jeudi 30 juin 2016

Épictète, obscurci par Bréhier, clarifié par Muller.

Dans le chapitre 4 du livre 1 des Entretiens d' Épictète, le philosophe stoïcien oppose à Socrate, impassible face à la mort selon le Criton, les lamentations de Priam et d' Œdipe puis écrit :
" Quel est en effet le sujet des tragédies, sinon les souffrances d'hommes qui s'étonnent devant les choses extérieures parce qu'elles se montrent à eux à travers la valeur qu'ils leur donnent ? Serait-ce une erreur qu'on dût vous enseigner, en disant que les choses extérieures et indépendantes de notre volonté ne nous concernent en rien, je consentirais, pour mon compte, à une telle erreur, d'où j'attends une vie calme et tranquille." (trad. Bréhier, la Pléiade, p. 818)
Lisant pour la première fois ce texte, j'ai été étonné car il semble préférer le bonheur à la vérité au point de ne pas condamner une erreur qui rendrait heureux. Un tel passage semble soutenir excellemment la thèse selon laquelle les philosophies anciennes auraient avant tout une finalité pratique et eudémonique ( thèse qu'on associe aux travaux de Pierre Hadot ).
Récemment, alerté par une recension de Sandrine Alexandre soulignant le manque de fidélité de la traduction de Bréhier et portant sur la nouvelle traduction, plus exacte, que Rober Muller a donnée des Entretiens, j'ai pris connaissance de la manière dont Muller a traduit le texte qui m'avait tant surpris. Voici la nouvelle version :
" Les tragédies sont-elles autre chose que la représentation en vers tragiques des souffrances d'hommes fascinés par les choses extérieures ? S'il fallait être trompé pour apprendre qu'aucune des choses extérieures et soustraites à notre choix ne nous concerne, je consentirais volontiers, pour ma part, à une telle tromperie, qui me permettrait de mener ensuite une vie sereine et sans trouble." (p.55)
Le texte perd alors de son obscurité, d'autant plus que le traducteur éclaire la référence à la tromperie par la note suivante : " au spectacle de la tragédie, par l'illusion théâtrale ".
Épictète n'approuve pas une croyance fausse par le fait qu'elle rend heureux, mais accepte une fiction pourvu qu'en son sein une vérité utile y soit transmise.
C'est la reconnaissance de la littérature comme véhicule de la vérité.
Robert Muller a bien raison dans son introduction d'affirmer qu' " Épictète est foncièrement rationaliste. "

mercredi 29 juin 2016

Pour une politique à visage humain, contre un réalisme à visage animal.

Machiavel :
" Les animaux dont le Prince doit savoir revêtir les formes sont le renard et le lion. Le premier se défend mal contre le loup, et l'autre donne facilement dans les pièges qu'on lui tend. Le Prince apprendra du premier à être adroit , et de l'autre à être fort." (Le Prince, chap. XVIII)
Épictète :
" (...) ces hommes en petit nombre qui croient être nés pour la loyauté, la pudeur, la sécurité dans l'usage des représentations, ne pensent rien de méprisable, ni de vulgaire d'eux-mêmes, tandis que la majorité fait le contraire : " Que suis-je, en effet ? disent ces derniers. Un misérable petit homme " (un troisième chimpanzé, dirait Jared Diamond), et encore : " Lamentable chair que la mienne !" Lamentable en effet, mais tu possèdes quelque chose de meilleur que cette chair. Pourquoi l'abandonner pour te fondre en la chair ? Cette parenté avec la chair est cause que, lorsque nous penchons vers elle, les uns deviennent semblables à des loups, à savoir perfides, insidieux, nuisibles, les autres à des lions, c'est-à-dire violents, brutaux, sauvages ; mais la majorité d'entre nous devient renard et tout ce qu'il y a de disgracié parmi les animaux. En effet, qu'est-il d'autre, l'homme insolent et méchant, qu'un renard ou quelque chose de plus disgracié et de plus méprisable encore ? Veillez-y donc et faites attention à ne pas descendre au niveau de ces créatures disgraciées." (Entretiens, I, 3, trad. Muller)
On objectera la différence, réelle, entre se laisser aller à un comportement animal et avoir des raisons de simuler l'animal. Certes le stoïcien jugerait néanmoins que le prix de l'efficacité attendue d'une telle comédie défigurante est trop lourd à payer pour que l'homme politique philosophe y consente.
Cela dit, Machiavel n' a pas exclu qu'on puisse réussir politiquement tout en étant stoïcien pratiquant, il reste que dans un tel cas on est servi par les circonstances :
" Marc-Aurèle le philosophe, Pertinax et Alexandre, princes recommandables par leur clémence, leur amour pour la justice et la simplicité de leurs moeurs, périrent tous, à l'exception du premier qui vécut et mourut honoré, parce qu'étant parvenu à l'empire par voie d'hérédité, il n'en avait obligation ni aux troupes, ni au peuple ; ce qui, joint à ses autres qualités, le rendit cher à tous et lui facilita les moyens de les contenir dans le devoir." (chap.XIX)

lundi 27 juin 2016

Philosopher par gros temps.

Dans le premier chapitre du livre I des Entretiens, Épictète défend qu´" enchaînés à une foule de choses, nous sommes alourdis et entraînés par elles " (traduction Robert Muller, Vrin, 2015). Puis il prend un exemple destiné à illustrer notre dépendance , il s'agit de notre souci du temps qu'il fait :
" Voilà pourquoi, si les conditions sont défavorables à la navigation, nous restons assis à nous tourmenter, nous scrutons sans arrêt le ciel : " Quel vent fait-il ? Un vent du nord." Qu'avons-nous à faire de lui ? " Quand le Zéphyr va-t-il souffler ?" Quand il lui plaira, mon cher, à lui ou à Éole. Ce n'est pas toi que le dieu a établi dispensateur des vents, c'est Éole. Que faire ? Organiser au mieux ce qui dépend de nous, et user des autres choses comme la nature les a faites. "Et comment les a-t-elle faites ? " Comme le dieu veut."
Aujourd'hui, face à la télévision, nous restons assis à nous faire tourmenter par les avis météo des experts et nous scrutons sans arrêt le ciel qu'ils font apparaître sur nos écrans, même si le temps dont ils parlent concerne d'autres lieux que le nôtre et n'est en rien susceptible d'interférer dans nos projets. Éole est donc devenu plus puissant que jamais par la crainte que ses serviteurs humains font naître même chez ceux qui ne pâtiront pas du tout de ses décisions : nous sommes bien à l'époque de la solidarité météorologique et du souci universel à propos des temps particuliers. Il est donc plus difficile encore d'être stoïcien, vu qu' à l'inquiétude spontanée s'ajoute l'inquiétude de l'homme qui se donne comme devoir de savoir tout ce qui se place sur la planète, devoir que nous rappellent sans cesse les vendeurs de connexion.
Mais à dire vrai ces lignes d' Épictète ne m'intéressent pas seulement par le fait d'attirer indirectement notre attention sur la lourde tâche d'être stoïcien à une époque de performances technologiques. Elles m'étonnent bien plutôt car elles précèdent d'autres lignes qui sans transition présentent, après la dépendance par rapport au temps, l'indépendance par rapport à sa propre décapitation.
Le personnage concerné est Plautius Lateranus. Tacite nous apprend que, membre de la conjuration de Pison destiné à renverser Néron, il devait le premier agresser l'empereur et le jeter au sol (Annales, XV 53, 2). Mais le complot échouant, il est condamné à avoir la tête tranchée. Tacite, sans détailler l'exécution, le décrit comme plenus constantii silentii, soit empli d'une fermeté silencieuse. Épictète fait en revanche entrer Lateranus dans les personnages d'exempla :
" Néron, à Rome, avait ordonné de le décapiter ; il tendit la nuque, reçut le coup, mais comme ce dernier avait été trop faible, il eut un bref mouvement de recul puis tendit de nouveau la nuque."
Suivront encore, avant la fin du chapitre, deux situations du même type concernant aussi deux membres de la conjuration de Pison, précisément Thrasea et Agrippinus.
Épictète est donc passé de la souffrance par rapport au temps, obstacle possible à une navigation, à celle causée par la persécution politique, précisément celle de la mort ( à travers Lateranus ) et de l'exil ( à travers Thrasea et Agrippinus ).
Mais comment comprendre la mise sur le même plan de deux obstacles si différents par leurs conséquences ?
Les défaites politiques en fait ne sont pas essentiellement différentes des contrariétés météorologiques ; ne dépendant in fine pas de nous, elles doivent être l'occasion de manifester notre choix raisonnable, qui, lui, dépend complètement de nous. L' identité ontologique du coup de vent néfaste et de la condamnation à mort justifie le passage sans transition d'un "mal" mineur à un "mal" majeur pour la raison qu' en réalité ces "maux" n'en sont pas.
Doit-on ajouter que supporter le temps est un exercice en vue de faire bonne figure face aux coups vraiment plus durs du destin ? Rien dans ce premier chapitre ne permet de voir la conduite face au temps contrariant comme une sorte de propédeutique à la politique persécutrice. Certes Épictète insiste sur l'importance de l'entraînement (Muller), de la méditation (Bréhier) mais il s'agit ici de s'exercer non à vaincre de fait le facile mais à anticiper par la pensée comment on vaincra le difficile, voire ce qui est apparemment insurmontable. Après avoir fait penser son public à la mort, à la prison, à l'exil, aux fers, à la décapitation, Épictète conclut :
" Voilà ce à quoi devraient s'entraîner ceux qui s'adonnent à la philosophie, ce qu'ils devraient écrire chaque jour, ce à quoi ils devraient s'exercer."
On notera ici le rôle de l'écriture : écrire les normes vraies prépare à les appliquer vraiment. Loin de voir l'écriture comme un obstacle à la pensée du vrai, Épictète lui confie la fonction de contribuer à la moralisation du progressant.

samedi 18 juin 2016

Ce qu'une dissertation de philosophie ne devrait pas être.

" L'art de persuader (...) repose sur une considération superficielle des rapports mutuels des concepts ; ceux-ci, de plus, ne sont définis que dans un sens favorable au but qu'on se propose. Voici l'artifice auquel on recourt d'ordinaire : lorsque la sphère du concept que l'on considère n'est comprise qu'en partie dans une seconde, et l'est aussi partiellement dans une autre toute différente, on la donne pour contenue totalement ou dans l'une ou dans l'autre, selon l'intérêt de celui qui parle. Traite-t-on de la passion, par exemple, on peut à volonté en faire rentrer l'idée ou dans le concept de la force la plus puissante, de l'agent le plus énergique qui soit au monde, ou, au contraire, dans le concept de la déraison, qui lui-même se trouve renfermé dans celui de faiblesse et d'impuissance. On peut, en se servant toujours du même procédé, l'appliquer à chacun des concepts qu'amène la suite du discours.
Presque toujours, dans la circonscription d'un concept, se trouvent plusieurs sphères d'autres idées dont chacune contient quelque chose du domaine du premier concept, mais avec une compréhension propre beaucoup plus étendue ; de celle-ci on a soin de ne mettre en évidence que la sphère où l'on veut faire entrer le premier concept, en omettant et en dissimulant toutes les autres. C'est sur un tel escamotage que sont fondés, à vrai dire, tous les artifices de la persuasion et les sophismes les plus subtils.
(...) J'ai pris pour exemple le concept de voyage. Sa sphère empiète sur celle de quatre autres, sur chacune desquelles l'orateur peut insister à son gré ; celles-ci, à leur tout, pénètrent dans d'autres, quelquefois dans deux ou trois en même temps, à travers lesquelles celui qui parle peut se diriger, comme s'il n'avait pas d'autre voie, pour arriver finalement au bien ou au mal, selon le but qu'il se propose. Il importe seulement, en passant d'une sphère à l'autre, d'aller toujours du centre (représenté par le concept principal) à la périphérie, sans jamais revenir sur ses pas. On peut, selon le faible de l'auditeur, présenter cette sophistique soit dans un discours suivi, soit dans les formes rigoureuses du syllogisme." (Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, P.U.F, p.82-83)
Par exemple, voyager est onéreux (la sphère du concept de voyage empiète sur la sphère du concept d'onéreux), ce qui est onéreux ruine, ce qui ruine cause l'indigence, ce qui cause l'indigence est mauvais, donc voyager est mauvais.
Inversement voyager chasse l'ennui, ce qui chasse l'ennui réjouit, ce qui réjouit est agréable, ce qui est agréable est bon, donc voyager est bon.
Je n'ignore pas que la mise en garde schopenhauerienne aujourd'hui peut paraître excessive par son exigence, car combien d'élèves ont une maîtrise lexicale assez étendue pour être en mesure d'aligner ces chaînes conceptuelles ?
Mais si on n'est pas apte linguistiquement à avoir ces associations d'idées que Schopenhauer condamne, on n'a pas non plus la capacité d' explorer ces possibilités conceptuelles afin de chercher ce qui en elles peut être vrai.
Si la maîtrise de la langue n'est pas une condition suffisante de la réflexion philosophique, elle en est une condition nécessaire et on trompe gravement l'élève en lui faisant croire que ce qui compte avant tout, c'est son désir de réflexion...
On mesure alors le danger de vouloir initier à la philosophie à des niveaux où l'apprentissage du français n'est pas encore une affaire réglée.

Commentaires

1. Le samedi 18 juin 2016, 18:11 par Elias
Je souscris à vos remarques sur le texte de Schopenhauer, mais je crains que les partisans de l'évaluation par compétences n'en tirent argument pour nous demander de "valoriser" la présence de sophismes dans les copies.
2. Le samedi 18 juin 2016, 18:28 par Philalèthe
Mais c'est peut-être déjà ce que nous sommes encouragés à faire en cours d'année pour familiariser, initier, donner confiance etc. et ultimement au bac couronner quelques borgnes pour tenir compagnie aux trop rares rois...
3. Le dimanche 19 juin 2016, 16:50 par Arnaud
Je dois ne pas être suffisamment à jour pour comprendre comment (et par qui) les professeurs de philosophie sont "encouragés" à "valoriser" chez les élèves des raisonnements fallacieux du type sophisme du gruyère ou du cheval bon marché et cher...
4. Le dimanche 19 juin 2016, 17:31 par Philalèthe
Il ne s'agit pas du tout d'encourager à produire ces syllogismes ridicules ! Prenez le temps d'explorer les chemins visibles sur le schéma ; c'est plutôt une pensée du type : x est (possiblement) y, or y est (possiblement) z, donc x est z. Loin d'être surprenants comme les syllogismes auxquels vous vous référez, ces enchaînements ont la vraisemblance pour eux. Je corrigeais le bac quand je lisais ces pages de Schopenhauer, le sujet était : " le travail éduque-t-il ? "; or, certains devoirs ressemblaient à ça ; la première partie était un enchaînement de ce type court et simple ; la deuxième partie était un enchaînement plus long, moins attendu, mieux défendu rhétoriquement ; pas besoin alors d'une troisième partie, la deuxième remportait le morceau. Saupoudré de quelques références, ça fait encore mieux.
5. Le dimanche 19 juin 2016, 18:58 par Arnaud
J'admets avoir forcé le trait, mais il est clair que le procédé d’enchaînement des propositions est fondamentalement le même, dans son principe, dans la production de sophismes que vous appelez "ridicules" - parce que leur conclusion est manifestement contradictoire - et dans celle de sophismes jugés plus "subtils" - parce que leur conclusion est vraisemblable ou ne choque pas la raison.
Qu'il soit "subtil" ou "ridicule", un sophisme reste un sophisme et vous avez bien employé le mot "encourager", pour dénoncer une dérive "rhétorique" de l'argumentation philosophique. La question est celle de savoir qui porte la responsabilité d'une telle situation, sinon nous n'aurions affaire, dans ce billet, qu'à l'antienne de la baisse du niveau des élèves, avec le couplet habituel sur l'insuffisance de l'enseignement du français en amont : « On mesure alors le danger de vouloir initier à la philosophie à des niveaux où l'apprentissage du français n'est pas encore une affaire réglée. »
6. Le dimanche 19 juin 2016, 21:59 par Philalèthe
Je chante en effet plus ou moins toujours la même antienne !

lundi 13 juin 2016

Sancho en philosophe pascalien.

Teresa, la femme de Sancho Pança, ne veut pas sortir de sa condition, même si son mari, illusionné par Don Quichotte, rêvant de devenir gouverneur d'une île, le lui fait miroiter. Elle pense que si jamais on lui donnait un jour du "doña", on dirait du mal d'elle pour avoir été pauvre autrefois. C'est alors que Sancho la rassure en mettant en avant le pouvoir transfigurant de l'imagination ; l' écuyer dit tenir ces propos " du père prédicateur qui est venu prêcher au village, lors du dernier carême :
" Or, il disait, si je me souviens bien, que toutes les choses présentes que les yeux peuvent voir se présentent, sont et persistent en notre mémoire beaucoup mieux et avec plus de force que les choses passées (...) De là vient que lorsque nous voyons une personne bien mise et vêtue de beaux habits, avec toute la pompe de ses valets, il semble que nous soyons poussés malgré nous et comme incités à lui garder le respect, même s'il nous vient à la mémoire, en cet instant-là, en quel bas étage nous avons connu cette personne. Car cette ignominie, qu'elle touche à la pauvreté ou au lignage, du moment qu'elle est passée, n'existe plus et la seule chose qui existe c'est celle que nous avons sous les yeux."( Don Quichotte, II, chapitre VI, p. 554, La Pléiade )
On pense à Pascal :
" Qui dispense la réputation ? Qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante ? (...) Nous ne pouvons pas voir un avocat en soutane et le bonnet en tête, sans une opinion avantageuse de sa suffisance."
Certes, avant Pascal et Cervantès, il y a eu Montaigne : par exemple dans ce passage où il dénonce non la raison et la logique mais le fait que ceux qui s'en disent les professionnels ne sont ni raisonnables, ni logiques :
" Qui a pris de l'entendement en la logique ? où sont ses belles promesses ? " Nec ad melius vivendum nec ad commodius disserendum." (...) Ayez un maistres és arts, conferez avec luy : que ne nous faict-il sentir cette excellence artificielle, et ne ravit les femmes et les ignorants , comme nous sommes, par l'admiration de la fermeté de ses raisons, de la beauté de son ordre ? que ne nous domine-il et persuade comme il veut ? Un homme si avantageux en matiere et en conduicte, pourquoy mesle-il à son escrime les injures, l'indiscretion et la rage ? Qu'il oste son chapperon, sa robbe et son latin ; qu'il ne batte pas nos aureilles d'Aristote tout pur et tout cru, vous le prendrez pour l'un d'entre nous, ou pis." ( Essais, III, VIII)
On est aujourd'hui très sensible à la fausseté des apparences mais elles proliférent comme jamais sur notre écran.
Et, à titre personnel, que pouvons-nous donc faire de mieux que frapper l'imagination des autres par notre rejet ostensible des atours appâtants ?
Plus généralement, notre imagination ne se repaît-elle pas dorénavant de l'apparence du naturel ?

dimanche 12 juin 2016

Et si Dieu était spéciste ?

Si on accepte que Dieu est l'unique représentant de l'espèce Dieu (espèce qui pourrait être en voie de disparition), on peut éclairer le problème du mal en attribuant au Créateur des croyances spécistes. Qu'est-ce qui assure en effet que Dieu n'est pas avec les hommes comme nous sommes avec les autres espèces animales ?
Leibniz l'évoque, sans y croire certes, dans la préface des Essais de théodicée(1710) :
" Quelques-uns même sont allés jusqu'à dire que Dieu en use effectivement ainsi : et sous prétexte que nous sommes comme un rien par rapport à lui, ils nous comparent avec les vers de terre, que les hommes ne se soucient point d'écraser en marchant, ou en général avec les animaux qui ne sont point de notre espèce, que nous ne nous faisons aucun scrupule de maltraiter." (GF, p.35)

samedi 11 juin 2016

What is it like to be a cow ?

Aujourd'hui c'est un lieu commun, sans doute navrant, de dire que ce n'est pas notre esprit mais notre cerveau qui fait toutes les opérations intellectuelles dont nous nous enorgueillissons et plus généralement de soutenir qu'il est la seule cause de tous nos processus mentaux : c'est le cerveau qui classe, juge, interprète, ressent, etc.
C'est peut-être la quatrième blessure narcissique : après la thèse selon laquelle l'homme ni ne connaît ni ne contrôle son esprit (voyez Freud), domine l'idée qu'au fond ce qu'on appelle l'esprit n'est que le cerveau.
Or, cette cérébralisation de l'esprit humain n'a-t-elle pas son pendant dans la spiritualisation du cerveau animal ?
Je vois en tout cas un exemple de cette opération de réhabilitation extrême de l'animal dans quelques lignes tirées de L'éthique à table. Pourquoi nos choix alimentaires importent., ouvrage au demeurant intéressant, écrit par Peter Singer et Jim Mason (L'Âge d'Homme, 2015) . Les auteurs tiennent à nous expliquer que les vaches ont une vie émotionnelle intense ; après avoir soutenu que ces herbivores se lient d'amitié et gardent aussi rancune, Singer et Mason écrivent :
" Plus remarquable encore, les vaches peuvent être enthousiastes quand elles réussissent à relever un défi intellectuel. Donald Broom, professeur de bien-être animal à l'Université de Cambridge, a mis des vaches face à un problème - comment ouvrir une porte pour obtenir de la nourriture - tout en mesurant leurs ondes cérébrales. Broom rapporte que lorsqu'elles trouvent la solution, " leur activité cérébrale montre leur excitation, leur rythme cardiaque augmente, et certaines sautent même en l'air. Nous avons appelé cela leur moment Eureka " ". (p.124-125)
Voir dans la vache un être qui ressemble à Archimède est sans doute aussi discutable que de voir dans Archimède rien d'autre que son cerveau.
Certes spiritualiser l'animal non humain favorise la diffusion de l'anti-spécisme. Ainsi dans le même ouvrage, Estiva Reus peut-elle ne pas hésiter à demander aux lectrices de se mettre à la place des truies :
" Imaginez-vous dans la situation d'une truie prisonnière à vie d'un bâtiment fermé. Vous êtes réduite à l'état de machine à enfanter ; vous êtes périodiquement inséminée artificiellement ; vous êtes dans l'incapacité de prendre convenablement soin de vos petits car entourée de barreaux qui vous interdisent d'aller vers eux ; vous ne pouvez qu'attendre qu'ils s'approchent pour téter ; ils vous sont enlevés à un âge où ils auraient encore besoin de votre présence ; vous n'avez jamais l'initiative pour continuer votre existence comme vous l'entendez ; vous vivez à l'étroit dans un univers de métal et de béton ; vous serez tuée jeune mais déjà usée par vos conditions d'existence." (p.118)
Il semble ici que l'appel à l'empathie se fait au prix d'une anthropomorphisation douteuse.
Mais alors comment rendre justice aux animaux non humains sans à tort les humaniser ?

Commentaires

1. Le dimanche 12 juin 2016, 10:47 par Arnaud
L'allusion (ou l'hommage ?) à Thomas Nagel exigerait : how is it like to be a cow ?...
Sachant que le cerveau est tout de même un organe dont on reconnaît rituellement l'extraordinaire complexité et donc le caractère encore "mystérieux", le réductionnisme dont vous vous indignez à propos d'Archimède n'est peut-être pas aussi humiliant qu'il y paraît.
Ce n'est qu'une suggestion...
Quant à la révolution copernicienne, certains auteurs ont fait remarquer à juste titre qu'elle n'est aucunement une blessure narcissique, si l'on y voit la fin de la distinction entre le sublunaire et le supralunaire.
2. Le lundi 13 juin 2016, 09:20 par Philalethe
Oups ! Que ferais-je sans vous ? Merci de me lire avec soin... Je vais essayer à l'avenir d'être plus précautionneux.
Certes du point de vue de l'amour-propre mieux vaut identifier l'esprit à un organe complexe qu'à un organe fruste mais la question n'est pas d'amour-propre : si l'esprit n'est plus que le cerveau, c'est la causalité mentale qui est réduite à une fiction et, par là-même c'est notre manière ordinaire de parler de nous qui devient illusoire et en plus sans qu'on en ait une, meilleure, de rechange... Mais vous savez tout ça...
Cela dit, je visais dans ce billet une position commune, celle que les médias nous encouragent à avoir en mythifiant largement les neuro-sciences comme on peut s'en convaincre en lisant le livre de Daniel Andler La silhouette de l'humain. Quelle place pour le naturalisme dans le monde aujourd'hui ? (2016)
Certes on peut penser que les lycéens disant, sous l'influence des médias présentant les neuro-sciences "l'esprit, c'est le cerveau" sont plus près de la vérité que des lycéens disant sous l'influence des prêtres "l'esprit survivra au corps"... Mais cela n'engage que moi !
3. Le lundi 13 juin 2016, 11:14 par Arnaud
Merci pour votre réponse.
Vous m'incitez à lire Daniel Andler (qui mérite en effet tous les lauriers qu'on voudra)
4. Le mardi 14 juin 2016, 07:47 par Philalèthe
Ah, vous devez bien vous amuser avec moi !
Mais que mérite Daniel Laurier, lui ?
5. Le mercredi 15 juin 2016, 10:53 par Arnaud
Toute notre estime, autant que le blog qui lui a donné naissance...
6. Le jeudi 16 juin 2016, 08:12 par Philalèthe
7. Le jeudi 16 juin 2016, 09:38 par Arnaud
Le lapsus était tout à fait pardonnable, en effet.
Encore une ignorance de ma part ...
8. Le jeudi 16 juin 2016, 18:30 par Philalèthe
Heureusement que Daniel Laurier existe car, auteur d'une oeuvre, il mérite pour cela au moins une certaine quantité d'estime, que mon blog reçoit donc par là même selon vous.
En revanche, comme on ne peut pas avoir d'estime pour un être qui n'existe pas et qui, à la différence du personnage de fiction, n'a aucune propriété, la quantité nulle d'estime que vous accordiez au départ à ce fantôme se rapportait tout autant à mon blog !
9. Le jeudi 16 juin 2016, 20:02 par Arnaud
Il faut se rendre à l'évidence : un compliment entaché d'une grossière faute de logique n'est pas recevable. Le proverbe "c'est l'intention qui compte" doit humblement s'incliner devant l'exigence de rigueur. On se le tient pour dit...

jeudi 2 juin 2016

La philosophie, un jeu d'enfants : Épictète ou Montaigne ?


" Il y a un vieux proverbe : Je crains les gens d'un seul livre. Je ne les crains que s'ils sont ennuyeux : autrement, c'est l'ingénieux qui domine ; ils s'évertuent dans leur cercle et s'y font un monde. Le propre de l'esprit est ainsi de se mettre et de se retrouver tout entier dans les plis et les replis de chaque chose, une fois qu'il y est logé. La forme seule des systèmes varie et se renouvelle, non le fond. L'esprit humain a, je le crois, une infinité de manières différentes de faire le tour de sa loge et d'en fureter les coins ; mais elles peuvent se rapporter à quatre ou cinq principales. Ce qui a fait dire qu'en matière de philosophie (et si on ne s'élève pas au delà) l'humanité joue perpétuellement aux quatre coins changés. Quand donc, chez des auteurs tout différents, sous des formes toutes contraires, on retrouve des points semblables, il y a surprise comme d'une nouveauté et sourire ; et pourtant il ne faudrait pas tant s'étonner." (Sainte-Beuve, Port-Royal, livre III, La Pléiade, p.815)
" Comme dans notre espèce, deux éléments ont été mélangés, d'une part le corps que nous avons en commun avec les animaux, de l'autre la raison et la pensée que nous avons en commun avec les dieux, les uns penchent vers cette parenté qui est infortunée et immortelle, les autres, en petit nombre, vers la parenté divine et bienheureuse." (Épictète, Entretiens, Livre I, 3, traduction Muller, p.51)
" Sous deux chefs, toutes les philosophies y passent, et toutes celles d'alors, et celles qui, depuis, ont essayé d'autres noms. On souffrira que j'insiste encore pour compléter mon argument.
Épictète et Montaigne, on les peut donc prendre au moral comme les deux chefs de file de deux séries qui, poussées jusqu'au bout, ramassent en effet tous les philosophes :
Épictète, chef de file de tous ceux qui relèvent l'homme, la nature humaine, et la maintiennent suffisante ;
Qu'ils soient ou Stoïciens rigides, ou simplement Pélagiens, Sociniens, Déistes ; croyant à la conscience avant tout comme Jean-Jacques, au sentiment moral des Écossais, aux lois de la raison pure de Kant, ou simples et humbles psychologistes, comme tel de nos jours entre nos maîtres, que nous pourrions citer ; tous, ils se viennent ranger, bon gré, mal gré, sous Épictète, en ce sens qu'ils s'appuient tous sur le moi.
  • Puis Montaigne, sergent de bande, comme il dirait, et des Sceptiques et de tous ceux qui ne s'appuient pas sur la grandeur morale intérieure, sur la conscience une et distincte ; et en ce sens il préside non seulement aux Sceptiques purs (Bayle, Hume), mais à tous les autres qui infirment l'homme et lui contestent son point de vue du moi central et dominant : ainsi les Matérialistes empiriques, qui vivent au jour le jour et nient autre chose que l'expérience des sens (Gassendi) ; les Athées qui supposent l'homme s'en tirant comme il peut en ce triste monde, moyennant des lois artificielles qu'il s'impose et qui sont nécessaires à sa pauvre espèce pour ne pas s'entremanger (Hobbes) ; les Naturistes comme d'Alembert et Diderot, qui, tout en étant dans la bienveillance (d'Alembert), ou dans l'enthousiasme fréquent (Diderot), n'admettent de loi morale qu'une certaine affection, une certaine chaleur muable et propre à la nature de chaque animal ; les Panthéistes et Spinosistes (dont est déjà Diderot), qui, tout en admettant un grand ordre général et une loi du monde, y perdent l'homme comme un atome et un accident, comme une forme parmi une infinité de formes, lui nient sa liberté, et que son mal soit mal, que sa vertu soit vertu absolue. Et notez que ce Panthéisme et Spinosisme, que je range sous Montaigne, comme absorbant la nature humaine et le moi, rejoint pourtant à certains égard le Stoïcisme, qui commence la série opposée. Le cercle des systèmes est accompli." (ibid. p.821-823)

Singer est-il anthropocentriste ?


Le principe d'égale considération des intérêts conduit Singer à prendre la souffrance au sérieux autant chez les animaux humains que chez les animaux non-humains.
Reste que cela ne le contraint pas à soutenir que les vies des animaux humains valent celles des animaux non-humains. En effet les vies n'ont pas toutes la même valeur (ce qui permettra de juger la mise à mort plus ou moins grave selon que la victime a une vie de plus ou moins grande valeur).
Mais qu'est-ce qui donne à la vie de la valeur ?
" La vie d'un être possédant conscience de soi, capable de penser abstraitement, d'élaborer des projets d'avenir, de communiquer de façon complexe, et ainsi de suite , a plus de valeur que celle d'un être qui n'a pas ces capacités." (La libération animale)
J'ai alors l'impression que l'anthropocentrisme qui est sorti par la porte au niveau du principe d'égale considération des intérêts rentre par la fenêtre au niveau de l'évaluation de la valeur de la vie. Certes cela ne mène pas Singer à défendre que la vie de n'importe quel homme a plus de prix que celle de n'importe quel animal :
" Tuer un chimpanzé est pire que tuer un être humain qui, du fait d'un handicap mental congénital, n'est pas et ne sera jamais une personne." (Questions d'éthique pratique)
Mais n'est-ce pas spéciste de prendre la vie humaine comme modèle ?
Si au fond Singer accepte de qualifier de personnes les grands singes, n'est-ce pas parce qu'il donne le plus de prix aux individus les plus réussis de l'espèce humaine ?
Pour mesurer le problème, ces lignes de Russell citées par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dans son Éthique animale (2008) :
" Il n'y a aucune raison objective de considérer que les intérêts des êtres humains sont plus importants que ceux des animaux. Nous pouvons détruire les animaux plus facilement qu'ils ne peuvent nous détruire : c'est la seule base solide de notre prétention de supériorité. Nous valorisons l'art, la science et la littérature, parce que ce sont des choses dans lesquelles nous excellons. Mais les baleines pourraient valoriser le fait de souffler et les ânes pourraient considérer qu'un bon braiment est plus exquis que la musique de Brahms. Nous ne pouvons le prouver, sauf par l'exercice de notre pouvoir arbitraire. Tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent des armes de guerre." (If animals could talk, 1932)
On peut être méfiant par rapport à un tel relativisme éthique, mais la position de Singer n'échappe à cette critique que si la défense de la supériorité de la vie humaine sur la vie non-humaine repose sur une conception réaliste des valeurs morales, présupposant que l'intelligence humaine a accès à une connaissance vraie de la valeur des valeurs, ce qui revient finalement à une argumentation circulaire (si les hommes ont une vie qui a plus de valeur que la vie animale, c'est parce que leur intelligence qui a plus de valeur que l'intelligence animale le leur fait savoir).

Commentaires

1. Le vendredi 3 juin 2016, 00:00 par Astwin
Si "tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent des armes de guerre", alors notre humanité est réduite au niveau du monde animal puisque c'est la loi du plus fort qui prédomine.
Exit saint Thomas d'Aquin et sa pensée.
Toutefois, l'homme de la rue dirait que nos dirigeants (drôles d'animaux politiques), s'assoient allègrement sur les systèmes éthiques, racoleurs et normatifs, s'érigeant comme d'aucun autrefois en caïd des bacs à sable de la maternelle.
2. Le jeudi 9 juin 2016, 09:40 par Philalèthe
Il n'y a pas d'espèce animale autre que la nôtre capable de penser que tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent de la guerre et il n'y en a pas non plus d'autre qui mène avec cette intensité des guerres internes à l'espèce. Donc pas de souci, que Russell ait ou non raison, l'animal humain garde sa singularité et ne peut de toute façon pas être réduit au niveau du monde animal pour la raison qu'il y appartient, qu'on l'appelle Saint-Thomas d'Aquin ou non.
Cela dit, c'est clair que si la valeur d'une éthique ne dépend que de la force de ceux qui la soutiennent, alors il n'y a plus de place pour l'argumentation rationnelle en éthique, qu'on soit thomiste ou non. Il n'y a même pas de place pour l'argumentation méta-éthique qui réduit toutes les éthiques à pas grand chose.
Quant à l'homme de la rue, je ne sais pas s'il est toujours aussi clairvoyant que vous le dites. 
Et puis quel est le dirigeant politique qui, à défaut de faire une politique morale, n'a pas une morale politique avec laquelle il simule la moralité ?
3. Le jeudi 9 juin 2016, 12:40 par Philalèthe
Excusez-moi, Astwin, à cause d'une mauvaise manip, j'ai annulé votre dernier commentaire, je le retranscris donc de mémoire :
" En ce qui concerne l'homme de la rue, vous avez sans doute raison... Ce qui fait un point commun entre l'homme de la rue et l'homme politique."
Tout le problème est de savoir ce qu'on trouve dans la rue : sociologiquement "l'homme de la rue" est comme "l'opinion publique", une construction sociale, aux contenus variables en fonction de ce qui la détermine.
Vous faisiez peut-être référence au "decent man" d'Orwell, qu'on aimerait bien voir en effet plus souvent dans la rue...
4. Le jeudi 9 juin 2016, 14:28 par Astwin
Oui, effectivement dans mon esprit, l'homme de la rue s'apparentait plus au "decent man" susceptible d'accepter des contraintes éthiques plutôt qu'au "smartphone man" dont la seule expérience éthique réside dans la quête de l'"ultime" application à télécharger.
5. Le jeudi 9 juin 2016, 14:36 par Philalèthe
Vous avez malheureusement raison d'appeler cela "une expérience éthique", vu que l'on parlera sans doute de "philosophie de la vie" pour défendre "les choix" du "smartphone man", le vocabulaire de la liberté et de l'individualité décrivant de manière mystificatrice les pratiques les plus contraintes socialement et les plus collectives... Enfin c'est "mon choix" de croire cela !

samedi 28 mai 2016

Des poules et des hommes.


" Combien la vie paraît trop longue aux vieillards, à présent qu'ils apprennent une peine si imprévue ! " (Eschyle, Les Perses, v. 263-265)
" (...) malgré le désir d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il veut (...) Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne serait pas une longue souffrance ? " (Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs)
" Ainsi vivent et meurent les poules qui produisent nos œufs. Peut-être celles qui meurent jeunes sont-elles les plus chanceuses, puisque leurs compagnes plus robustes n'ont rien d'autre à espérer que quelques mois supplémentaires d'entassement inconfortable. Elles pondent jusqu'à ce que leur productivité baisse, puis elles sont expédiées pour être battues et transformées en pâtés et en soupes au poulet, seules choses pour lesquelles elles sont encore bonnes. " (Singer, La libération animale)

Commentaires

1. Le lundi 30 mai 2016, 12:43 par gelscalpan
la photo du poulailler est si floue qu'on dirait un amphi universitaire plein , à la rentrée (mais pas ensuite, la différence entre humains et poules étant que les premiers ont le choix de quitter l'amphi)
2. Le lundi 30 mai 2016, 13:22 par Philalèthe
Rien d'étonnant à ce que les poules restent : elles ont précisément un cœur de poule.

vendredi 27 mai 2016

Vanitas innocua et vanitas maligna.

" Les chercheurs, y compris en psychologie, en médecine ou en biologie, sont des êtres humains et sont sensibles aux mêmes influences que n'importe quels autres êtres humains. Ils aiment à avancer dans leur carrière, à recevoir des promotions, et à voir leur travail lu et discuté par leurs collègues. Le fait de publier des articles dans les revues spécialisées est un élément important pour monter sur l'échelle de la promotion et du prestige. Les choses se passent ainsi dans toutes les disciplines, en philosophie ou en histoire autant qu'en psychologie ou en médecine, ce qui se comprend très bien et en tant que tel n'est guère critiquable. Les philosophes et les historiens qui publient pour améliorer leurs perspectives de carrière font peu de mal à part gaspiller du papier et ennuyer leurs collègues ; en revanche, ceux dont le travail comporte des expériences sur animaux peuvent provoquer une douleur sévère et une souffrance prolongée."(Peter Singer, La libération animale, 1975)

Commentaires

1. Le lundi 30 mai 2016, 12:13 par scalangepel
étrange que Singer ne nous dise pas que les papiers des revues, l'electricité dépensée à publier sur le net les articles des chercheurs, et la pollution à Stockholm créée par l'activité autour du Nobel ne menace pas la vie animale. Suggestion aux animalistes : créer un prix Nobel de la production intellectuelle animale. Les castors, par exemple, peut être même les fourmis, se verraient décerner le prix, pour leur excellente organisation des efforts intellectuels.
2. Le lundi 30 mai 2016, 12:22 par Philalèthe
Ah, dois-je vous ranger dans le cas des anti-animalistes primaires ?
Vous savez bien que le principe de considération égale des intérêts n'implique pas celui d'égalité de la valeur de toute vie, humaine ou animale !
Certes, s'il faut choisir entre un bonobo en pleine forme et un prix Nobel en phase terminale de Alzheimer...
3. Le lundi 30 mai 2016, 13:48 par scalangepel
non, je faisais juste un calcul comparé des conséquences, à la manière dont le demandent les utilitaristes : si le coût énergétique du prix Nobel excède celui des barrages de Castor, ces derniers n'ont ils pas la palme (le pieds palmés plutôt que les palmes sur les fronts des Gloires de l'Intellect)?
4. Le lundi 30 mai 2016, 13:53 par Philalèthe
Ah là vous voulez singer l'intégrisme vert !
5. Le lundi 30 mai 2016, 20:09 par Arnaud
Pardon, mais le "H" initial ne sied pas à Alzheimer, un seul suffira et à la bonne place...
6. Le mardi 31 mai 2016, 10:55 par Philalèthe
Oups, la coquille est corrigée. Merci !

mercredi 18 mai 2016

Don Quichotte contre l'idée de l'inconnaissable intériorité d'autrui.

Dans Hippolyte, tragédie d' Euripide, on lit :.
" Que n'avons nous dans nos affections
Un moyen sûr pour discerner sans faute l'ami sincère et le menteur ?
Tous les hommes devraient avoir deux voix,
L'une sonnerait juste, pour l'autre peu importe.
Celle qui trompe serait ainsi réfutée
Par celle qui dit vrai, et l'on ne s'y méprendrait pas. "
En somme, le mensonge serait impossible puisque les phrases mensongères commenceraient par " je mens ".
Comme Dulcinée du Toboso ne dispose que d'une seule voix, comment savoir ce qu'elle pense vraiment de l'amour que sans l'avoir jamais vue Don Quichotte lui porte ? C'est le souci du chevalier errant qui, ignorant que Dulcinée n'existe que dans son imagination, envoie Sancho Pança à Toboso pour sonder les intentions de la belle. Avant Wittgenstein, Don Quichotte sait déjà que " le corps est la meilleure image de l'âme.". Aussi donne-t-il les directives suivantes à son écuyer :
" Garde bien dans la mémoire la façon dont elle te reçoit, et que rien ne t'échappe : si son visage change de couleur pendant que tu lui transmets mon message ; si elle perd son calme et se trouble en entendant mon nom ; si elle ne tient pas en place sur son coussin , dans le cas où tu la trouverais assise sur la riche estrade qui convient à son autorité ; et si elle est debout, regarde donc si elle s'appuie tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre ; si elle te répète deux ou trois fois la réponse qu'elle te donne ; si elle passe alors de la douceur à la rudesse, ou change les mots aigres pour des mots tendres ; si elle porte la main à sa chevelure pour l'arranger alors qu'elle n'est pas en désordre. Bref, mon fils, observe tous ses faits et gestes, parce que, si tu me les rapportes avec fidélité, je pourrai en déduire tout ce qu'elle garde caché dans le secret de son cœur, au sujet de mes amours. Car tu dois savoir, Sancho, au cas où tu ne le saurais pas, que, chez les amants, les faits et les gestes que l'on peut surprendre, quand il est question de leurs amours, sont les courriers les plus sûrs pour être informé de ce qui se passe à l'intérieur de l'âme." (Livre II, chapitre X)
Sur ce point, Don Quichotte est aussi bien aristotélicien :
" En tout homme, le véritable caractère se révèle dans le langage, les actes et la façon de vivre, toutes les fois qu'il n'agit pas en vue d'une fin (...) Nous jugeons le caractère des hommes comme nous jugeons leurs corps, par leurs mouvements " (Éthique à Nicomaque, IV, 13-14).
Ce que Thomas d' Aquin a traduit ainsi :
" Ex operationibus exterioribus cognoscuntur interiores mores."

Commentaires

1. Le samedi 18 juin 2016, 18:40 par genal scapal
je ne lis pas tout à fait comme vous la phrase d'Euripide ( que je ne connaissais pas, elle est très intéressante). Il me semble dire que l'on reconnaîtrait le vérace et le menteur au son de la voix , et on en aurait deux. La première sonnerait juste, l'autre sonnerait faux, comme quand on chante faux ou juste. Ce n'est pas tout à fait pareil que de préfixer "je mens", qui conduit aux paradoxes bien connus. Le son seul permettrait de repérer le menteur. Or le son, à la différence du prédicat "menteur" ne représente rien , n'a pas de valeur sémantique. C'est très intéressant, je trouve, car cela suggère une solution au paradoxe classique du Menteur, bien qu'elle ressemble à celle consistant à dire que "Je mens" n'est ni vrai ni faux, mais sonne faux. Or sonner juste ou faux n'est pas dire vrai ou faux.
2. Le dimanche 19 juin 2016, 17:17 par Philalèthe
Oui, en effet la phrase dit qu'il y aurait deux voix, celle qui sonne juste et l'autre. Je l'ai compris comme vous mais évidemment remplacer la voix qui sonne faux par l'explicitation " je mens " produit en effet le paradoxe que la voix qui sonne faux ne produit pas, et cela je ne l'avais pas vu. Cela revient en somme à remplacer dire qu'on ment par montrer qu'on ment.
Mais ne faut-il pas que la voix fausse se déclenche involontairement pour éviter le paradoxe ? Car si montrer qu'on ment c'est décider de montrer qu'on ment, on peut voir dans l'utilisation de la voix fausse un substitut non linguistique de "je mens", non ?

lundi 11 avril 2016

Calliclès et Bourdieu : la philo, bonne pour les ados ?

Calliclès dans le Gorgias de Platon :
" Quand je vois un jeune, un adolescent qui fait de la philosophie, je suis content, j'ai l'impression que cela convient à son âge, je me dis que c'est le signe d'un homme libre (...) Mais si c'est un homme d'un certain âge, que je vois en train de faire de la philosophie, un homme qui n'arrive pas à s'en débarrasser, à mon avis, Socrate, cet homme ne mérite que des coups." (485 d-e)
Bourdieu le 19 octobre 1982 au Collège de France :
" Il y a dans la préhistoire des sciences sociales, une sorte de fascination sur un certain nombre de problèmes légués par la philosophie, au mauvais sens du terme, comme tous les tristes topiques du genre " expliquer et comprendre ", " sciences de l'homme et sciences de la nature ", " y a-t-il une spécificité des sciences de l'homme ? ", etc. Toutes ces discussions sur le rapport du monde social, qui peuvent avoir une fonction éminente dans l'enseignement - il faut bien enseigner quelque chose - et aussi dans la discussion un peu adolescente sur le monde social, doivent, me semble-t-il, être évacuées du discours scientifique."

Commentaires

1. Le samedi 16 avril 2016, 14:07 par Arnaud
La conception exprimée ici par Calliclès ne rejoint-elle pas l’opinion commune sur la philosophie qui avait cours chez les Athéniens de cette époque ? Elle envisageait la philosophie comme une formation éducative parmi d’autres ou encore comme une gymnastique mentale et verbale bonne pour la jeunesse, mais par la suite inutile voire ridicule et nuisible chez l’homme mûr. Il est clair que cette philosophie qui convient à l’adolescent mais non à l’adulte n’a que peu de choses à voir avec celle que pratique Socrate : pour Calliclès, une vie réussie est une vie où l’on se distingue sur l'Agora, notamment par l’éclat du discours. On devine sans peine sa fascination pour la rhétorique qu’il confond purement et simplement avec la philosophie… Dans cette optique, le parallèle avec cet extrait de Bourdieu n'est-il pas hasardeux ?
2. Le dimanche 17 avril 2016, 09:40 par sale pelcange
proposition : pas de philosophie avant 25 ans ( avant les esprits ne sont pas mûrs), et pas après 70 ans ( après ils sont trop mous).
Et sanctions pour ceux qui continuent après cet âge.
3. Le dimanche 17 avril 2016, 11:41 par Philalethe
à sale pelcange
voilà une proposition platonicienne en tant qu'elle légifère dans les choses de l'esprit et non platonicienne en tant qu'elle y condamne la gérontocratie.
Mais l'exclusion des plus de 70 ans est trop générale, je propose donc après 70 ans une censure d' État constituée des meilleurs philosophes et jugeant au cas par cas.
4. Le dimanche 17 avril 2016, 11:47 par Philalethe
à Arnaud
Un parallèle ne veut pas dire une identification. L'arrière-plan des deux condamnations de la philosophie est bien différent : pour Calliclès, c'est la vie active qui la justifie, pour Bourdieu, c'est la science.
Cela dit, il y a de nombreux textes chez Bourdieu qui expriment ce désir d'en finir avec la philosophie, ce qui est en aucune manière une misologie.
Certes les références aux philosophies sont multiples chez lui mais elles ne sont pas vraiment respectueuses ; il se sert des concepts philosophiques des autres comme les chrétiens ont récupéré pour leurs églises les restes des monuments païens...

dimanche 10 avril 2016

Pierre Hadot ou le livre de philosophie vu comme un manuel de gymnastique de l'esprit.

Bien avant que Pierre Hadot n'écrivît Qu'est-ce que la philosophie antique ? (1995), Pierre Bourdieu dans son cours au Collège de France développait une distinction entre usage pratique et usage théorique du livre :
" Les lecteurs professionnels liront tous les textes comme s'ils avaient été faits pour être lus, alors que le manuel de gymnastique est fait, non pas pour être lu, mais pour être exécuté et le livre de prière tibétain pour être psalmodié, dansé, chanté (...) ces textes ne sont pas destinés à la lecture, et surtout pas (...) à la recherche des cohérences cachées, etc. On en a une preuve dans le fait que ces textes, souvent, ne résistent à la recherche d'une cohérence que jusqu'à un certain point, au-delà duquel ils cassent, parce que l'une des propriétés de la logique pratique est, précisément, d'être valable en pratique, c'est-à-dire pour les besoins d'une urgence et jusqu'à un certain point." (Sociologie générale, cours du 12 octobre 1982, Le Seuil, 2015, p. 254-255)
Face à un texte théorique qui "casse", par exemple qui est contradictoire, on peut donc toujours le sauver de la condamnation en le voyant comme un texte à vivre et non comme un texte à évaluer en termes de vrai et de faux.
Il va de soi que Bourdieu n'envisageait pas que les textes philosophiques pussent être vus comme des textes ayant comme premier but de modifier pratiquement leur lecteur.
Pierre Hadot proposera pourtant de voir les contradictions théoriques contenues dans un texte antique non pas comme des fautes logiques mais comme des tactiques opposées visant le même but, soit la transformation psychologique du lecteur.
Ludwig Wittgenstein, avant lui, semble avoir proposé de voir tous les textes religieux sous ce jour : dénués de vérité, ils se réduiraient alors à des instruments de salut, plus ou plus moins adaptés à soi, plus ou moins efficaces. Mais, si je crois dans la valeur de l'Évangile, n'est-ce pas parce que je juge ce texte vrai dans un sens très ordinaire ? Je le juge alors en accord avec une réalité surnaturelle qui m'échapperait sans lui.
Manifestement cette lecture pratique des textes, que Bourdieu oppose à la lecture savante et philologique, est une aubaine pour tous les textes en délicatesse avec la vérité.
Mais quand on lit les philosophes antiques, faut-il vraiment remplacer l'habitus savant par l'habitus pratique ? Ces philosophes n'étaient-ils pas d'abord des savants s'adressant à d'autres savants ?

Commentaires

1. Le dimanche 17 avril 2016, 09:44 par sage canpell
Pour la thèse selon laquelle la philosophie c'est de la gymnastique tout court, voir Vespérini, Marc Aurèle, Verdier 2016.
Assez convaincant.
2. Le dimanche 17 avril 2016, 11:51 par Philalethe
Je dois donc lire cet ouvrage. Merci !
Je crois en effet qu'il y a dans le stoïcisme un idéal de bonne figure : il faut s'entraîner pour tenir son rôle, ne pas faiblir dans sa fonction sociale et les officii qui lui correspondent.
Bien sûr une métaphysique prétend fonder en vérité ce training de l'esprit.

mercredi 6 avril 2016

Qu'est-ce qu'un choix philosophique ? De la dose raisonnable d'irrationalité dans l'orientation philosophique.

Dans La silhouette de l'humain. Quelle place pour le naturalisme dans le monde d'aujourd'hui ? (Gallimard, 2016), Daniel Andler défend un naturalisme critique. Mais, avant d'argumenter en faveur de cette position dans le chapitre V, dernier chapitre de l'ouvrage, l'auteur fait un bilan critique des sciences cognitives (chapitre II), des neurosciences (chapitre III) et des approches évolutionnaires dans les sciences humaines (chapitre IV). Dans le chapitre I, intitulé Les voies du naturalisme, il reconnaît que "le naturalisme ne se présente pas comme une thèse empirique, dont les faits nous permettraient un jour de décider." (p.92). Dans ces conditions, défendre le naturalisme, "l'esprit du naturalisme" ne revient pas à soutenir une thèse : bien plutôt " il s'agit d'une attitude ou d'un parti, ou peut-être encore d'une perspective ou d'une vision." (p.94). Daniel Adler explicite alors ce que signifie à ses yeux "épouser l'esprit du naturalisme" mais, si je décide de citer ses lignes, c'est parce qu'au-delà de la justification du naturalisme, je les lis comme une explication de n'importe quelle orientation philosophique. Les voici donc :
" Épouser l'esprit du naturalisme est de ces choix que nous faisons, ou que nous refusons, en pleine conscience, mais qui expriment en même temps notre personnalité, en sorte que nous aurions le sentiment de ne pas être nous-mêmes si nous en faisions un autre. Il s'agit ici, bien entendu, du volet philosophique de notre personnalité, mais d'être inséré dans un tissu dense de raisons théoriques n'en ôte pas le caractère subjectif. On choisit d'être naturaliste, ou de l'être de telle manière particulière, comme on choisit un mode de vie, une façon d'être en société, ou une orientation politique : de tels choix nous constituent autant que nous les faisons. Ces choix, expressions d'un tempérament, ne sont pourtant pas purement instinctifs : on peut les faire par raison plutôt que par passion, on peut même les modifier au cours de son existence. Ils sont accompagnés d'une adhésion profonde plus ou moins forte, ce qui donne lieu, dans le cas qui nous occupe, à une gamme continue de naturalismes et d'antinaturalismes, allant d'un côté comme de l'autre de la foi totale à la tiédeur quasi agnostique. Ils inspirent plus ou moins fortement l'action, de même que le sentiment de l'injustice , qu'il soit puissant ou modéré, pousse certains à l'action politique ou sociale, et d'autres non. Enfin, notre "valence" naturaliste est corrélative d'une hiérarchie de valeurs. Parmi les objectifs que visent la réflexion et l'enquête, chacun exprime ou illustre ses priorités : on s'intéresse d'abord, pour des raisons stratégiques ou par inclination, l'un n'excluant pas l'autre, à ce qui semble relever des concepts et méthodes naturaliste, ou inversement à ce qui semble se situer hors de leur champ d'application." (p.94-95)
Quelle représentation du choix philosophique est donc donnée dans ce passage, abstraction faite de sa fonction au service de la cause naturaliste ? En effet une telle représentation ne me paraît pas commandée par le choix en faveur du naturalisme ; dit autrement, on n'a pas ici une explication naturaliste du choix philosophique, Daniel Andler propose bien plutôt une explication possiblement vraie du choix naturaliste ou non.
De cette explication se dégage l'idée d'un choix ayant au moins deux propriétés essentielles :
(1) il est rationnel : en effet il est justifié par la convergence d'une multiplicité de bonnes raisons et il est donc révisable, en fonction de l'évolution de ces raisons.
(2) Il est subjectif, comme le souligne la référence à la personnalité, au tempérament, à l'inclination ; on peut même aller jusqu'à mentionner une dimension irrationnelle du choix, comme y invite la référence à la foi et à l'agnosticisme.
Manifestement un problème naît : le choix ainsi décrit n'est-il pas un objet impossible ? Comment peut-il être satisfaisant pour la raison si le tempérament le détermine, ne serait-ce qu'en partie ?
Quelle part d' irrationalité peut-on reconnaître dans la genèse d'une orientation philosophique sans enlever par là-même à cette orientation la capacité d'atteindre la vérité ? Quelle part d'irrationalité doit-on inclure dans la détermination du choix philosophique pour lucidement faire la différence entre savoir scientifique et position philosophique ? Mais, à reconnaître une telle distinction, en-deçà de quel seuil d'irrationalité faut-il demeurer pour ne pas transformer l'option philosophique en idéologie, en illusion, pire en bullshit ?
À dire vrai, la citation que Daniel Andler donne en note, à l'appui de l'idée que le choix philosophique est l' "expression d'un tempérament", est inquiétante :
" L'histoire de la philosophie est, dans une large mesure, l'histoire d'un certain conflit de tempéraments humains." (William James, Pragmatism, 1907)
Certes Daniel Andler n'a pas choisi un texte antérieur à ce dernier d'un peu plus de 20 ans, celui de Nietzsche dans la première partie de Par-delà le bien et le mal (1886) ( " Peu à peu j'ai tiré au clair ce qu' a été jusqu'à présent toute grande philosophie : la confession de son auteur, et sans qu'il le veuille ni s'en rende compte, en quelque sorte ses mémoires." ). Néanmoins est troublante dans le texte de William James la mention d'une mesure large alors que Daniel Andler semble plaider en faveur d'une mesure moyenne. Mais que vaut alors l'orientation philosophique si elle n'est pas déterminée au maximum en faible mesure par le tempérament ?
Ne faut-il pas mieux alors se consacrer à une activité scientifique à sa mesure ?
Serait-ce que par tempérament on est enclin à s'orienter vers la philosophie plutôt que vers les sciences ?