26 juin 2011, 19:04 par sopadeajo
"On arrive à ce qu'on veut" (Céline) Pas si vous êtes le centre des attaques, si on vous fait de tout et constamment. Il le dit dans un bref entertien avec Pauwels, quoique bien plus tard. Et dans ces cas on peut même arriver à ce que l´on ne veut pas, contre notre volonté et désirer la mort (sans souffrance) plus que la vie.

mercredi 22 juin 2011

La mort comme révélateur : Montaigne, puis Céline (conforté par Pascal et Rousseau).


" En tout le reste il y peut avoir du masque : ou ces beaux discours de la Philosophie ne sont en nous que par contenance ; ou les accidents, ne nous essayant pas jusques au vif nous donnent loysir de maintenir tousjours nostre visage rassis. Mais à ce dernier rolle de la mort et de nous, il n'y a plus que faindre, il faut parler François, il faut montrer ce qu'il y a de bon et de net dans le fond du pot,
" Alors seulement des paroles sincères nous sortent du fond du coeur, le masque tombe, la réalité reste "
Voylà pourquoi se doivent à ce dernier traict toucher et esprouver toutes les autres actions de nostre vie. C'est le maistre jour, c'est le jour juge de tous les autres ; c'est le jour, dict un ancien, qui doit juger de toutes mes années passées. Je remets à la mort l'essay du fruict de mes etudes. Nous verrons là si mes discours me partent de la bouche ou du coeur." (Livre I XIX)
Céline va tirer, lui, des leçons politiques de l'attitude des hommes au pouvoir quand ils se décomposent face à la possibilité de leur mort :
" Les préjugés, qui forment le fonds coutumier du cadre social, ne sont pas suffisamment étayés pour maintenir ceux qui ont vu de près les tristes figures, l'allure délabrée, les fibres intimes tremblotantes devant la mort de ces nombreux hommes qui jouissent, dans la vie organisée, d'une "solide réputation", d'"une situation formidable" et de tant d'autres adages qui leur ont servi pendant de longues années à diriger de façon doctorale les masses respectueusement soumises de ceux qui ne possèdent pas -
Quelle triste représentation ma chère amie, que celle qu'ils jouèrent pour la plupart devant celle qui ne pardonne pas aux piètres acteurs -
Combien j'ai vu aussi de vessies dégonflées, qui tenaient en respect, quelques jours avant, des peuples de subalternes -
Aussi suis-je maintenant, avec beaucoup d'autres, rempli d'un scepticisme piteux, pour cette cohorte de prétentieux, imbéciles pour la plupart, dont tout le talent résidait à maintenir entre les observateurs et eux un écran opaque, ou plutôt de couleur favorable, à travers lequel le peuple moutonnant contemplait son oppresseur, se révoltait parfois - mais par là même, consacrait l'efficacité de ce mirage trompeur.
La mort qu'on ne leurre pas a rompu ce pernicieux charme - et les hommes me sont apparus, quels qu'ils soient terriblement égaux pour la plupart, ne se spécialisant, ne ressortant de la masse, que par deux choses et encore rarement - les vices et l'intelligence -
Tenant à la vie, tous, à un degré égal, et ne se prêtant à son sacrifice que pour trois causes - le feu sacré, qui se rapproche beaucoup d'une phobie quelconque ; par manque d'imagination qui confine à la misère psychique, et enfin pour une troisième et dernière raison, un grand amour-propre -
Appelez tout ceci comme vous voudrez - tournoyez, changez les expressions - cherchez des échappatoires, vous ne trouverez d'autres mobiles au plus grand sacrifice, décorez-le de noms les plus pompeux, distillez-le en périodes enflammées, rien ne peut vous y soustraire -
La petite bande clairsemée des pleutres apparaît infime alors, elle n'attend que le coup de pouce pour se classer dans une des trois catégories dont beaucoup de sujets n'ont le mérite que d'y avoir été poussés -
Enfin une infime minorité de lâches auxquels les trois qualités manqueront, ou seulement en posséderont une à un trop grand degré pour être annihilée par une autre, compensatrice.
Il me fallait cette grande épreuve pour connaître le fond de mes semblables sur lesquels j'avais de grands doutes -
La chose est faite, je les ai classés sans m'épargner moi-même - Je sais ce que je vaux, je sais ce qu'ils valent, et j'ai conclu avec beaucoup d'autres qu'il nous était définitivement impossible de dépendre d'autres hommes, la plupart terriblement égaux - sinon inférieurs.
Ne croyez pas ma chère Simone que je sois empreint d'une folle prétention, et que je fasse partie d'une confrérie de jeunes esthètes qui traitent avec une superbe méprisante le reste de l'humanité dédaigneusement vouée à leur ostracisme englobant.
Mon nombril n'est en aucun point devenu le centre du monde.
Je sais qu'il est sur terre des êtres devant lesquels je m'incline volontairement, mais ils ne sont malheureusement pas ceux qu'il faut solliciter pour manger.
Ceux-ci sont en général de beaucoup plus prétentieux et exigent de ceux qui dépendent d'eux une soumission respectueuse, que le ridicule a définitivement chassée chez moi, et rendue impossible -
C'est pourquoi je parcours et parcourrai encore le monde dans des occupations fantaisistes, c'est pourquoi aussi beaucoup d'autres qui ont vu nous joindront, c'est pourquoi le régiment des dévoyés et des "errants" se renforcera de nombreuses unités, transfert fatal de la désillusion, bouée de l'amour-propre, rempart contre la servitude qui avilit et dégrade, mais contre qui personne ne proteste, parce qu'elle n'a que notre cerveau comme spectateur-
Ne croyez pas non plus que je professe une haine quelconque pour mes semblables, j'aime au contraire les voir, les entendre, mais je fais mon possible pour échapper à leur emprise. Pour entendre le son d'une cloche, il vaut mieux en être éloigné, le bruit trop rapproché vous assourdit - ." (Lettre à Simone Saintu, 31 Juillet 1916 - Céline a 22 ans)
Le préjugé dont parle Céline dans la première phrase est de concevoir le pouvoir social et politique comme la propriété des meilleurs moralement. Ainsi ce texte est-il aussi bien une dénonciation de la tyrannie au sens où Pascal comprend ce mot :
" Tyrannie.
La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu'on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites, devoir d'amour à l'agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science.
On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d'en demander d'autres.
Aussi ces discours sont faux et tyranniques : " Je suis beau, donc on doit me craindre ; je suis fort, donc on doit m'aimer ; je suis..." Et c'est de même être faux et tyrannique de dire : " Il n'est pas fort, donc je ne l'estimerai pas. Il n'est pas habile, donc je ne le craindrai pas." ( Pensées, 54 éd. Le Guern)
Et Rousseau vient à l'appui :
" On ne peut pas demander quelle est la source de l'inégalité naturelle, parce que la réponse se trouverait énoncée dans la simple définition du mot. On peut encore moins chercher s'il n'y aurait point quelque liaison essentielle entre les deux inégalités (l'inégalité naturelle et l'inégalité politique) ; car ce serait demander en d'autres termes, si ceux qui commandent valent nécessairement mieux que ceux qui obéissent, et si la force du corps ou de l'esprit, la sagesse ou la vertu, se trouvent toujours dans les mêmes individus, en proportion de la puissance, ou de la richesse : question bonne peut-être à agiter entre des esclaves entendus de leurs maîtres, mais qui ne convient pas à des hommes raisonnables et libres, qui cherchent la vérité." (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes)

Commentaires

1. Le dimanche 26 juin 2011, 10:41 par sopadeajo
Beau texte de Céline qui montre bien squ´il est anarchiste, sa haine des pouvoirs établis et tout le reste n´est que mauvaise littérature.

dimanche 19 juin 2011

Montaigne : quand une belle mort termine une vie laide.

Dans le chapitre XIX du livre I des Essais, Montaigne commente la sentence attribuée à Solon, qu'il ne faut juger de nostre heur, qu'apres la mort. Il en donne deux explications : la première, plutôt populaire, comprend que jusqu'au dernier moment de notre vie nous ne sommes jamais assurés de ne pas être accablés par l'infortune ; la seconde, plus philosophique, est qu'on ne peut attribuer la tranquillité de l'âme, condition de la vie heureuse, qu'au vu de la manière dont celui qui la revendique supporte ses derniers instants. Ainsi la mort est-elle dans cette dernière perspective le moyen de vérifier que les vérités morales ne sont pas seulement des connaissances mais des règles de vie réellement et correctement appliquées. C'est dans ce contexte-là que Montaigne écrit les lignes suivantes :
" En mon temps trois les plus execrables personnes que je cogneusse en toute abomination de vie, et les plus infames, ont eu des mors reglées et en toutes circonstances composées jusques à la perfection."
Jean Starobinski commente ainsi ce passage :
" Voici maintenant une constatation qui vient définitivement ruiner l'espoir qui voulait que la dernière heure fût l'heure de la vérité. Interrogeons scrupuleusement les histoires : nous découvrirons que, fort souvent, la scène finale produit non l'unité, mais la contradiction. Au lieu de constituer le moment exemplaire d'un retour à l'ordre et à la vérité, elle met le comble au scandale du mensonge. L'équivoque de la conduite humaine, loin de se dissiper, s'aggrave. Qui nous assure qu'une belle mort n'est pas un chef d'oeuvre d'artifice ? (l'auteur cite le passage en question) Au lieu d'un démasquage, c'est le dernier méfait du masque." (Montaigne en mouvement, p. 98)
Or, il semble bien que cette interprétation est discutable si l'on prend en compte les lignes qui précèdent ce texte :
" J'ay veu plusieurs donner par leur mort reputation en bien ou en mal à toute leur vie. Scipion, beau pere de Pompeius, rabilla en bien mourant la mauvaise opinion qu'on avoit eu de luy jusques lors. Epaminondas, interrogé lequel des trois il estimoit le plus, ou Chabrias, ou Iphicrates, ou soy-mesme : Il nous faut voir mourir, fit-il, avant que d'en pouvoir resoudre. De vray, on desroberoit beaucoup à celuy là, qui le poiseroit sans l'honneur et grandeur de sa fin. Dieu l'a voulu comme lui a pleu : mais en mon temps etc."
L'idée paraît être la suivante : certes la belle mort n'efface pas la mauvaise vie mais cette dernière ne doit pas non plus éclipser la première. Starobinski, à trop vouloir démystifier, commet à l'envers le même type d'erreur que celui qui ne prendrait pas du tout en compte le mal des actions du mourant antérieures à sa mort.
Mais qu'en est-il de la mauvaise mort quand la vie a été belle éthiquement ? Il semble cette fois qu'il n'en va pas tout à fait de même, car la mort de soi étant pensée comme l'épreuve ultime, elle montre "ce qu'il y a de bon et de net dans le fond du pot" :
" À ce dernier rolle de la mort et de nous, il n'y a plus que faindre, il faut parler François (...) Nous verrons là si mes discours me partent de la bouche ou du coeur."
Que des méchants manifestent une excellence indubitable au moment de mourir rend du coup énigmatique l'existence même de leurs méfaits. Comment est-il en effet possible que celui qui donne le meilleur de lui-même dans le moment le plus dur fasse montre du pire dans la vie ordinaire ? Certes la lecture de Starobinski fait l'économie du paradoxe mais elle ne paraît pas indiscutable, comme nous l'avons montré.

samedi 18 juin 2011

Montaigne : l'étrange justification morale d'une pratique "barbare".

Le chapitre 15 du livre des Essais me paraît peu commenté. En tout cas, pas un mot sur lui chez Hugo Friedrich (Montaigne 1949), Jean Starobinski (Montaigne en mouvement 1982) ou Bernard Sève (Montaigne. Des règles pour l'esprit 2007).
Certes il ne fait qu'une page et Montaigne, l'ayant bien peu enrichi ( 2 lignes rajoutées en 1588, 4 lignes postérieurement), semble ne pas lui avoir fait grand cas. En plus, son titre paraît le cantonner à un point de détail : On est puni pour s'opiniastrer a une place sans raison.
Néanmoins, à mes yeux, il est curieux pour ceci : Montaigne y donne une justification éthique d'une pratique guerrière aujourd'hui unanimement condamnée. Cette "coutume" consiste à " punir, voire de mort, ceux qui s'opiniastrent à défendre une place, qui par les reigles militaires ne peut estre soustenuë." Montaigne en donne plusieurs exemples, dont le premier, très clair :
" Monsieur le Connestable de Mommorency au siege de Pavie, ayant esté commis pour passer le Tesin, et se loger aux fauxbourgs S. Antoine, estant empesché d'une tour au bout du pont, qui s'opiniastra jusques a se faire battre, feist pendre tout ce qui était dedans."
On est porté à interpréter cette mise à mort comme l'expression de la vengeance ou de la cruauté ou de la fureur, en tout cas elle semble ne pas pouvoir être justifiée moralement. C'est pourtant ce que fait Montaigne à partir d'une analyse du courage d'inspiration aristotélicienne. Les premières lignes du chapitre commencent en effet ainsi :
" La vaillance a ses limites, comme les autres vertus : lesquels franchis on se trouve dans le train du vice ; en maniere que par chez elle on se peut rendre à la temerité, obstination et folie, qui n'en sçait bien les bornes : malaiseez en verité à choisir sur leurs confins."
La témérité est donc un vice punissable, ce qui fonde l' usage en question !
" De cette consideration est née la coutume, que nous avons aux guerres, de punir, voire de mort etc."
Reste que, si la pratique est fondée éthiquement, elle a aussi des effets positifs du simple point de vue de la conduite de la guerre :
" Autrement, soubs l'esperance de l'impunité il n'y aurait pouillier (poulailler), qui n'arrestast une armée."
Mais le texte ne permet pas l'interprétation, aujourd'hui plus commune, que, née exclusivement de fins militaires, la coutume serait abusivement ennoblie par une raison morale tout à fait fictive. Autrement dit, nous ne sommes pas ici dans un climat machiavélien où l'art consiste à faire passer pour morales de simples règles de prudence politique.
Ce qui confirme la dimension éthique pour Montaigne de la coutume est précisément que, dans la suite du texte, il est attentif au fait qu'elle est d'application difficile ; en effet il fait une différence entre le constat objectif d'une résistance vaine et l'affirmation de celui qui prétend que contre lui toute résistance est vaine par définition. Il va de soi que dans le deuxième cas c'est la vanité qui se cache sous le respect de la coutume :
" Mais, d'autant que le jugement de la valeur et foiblesse du lieu se prend par l'estimation et contrepois des forces qui l'assaillent , car tel s'opiniastreroit justement contre deux couleuvrines, qui ferait l'enragé d'attendre trente canons ; où se met encore en conte la grandeur du prince conquerant, sa reputation, le respect qu'on lui doit, il y a danger qu'on presse un peu la balance de ce costé là. Et en advient par ces mesmes termes , que tels ont si grande opinion d'eux et de leurs moiens, que, ne leur semblant point raisonnables qu ' il y ait rien digne de leur faire teste, passent le couteau par tout, où ils trouvent resistance, autant que fortune leur dure : comm'il se voit par les formes de sommation et deffi, que les princes d' Orient et leurs successeurs, qui sont encores, ont en usage, fiere, hautaine et pleine d'un commandement barbaresque."
La barbarie ne commence donc que si l'exécution des prisonniers de guerre ne peut pas être justifiée par la punition de leur vice réel. Montaigne a cependant conscience que l'application de la règle en jeu risque de tourner systématiquement en défaveur des vaincus, non parce qu'elle est intrinsèquement mauvaise mais parce qu'elle est simplement biaisée par des motivations passionnelles, qu'il n'est pas toujours aisé d'identifier et donc de dénoncer. Aussi termine-t-il son texte par un prudent avertissement :
" Ainsi sur tout il se faut garder, qui peut, de tomber entre les mains d'un Juge ennemi, victorieux et armé."
Même si Montaigne ne le dit pas, il paraît logique de conclure de ce texte que la coutume ne pourrait être respectée correctement que si un juge étranger aux combats assistait à leur déroulement (ce qui conduirait à retrouver l'idée de Platon dans La République : que les champs de bataille sont pour les gouvernants l'occasion de repérer les meilleurs des hommes, non du point de vue de la logique de la guerre, mais d'un point de vue éthique).

vendredi 17 juin 2011

Montaigne, stoïcien dubitatif.

Le chapitre 14 du livre I est le premier texte des Essais à traiter longuement de la mort. Montaigne y défend l'idée qu'elle n'est pas un mal. Dans une perspective stoïcienne il soutient qu'entre les prétendus maux et nous se tient un filtre qu'il n'appartient qu'à nous de choisir de manière à nous les faire voir comme sans importance :
" Si ce que nous appelons mal et tourment n'est ny mal ni tourment de soy, ains seulement que nostre fantasie luy donne cette qualité, il est en nous de la changer. Et en ayant le choix, si nul ne nous force, nous sommes estrangement fols de nous bander pour le party qui nous est le plus ennuyeux, et de donner aux maladies, à l'indigence et au mespris un aigre et mauvais goust, si nous le leur pouvons donner bon, et si la fortune fournissant simplement de matière c'est à nous de lui donner la forme."
Pourtant ce ne sont pas ces lignes attendues qui retiennent mon attention dans ce chapitre, mais un passage tout à la fin , qui sonne comme un aveu d'échec :
" Pourquoy de tant de discours, qui persuadent diversement les hommes de mespriser la mort, et de porter la douleur, n'en trouvons nous quelcun qui face pour nous ? Et de tant d'especes d'imaginations, qui l'ont persuadé à autruy, que chacun n'en applique il à soy une le plus selon humeur ? "
Je ne crois pas que ce soit une conviction déguisée sous forme de questions rhétoriques. En effet, dans un des derniers ajouts, Montaigne clôt le chapitre en réitérant une thèse qu'il vient pourtant par ces deux interrogations d'ébranler :
" Nul n'est mal long temps qu'à sa faute."
Mais ce n'est pas cette mécanique stoïcienne qui vraiment nous intéresse.

Commentaires

1. Le samedi 18 juin 2011, 15:13 par sopadeajo
" Nul n'est mal long temps qu'à sa faute." (Montaigne)
Nos ennemis n´y seraient donc pour rien et c´est l´innocent qui devient alors tout à fait injustement coupable de sa faiblesse.
2. Le samedi 18 juin 2011, 15:19 par Philalèthe
Interprétée dans un cadre stoïcien, la formule ne veut pas dire qu'autrui ne peut pas commettre de faute à notre égard. Elle pose juste que, face à cette faute, on est en mesure de la voir comme n'étant pas un mal pour soi-même.

jeudi 9 juin 2011

Être faussaire : pour Diderot, juste une erreur de jeunesse.

L' Essai sur les règnes de Claude et de Néron, écrit par Diderot à la fin de sa vie en 1782 , est entre autres une défense de Sénèque contre les accusations moquant sa sagesse et dénonçant son immoralité. Dans cette entreprise, Diderot explique que s'il devait reconnaître à Sénèque quelques faiblesses, il les interpréterait à la lumière d'une réplique attribuée par Laërce à Diogène concernant le fait qu'il avait dans sa jeunesse fabriqué de la fausse monnaie :
" Exigerai-je de l'homme, même du sage, qu'il ne bronche pas une fois dans le chemin de la vertu ? Si Sénèque avait à me répondre, ne pourrait-il pas me dire, comme Diogène à celui qui lui reprochait d'avoir rogné les espèces : " Il est vrai : ce que tu es à présent, je le fus autrefois ; mais tu ne deviendras jamais ce que je suis..." Sénèque, aussi sincère et plus modeste, nous fait l'aveu ingénu qu'il a connu trop tard la route du vrai bonheur, et que las de s'égarer, il la montre aux autres." (p. 683, Oeuvres philosophiques, La Pléiade)
De ce passage, on peut donc conclure que l' épisode diogénien de la fausse monnaie n'est en rien pour Diderot le symbole de la dénonciation des valeurs communes. C'est au contraire un trait qui serait l'indice du caractère banal et tout à fait ordinaire d'un homme sur la voie et seulement sur la voie de la sagesse.

Diogène n'est pas Marx !

Dans la conclusion de son ouvrage La République de Diogène, Suzanne Husson juge conservatrice la contestation cynique et justifie ainsi sa position :
" Le cynisme donne une explication apolitique du malheur de l'homme, et c'est ce qui explique sans doute sa longévité dans l'histoire de l' Antiquité. Une société, en effet, peut fort bien tolérer un mode de vie qui, en fait, au lieu de la déstabiliser, la renforce, puisque l'exemple du cynique semble montrer à chacun que seuls ses illusions et ses attachements non-naturels sont la cause de son propre malheur, sans qu'il puisse en accuser l'ordre politique." (p.179)
Cela me paraît rigoureusement vrai mais pas du tout propre au cynisme. Autant l'épicurisme que le stoïcisme ou le scepticisme donnent "une explication apolitique du malheur de l'homme". Husson continue ainsi :
" Si je ne peux être Diogène, il ne me reste plus qu'à assumer le fait que je ne suis qu' Alexandre, ou un sujet malheureux d' Alexandre."
La phrase reste vraie si on remplace Diogène par Épicure, Zénon ou Pyrrhon.
" Les bien-pensants que le cynisme scandalise ont en fait bien tort, car il constitue un dérivatif plutôt efficace à l'insatisfaction sociale : tout d'abord en fournissant des occasions concrètes et intellectuellement peu coûteuses de réaffirmer les valeurs communes. Les possibilités de polémique à l'égard du mode de vie cynique sont, en effet, infinies et éveillent facilement l'imagination. D'autre part, l'exemple cynique oblige les individus à assumer personnellement leur adhésion aux valeurs sociales, en réponse aux cyniques qui les rejettent également de façon personnelle, sans faire émerger un niveau politique de contestation. Mais il est vrai que sans les bien-pensants qui les condamnent, les cyniques ne pourraient pas exister." (ibid.)
L'idée est que la contestation cynique renforce les valeurs ordinaires, parce que d'abord elles sont réaffirmées par ceux qui sont mordus par les Chiens, ensuite parce que par son apolitisme elle détourne l'adversaire d'une prise de conscience des raisons politique et sociales de son adhésion aux valeurs contestées. On peut répondre à cette argumentation que toute contestation cause une défense de ce qui est contesté, même si elle est politiquement non conservatrice et que cet effet de la contestation ne vaut pas comme raison contre la contestation (c'est une vérité grammaticale au sens wittgensteinien du terme que "la contestation se heurte à la défense de ce qui est contesté" au point que, si on prétendait contester quelque chose que personne ne défend, on pourrait se voir à juste titre accuser de se croire contestataire). Quant à l'idée qu'une contestation apolitique ne rend pas possible une défense politique, elle ne me paraît pas une raison d'accuser la contestation en question : ce n'est pas une faiblesse d'une contestation apolitique de ne pas avoir de réponse politique, puisque c'est précisément une réponse non-politique qu'attend la contestation non politique.

Commentaires

1. Le mercredi 22 juin 2011, 09:20 par admin
L'épicurisme, le stoïcisme ou le scepticisme anciens : des philosophie d'esclaves qui ont émergé ou se sont développées quand les peuples ne s'appartenaient plus. Pourquoi Épicure se détourne de la politique ou Épictète voit le véritable ennemi dans la citadelle intérieure...
Mais le cynisme moderne est celui de la production. Donc il est politique tout en ayant l'air de ne pas l'être (la subordination de tout à l'économie étant présentée comme fatalité : ici se rejoignent cynisme et stoïcisme et épicurisme mal compris).
2. Le mercredi 22 juin 2011, 09:30 par Philalèthe
Je ne crois pas qu'on puisse réduire la valeur des trois philosophies dont vous parlez à celle d'une consolation pour esclaves. La question plus générale est aussi de savoir dans quelle mesure le changement politique que vous appelez de vos voeux est en mesure de rendre complètement dépassées les différentes versions de la vie sage. Personnellement je doute que les conditions de la vie heureuse soient seulement politiques, voire même soient nécessairement politiques.
Quant au cynisme moderne que vous identifiez à la production, à quoi donc pensez-vous ?
3. Le mercredi 22 juin 2011, 15:52 par admin
Pour ma part, je ne pense pas qu'une telle réduction soit vraie (c’est-à-dire ici parfaitement adéquate).
Néanmoins elle n’est pas fausse et demeure possible. Voyez par exemple le sens que Hegel a donné au stoïcisme dans le chapitre IV de la Phénoménologie de l’Esprit, après la dialectique du maître et de l’esclave, lorsqu’il écrit (trad. Hyppolite) : "Comme forme universelle de l’esprit-du-monde, le stoïcisme pouvait seulement surgir dans un temps de peur et d’esclavage universels". Vous pouvez encore trouver une telle réduction, cette fois frisant le ridicule, dans l’usage que Onfray, anti-marxiste déclaré, fait d’Épicure, à savoir un prêchi-prêcha sur la modération par temps de crise, jusqu’à nous raconter cette histoire à dormir debout que cette édification à destination des masses se trouve chez Marx lui-même. Voilà pour le stoïcisme et l’épicurisme.
Quant à ce que je voulais dire par "cynisme de la production", permettez-moi de vous renvoyer au philosophe Gérard Granel, précisément à un article qui s’intitule "David Hume : le cynisme de la production". Bien sûr il serait à lire en entier dans les "Écrits logiques et politiques" de cet auteur , mais si vous n’avez pas cet ouvrage (paru chez Galilée dans les années 90), vous trouverez un extrait de l’article sur le site "Gérard Granel" : http://www.gerardgranel.com/txt_pdf... Et si vous lisez l’espagnol, vous pouvez y consulter une traduction intégrale : http://www.gerardgranel.com/txt_pdf...
D’une certaine façon, aujourd’hui, les idéologues du pouvoir (Onfray en est un en dépit de l’air rebelle qu’il se donne) tendent à combiner les trois courants, auxquels il faut ajouter le retour du/au religieux, pour nous inciter au repli intimiste, pour nous faire accepter la désolation du champ politique, nous faire supporter la dépolitisation de la société et du pouvoir, le déni de la souveraineté populaire, le fatalisme économico-capitaliste. Si vous faites un tour sur notre site, vous verrez que nous n’acceptons rien de tout cela, que nous pensons même que la philosophie a pour vocation de déconstruire cette idéologie et de lutter contre l’esclavage moderne qu’elle sous-tend et vise à légitimer.
Cela dit, j’aime beaucoup Épicure et les cyniques, mais dans ce qu’ils ont de révolté. Et Hegel nous a appris à penser historiquement (sinon déjà historialement) les diverses doctrines philosophiques pour retrouver leur vérité propre...
Cordialement
4. Le mercredi 22 juin 2011, 16:18 par Philalèthe
Merci de votre réponse et de la référence à Granel. Je vais visiter votre site qui est introduit par une citation de Merleau-Ponty très pertinente.

vendredi 3 juin 2011

Peut-il y avoir un renouveau du cynisme antique ?

Suzanne Husson dans une note de la conclusion de La République de Diogène (Vrin, 2011) affirme ne pas pouvoir croire dans une renaissance du cynisme :
" Il est tout à fait improbable que le cynisme puisse renaître dans notre société aux normes floues et négociables, où toute déviance non-criminelle est rapidement récupérée et, devenue phénomène de mode, s'intègre à l'ordre marchand. On n'ose pas imaginer ce que seraient devenus un Diogène ou l'un de ses imitateurs invités sur les plateaux de télévision : jusqu'où faudrait-il alors pousser la provocation sans que son traitement médiatique n'en désamorce la portée ?" (p. 179)
Premier problème : le cynisme ne peut-il se développer que dans une société aux normes rigides et absolues ?
Dans nos sociétés existe une pluralité de normes faisant que toute contestation de l'une est interprétée comme respect d'une autre. Aussi toute transgression cynique d'une norme donnée pourra être interprétée comme défense d'une autre norme ; or, les Cyniques ont opposé aux normes la nature. On pourrait objecter que les normes éthiques sont elles rigides et absolues (accordons que ces normes pourraient être résumées par le principe de non-nuisance à autrui). Certes mais une transgression de ces normes n'est pas cynique : si la victime du cynique est offensée en effet, elle n'est pas contrainte physiquement, ni lésée dans ses propriétés ou dans son intégrité physique. Il est donc exclu qu'être cynique revienne à autre chose qu'à offenser autrui dans ses opinions. Mais nous sommes portés à identifier l'offense à ce qui va avec la liberté d'expression des opinions, ce qui, en identifiant la transgression cynique à la manifestation d'une opinion, lui enlève son statut de prétendue vérité fondamentale. Au pire, le cynique ne serait alors qu'un bizarre excentrique ; au mieux, il aurait une opinion minoritaire.
Deuxième problème : le cynisme serait-il rapidement récupérable par la mode ?
En effet difficile d'imaginer l'absence d'une telle récupération. Mais le cynique resterait en mesure de la dénoncer comme telle et de s'en différencier. Le critère de différenciation pourrait être la présence ou non d'un ponos, d'un effort. Celui qui jouerait au cynique s'amuserait au sein d'une nouvelle coterie ; le cynique authentique resterait fidèle à l'effort que coûte la supposée rupture avec toute opinion ; profondément individualiste, on le verrait guère participer à un courant mais au contraire il mordrait ses imitateurs.
Troisième problème : le cynisme est-il présentable sur un plateau de télévision ?
Pierre Bourdieu, qui n'était pas cynique mais seulement averti de la manipulation que les médias font subir à ceux qu'ils invitent à leur parler, était pour cela réticent à passer à la télévision. Un cynique aujourd'hui la fuirait, comme il fuirait toute médiatisation de ses actes. Il transgresserait mais n'appellerait pas les journalistes avant la transgression ni après, laissant à la société la charge de secréter ses anticorps, si on me permet l'expression. Il faut répéter ici que si le cynique viole l'usage, c'est d'abord dans le cadre d'un perfectionnement individuel - ce qui permet d'envisager des actes cyniques quelquefois sans témoin-. Bien sûr on ne comprendrait pas que quelqu'un se prétende cynique et n'ait jamais offensé publiquement autrui car en effet ce sont tous les usages sociaux dont le cynisme prétend montrer l'absence de fondement.
En résumé, un renouveau cynique devra trouver les formes pour apparaître comme une contestation non de la culture mais de toute culture. Ces formes trouvées, il devra répondre à ceux qui soutiendront que c'est bien une forme de vie naturelle qu'il prône et non un autre style de vie avec ce que l'expression implique de conditionnement culturel et social. Et ici comment ici ne pas rejoindre Suzanne Husson quand elle écrit :
" La prétention cynique à vivre de façon naturelle est donc fondamentalement illusoire. L'homme ne parviendra jamais à rejoindre la nature, quand bien même il en projetterait une image en se donnant pour modèle moral. Le cynisme ne se situe pas en deça ou au-delà de la civilisation, mais en est un produit particulièrement raffiné, même s'il ne correspond pas aux règles courantes du "raffinement philosophique".
Ainsi, le cynisme s'élabore en niant précisément ce qu'il est en train de faire, c'est-à-dire la construction culturelle d'une certaine image que l'homme se donne de lui-même, dont les cyniques furent à la fois les principaux scénaristes, les acteurs et les metteurs en scène." ( ibid., p.180-181)

jeudi 2 juin 2011

Y a-t-il un autre critère du cynisme authentique que l'intention intérieure ?


Élien dans son Histoire variée rapporte cette anecdote concernant Diogène :
" Alors qu'il était allé à Olympie et qu'il voyait dans le public de jeunes Rhodiens magnifiquement vêtus, il dit en riant : " Voilà de l'orgueil (tuphos) !" Ensuite tombant sur des Lacédémoniens vêtus de tuniques ordinaires et sales : " Voilà un autre orgueil !" " (IX 34)
Certes les Spartiates ne sont pas des cyniques mais il se trouve qu'ici ils en portent l'habit. Imaginons alors un de ces Lacédémoniens se conduisant exactement comme un cynique : quel argument pourrait-on objecter à Diogène s'exclamant encore à son propos : " Quel orgueil !" ? Aucun comportement ne pouvant faire l'affaire pour soutenir l'objection - puisque la thèse de Diogène a pris un tour non-réfutable ("l'orgueil se manifeste autant sous des dehors manifestement orgueilleux que sous des dehors humbles") - ne devrait-on pas avoir recours à un argument à son tour non réfutable ("Cet homme a l'intention tout intérieure non de jouer au cynique mais de l'être") ?

La vieille coquette est-elle, comme tout homme, une cynique en puissance ? ou Peut-on regarder même les masses imbéciles comme des êtres humains potentiels ?

Je réalise que jusqu'à présent j'ai été porté à interpréter le cynisme à la lumière du stoïcisme. Ainsi voyais-je dans la vieille coquette agressée une cynique virtuelle ? Certes je comprenais bien qu'il n'était guère probable psychologiquement qu'elle se convertît en fait au cynisme mais je voyais ce fait comme contingent : la vieille coquette, comme n'importe quelle autre victime des cyniques, avait l'équipement mental requis pour cela, plus précisément, dotée de raison, elle avait la capacité d' adhérer aux thèses vraies du cynisme (je fais bien sûr ici la généreuse hypothèse que le cynisme est vrai). Or, un passage de Suzanne Husson, visant un article de J. Moles (in Le cynisme ancien et ses prolongements, PUF, 1993) me convainc que j'ai tort d'interpréter le cynisme entre autres à partir de ce qu'en a écrit Épictète et qui se révèle être un gauchissement :
" Selon lui, chaque homme serait pour le cynique un cynique potentiel et " on peut regarder même les masses imbéciles comme des êtres humains potentiels". Le cosmopolitisme de Diogène reposerait ainsi sur une connaissance de la fraternité liant les hommes entre eux au-delà des distinctions de race, de sexe, ou de statut social. Cependant, s'il se guide effectivement sur son expérience, rien ne permet au cynique de penser que la totalité des insensés, ou même un grand nombre d'entre eux, soit capable de "revêtir la vie des chiens" sous l'influence de l'enseignement cynique. Le cynique n'admet comme réalité que le présent dont il a, grâce au ponos, l'expérience, et ne connaît certainement pas la catégorie de l'être en puissance. Contrairement à ce qu'avance J. Moles, la distinction entre "le réel et le potentiel ou l'idéal" n'a pas de place dans le premier cynisme. Il se démarque ainsi de l'universalisme stoïcien qui fera de l'univers entier une cité dont les citoyens sont les hommes et les dieux. Cette problématique, plus appropriée au stoïcisme et à ce qu'il deviendra comme justification idéologique de l'impérialisme romain, est absente du cynisme, qui ne peut prétendre avoir une vision globale de la nature et de l'humanité. Le cynique sait simplement que lorsque dans l'espace public des cités ordinaires, il met ces semblants d'hommes à l'épreuve, très peu deviennent des hommes véritables, c'est-à-dire des cyniques. Il ne sait rien de plus et doit se contenter de cette constatation empirique." (p.161)
Donc restons prudent : il n'est pas impossible que, par quelque enchaînement causal contingent, la vieille coquette ne se convertisse au cynisme mais il n'y a aucune raison de voir en elle, parce qu'elle est un être humain, une disciple virtuelle des cyniques.

Être cynique aujourd'hui : message à placer à l'entrée de chaque institut de beauté !

J'ai beau être habitué à lire des textes sur les Cyniques grecs, certains de leurs propos continuent à me laisser bouchée bée, comme celui-ci, d'une violence intacte, rapporté par Suzanne Husson (La République de Diogène, Vrin, 2010) :
" Alors que Diogène voyait une vieille femme se parer, il dit : " Si c'est pour les vivants tu t'égares, si c'est pour les morts, ne tarde pas. " (Arsenius, Violetum, p.197, 19-21)
En quoi la réaction d'une vieille coquette aujourd'hui ne ressemblerait-elle pas à celle d'une vieille coquette contemporaine de Diogène, par delà l'indignation partagée ?
Plausiblement elle parlerait de choix, de droit, de respect. Elle accuserait peut-être aussi le cynique de mysoginie. Elle pourrait lui reprocher aussi son conformisme et sa fermeture d'esprit ("Les femmes âgées aujourd'hui ne se comportent plus comme votre grand-mère ! Il y a des progrès !")
Mais si les cyniques devaient entendre d'autres arguments, n'étaient-ils pas identiquement assimilés à des malotrus ? Et comment échapper à la disqualification facile, sinon par la répétition méthodique, systématique de la morsure, seul moyen de faire entendre qu'elle n'est pas expression d'un tempérament mais philosophie en action ?

vendredi 27 mai 2011

Les philosophes antiques peuvent-ils nous aider ?

Wittgenstein (1937) dans les Remarques mêlées (GF p.92-93):
" Qu'est-ce donc qui m'incline, moi aussi, à croire en la résurrection du Christ ? Je joue pour ainsi dire avec cette idée. S'il n'est pas ressuscité, alors il s'est décomposé dans la tombe, comme tout homme. Il est mort et décomposé. Dès lors il est un maître comme tous les autres, il ne peut plus nous aider ; et nous sommes de nouveau orphelins et seuls. Il nous est loisible alors de nous satisfaire de la sagesse et de la spéculation. Nous sommes, comme dans un enfer, où nous ne pouvons que rêver, séparés du ciel comme par une voûte. Mais si je dois réellement être sauvé, alors c'est la certitude qu'il me faut, non la sagesse, les rêves, la spéculation - et cette certitude est la Foi."
Zénon (le stoïcisme) , Épicure, Pyrrhon (le scepticisme) , pour ne citer que trois fondateurs, ne nous apporteraient que des sagesses spéculatives. J'entendrai par sagesse spéculative une sagesse qui prétend être déductible d'une théorie, même si cela paraît bien peu sceptique de parler d'une théorie sceptique ! Ils ne nous feraient que rêver, tant est grande la distance entre la connaissance théorique de leur sagesse et la pratique de cette même sagesse. Est-elle même franchissable ?
Il semble que leur faire confiance revient à faire confiance dans la terre (ce sont des hommes comme nous, mortels qui ne nous parlent plus qu'à travers leurs voix cacophoniques). Wittgenstein semble ici vouloir dire qu'on ne peut accéder au ciel que par en haut. On ne se hisse pas vers le ciel, on est tiré par lui ?
" Aussi peut-il se produire que si, au lieu de mettre ta confiance dans la terre, tu te suspends pour ainsi dire au ciel. Alors tout est autre, et il n'est "pas étonnant" que tu sois alors capable de ce dont tu es pour l'heure incapable. (Un homme suspendu a certes le même aspect qu'un homme debout, mais le jeu des forces en lui est tout autre, ce qui lui permet d'agir tout autrement que celui qui est debout.) (p.93)
Ce mécanisme de la suspension reste à déterminer. Il me semble que Wittgenstein ici exclut le volontarisme (on ne croit en Dieu par volonté) :
" Sois d'abord sauvé et tiens ferme à ta rédemption (tiens la fermement) - tu verras alors que tu tiens ferme sur cette foi."
Le texte allemand apporte une précision que ne rend pas la traduction :
" Sei erst erlöst und halte an Deiner Erlösung (halte deine Erlösung) fest - dann wirst du sehen, dass Du an diesem Glauben festhältst."
On voit que Wittgenstein utilise le même mot sous forme de substantif (die Erlösung) et de verbe (erlösen). Alors on pourrait traduire ainsi :
" D'abord sois délivré et tiens ferme à ta délivrance (tiens la fermement) - alors tu verras que tu tiens ferme à cette foi."
La question est alors de savoir par qui on est délivré. Par un autre que soi ? Non par l'amour, par la certitude que donne l'amour :
" L'amour seul peut croire en la résurrection "
D'autres textes sont clairs sur ce point : il ne s'agit pas de croire dans la résurrection du Christ comme on croit dans la mort de Franco le 20 Novembre 1975. Il ne s'agit pas non plus d'un pari pascalien (y croire parce que, si c'est vrai, on gagne infiniment alors que si c'est faux, on ne perd rien). La certitude religieuse ne paraît pas non plus être identifiable aux certitudes dont traite Wittgenstein dans son dernier ouvrage, précisément ces gonds sur lesquels les disputes peuvent tourner (655). Certes un enfant pourrait croire en Dieu ou ne pas croire en lui, comme il croit, parce qu'on le lui a dit, que les hommes sont allés sur la Lune (107, même si, en 1951, on disait que personne n'était allé sur la Lune). Mais la certitude à laquelle se réfère ici Wittgenstein n'est pas non plus celle de l'enfant crédule. Elle paraît avoir deux propriétés peut-être contradictoires : avoir une force indiscutable et être l'objet d'une quête.
Wittgenstein n'a-t-il pas rêvé (pour lui, d'abord) d'une conversion libre débouchant sur une foi qui précisément caractérise le charbonnier ?

jeudi 26 mai 2011

Un fantasme universitaire ? En finir une fois pour toutes avec les interprétations.


" Il y a quelques années, il s'était lancé avec beaucoup d'enthousiasme dans un projet critique ambitieux : une série de commentaires sur Jane Austen qui prendrait en compte toute la littérature sur le sujet, examinant chaque roman l'un après l'autre et disant absolument tout ce qu'on pouvait dire. Le principe de base consistait à être complètement exhaustif, à étudier les romans sous tous les angles concevables, l'angle historique, biographique, rhétorique. mythique, freudien, jungien, existentialiste, marxiste, structuraliste, allégorique dans la tradition chrétienne, éthique, exponentiel, linguistique, phénoménologique, archétypal et tout le reste ; de sorte que, une fois le commentaire rédigé, il n'y aurait absolument plus rien à dire sur le roman en question. Le but de l'exercice, comme il l'avait souvent expliqué avec toute la patience dont il était capable, était non pas d'aider le lecteur à mieux aimer et à mieux comprendre Jane Austen, encore moins de célébrer la gloire de la romancière elle-même, mais de mettre un terme une fois pour toutes au tas de conneries que l'on pourrait être tenté d'écrire sur le sujet. Les commentaires ne seraient pas destinés au grand public mais au spécialiste qui, en consultant Zapp, se rendrait compte que le sujet qu'il envisageait d'étudier avait déjà été traité, et que le livre, l'article ou la thèse qu'il voulait écrire devenait par là même superflu. Après Zapp, tout ne serait plus que silence. Cette pensée lui procurait un plaisir intense. Dans ses moments d'exaltation faustienne, il rêvait après avoir réglé son compte à Jane Austen, de poursuivre sa tâche et de refaire la même chose avec tous les autres grands romanciers anglais, et, ensuite, de s'attaquer aux poètes et aux dramaturges, en utilisant au besoin des ordinateurs et des équipes de jeunes étudiants-chercheurs bien formés, réduisant ainsi inexorablement les espaces encore ouverts aux commentateurs dans le domaine de la littérature anglaise, semant la stupeur dans toute l'industrie, mettant en chômage plusieurs dizaines de ses collègues, les départements d'anglais les plus célèbres seraient désertés comme des villes fantômes..." (Changement de décorDavid Lodge)

vendredi 20 mai 2011

La fausse monnaie dans le cynisme.

Dans un billet du 25 Février 2005, j'avais interprété l'éloge que les cyniques font de la falsification de la monnaie comme signifiant la disqualification des valeurs ordinaires de la cité. Or, Suzanne Husson dans son excellent La République de Diogène, une cité en quête de nature (Vrin, 2010) éclaire cette pratique en lui donnant non seulement la dimension symbolique que j'avais retenue mais aussi en l'interprétant comme véhiculant le rejet de la propriété privée et de l'échange commercial :
" Nous savons que Diogène (...) recommandait l'utilisation des osselets comme monnaie, ainsi que le rappellent Athénée et - d'après Philodème - Chrysippe, dans son ouvrage Sur les choses non choisies pour elles-mêmes et dans le premier livre du Contre ceux qui conçoivent autrement la sagesse.
Le but de cette disposition n'est pas de créer une monnaie fiduciaire mais de subvertir le principe même de l'échange monétaire. Puisque chacun peut fort bien pourvoir à ses maigres besoins véritables, il n'est nullement besoin de commerce ni de monnaie. La monnaie pourra ainsi être remplacée par une chose sans valeur et qui serait bonne à jeter si l'on ne s'en servait pour jouer. L'argent, en effet, n'est qu'un jouet entre les mains d'enfants capricieux qui s'imaginent posséder la chose la plus précieuse, comme le dit Maxime de Tyr en évoquant Diogène : " Mais il se riait de tous les hommes et de tous leurs usages comme nous des petits enfants lorsque nous les voyons prendre au sérieux les osselets". Dans une cité vraiment cynique, l'argent n'aurait pas plus de valeur que les osselets, il doit être laissé à la foule des déments, de la même façon que celle-ci se rit des osselets qu'elle laisse aux enfants. Voilà donc, un des multiples sens que peut prendre le slogan cynique "parachattein to nomisma", "falsifier la monnaie", mettre la monnaie en cours hors circulation pour introduire une fausse monnaie, elle-même sans valeur, qui subvertit le principe de la monnaie elle-même. De plus une telle formule peut connoter un sens plus fondamental, puisque nomisma signifie certes la "monnaie" , mais également tout ce qui est établi par l'usage, la règle ou le nomos." (p.107-108)

Commentaires

1. Le vendredi 20 mai 2011, 23:08 par Nicotinamide
La falsification possède plusieurs versions qui me laissent perplexe. En effet, je trouve que l'anecdote ne met pas en "valeur" le philosophe. Il y apparait couard, imbécile, benet et gloriolâtre. En effet, est-ce son père qui falsifia la monnaie ? Est-il (son père) mort à cause de lui et de cette affaire ? A-t-il été exilé ? S'est-il enfui "poussé par la peur" ? A-t-il betement obéit aux fonctionnaires des finances ? "Apollon lui ayant concédé la monnaie de la cité, Diogène, qui ne comprit pas, altéra la monnaie" (...) il demanda non point s'il devait falsifier la monnaie, mais ce qu'il devait faire pour devenir une célébrité" (!?!) (DL VI 20)
En DL VI 56, les dialogues laissent supposer que cette falsifiaction est une erreur de jeunesse :
"Comme quelqu'un lui reprochait d'avoir falsifié la monnaie, il répliqua : "il fut un temps où j'étais tel que tu es maintenant... Et à un autre qui lui faisait le même reproche, il dit : avant je pissais au lit, maintenant ce n'est plus le cas."
Je crois que l'attitude cynique consiste plus à mépriser l'amour de l'argent qu'à nier les échanges commerciaux(DL VI 50). Le règne d'une monnaie de singe est une boutade... Annihlier tout échange est invivable... Tout comme le reste de la république de Diogène, intenable (les fils doivent tuer leur père, il faut violer les hommes imbus d'eux-mêmes... ("Dans une cité vraiment cynique". Une cité vraiment cynique est inconcevable...) Falsifier au sens propre la monnaie dure le temps d'une farce... Pourquoi faire l'aumône (DL VI 46, 49, 56, 67) si l'on ne veut recevoir que des cacahouètes ? J'aurai tendance à associer la démarche cynique à l'économie de Thoreau : "ce que coute une chose correspond au montant de ce que j'appelle la vie requise en échange, dans l'immédiat ou le long terme"
2. Le dimanche 22 mai 2011, 12:37 par Philalèthe
Bonjour Nicotinamide,
Concernant la falsification de la monnaie, il me semble important de prendre en compte aussi les textes de Julien, précisément Discours IX 8 et VII 4 et 7. Ils donnent un tour très positif à l'entreprise et l'interprète clairement comme à comprendre symboliquement. Dans La Souda aussi, voyez n.334 et n.1143.1144. Voici, traduit de l'espagnol (désolé mais je ne crois pas qu'on dispose en français d'une anthologie aussi complète, il s'agit de Los filósofos cínicos y la literature moral serioburlesca de Martín García édité chez Akal / Clásicas en 2008, le premier passage :
" "Connais-toi toi-même" et " Modifie la monnaie légale" sont des messages pythiques. Ils veulent dire "déprécie l' opinion de la majorité" et "change non la vérité, mais la légalité"."
Quant au meurtre des parents, voyez Suzanne Husson, qui y consacre plusieurs pages (p.138-140) et conclut ainsi : " Cette mise à mort des parents s'apparentait donc à un acte de piété filiale. En les tuant, les enfants doivent en fait aider leurs parents à mourir.". 
Quant à la question du viol, elle fait aussi cette éclairante mise au point :
" Chez le cynique, au contraire, l'équivalence de statut entre hommes et femmes associée à la liberté sexuelle prend un aspect spectaculaire pour la femme, puisqu'elle va solliciter l'homme désiré en prenant la position active, si nous admettons epiénai de l'éditeur, et en employant tous les moyens de séduction possibles. Peut-être d'ailleurs ces techniques amoureuses étaient-elles si insinuantes que Philodème s'est permis de les interpréter comme relevant de l'usage de la force, de la provocation et du viol (...). Certes, pour Diogène, l'union sexuelle implique le consentement des partenaires, mais les moyens de séduction pouvaient apparaître à des esprits plus prudes et portés à la polémique comme des actes de violence, à moins qu'il ne s'agisse d'une déformation polémique intentionnelle (Husson ajoute ici la note suivante, précieuse : " Voir à ce sujet les analyses extrêmement éclairantes de M.O. Goulet-Cazé (Kynika, p.61-68) concernant le champ lexical de l'ordre et de la nécessité dans les témoignages. Il ne s'agit sans doute que de forcer le ton, et de transformer, par exemple, des permissions en obligations, voire en contraintes brutales, afin de rendre les thèses exposées encore plus inacceptables") (La République de Diogène, p.128-129)
Comme d'habitude, in fine, nous dépendons des interprétations philologiques.

mercredi 18 mai 2011

Nietzsche et le zombi.

En philosophie de l'esprit contemporaine, le zombi désigne un être qui serait physiquement identique à un être humain et qui serait dépourvu de toute intériorité ou autrement dit de toute conscience. David Chalmers dans L'esprit conscient (1996) le présente ainsi :
" Examinons donc mon jumeau zombi. Cette créature est identique à moi à la molécule près, toutes ses propriétés de niveau inférieur, postulées par une physique achevée, sont identiques aux miennes, mais elle est entièrement dépourvue d'expérience consciente, son intérieur est vide. Certains pourraient en parler comme d'une chose, mais je préfère la traiter comme une personne ; j'ai de l'affection pour mon jumeau zombi. Pour nous faire une idée, imaginons que j'aie l'expérience de belles sensations vertes en regardant des arbres par la fenêtre, des expériences gustatives agréables en mâchant une barre chocolatée, et que j'éprouve une sensation douloureuse dans mon épaule droite.
Que se passe-t-il dans mon jumeau zombi ? Physiquement identique à moi, nous pouvons également supposer qu'il se trouve dans un environnement identique au mien. Il sera certainement identique à moi fonctionnellement : il traitera le même type d'information, réagira de la même façon aux entrées, sa configuration interne sera modifiée de façon appropriée et un comportement indiscernable du mien en résultera. Il sera psychologiquement identique à moi (...). Il percevra les arbres au dehors ainsi que le goût du chocolat, au sens fonctionnel. Tout cela s'ensuit logiquement du fait qu'il est physiquement identique à moi, en vertu des analyses fonctionnelles des notions psychologiques. Il sera même "conscient" aux sens fonctionnels décrits plus haut - il sera éveillé, capable de rendre compte du contenu de ses états internes, de porter son attention sur divers endroits, etc. En revanche, aucune de ces fonctions ne s'accompagnera d'une expérience consciente. Il n'y aura aucun ressenti phénoménal. Être un zombi ne fait aucun effet." (p.145-146 de la traduction française, Ithaque, 2010)
Or, il se trouve que l'idée du zombi - à défaut du mot - est présente très explicitement déjà dans un texte du Gai Savoir (1882-1887) de Nietzsche :
" Le problème de la conscience (ou plus exactement : de la conscience de soi) ne se présente à nous que lorsque nous commençons à comprendre en quelle mesure nous pourrions nous passer de la conscience : la physiologie et la zoologie nous placent maintenant au début de cette compréhension (il a donc fallu deux siècles pour rattraper la prémonitoire défiance de Leibniz). Car nous pourrions penser, sentir, vouloir, nous souvenir, nous pourrions également "agir" dans toutes les acceptions du mot, sans qu'il soit nécessaire que nous "ayons conscience" de tout cela(c'est moi qui souligne). La vie tout entière serait possible sans qu'elle se vît en quelque sorte dans une glace : comme d'ailleurs, maintenant encore, la plus grande partie de la vie s'écoule chez nous sans qu'il y ait une pareille réflexion -, et de même la partie pensante, sensitive et agissante de notre vie, quoiqu'un philosophe ancien puisse trouver quelque chose d'offensant dans cette idée. " ( V, 354 )
En toute rigueur, il y a une distinction à faire entre le zombi de Chalmers et celui de Nietzsche. Nietzsche envisage le zombi comme une possibilité naturelle (factuelle) ; Chalmers se contente de le voir comme une possibilité logique ( la description du zombi n'est pas contradictoire, incohérente) ; concernant la possibilité naturelle, il est en effet très sceptique (" il est improbable que ces zombis soient naturellement possibles. Dans le monde réel, il est probable que toutes mes répliques soient conscientes." - p.146 )

Commentaires

1. Le jeudi 19 mai 2011, 02:17 par sopadeajo
Et s´ils existaient, les zombies ?
On m´a dit que oui, mais je ne saurais les reconnaître. La question serait alors différente. Pourquoi ne l´aprrent-on à
l´école ? Pourquoi est-ce qu´on le cache ?
Pour quelle raison veut-on qu´il y ait des gens, comme moi, par exemple , qui ne l´ont pas su, et qui ne l´ont pas cru non plus, qui ont cru à une plaisanterie, quand on leur a dit qu´ils existaient. Pourquoi cacher ce fait ?
(Je ne prétends pas que vous ayez les réponses Philalèthe, et si j´en parle ce n´est que parce que vous en avez parlé, mais cela dépasse la philosophie, s´ils existent)
2. Le jeudi 19 mai 2011, 07:30 par Philalèthe
Si quelqu'un avait la croyance que tous les autres hommes ont été, sont et seront des zombis, il n'y aurait aucun moyen de la réfuter. Ce serait au sens que Popper a donné à ce terme une croyance non-falsifiable.
À partir de là, on comprend qu' Hollywood n'ait pas représenté les zombis, au sens que j'ai défini. Chalmers expose bien la distinction :
" Ce genre de zombi est tout à fait différent des zombis des films d' Hollywood qui ont tendance à avoir des infirmités fonctionnelles importantes (Chalmers veut dire que leur esprit ne fonctionne pas normalement). Ce dont les zombis hollywoodiens sont le plus manifestement dépourvus, c'est d'une version psychologique de la conscience : en général, ils ont une faible capacité d'introspection et n'ont pas une aptitude raffinée de contrôler leur comportement. Ils peuvent être ou non dépourvus de conscience phénoménale (Chalmers désigne ainsi le ressenti) ; comme Block l'indique, il est raisonnable de supposer que consommer leurs victimes leur fait un certain effet - gustatif. Appelons-les des zombis psychologiques ; je m'intéresse aux zombis phénoménaux, physiquement et fonctionnellement identiques (Chalmers veut dire identiques du point de vue des fonctions de l'esprit), mais dénués d'expérience (l'impopularité des zombis phénoménaux à Hollywood s'explique par les problèmes évidents que pose leur représentation)" (p.146).
Juste une ultime précision : mon billet ne s'inscrit pas dans le cadre d'une investigation cherchant à savoir si les zombis existent ou non. Car j'ai déjà la réponse.
3. Le jeudi 19 mai 2011, 15:45 par sopadeajo
"Car j'ai déjà la réponse."
Pourriez vous me la dire, cette réponse, Philalèthe et me dire comment vous le savez et me dire (m´expliquer) pourquoi je ne le sais pas (ou plutôt , je ne l´ai pas su, je ne le savais pas). Et aussi pourquoi et par qui , et par quelle raison et que peut-on faire?
4. Le jeudi 19 mai 2011, 19:16 par Philalethe
Je sais qu'il n'y a pas de zombis comme je sais que la Terre n'est pas apparue quelques minutes avant ma naissance.
5. Le jeudi 19 mai 2011, 19:58 par sopadeajo
Mais si vous savez Philalèthe que la Terre n´est pas née quelques minutes vant vous, c´est parce que l´on vous l´a dit, qu´on vous l´a appris à l´école. Comment pourriez vous en effet déduire vous tout seul, que la Terre est 4500 millions d´années plus vieille que vous? Comment savoir qu´elle a eu un début, qu´elle n´a pas existé éternellement ? Comment pourriez vous savoir sans l´avoir vue d´en haut, qu´elle était ronde ?
J´en déduis donc que vous me mentez sur les zombies, que quelqu´un a dû vous le dire. Vous n ´auriez pas pu le déduire vous même.
6. Le vendredi 20 mai 2011, 02:14 par sopadeajo
J´ai utilisé le mot mentir dans le sens de mensonge logique, pas moral, évidemment.Je dis cela parce que nous n´avons pas exactement le même type d´honneur chez nus au Sud que chez vous.
7. Le vendredi 20 mai 2011, 08:10 par Philalèthe
Voyons : personne ne m'a appris que les zombis n'existent pas - et on ne l'apprend nulle part dans l'enseignement - mais c'est une certitude qui va avec tout ce qu'on m'a appris. Ça va de soi et on n'a même pas à le dire. Si quelqu'un me dit qu'il croit dans leur existence, je ne pense pas qu'il manque d'instruction sur un point précis mais j'ai le sentiment qu'il ne vit pas dans le même monde que moi ; je ne vais sans doute pas entreprendre de le convaincre qu'il fait erreur car sachant qu'il croit dans l'existence réelle des zombis je me demande bien quelle prise je pourrais avoir sur lui pour le faire changer d'avis. Pour mieux comprendre le sens de mes remarques, lisez De la certitude de Wittgenstein.
8. Le vendredi 20 mai 2011, 17:04 par ¿'
Bonjour,
J'avoue ne jamais avoir compris ce que voulait dire Chalmers avec cette histoire de zombie. Pourquoi parlerions-nous de "zombies" puisque :
1. Nous ne pouvons en aucune façon (et par hypothèse) les distinguer des autres humains. Mais à ce compte, puis-je savoir moi-même si je suis un humain ou un zombie (au sens de Chalmers) ? À vrai dire, je ne vois vraiment pas quelle différence cela ferait si j'étais un zombie.
2. Quoi qu'il en soit, ce concept ne servirait à rien, puisque de toute façon les humains et les zombies sont par hypothèse indiscernables. On ne peut donc même pas "suspecter" quelqu'un d'être un zombie, puisque la définition même du zombie implique l'impossibilité d'un indice ou d'une preuve.
Conclusion : fin de l'histoire. Chalmers nous dit qu'il a distingué les zombies et les hommes mais en fait il n'a fourni aucun élément permettant de les distinguer. Il n'a donc tout simplement pas fait ce qu'il dit. Il n'y a de sens à dire que les zombies existent (ou n'existent pas) que si nous avons un moyen de les distinguer des non-zombies... Pour l'instant, le concept de "zombie" est exactement synonyme de "homme" :)
9. Le vendredi 20 mai 2011, 17:27 par sopadeajo
Et si eux, les zombies, indistinguables en général à première vue des hommes savaient qu´ils le sont et savaient en quoi ils sont différents (en très peu, mais il ya tout de même de la différence que l´on pourrait remarquer)?
10. Le vendredi 20 mai 2011, 17:39 par ¿'
De deux choses l'une :
— soit il n'y a vraiment aucun moyen de reconnaître un zombie, et dans ce cas le zombie lui-même ne le saurait pas non plus. (Comment saurais-je si je suis un zombie au sens de Chalmers ?)
— soit il y a une différence, même minime : par exemple, tous les zombies (et seulement eux) seraient capables d'entendre certaines fréquences sonores inaudibles pour les humains. Dans ce cas, il y a bien une différence objective, et on pourra dire que les zombies sont définis par cette capacité unique. Mais ce serait, justement, une différence objective, vérifiable par tous ; et je ne crois pas que ce soit ce que veut dire Chalmers.
11. Le vendredi 20 mai 2011, 18:07 par Philalethe
Je suis sûr de ne pas être un zombi puisque j'ai conscience de moi et d'un ressenti variable selon que je me brûle ou me mets en colère par exemple. Maintenant pour vous, ça ne ferait en effet aucune différence si j'étais un zombi et, si vous doutiez de ma normale humanité, vous n'auriez aucun moyen de savoir si j'en suis un.
Ceci dit, le concept de zombi n'est pas identique au concept d'homme puisque c'est le concept d' un homme doté d'une vie psychologique (vous diriez de lui qu'il réfléchit, juge etc) mais sans vécu correspondant, sans conscience de soi.
Quant au critère permettant de les distinguer, il ne manque pas à Chalmers pour une raison simple, c'est que dès le début il sait que le zombi est le produit d'une abstraction, abstraction cohérente mais abstraction quand même : on abstrait de l'homme réel sa capacité de sentir ce que cela fait de réfléchir, sentir, boire, etc.
Ajoutons que par définition le zombi ne peut pas savoir qu'il l'est puisque s'il savait qu'il l'est, il ne le serait pas. On ne peut pas être zombi et avoir conscience de soi comme... zombi.
Ça va de soi aussi que vous ne pouvez pas identifier le zombi par une propriété physique puisqu'il est par définition postulé comme identique organiquement et psychologiquement à l'homme. Il n'a juste pas de conscience de soi. En termes techniques, il n' pas de qualia.
12. Le vendredi 20 mai 2011, 19:27 par sopadeajo
Mais s´il n´a pas de conscience de soi, le zombie, n´arriverions nous pas à le remarquer en parlant avec lui ? Je veux dire: rira-t-il exactement, par exemple, des mêmes choses que nous , même s´il a appris à rire (ou à imiter) le rire ?
Mais la vrai question est aussi celle là.
Pourquoi ne l´explique-t-on pas dans les livres de teste à l´école, si le zombie existe ?
Et pourquoi existerait-il ? Et pourquoi l´aurait-on fait ?
Et à quoi servirait-il, quelle serait sa fonction, quelle serait la tâche que ceux qui l´ont fabriqué (ou bien est-ce une modification de quelque chose ?) lui ont octroyé ?
13. Le samedi 21 mai 2011, 00:13 par ¿'
Une petite question, alors : est-ce qu'un zombie pourrait dire "Je suis sûr de ne pas être un zombi puisque j'ai conscience de moi et d'un ressenti variable selon que je me brûle ou me mets en colère par exemple" ?
S'il ne peut pas (parce que ces mots ne font pas sens à ses yeux), alors nous tenons notre différence :D
Mais s'il peut, comment le peut-il ? Et serait-ce un mensonge ? (c.-à-d. le zombie pourrait-il dire : "j'ai dit cela, mais c'était un mensonge ?")
Je m'interroge aussi sur la raison pour laquelle Chalmers parle de ça. Pour Nietzsche, on voit bien : il s'agit de montrer que les "qualia", précisément, ne servent à rien et que leur absence ne changerait rien (d'où la conscience, gnagna). Mais pour Chalmers, dans quel contexte s'inscrit ce passage ? Que veut-il dire ? Parce qu'au fond, c'est surtout ça la question : à quoi bon un concept qui ne sert à rien ? (indice : la réponse est peut-être contenue dans la question)
14. Le samedi 21 mai 2011, 08:53 par Philalèthe
Pour comprendre le projet d'ensemble dans lequel s'insèrent ces lignes de Chalmers, voyez la recension qu'a faite François Loth sur son blog.
Sinon pourquoi donc un zombi ne pourrait pas dire ce que vous lui faites dire ? Il peut dire n'importe quoi, qu'il est un zombi, qu'il ne l'est pas, qu'il l'est de temps en temps etc. Simplement ces paroles ne sont pas accompagnées d'un ressenti. Il ne peut rien se dire, c'est tout.
15. Le samedi 21 mai 2011, 10:12 par Ariane
bonjour !
j’ai l’impression qu’on pourrait donner une autre interprétation du texte de Nietzsche. La pensée animale fonctionne sans conscience de soi. L’animal sent sans en avoir conscience, désire sans en avoir conscience, et agit sans en avoir conscience. La référence à Leibniz pourrait montrer que Nietzsche envisage des phénomènes du type de la perception, ou plus globalement de l’intentionnalité. Le texte de Chalmers, en niant la conscience, paraît nier toute intentionnalité. J’aurais beaucoup de réticence à attribuer une conscience de soi aux chauves-souris, mais il me paraît facile de leur reconnaître la perception et le désir. Aussi me paraît-il possible d’imaginer pour une chauve-souris donnée sa sœur jumelle zombie. La fiction du zombie pourrait alors se retourner aussi bien contre la conscience de soi, que contre toute forme d’intentionnalité.
Bien entendu, soutenir que ma jumelle zombie se débrouillerait aussi bien que moi dans la vie quotidienne revient à supposer que le traitement de l’information rendu possible par la conscience que j’ai de moi-même est absolument inutile, ce qui discutable (voire vexant si ça signifie que je devrais me servir davantage de ma tête).
16. Le dimanche 22 mai 2011, 12:07 par Philalèthe
@ Ariane
Sentir, désirer, agir etc. sans en avoir conscience, c'est précisément être un zombi au sens où ce dernier a des propriétés psychologiques - dont on rend compte en termes fonctionnels : ce qui les stimule et les effets observables attribués à leur fonctionnement - mais n'a pas de propriétés phénoménales. Donc le zombi perçoit et désire entre autres, ce qui revient à nier et la conscience de soi et l'intentionnalité. Sur ce dernier point, ce passage de Chalmers met bien en relief en quel sens restreint il garde "les attitudes propositionnelles" :
" En tout cas, je ne tenterai pas ici d'examiner ces problèmes difficiles sur le rapport entre l'intentionnalité  et la conscience. Remarquons, simplement, qu'il y a un concept de croyance déflationniste, purement psychologique et qui n'implique pas l'expérience consciente ; si un être se trouve sans l'état psychologique idoine, alors il se trouve dans un état qui ressemble vraiment à la croyance à maints égards, à l'exception des aspects phénoménaux. Et il y a un concept de croyance inflationniste, selon lequel l'expérience consciente est requise pour permettre de croire véritablement, et même, peut-être, selon lequel une espèce particulière d'expérience consciente est requise pour permettre de croire véritablement une proposition particulière. Lequel est le "véritable" concept de croyance importe peu pour mes objectifs." (p.43)
À première vue, vous partagez la conception inflationniste. Dans cette perspective, on ne peut pas attribuer au zombi de croyances.
17. Le lundi 23 mai 2011, 01:15 par sopadeajo
Je ne sais toujours pas si les zombies existent ou pas et quand ils furent crées. Mais s´ils existent je crois qu´ils sont utilisés à des finalités illégales et illégitimes genre la guerre sournoise au Nord de l´Afrique, Lybie Egypte, Syrie, ... ou encore les mouvements illégaux et antidémocratiques, quoiqu´ils apparentent le contraire en Espagne à Sol et autres qu´il faut absolument arrêter tout de suite et à jamais parce que c´est du fascisme, c´est illégal. et c´est mauvais et méchant et sournoisement mais totalement antidémocratique.
18. Le mercredi 25 mai 2011, 11:21 par luestan
Le mythe du Zombi soulève deux questions:
1) Existe-t-il des états de conscience sans des manifestations physiques, comportementales, appropriées? Il me semble qu'à cette question on peut répondre non, avec assez de certitude.
2) Ces manifestations physiques, comportementales, peuvent-elles se concevoir ou se produire dans leur intégralité sans l'état de conscience correspondant? Croire à la possibilité, théorique (elles peuvent se concevoir) ou naturelle (elles peuvent se produire), du Zombi, suppose qu'on répond oui. Dans les deux cas, c'est admettre qu'un "état de conscience" ne répond pas à une définition physique. C'est du dualisme à la Descartes.
Finalement, les deux Zombis, celui de Chalmers et celui de Nietzsche, me paraissent incohérents. De fait, le comportement quotidien des humains implique qu'il ne croient pas aux Zombis, même s'ils sont capables de s'échauffer l'esprit sur ce mythe.
19. Le mercredi 25 mai 2011, 14:09 par Philalèthe
@ luestan
Non, Chalmers soutient un dualisme, certes, mais qui n'est pas cartésien ; je vous renvoie sur ce point au texte de François Loth sur son blog :
20. Le jeudi 26 mai 2011, 10:22 par Luestan
Et s'il était cartésien à l'insu de son plein gré? Le fonctionnalisme serait un avatar de l'âme. Sauf que lui, Chalmers, serait incohérent...
Je cite votre propre commentaire au texte de François Loth, à l'appui de l'idée que le concept de Zombi est incohérent:
"Concevoir un monde matériellement identique au nôtre, n’est-ce pas y inclure aussi les écrits, et donc parmi les écrits, ceux portant sur l’esprit ? Dans ces conditions, comment ne pas voir de contradiction entre les zombies et leurs livres qui parlent de leur esprit ?"
Question naïve: s'il paraît possible de concevoir deux organismes différents ayant même fonction(nement)—et encore!— est-il possible de concevoir deux organismes parfaitement identiques, mais fonctionnant différemment?
21. Le jeudi 26 mai 2011, 17:11 par Philalèthe
C'est sur le blog de François Loth qu'il faut poser ces questions !
Oui, j'ai posé cette question mais je crois qu'il faudrait distinguer parmi les livres ceux qui parlent de l'esprit entendu en un sens fonctionnel et ceux qui parlent des qualia. Dans les deux cas, est-ce contradictoire de rendre compte de l'écriture de ces deux types de livres sans attribuer aux auteurs une intériorité ? Je crois que non. Un esprit qui ne ressent rien peut produire des textes sur le ressenti. Ça ne paraît pas contradictoire : par exemple, il répète ce qu'il a compris (et on peut rendre compte de comprendre en termes fonctionnalistes). Tout cela écrit avec moult prudence. Interrogez donc les experts en la question.
22. Le vendredi 27 mai 2011, 10:00 par Luestan
En fait d'experts, je tire mes faibles connaissances d'un site canadien que je trouve absolument remarquable: LE CERVEAU A TOUS LES NIVEAUX.
Il m'a fait penser que s'il n'y a pas de Zombi humain à 100%, en fait nous sommes tous des Zombis partiels, car notre comportement est (le plus) souvent inconscient. Les experts en sont même venus à inventer des expériences (pas seulement de pensée) pour mettre en lumière "les corrélats neuronaux de la conscience", la petite différence neuronale qui distingue le même acte selon qu'il est conscient ou inconscient (il y aurait même, paraît-il, trois niveaux).
23. Le vendredi 27 mai 2011, 12:05 par Philalèthe
Merci d'avoir indiqué ce site.
Oui, vous avez raison concernant l'inconscience relativement à beaucoup de nos conduites. C'est précisément un point que Leibniz avait clairement souligné. Maintenant concernant l'emploi du concept de zombi partiel, il y a à redire car par définition est zombi un être privé de toute conscience de soi (donc on est dans une logique du tout ou rien, pas de la graduation). Mais c'est un détail, j'en conviens !
24. Le samedi 28 mai 2011, 11:22 par Luestan
Vous avez raison. Mon expression de Zombi partiel est contradictoire. Je n'en ai usé que pour faire ressortir l'impossibilité logique de la notion de Zombi humain telle que Chalmers en use. Un Zombi ne pourrait pas avoir un comportement totalement identique au nôtre, puisque dans notre comportement, il y a ce qui est inné (ça, le Zombi le peut), ce qui est appris (cela peut devenir inconscient, mais pour apprendre il faut un minimum de conscience, comment le Zombi pourrait-il l'avoir appris?), et ce que nous apprenons grâce à la conscience. Un Zombi humain serait un ci-devant homme qui n'aurait plus de mémoire explicite, seulement une mémoire implicite (issue du temps où il était un homme) et n'apprendrait pas. Ce n'est malheureusement pas inimaginable mais cela se voit nécessairement dans son comportement. C'était d'ailleurs en ce sens que vous aviez répondu à François Loth, mais vous êtes revenu sur votre argument. Quand vous dites "Il (un tel esprit Zombi) répète ce qu'il a compris", je pense que vous mettez le doigt sur notre différence. Nous ne nous contentons pas de répéter ce que nous avons compris.
25. Le samedi 28 mai 2011, 12:17 par Philalèthe
Si, un zombi au sens d'être privé de l'effet que cela fait d'avoir un esprit est extérieurement totalement identique à nous extérieurement. Donc il apprend, se rappelle etc. En effet apprendre peut être défini en termes fonctionnels (comme l'écrit Chalmers, "pour un organisme, apprendre signifie en gros que ses capacités comportementales s'adaptent pour répondre aux stimulations environnementales"). Ce qui manquera au zombi, ce sera seulement les aspects phénoménaux de l'apprentissage (l'effet que cela fait d'apprendre). Pour la conscience, il faut faire la même distinction : le zombi perçoit (Chalmers utilise le concept d'aperception à ce niveau) mais il n'a pas de ressenti relativement à cette perception. Pareil pour la mémoire. On peut dire aussi du zombi qu'il comprend vraiment si on donne de la compréhension une définition en termes fonctionnels (la compréhension comme fonction qui transforme certains stimuli en certains résultats)
26. Le dimanche 29 mai 2011, 16:11 par Luestan
J'avoue que j'ai de la peine à suivre.
Apprendre ou comprendre "en termes fonctionnels" me semblent être apprendre ou comprendre comme apprendrait ou comprendrait ce qu'on appelle une machine intelligente. Mais il me semble que souvent notre comportement échappe à ce que serait une simple "adaptation aux stimulations environnementales". Un zombi pourrait-il être parfois dépressif, parfois suicidaire, parfois exubérant, excessif, parfois être inventif...? Pourrait-il avoir un sale caractère?
Je reviens d'autre part à mon soupçon de dualisme. Vous dites en effet : "un zombi au sens d'être privé de l'effet que cela fait d'avoir un esprit est extérieurement totalement identique à nous".
Si nous pouvons être privé de quelque chose en restant extérieurement totalement identique ce que nous sommes avec ce quelque chose, c'est que ce quelque chose est tout intérieur, est indépendant de l'extérieur. Ce n'est pas seulement la face intérieure d'une chose ayant aussi une face extérieure. C'est autre chose...
27. Le dimanche 29 mai 2011, 16:24 par Philalèthe
La zombi peut avoir toutes les propriétés que vous doutez de lui attribuer tant qu'on peut identifier ces propriétés à des conduites observables produites par des causes observables et produisant des effets observables. Il y aura donc des zombis à sale caractère (je crois que la base de votre difficulté à suivre comme vous dites est que vous ne distinguez pas la conception psychologique de l'esprit de la conception phénoménale de l'esprit).
Ce quelque chose dont est privé le zombi est en effet tout intérieur ; ce n'est pas en effet seulement la face intérieure d'une chose ayant aussi une face extérieure puisque dans ce dernier cas la face intérieure peut toujours en fait être présentée à ce qui est extérieur à cette chose. C'est autre chose qui peut en effet être compris dans le cadre du dualisme : c'est d'ailleurs la position de Chalmers qui refuse d'identifier la conscience phénoménale à quelque chose de matériel et qui pour cette raison défend une position bel et bien dualiste.
28. Le mardi 31 mai 2011, 18:14 par Luestan
"Le zombi peut avoir toutes les propriétés que vous doutez de lui attribuer tant qu'on peut identifier ces propriétés à des conduites observables produites par des causes observables".
Il me semble justement qu'avoir un sale caractère, c'est avoir souvent une conduite désagréable sans cause observable. Un état de conscience, en corrélation avec une activité neuronale spécifique, n'a pas besoin d'un stimulus extérieur pour apparaître. Inversement, la présence d'un stimulus (un bon repas) ne déclenche pas nécessairement l'état de conscience qui lui habituellement associé (sentiment de plaisir gustatif). On peut en effet penser à autre chose).
"vous ne distinguez pas la conception psychologique de l'esprit de la conception phénoménale de l'esprit".
Je crois que je distingue ces deux conceptions, mais ce sont pour moi deux façons de concevoir le même événement-objet qu'on appelle esprit. Comme le côté pile et le côté face d'une pièce de monnaie.
"ce n'est pas en effet seulement la face intérieure d'une chose ayant aussi une face extérieure puisque dans ce dernier cas la face intérieure peut toujours en fait être présentée à ce qui est extérieur à cette chose".
Je ne vois pas comment on peut voir correctement l'intérieur d'une chose quand on est à l'extérieur. Même si la chose en question est transparente au regard extérieur, l'angle de vue fausse nécessairement l'observation.
Cordialement.
29. Le mardi 31 mai 2011, 20:19 par Philalèthe
Je continue de penser que François Loth, entre autres, est bien plus savant que moi pour répondre à vos interrogations. Cette réserve indispensable une fois faite, voici quelques remarques.
"Il me semble justement qu'avoir un sale caractère, c'est avoir souvent une conduite désagréable sans cause observable. Un état de conscience, en corrélation avec une activité neuronale spécifique, n'a pas besoin d'un stimulus extérieur pour apparaître. Inversement, la présence d'un stimulus (un bon repas) ne déclenche pas nécessairement l'état de conscience qui lui habituellement associé (sentiment de plaisir gustatif). On peut en effet penser à autre chose) "
Observable ne veut pas dire observable à première vue. Une conduite physique a nécessairement des causes physiques.
Concernant l'état de conscience, Chalmers défend qu'il dépend de causes neuronales sans être réductible à lui. C'est au niveau de ces causes neuronales qu'on fait référence à une causalité physique (= matérielle). Concernant le bon repas, sauf à penser qu'il est pris par un zombi, il est nécessairement accompagné d'une conscience phénoménale même si en effet l'effet que ça fait peut être celui que ça fait de causer avec un ami, de rêvasser etc.
"Je crois que je distingue ces deux conceptions, mais ce sont pour moi deux façons de concevoir le même événement-objet qu'on appelle esprit. Comme le côté pile et le côté face d'une pièce de monnaie.
Votre comparaison est intéressante mais discutable car une pièce de monnaie avec seulement un côté logique est inconcevable ; or, la thèse centrale de Chalmers est qu' un être avec seulement un esprit psychologique, précisément un zombi, et sans ressenti, est logiquement concevable (même s'il juge que c'est naturellement impossible, à la différence précisément de Nietzsche dans le texte cité).
30. Le mercredi 1 juin 2011, 12:08 par Luestan
Ne tournons-nous pas, depuis pas mal de temps, autour du problème de la liberté? Si vous le permettez je vous propose le petit raisonnement suivant.
L'être humain a le sentiment d'être libre. C'est une conscience de liberté, que le Zombi n'a pas, puisque par définition, il n'a pas de conscience du tout.
Avoir une conscience de liberté n'implique pas nécessairement qu'on est objectivement libre. Mais comment pourrait-on être objectivement libre (liberté de choix) sans avoir une conscience de liberté?
Donc le Zombi, n'ayant pas une conscience de liberté, n'est pas non plus objectivement libre (de plus, dans l'enchaînement des causes physiques, il ne peut être cause initiale, il est entièrement conditionné).
Un comportement qui laisse place à la liberté n'est pas identique à un comportement entièrement conditionné.
Si le comportement du Zombi ne peut pas être distingué de celui de l'être humain, ne faut-il pas que l'être humain aussi ne soit pas objectivement libre, en contradiction avec sa conscience de liberté?
N'est-ce pas pas là le fonds de mon débat avec la thèse de Chalmers, dont vous avez bien voulu vous faire le porte-parole?
Cordialement
31. Le mercredi 1 juin 2011, 12:27 par Philalèthe
Oui, on peut en effet penser que ni mon jumeau zombi ni moi ne sommes libres, au sens où libre signifie disposer d'un libre-arbitre de type cartésien, c'est-à-dire faire des choix non déterminés par les états antérieurs de l'agent.
Mais votre avant-dernière question peut tranquillement recevoir une réponse positive puisque vous accordez plus haut que la conscience du libre-arbitre n'implique pas nécessairement le libre-arbitre.
Donc mon jumeau zombi : pas de conscience phénoménale, pas de libre-arbitre
Moi : une conscience phénoménale, pas de libre-arbitre.
Ce qui ne veut pas dire que je ne sois pas libre en un autre sens (par exemple est libre un agent en mesure de se maîtriser). À ce niveau, on pourrait dire que mon jumeau zombi est libre aussi, sauf que ça ne lui fait aucun effet d'être libre.
32. Le vendredi 3 juin 2011, 02:42 par Anthony LC
C'est marrant de voir que votre blog produise autant de réaction et d'individu réactif. Là où vous pêchez c'est que vous ne dîtes pas que l'"accompagnement" de la conversion des idées (autre nom pour la conscience) fut inventé par Plotin et que la conscience est tout au plus un outil de communication et par les phénomènes qu'elle génère, une génératrice d'illusions. Ce sont toujours les décadents qui se crispent dessus.
33. Le vendredi 3 juin 2011, 02:45 par Anthony LC
En grec : l'accompagnement de la procession des idées, de leurs « chute dans les corps », est parakoloumeta. Etrange pour un blog qui se dit s'appuyer sur des philosophes antiques alors que j'y vois avant tout une lecture moderne et quelque peu décevante.
34. Le vendredi 3 juin 2011, 08:49 par Philalèthe
@ Anthony LC
Merci de votre intervention mais je doute qu'on puisse définir la fonction de la conscience en deux lignes. En plus si vous identifiez la conscience à une génératrice d'illusions, comment pouvez-vous avoir conscience qu'elle est génératrice d'illusions ? Votre position paraît auto-réfutante.
Quant à "décadent", je ne crois pas qu'il ait un sens bien déterminé en philosophie. Pour moi, le mot ne veut rien dire, c'est une dépréciation confuse qui suggère l'idée bien douteuse d'un sens de la philosophie.
Quant à vos connaissances sur Plotin, elles sont certes intéressantes mais le système plotinien n'est d'aucun recours en philosophie de l'esprit aujourd'hui.
Quant aux philosophes antiques, je ne les ai jamais pris comme indépassables. Quand je lis Sénèque ou médite sur les cyniques, ce n'est pas pour y trouver des vérités primordiales, mais pour reconstruire minutieusement leur position et ainsi la donner à juger.
35. Le samedi 11 juin 2011, 19:11 par TerrePsyCorps
Bonjour,
Après la lecture de l'article et de vos commentaires, quelques questions me viennent à l'esprit. Je ne pense pas avoir bien saisi certaines notions, ou pour le moins l'articulation que vous en faite.
En effet, pourriez-vous justement nous éclairer sur la façon dont on conçoit ou créer un "zombi"? y'a t il plusieurs façons ? les pratiques de "sorcellerie" peuvent elle y contribuer ?
Et de quelle manière pouvons nous procéder au processus inverse, c'est-à-dire, donner, redonner, recréer ou ré-activer (si on le lui a enlever, par exemple par annihilation de l'EGO) la "conscience de soi" qui fait défaut au zombi psychologique?
Une étudiante en psychologie.
36. Le samedi 11 juin 2011, 19:31 par Philalèthe
D' abord votre pseudo est bien joli !
Ensuite :
1) le zombi est un produit de l'esprit : c'est vous sans votre vie intérieure, votre ressenti, vos qualia, comme on dit. On peut dire que le zombi est une abstraction en somme (on abstrait de l'homme réel tout le côté psychologique vécu).
2) il n'est donc pas question de créer des zombis. Avec ou sans sorcellerie.
3) il n'est pas non plus question de dézombifier, si vous me permettez l'expression, le zombi comme on pourrait redonner conscience à un malade en coma végétatif chronique.
Le problème de Chalmers est le suivant : pourrait-il y avoir un monde possible où des êtres auraient toutes les fonctions psychologiques que nous avons sans faire l'expérience de l'intériorité ? Il soutient que c'est logiquement possible, ce qui ne le conduit pas à soutenir qu'il existe réellement des zombis quelque part.
Le point important est le suivant : distinguer le zombi - concept philosophique du zombi - personnage hollywoodien. Pour être encore plus clair, les zombis chalmériens ne sont pas intéressants au ciné pour la raison que rien ne montre à l'extérieur qu'ils sont privés d'intériorité.
37. Le jeudi 16 juin 2011, 13:51 par sopadeajo
"1) le zombi est un produit de l'esprit "
Tout au long de cette petite "charla", je n´ai jamais pensé aux zombies sous une autre forme que celle de personnes physiquement identiques à nous, pas du tout à la manière de ces idiots (très futés en questions d´argent) sensatioannalistes de Hollywood. Physiquement identiques à nous, mais je ne sais pas s´ils savent qu´ils sont différents, qu´ils sont des des zombies. Je répête qu´on m´a dit très sérieusement (je le crois maintenant; avant cela me dépassait, et j´aime le rationnalisme pourtant) qu´ils existaient: "des morts (sans conscience?) qui ne savent pas qu´ils sont morts, mais qui vivent et qui nous ressemblent en tout ou en presque tout. En quoi pourrions nous les reconnaître? Pourrions nous les reconnaître en parlant avec eux, en leur posant des questions; mais souvenons nous que le mathématicien et logicien Turing avait traité el problème de reconnaître un être artificiel pouvant parler -un ordinateur- et avait conclu qu´il pourrait être impossible de reconnaître , en lui posant des questions, un ordinateur d´un homme ?
Mais votre affirmation, Philalèthe, sans aucune preuve, que les zombies n´existent pas, équivaut à dire, sans aucune preuve non plus, que les zombies existent. Moi je crois que c´est Eluard qui a raison quand il disait qu´il ya d´autres mondes , mais qu´ils sont dans celui-ci.
Le problème alors serait ainsi: ceux qui sont bien informés et savent qu´il ya d´autres mondes (d´autres hommes, entre autres) dans celui ci et la forme qu´ils ont; ont l´ énorme avantage de savoir (mais aussi d´action, si ces autres mondes et/ou hommes ont été creés, dans le but (fort probable) d´agir pour quelque chose, dans un certain but (que je méconnais)) ce que d´autres ne savent pas et de pouvoir d´action (action provoquée par ceux qui les contrôlent).
Reste que le problème est grand puisque nous ne pouvons (pouvons nous?) concevoir leur existence par des moyens logiques, au moyen des mots, avec la logique, la physique, les maths, la philosophie et en cela, s´ils existaient ces autres mondes, le monde de la magie (qui peut être rationnel, s´approcher de nous, serait plus réel et plus vrai (plus complet) que le monde strictement rationnel qui affirmerait que si l´on ne voit point de différence entre un zombie et nous, c´est que les zombies n´existent pas. Mais justement les zombies auraient été faits pour ne pas être distingués: le rationnel s´impose donc une limitation: ne pas reconnaître les mondes parallèles s´ils ne sont pas reconnaissables et s´imposerait donc, si d´autres mondes existent parmi nous, une réalité fausse et partielle sans posibilité de la connaìtre et même presque sans la possibilité d´en parler. Un vrai apartheid d´excès rationnaliste incapable de pénétrer les autres mondes dans celui-ci.
38. Le jeudi 16 juin 2011, 14:13 par sopadeajo
La situation est grave en fait parce que si d´autres mondes existent dans celui-ci, il suffit de placer des gens comme moi, qui ne savent absolument rien de tout cela, qui n´arrivent qu ´à le déduire de manière très partielle; dans le mauvais endroit (où il n´auraient pas du être placés, spatiallement et temporellement) pour pouvoir ensuite les accuser injustement d´avoir fait des choses qu´il n´ont jamais fait, pour les culpabiliser alors qu´ils sont innocents. C´est, pour les vainqueurs, avoir placé dans ce monde où nous vivons, suffisamment d´incertitudes et de limitations des connaissances des divers groupes à connaissance et à régulation; pour que ceux qui ne savent rien de tout cela, ne puissent se défendre, s´ils sont de plus spirituellement mal en point et soient déclarés coupables de ce qu´ils n´ont point fait, soient déclarés avoir dit ce qu´ils n´ont point dit; soient déclarés avoir rallié ce qu´ils n´ont point jamais rallié.
39. Le vendredi 17 juin 2011, 16:32 par Philalèthe
Désolé, Sopadejo, je ne suis d'aucun recours pour qui prend au sérieux la question de l'existence des zombis. En revanche je suis preneur si vous connaissez un texte de Borges sur eux.
40. Le vendredi 17 juin 2011, 19:55 par sopadeajo
Borges, comme vous même, n´a peut être pas eu la liberté (permission) d´en parler à moins qu´il n ´ait pas voulu le faire de sa propre volonté (je n´en connais pas de lui, de poème sur le thème des zombies. Il se peut qu´il en ait parlé dans certains de ses récits, mais comme d´habitude chez lui très courtement et métaphoriquement, d´une manière peu identifiable). Merci pour la traduction de Ibarra qui est excessivement ornementée et donc contraire à l´esprit même de l´écriture courte et concise et peu fleurie borgésienne, que cela soit en prose ou en poésie.
41. Le samedi 18 juin 2011, 03:16 par sopadeajo
Mais je ne prends aucune position pour
l´instant dans la guerre kodama Bergès qui me paraît être une guerre d´un tout autre niveau que littéraire, sans en savoir plus ni les avoir rencontré.