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mercredi 21 octobre 2009

Socrate vu par Sénèque (5): se relâcher sans pour autant pouvoir donner prise aux critiques des ennemis.

Chaque fois que Sénèque met Socrate sur le même plan que Caton ou Scipion, c'est en vue de souligner leur caractère moral exceptionnel (cf Consolation à MarciaXXII 2, De la providence III 4, De la tranquillité de l'âme XIV 1, Lettres à Lucilius 67 7, 98 12 ). J'ai cependant déjà relevé que leur résistance n'est pas à toute épreuve (plus exactement tous les coups durs sont préférables à la pression exercée par une foule). Reste que cette réserve faite par Sénèque se fait encore dans le cadre d'une réflexion sur la moralité de ces hommes.
Or, dans un seul passage de son oeuvre, précisément dans les dernières lignes de la Tranquillité de l'âme XVII 2, Sénèque envisage ces trois hommes sous un autre jour, même si cela revient encore à mettre en relief leur dimension humaine. En vue d'illustrer la thèse qu' "il n'est pas bon d'avoir toujours l'esprit également tendu (et) qu'il faut savoir le divertir", Sénèque écrit:
" Socrate ne rougissait pas de s'amuser avec de petits enfants (cum puerilis Socrates ludere non erubescebat) , Caton buvait pour se relâcher des fatigues de la vie publique, Scipion mouvait en cadence son corps de triomphateur, non pas avec ces déhanchements qui sont à la mode aujourd'hui et qui donnent à la marche même un alanguissement plus que féminin, mais à la façon de nos grands ancêtres, qui savaient, aux jours de réjouissance et de fête, danser avec virilité, sans que leur prestige risquât d'en souffrir, même s'ils avaient eu pour témoins les ennemis qu'ils combattaient." (éd. Veyne p.369)
L'opposition que fait Sénèque concernant deux danses possibles, la danse masculine et la danse féminine, n'est-elle pas applicable au jeu avec les enfants et à la consommation du vin ? Si Socrate ne rougit pas de s'amuser avec les petits enfants, c'est qu'il y joue de manière telle que l'amusement n'a rien de rabaissant pour lui. C'est un élément de l'éthique stoïcienne qui est présenté ici: peut-on dire qu'il s'agit de ne jamais être pris, absorbé par ce que l'on fait dans l'instant ? Il faut continuellement mettre ce que l'on vit momentanément en perspective et en conformité avec l'unité raisonnable que l'on doit donner à sa vie. Il y a peut-être quelque chose de l'art du comédien, qui joue mal s'il n' adapte pas son jeu présent au caractère global du personnage qu'il incarne. À la différence que le stoïcien n'a qu'un rôle, celui qui correspond au temps de sa vie. Mais comme le comédien, il ne l'a pas écrit; comme lui, il est seulement responsable de la qualité du jeu.
Le divertissement a donc une fonction compensatrice (permettre de supporter la tension requise par la vie raisonnable) mais on ne doit pas le penser sur le modèle du "défoulement". La retenue reste de mise y compris quand on se relâche. Dit autrement, le comédien ne fait jamais de pauses, il ne cesse de jouer, sauf que dans le jeu doivent être incluses des scènes de recréation en vue d'être en mesure de tenir le rôle dans les scènes difficiles.
Cette division de la vie en deux temps est inconcevable dans l'épicurisme. Certes les épicuriens peuvent se divertir mais, la référence à la tension n'étant plus pertinente, toutes les actions requièrent le même degré minimal de mobilisation, celui qu'il est indispensable d'avoir pour être réceptif aux seuls besoins de la nature en nous.

samedi 10 octobre 2009

Socrate vu par Sénèque (4): deux manières de juger ce qu'on boit.

Dans le De providentia (III 4 éd. Veyne p.298), Sénèque associe à six grands hommes du passé les six maux dont ils ont souffert. Après Mucius (le feu), Fabricius (la pauvreté), Rutilius (l'exil), Regulus (la torture) et avant Caton (le suicide) vient Socrate et le poison. La thèse que Sénèque défend est que le malheur est l'occasion de la manifestation de la vertu (dans la lettre 13 à Lucilius, reproduira la même argumentation: "la cigüe a grandi Socrate"; elle réapparaît dans la lettre 67: "la vie de l'homme de bien se compose d'actes variés. On y rencontre le coffre de Régulus, la blessure que Caton déchire de sa propre main, l'exil de Rutilius, la coupe empoisonnée qui transporte Socrate de sa prison au ciel. Ainsi, en me souhaitant la vie de l'homme de bien, j'ai souhaité du même coup les accidents sans lesquels une telle vie est quelquefois impossible" (p.774))
Le poison de Socrate est à la fois un obstacle et un auxiliaire, précisément un auxiliaire permettant l'accès à la vie vertueuse dans la mesure où il est surmonté en tant qu' obstacle ( cf aussi la lettre 98: "De tous ces maux qui paraissent redoutables, aucun n'est invincible; tous, l'un après l'autre, ont trouvé leur vainqueur. Mucius surmonte le feu, Régulus la torture, Socrate le poison, Rutilius l'exil, Caton la mort par l'épée. A notre tour ayons nos victoires." (p.975) )
Il vaut la peine de relever l'idée que dans ces textes la vie sage ne dépend pas que de soi mais aussi de la Fortune, en tant qu'elle accable de maux (même si dans la lettre 98, Sénèque ajoute qu'une autre voie possible d'accès à la vie vertueuse est le refus des faux biens, tels la richesse, reste que c'est encore la Fortune qui en grande partie les distribue ). Le seul pouvoir dont dispose le candidat à la vertu est, comme le dit explicitement Sénèque plus haut de souhaiter les épreuves à venir. Mais n'est pas sage qui veut (il faudrait cependant contraster ces textes avec d'autres mettant en évidence la possibilité d'une "sagesse au quotidien").
Mais à dire vrai, ce qui est au centre de ce billet est moins ambitieux, c'est la comparaison que Socrate fait dans le premier texte cité entre deux types de boisson: la boisson socratique (certes on pense plus la cigüe sous le concept d'empoisonnement que sous celui de boisson) et la boisson du débauché:
" 12. Juges-tu que Socrate ait été mal partagé, lorsqu'il absorba comme un philtre d'immortalité ce breuvage que la république lui versait ( Sénèque juge scandaleux que ce soit un gouvernement non tyrannique qui ait condamné à mort Socrate cf par exemple De la tranquillité de l'âme V 2) et discourut sur le mort jusqu'à son dernier soupir (quod illam potionem publice mixtam non aliter quam medicamentum immortalitatis abduxit et de morte disputavit usque ad ipsam), 13. Ah ! Qu'un tel sort est plus enviable que celui de ces raffinés qui se font servir à boire dans des gemmes et pour qui un mignon rompu à toutes les passivités, privé de sexe ou d'une virilité équivoque, distille dans l'or la neige et l'y délaye ! Tout ce qu'ils avaient, ils le rejetteront dans des nausées, mornes et ruminant leur bile; Socrate, lui, boira son poison avec joie et sérénité (at ille venenum laetus et libens hauriet)" (p.299)
Devenir sage, c'est s'exercer à voir le poison réel là où il n'est pas et ne pas le voir là où il l'est.

samedi 3 octobre 2009

Socrate vu par Sénèque (2): que faire de sa propre colère ?

Chez Sénèque, la colère socratique a deux figures distinctes.
Dans le De ira (De la colère) I XV 3 - seul texte de son oeuvre où à ma connaissance Sénèque envisage Socrate en colère - l'émotion en question est ressentie sans être exprimée (comme si elle n'était qu'un événement intérieur, porté à la connaissance des autres par l'aveu qu'on en fait en en parlant):
" Il ne faut rien moins que s'irriter en punissant, puisque la peine sert d'autant mieux à l'amendement du coupable, si elle a été prononcée par un jugement réfléchi (poena judicio lata). De là vient que Socrate dit à son esclave: "je te battrais, si je n'étais en colère". Il ajourna la correction de son esclave à un meilleur moment, et à ce moment-là il s'est corrigé lui-même. Qui donc pourra tempérer sa passion, quand Socrate lui-même n'a pas osé s'abandonner à la colère ?" (éd. Veyne p.120).
Il me semble que ces lignes permettent de dégager trois états de la colère (et plus généralement de la passion):
1) la colère exprimée immodérément
2) la colère exprimée modérément
3) la colère non exprimée mais dite
Socrate n'exprime pas sa colère parce qu'il a conscience qu'une fois exprimée, elle ne se laisse plus maîtriser. Se maîtriser, c'est se retenir d'exprimer l'immaîtrisable plutôt qu'être en mesure de contrôler ce qui est potentiellement immaîtrisable. L'état 2 correspondant à cette dernière possibilité est concevable mais psychologiquement irréalisable.
Cependant, un peu plus loin, dans le même ouvrage, la colère socratique se présente sous les traits d'une colère réprimée (il semble justifié de distinguer un quatrième état de la colère: la colère non exprimée est juste désignée par une phrase du genre: "je suis en colère" alors que la colère réprimée se manifeste par des symptômes spécifiques (on pourrait les qualifier par l'expression: "atténuation de la présence"):
" Chez Socrate, c'était un signe de colère de baisser la voix (vocem summitere), d'être plus sobre de paroles (loqui parcius). Il était clair qu'alors il se retenait. les intimes (familiares) le surprenaient et l'en accusaient, mais ce reproche d'une colère latente (exprobatio latitantis irae) ne lui était pas désagréable. Pourquoi ne se serait-il pas réjoui que beaucoup devinassent sa colère et que personne ne la sentît ? On l'eût sentie au contraire s'il n'eût donné à ses amis le droit de le réprimander, comme il l'avait pris sur ses amis." (III XIII 3 p.162)
Colère montrée et non plus dite, mais colère montrée maîtrisée (la maîtrise est signalée par l'inversion des signes habituels de la colère: parler plus devient parler moins etc). Il semble donc que Socrate ne parle plus de sa colère, ce qui correspondrait à son degré minimal d'existence, mais la manifeste sous la forme d'un paradoxal détachement. Mais le plus étonnant du passage, c'est à mes yeux le comportement attribué aux proches: ils jugent Socrate capable de faire mieux que de réprimer la colère ostensiblement en quelque sorte ( serait-ce manifester l'état 3 de la colère ?). Or Socrate est content de lui parce qu'il ne se juge pas à la lumière d'un possible meilleur mais d'un possible pire, précisément l'état 1. On peut se demander si Sénèque dans ces deux passages n'attribue pas à Socrate une de ses caractérisques: la conscience nette de ses limites.
Mais ce qui rend ces lignes encore plus étonnantes, c'est que non seulement Socrate ne peut pas faire mieux qu'inverser les manifestations ordinaires de sa passion, mais qu'en plus il attribue ce succès relatif (échec pour les proches, succès pour lui) aux reproches adressés à lui par ses amis. En somme sa résistance par rapport à la passion, en un sens une certaine autonomie, a son origine dans une hétéronomie manifeste, celle qui le relie à ses amis. Ni au-dessus de sa colère, ni indépendant de ses amis, Socrate ne peut pas faire mieux que répondre aux exigences de ses familiers en donnant à sa colère la forme fausse d'un détachement serein.

vendredi 11 septembre 2009

Socrate et les coups de pied.

Dans Sur l'éducation des enfants, Pseudo-Plutarque écrit:
" Résister à la tentation de se mettre en colère est le propre du sage. Voyez Socrate. Un jeune insolent, d'une perversité inconcevable, lui avait donné des coups de pied; il vit que ceux qui l'entouraient étaient indignés et trépignaient au point de vouloir poursuivre l'agresseur. «Seriez-vous donc d'avis, dit-il, au cas où un âne m'aurait lancé des ruades, que je lui en rendisse à mon tour?" Du reste, l'autre n'en fut pas complétement quitte à si bon marché. Tout le monde l'accablant de reproches et l'appelant «l'homme aux ruades», il se pendit." (trad. Bétolaud 1870 accessible avec le texte grec ici.)
Voici la traduction d'Amyot:
" Et quant à ne se courroucer du tout point, c'est bien une vertu singuliere: mais il n'y a que ceux qui sont parfaittement sages qui le puissent du tout faire, comme estoit Socrates, lequel aiant esté fort outragé par un jeune homme insolent et temeraire, jusques à luy donner des coups de pied, et voyent que ceux qui se trouvoient lors autour de luy s'en courrouçoient amerement, et en perdoient patience, et vouloient courir apres: «Comment, leur dit-il, si un asne m'avoit donné un coup de pied, voudriez vous que je luy en redonnasse un autre?» toutefois il n'en demoura pas impuny: car tout le monde luy reprocha tant ceste insolence, et l'appella lon si souvent et tant, le regibbeur et donneur de coups de pied, que finablement il s'en pendit et estrangla luy mesme de regret." (lisible ici.)
On comprend ici qu'identifier autrui à une force de la nature (animale ici mais on peut aussi bien voir une colère comme un orage: on ne se révolte pas contre une intempérie, on s'en protège et on attend que ça passe) contribue à la tranquillité de l'esprit de la victime (aujourd'hui les victimes auraient plutôt tendance à aller dans l'autre direction, responsabiliser, y compris les malades mentaux, pour avoir la satisfaction de la punition). Reste qu'on peut interpréter aussi une telle réduction d'autrui à quelque chose d' infra-humain comme une forme subtile de vengeance. Ce qui ne veut pas dire que Socrate a voulu se venger sous une forme qui préserve sa sagesse, mais qu'au moins il a produit non intentionnellement un effet collatéral qui pourrait éventuellement être voulu par qui n'a pas les moyens de rendre coup pour coup (ce passage sonne un peu nietzschéen).
En plus peut-on aller jusqu'à dire que ce n'est pas rendre justice aux ânes en particulier et aux animaux en général que de les priver de toute intentionnalité, à l'image de la foudre ? Ça a certainement du sens de dire d'un animal qu'on l'empêche de faire ce qu'il veut. Ce qui ne revient pas à dire que les ânes et les hommes partagent la même faculté: la Volonté. Non, c'est juste une manière de parler défendable, justifiée par la capacité de distinguer chez les animaux des actions contraintes et des actions libres (= ici volontaires). En ce sens-là aussi, l'agresseur de Socrate a fait bel et bien ce qu'il a voulu. Qu'il ait été blessé d'être pris pour une machine à donner des coups se comprend.

mardi 8 septembre 2009

Socrate vu par Sénèque (1)

C’est dans la Consolation à Marcia (XXII 2) que Sénèque mentionne Socrate pour la première fois. Il s’agit pour lui de défendre la thèse suivante : en mourant jeune, le fils de Marcia a échappé à des maux innombrables dont il aurait eu à souffrir, même en étant un homme irréprochable. Au personnage de Socrate est associé le malheur de l’emprisonnement :
« Ajoute les incendies, les écroulements d’édifices, les naufrages et les tortures que vous infligent les médecins lorsqu’il vous déchirent vivants pour aller chercher vos os, plongent leurs mains dans vos chairs palpitantes, ou soignent vos parties honteuses au prix de souffrances sans nombre. Et puis il y a l’exil : ton fils n’était pas plus intègre que Rutilius ; la prison : il n’était pas plus sage (sapiens) que Socrate ; le suicide : il n’était pas plus vertueux que Caton » (p.35 éd. Veyne).
L’association Socrate / prison va régulièrement être reproduite au cours de l’œuvre : Consolation à Helvia (XIII 4), La vie heureuse (XXVI 4), La tranquillité de l’âme (XVI 1) Lettres à Lucilius (III 24 4, VIII 71 16-17). Elle reste néanmoins peu fréquente et en concurrence avec l’association Socrate / poison (La providence III 4, 12-13, Lettres à Lucilius III 13 14, VII 67 7, XVI 98 12). On peut s’étonner de la pauvreté des références aux malheurs de Socrate, mais à l'image de ce qu'il fait dès le premier texte dans la Consolation à Marcia, Sénèque ne prend Socrate que comme un exemple parmi d’autres du type « homme irréprochable accablé par la Fortune » (à part Caton et Rutilius déjà mentionnés, les autres compagnons d’infortune de Socrate sont par ordre chronologique d’apparition : Mucius – le feu -, Fabricius –la pauvreté -, Régulus –la torture -, Pompée et Cicéron : l’exécution, Métellus – l’exil -)
On devinera qu’une telle référence à Socrate prend bien vite l’allure d’une ritournelle un peu ennuyeuse. De l’ensemble, je tire cependant deux passages convergents qui méritent d’être connus.
Le premier est extrait de la Consolation à Helvia :
« Vois cependant Socrate : du même visage qui naguère à lui seul avait annulé trente tyrans, il franchit le seuil de sa prison, séjour d’ignominie, qu’il allait purifier de sa présence. Car une prison où était Socrate, ce n’était plus une prison (c’est ainsi que Noblot a traduit : « Socrates tamen eodem illo vultu quo triginta tyrannos solus aliquando in ordinem redegerat carcerem intravit, ignominiam ipsi loco detracturus ; neque enim poterat carcer videri in quo Socrates erat ») – on trouve le texte français dans l’éd.Veyne p.64-65.
Le second appartient à La vie heureuse :
« Voici que Socrate, de cette prison qu’il a purifiée en y entrant (ex illo carcere quem intrando purgavit) et qu’il a rendue plus honorable que tout sénat (omnique honestiorem curia reddidit) proclame etc " - Sénèque lui fait alors prendre position contre les supersitions religieuses.
Sénèque défend donc la thèse suivante : la valeur d’un lieu (carcer = la prison, curia = le sénat) ne lui est pas intrinsèque, elle est relative à la valeur des occupants de ce lieu. Ou plus précisément chaque lieu a deux valeurs : l’une fixée par la valeur ordinaire de ses occupants ordinaires, l’autre fixée par la valeur extraordinaire de ses occupants extraordinaires. Ce qui permet occasionnellement de penser la prison comme un lieu honorable et le sénat comme un lieu infâme. Je reconnais que je brutalise un peu le texte car Sénèque se contente d’affirmer que la prison socratique a plus de valeur que le sénat, ce qui ne revient pas à soutenir que sénat et prison échangent leur valeur. Reste que le lecteur, fidèle au raisonnement de Sénèque, est porté à penser que les lieux institutionnellement nobles peuvent donc être aussi humainement ignobles.
Ces deux passages sont les seuls dans toute l’œuvre où Sénèque se réfère ainsi à la dimension transfiguratrice de la présence physique de Socrate (à ma connaissance il ne dote aucun autre grand homme de cette propriété). Je pense cependant qu’une condition nécessaire de cette opération est le fait que Socrate soit seul dans la prison.
Pour dire cela, je m’appuie sur un passage de la septième lettre à Lucilius auquel j’ai déjà consacré un billet. Sénèque y insiste sur la fragilité de Socrate, qu’il partage avec d’autres hommes excellents :
« Un Socrate, un Caton, un Lélius auraient pu, sous la poussée d’une multitude, à eux si peu semblable, quitter leurs principes » (éd Veyne p.614)
La fonction purgative s’exerce donc de la personne au lieu et non de la personne aux autres personnes. Même si la présence du maître éclaire de manière décisive par son mode de vie les disciples (cf la lettre VI 6), leur transformation n’est en aucun cas – à la différence de celle du lieu – immédiate : elle requiert l’effort continu de se hisser à sa hauteur.

jeudi 14 mai 2009

Socrate à la mesure de Montaigne.

Hugo Friedrich dans son Montaigne écrit que "le Socrate qu'il (Montaigne) évoque si souvent dans les Essais n'a pas une physionomie grecque, mais des traits humains, plus exactement des traits à la Montaigne" (p.56 Tel Gallimard). Ce qui implique une certaine liberté d'interprétation par rapport aux textes ( je voudrais d'ailleurs bientôt préciser que Montaigne ne lit pas Sénèque comme ce dernier lit ses classiques, Epicure par exemple ).
On en a une idée dans une citation que Montaigne fait de Xénophon ( Essais Livre III chap. V):
Il vient de mettre en évidence le bénéfice de l'amour physique pour un homme âgé:
" Je l'estime salubre, propre à desgourdir un esprit et un corps poisant; et, comme médecin, l'ordonnerois à un homme de ma forme et condition, autant volontiers qu'aucune autre recepte, pour l'esveiller et tenir en force bien avant dans les ans, et le retarder des prises de la vieillesse. Pendant que nous n'en sommes qu'aux fauxbourgs, que le pouls bat encores, (...) nous avons besoing d'estre sollicitez et chatouillez par quelque agitation mordicante comme est cette-cy. Voyez combien elle a rendu de jeunesse, de vigueur et de gaieté au sage Anacréon"
C'est alors au tour de Socrate d'être mobilisé:
" Et Socrates, plus vieil que je ne suis, parlant d'un object amoureux: "M'etant, dict-il, appuyé contre son épaule de la mienne et approché ma teste à la sienne, ainsi que nous regardions ensemble dans un livre, je senty, sans mentir, soudain une piqueure dans l'espaule comme de quelque morsure de beste, et fus plus de cinq jours depuis qu'elle me fourmilloit, et m'escoula dans le coeur une demangeaison continuelle." Un attouchement, et fortuite, et par une espaule, aller eschauffer et alterer une ame refroidie et esnervée par l'aage, et la premiere de toutes les humaines en reformation ! Pourquoy non, dea ? Socrates estoit homme; et ne voulait ny estre, ny sembler autre chose." (La Pléiade p.870)
Or, le texte original dit tout autre chose. Le contexte est le suivant: Critobule étale son amour pour Clinias avant que Socrate n'explique que le père de Critobule le lui a confié pour le détourner de son amant. C'est alors que Charmide cherche à mettre Socrate face à ses contradictions:
" Mais pourquoi donc, Socrate, demanda Charmide, nous faire un épouvantail de la beauté à nous, tes amis, alors que je t'ai vu toi-même, par Apollon, un jour que vous cherchiez ensemble un passage dans le même livre chez le maître d'école, approcher ta tête de la tête de Critobule et ton épaule nue de son épaule nue. Ah ! s'écria Socrate, voilà donc pourquoi pendant plus de cinq jours j'ai souffert de l'épaule comme si j'avais été mordu par une bête féroce, et pourquoi je croyais sentir comme une démangeaison au coeur. Mais à présent, Critobule, ajouta-t-il, je te préviens en présence de tous ces témoins : garde-toi de me toucher tant que tu n'auras pas autant de poils au menton qu'à la tête. » C'est ainsi qu'ils mêlaient le plaisant au sérieux." (traduction de Chambry 1954).
La différence est tout de même appréciable: c'est Charmide qui accuse Socrate d'avoir approché Critobule; quant à lui, il s'interdit visiblement de céder à la tentation (en effet un jeune homme n'est apte à devenir l'aimé qu'avant que la barbe ne lui pousse).
Montaigne certes reconnaît que le contact n'est pas intentionnel (fortuite) et que les zones touchées ne sont pas érotiques (par une espaule) mais ces conditions disons défavorables ne font que mieux ressortir et la violence du désir et les limites de la transformation de soi opérée par Socrate (la premiere de toutes les humaines en reformation !).
Il me semble que Montaigne renforce largement ce qui n'est qu'esquissé dans le texte de Xénophon, une certaine ambiguïté, complaisance de la part de Socrate. Sans le trahir franchement, il interprète Xénophon dans un sens qui rapproche ici Socrate de n'importe quel homme et donc de Montaigne lui-même. Cette banalisation de Socrate est encore visible au fait que Montaigne attribue la sérénité de Socrate à "une ame refroidie et esnervée par l'aage", ce qui suggère moins sagesse que fatigue.
Ceci dit, je ne suis pas assez savant pour savoir si Montaigne a lu une mauvaise traduction latine de Xénophon (il ne connaissait pas le grec) ou s'il a mal lu ou mal mémorisé une bonne ! Si un lecteur avait accès à la traduction que Castellion a donnée en 1545 du Banquet de Xénophon (merci Pierre Villey !), je lui saurai gré d'avance de bien vouloir m'éclairer...

Commentaires

1. Le samedi 16 mai 2009, 14:01 par Mikolka
Bonjour !
Eh bien, vous voyez, la référence à Montaigne vient naturellement chez vous...
Amicalement
2. Le samedi 16 mai 2009, 22:37 par philalethe
Bonjour,
Merci de votre passage !
J'avoue que Montaigne me travaille et que je devrais plus le travailler...
Amicalement

mercredi 11 mars 2009

Socrate et la bourgeoisie hostile au Front Populaire.

C'est une remarque datée, tirée d'un livre fondamental, écrit pendant la 2ème guerre mondiale; elle offre, pour comprendre Socrate, une contextualisation et une comparaison inhabituelles.
"Le parti pris laconisant qui régnait dans les milieux réactionnaires d'Athènes, celui par exemple où vécut Socrate, est aussi fort que celui que la bourgeoisie française des années du "Front Populaire" manifestait en faveur de l'ordre et de la puissance mussoliniennes."
L'auteur est Henri-Irénée Marrou dans son Histoire de l'éducation dans l'Antiquité (Points Seuil p.52).

samedi 24 janvier 2009

Jean-Pierre Vernant: comment dans la bouche de Socrate les raisons philosophiques s'exposent dans le langage des rites.

Lire Jean-Pierre Vernant a entre autres comme intérêt de mettre en évidence l'enracinement de la philosophie grecque dans la culture grecque traditionnelle et du coup de donner des arguments à opposer à ceux qui invoquent trop facilement "le miracle grec" en vue de rendre compte de la naissance de la philosophie.
Le texte que je présente aujourd'hui contextualise ainsi de manière intéressante un passage du Théétète. Il est extrait de Hestia-Hermès (1963), un des articles de Mythe et pensée chez les Grecs (1965). Il conduit à voir sous un nouveau jour un texte pourtant canonique en le mettant en relation avec un rite aussi très fameux:
" Que la fête des Amphidromies (rite d'intégration à l'espace familial et à la lignée paternelle, c'est moi qui précise) et les rites d'exposition (l'enfant est rejeté du foyer) constituent, dans leur antinomie, comme les deux termes d'une alternative, c'est ce que souligne le texte fameux du Théétète, où Socrate se compare, dans son rôle d'accoucheur des âmes, à sa sage-femme de mère. Comme la maia délivre les femmes en mal d'enfants, Socrate délivre les jeunes garçons des vérités qu'ils portent en eux sans pouvoir les mettre au jour. Mais son art va plus loin que celui des accoucheuses ordinaires: c'est à lui aussi que revient la charge d'"éprouver" (basanizein) le rejeton engendré, pour discerner s'il ne s'agit que d'un faux semblant mensonger (eidôlon kai pseudos) ou d'un produit de bonne souche et authentique (gonimon te kai alèthes).
En quoi consiste cette épreuve ? Quelle en est la contrepartie au cas où l'enfant ne semblerait pas digne de la subir avec succès ? Sur ces deux points, Socrate s'explique de la façon la plus claire. Lorsque le jeune Théétète a réussi, au prix de laborieux efforts et avec l'aide du philosophe, à mettre bas son rejeton, Socrate s'adresse à lui en ces termes: " Nous avons eu, ce me semble, beaucoup de peine à le mettre au jour, quelle que puisse être sa valeur. Mais l'enfantement achevé, il nous faut célébrer les Amphidromies du nouveau-né et, véritablement, faire courir en cercle tout autour notre raisonnement (plus haut, Vernant a analysé ainsi un des éléments du rituel: "la ronde du nouveau-né, tenu dans les bras (le ou les porteurs courant nus en cercle autour du foyer") pour scruter si, à notre insu, ce ne serait pas un produit indigne qu'on le nourrisse, mais rien que vent et fausseté. Ou alors penserais-tu, parce qu'il est tien, qu'il faut de toute façon le nourrir et ne pas l'exposer (trephein kai mè apotithenai) ? Supporteras-tu au contraire qu'on le mette sous tes yeux à l'épreuve de la question, sans que tu sois violemment fâché s'il advient qu'on t'enlève ton premier-né ?"
Il faut rapprocher ce texte de Platon des indications que nous fournit Plutarque sur les pratiques lacédémoniennes correspondantes. L'esprit communautaire qui caractérise le régime de la cité à Sparte ne laisse plus subsister les Amphidromies dans leur forme traditionnelle. Parce qu'il ne s'agit plus désormais de rattacher le nouveau-né au foyer de son père ni au klèros familial, mais de l'inclure dans la communauté civique des Égaux, le progéniteur se voit dépouillé du pouvoir de décision concernant son enfant. Mais le dilemme reste posé dans les mêmes termes: soit le nourrir (trephein) c'est-à-dire l'intégrer à l'espace du groupe; soit l'exposer (apotithenai) c'est-à-dire le rejeter du monde humain: " Quand un enfant lui naissait, le géniteur n'était pas maître de l'élever: il le portait en un lieu appelé leschè où siégeaient les plus anciens de la tribu. S'il était bien conformé et robuste, ils ordonnaient de l'élever et lui assignaient son klèros parmi les neuf mille lots de terre. Si au contraire il était mal venu et difforme, ils l'envoyaient au lieu dit "dépôts" (apothetai). La remarque dont Plutarque fait suivre ce passage souligne l'aspect d'épreuve sur lequel Platon, de son côté, mettait l'accent. Plutarque note qu'à Sparte les femmes, pour les raisons qu'il a déjà dites, ne lavent pas le nouveau-né avec de l'eau, mais avec du vin "voulant ainsi faire l'épreuve (basanon) de sa constitution". (Oeuvres T.1 Opus Seuil p.416-417)

mercredi 11 juin 2008

Wittgenstein, vu par Dennett: plus proche de Socrate qu'il ne l'aurait pensé !

Wittgenstein, "Saint-Louis" comme le surnomme Dennett, est très sevère avec Socrate dans les Remarques mêlées (cf billet du 16-09-07).
Pourtant Dennett voit dans l'enquête socratique l'origine d'une erreur véhiculée encore dans la philosophie oxonienne des années 60 - marquée précisément par Wittgenstein -. Il la dénonce dans le cadre d'une polémique avec Peter Hacker.
Ce dernier, qui forme avec Backer le couple d'exégètes wittgensteiniens, a écrit en collaboration avec le neurologue Maxwell Bennett Philosophical foudations of neuroscience (2003). Hacker y dénonce l'erreur de catégorie que commettent les neuroscientifiques quand ils attribuent au cerveau des activités de la personne (par exemple, "le cerveau interprète, juge, classe etc").
A l'arrière-plan de cette argumentation, il y a la distinction tranchée entre la science, chargée d'enquêtes empiriques, et la philosophie, dont la tâche est pré-empirique au sens où elle clarifie la grammaire des concepts.
C'est contre cette dichotomie rigide que Dennett proteste en donnant en premier l'argument suivant: l'examen de l'usage des mots est une investigation empirique, soumise à révision en fonction de l'étendue de l'enquête. Or, c'est précisément l'erreur de croire qu'une telle enquête n'est pas empirique dont il attribue la paternité à Socrate:
" La conviction selon laquelle les intuitions personnelles (grammaticales ou d'un autre type) est entièrement distincte de la recherche empirique a une longue tradition (qui remonte non seulement à l'Oxford des années 60 mais à Socrate), cependant elle ne résiste pas à l'analyse réflexive" (Philosophy as naive anthropology: comment on Bennett and Hacker Columbia University Press 2007 trad. personnelle)
Dans Sweet dreams: philosophical obstacles to a science of consciousness (2005), Dennett qualifie ce type d'enquête d' "auto-anthropologie aprioristique ingénue".

mercredi 30 avril 2008

Socrate derechef interprété par Descartes : humain mais pas trop humain.

Dans une des dernières lettres à la princesse Elisabeth, Descartes écrit :
« L’inclination à faire des vers, que votre Altesse avait pendant son mal, me fait souvenir de Socrate, que Platon dit avoir eu une pareille envie, pendant qu’il était en prison. Et je crois que cette humeur de faire des vers, vient d’une forte agitation des esprits animaux, qui pourrait entièrement troubler l’imagination de ceux qui n’ont pas le cerveau bien rassis, mais qui ne fait qu’échauffer un peu plus les fermes, et les disposer à la poésie. Et je prends cet emportement pour une marque d’un esprit plus fort et plus relevé que le commun. » (22 février 1649 éd. Alquié TIII p.888)
C’est encore une révision à la baisse – et très matérialiste – d’un signe de distinction socratique. Notez cependant que, pour avoir des esprits animaux, Socrate n’en a pas moins une fermeté d’esprit – et plus animal cette fois ! - qui le rehausse nettement par rapport au superstitieux qu’il était dans la lettre que Descartes consacrait à son génie (cf le billet d’hier).
Je me demande si un psychanalyste ne verrait pas dans ces lignes une obscure compréhension cartésienne de ce que les gens de son école désignent du nom de « sublimation »...

mardi 29 avril 2008

Le démon de Socrate interprété par Descartes.

" (...) J'ose croire que la joie intérieure a quelque secrète force pour se rendre la fortune plus favorable. Je ne voudrais pas écrire ceci à des personnes qui auraient l'esprit faible, de peur de les induire à quelque superstition; mais au regard de Votre Altesse, j'ai seulement peur de me voir devenir trop crédule. Toutefois j'ai une infinité d'expériences, et avec cela l'autorité de Socrate, pour confirmer mon opinion. Les expériences sont que j'ai souvent remarqué que les choses que j'ai faites avec un coeur gai, et sans aucune répugnance intérieure, ont coutume de me succéder heureusement, jusque-là même que, dans les jeux de hasard, où il n'y a que la fortune seule qui règne, je l'ai toujours éprouvée plus favorable, ayant d'ailleurs des sujets de joie, que lorsque j'en avais de tristesse. Et ce qu'on nomme communément le génie de Socrate n'a sans doute été autre chose, sinon qu'il avait accoutumé de suivre ses inclinations intérieures, et pensait que l'événement de ce qu'il entreprenait serait heureux, lorsqu'il avait quelque secret sentiment de gaieté, et, au contraire, qu'il serait malheureux, lorsqu'il était triste. Il est vrai pourtant que ce serait être superstitieux, de croire autant à cela, qu'on dit qu'il faisait; car Platon rapporte de lui que même il demeurait dans le logis, toutes les fois que son génie ne lui conseillait pas d'en sortir. Mais, touchant les actions importantes de la vie, lorsqu'elles se rencontrent si douteuses, que la prudence ne peut enseigner ce qu'on doit faire, il me semble qu'on a grande raison de suivre le conseil de son génie, et qu'il est utile d'avoir une forte persuasion que les choses que nous entreprenons sans répugnance, et avec la liberté qui accompagne d'ordinaire la joie, ne manqueront pas de nous bien réussir." (Lettre à Elisabeth, oct. ou nov. 1646 éd. Alquié p.679-680)
En 1641 dans la Quatrième Méditation Métaphysique, Descartes distinguait seulement deux types d'action libre: celle qui correspondait à un choix volontaire justifié par de bonnes raisons et celle qui correspondait à un choix volontaire arbitraire quand les bonnes raisons ne font pas plus pencher pour une option que pour une autre.
Apparaît ici un troisième type d'action libre: son origine est passionnelle, elle n'est pas précédée d'un choix - on suit une inclination désignée ici autant par le concept de joie que par celui de gaieté -, elle n'est pas éclairée et paradoxalement - parce qu'elle n'est pas justifiable dans une logique de prudence - elle est couronnée de succès.
Ce qui est énigmatique aussi, c'est que Descartes tient à distinguer deux versions de la thèse: l'une forte mais superstitieuse et adaptée aux esprits faibles et l'autre faible mais philosophique et convenable pour les esprits forts. Essayons de les expliciter:
a) version forte pour esprit faible ( on notera que paradoxalement aussi l'exemple de l'esprit faible est Socrate lui-même ): il faut toujours prendre comme guide de l'action la passion; si la passion est tristesse, il faut s'abstenir, si la passion est joie, il faut entreprendre.
b) version faible pour esprit fort: là encore il y a un paradoxe. En effet l'esprit éclairé sait que c'est seulement dans les affaires d'importance (et non comme on pourrait s'y attendre dans les affaire mineures) et quand la raison ne fournit aucune bonne raison déterminante qu'il faut se fier au sentiment ressenti.
Ce texte est étrange car en son coeur il y a une tension entre une perspective rationaliste (ce que Socrate personnifiait est réductible à un certain état d'âme, donc évacuation de la transcendance) et une perspective irrationaliste (le meilleur est quelquefois de se laisser conduire par ses sentiments même si on est incapable de rendre compte rationnellement de la valeur d'une telle inspiration). Ce qui complique les choses, c'est aussi que Descartes tient à distinguer un irrationalisme supersitieux (celui de Socrate) d'un irrationalisme rationnel (le sien).
Descartes nous offrirait-il ici une version laïque de la grâce ?

dimanche 7 janvier 2007

Les Mauriac aux prises avec Socrate et Jésus.

A la date du 8 Juin 1943, Claude Mauriac écrit dans son journal:
"Dernier concert de la Pléiade, galerie Charpentier, hier. Arthur Honegger, Paul Eluard, tout le "beau monde" habituel. D'un programme inégal je retiens l'étonnant Socrate d'Erik Satie, où je reconnais avec émotion des pages du Banquet, de Phèdre, et surtout le récit de la mort de Socrate du Phédon, d'une belle noblesse:
"Puis il but le breuvage avec une tranquillité et une douceur admirables. Jusque-là nous avions eu presque tous la force de retenir nos larmes, mais en le voyant boire et après qu'il eut bu nous n'en fûmes plus les maîtres; malgré moi, malgré tous mes efforts, mes larmes coulèrent avec tant d'abondance que je me couvris de mon manteau pour pleurer sur moi-même, car ce n'était pas sur Socrate que je pleurais, mais sur mon malheur, en songeant à l'ami que j'allais perdre..."
La belle voix de Suzanne Balguerie, la discrétion de la musique de Satie, s'effaçaient devant le texte mais lui ajoutaient le pouvoir de leur magie incantatoire. Mon père (François Mauriac, donc) disait que ce qui le troublait dans ce drame symphonique, c'était Platon, non Satie; et dans Platon, Socrate; et dans Socrate, sa mort; et dans cette mort, celle du Christ. Tout y était déjà, et la Cène elle-même, et la douleur des disciples, et la sérénité du supplicié divin. J'ajoutai que j'avais été frappé par le son historique que rendait ce récit. Cette dette à Eusculape, que Socrate rappelle avant de mourir, c'est là un détail qui n'a pu être inventé par Platon. Les choses ont bien dû se passer ainsi. Et je songeai que Socrate avait existé, qu'il s'était senti exister, non pas en tant que surhomme, mais avec ses faiblesses d'homme, son ignorance, sa lâcheté, sa misère d'homme. Divin, pourtant. Sachant qu'on reconnaîtrait en lui un messager des dieux. Mais croyant vraiment être initié au surnaturel ? Ou faisant semblant d'être dupe ?" (Le temps immobile I p.90-91)
Bel exemple de lecture réductionniste et triplement: réduction d'une oeuvre d'art à son thème (de Socrate à Socrate), de ce thème au personnage historique homonyme (de Socrate à Socrate en somme), de ce dernier (qui cesse d'être ce qu'il est au fond dans le texte pour le narrateur, son ami) à un autre personnage historique (de Socrate au Christ), l'apparente historicité des deux ne devant pas tromper sur leur rôle en tant que signes du Transcendant (seule la dernière phrase, sur laquelle je reviendrai, donne à Socrate un relief spécifique qui l'empêche d'être une imitation de Jésus-Christ).
Donc négation de l'Antiquité païenne, transformée ainsi en annonciation. Par là même, idée d'une autre lecture, inversée simplement: le Christ comme répétition dégradée de la passion originaire, celle de Socrate. Entre les deux, non plus un gain mais une perte sévère (dois-je citer ici Nietzsche dans l'avant-propos (1885) de Par-delà le bien et le mal:"le christianisme est un platonisme pour le "peuple"" ?).
Dans les deux cas une idée douteuse peut-être, en ce que la relation Socrate/Jésus est toujours pensée dans le cadre de la relation entre le modèle et la copie.
Certes l'interprétation chrétienne du phénomène socratique a ses lettres de noblesse: au-delà de Pascal ( "Platon pour disposer au christianisme" Pensée 519 Ed. Le Guern), elle paraît remonter au Traité de la véritable religion de Saint-Augustin. On trouve d'ailleurs dans ce livre quelques lignes permettant de formuler d'une autre manière le doute exprimé par Claude Mauriac dans la dernière phrase:
"Le peuple, aussi bien que les prêtres , connaissait cette variété d'opinions sur la nature des dieux; car chacun de ces philosophes produisait au grand jour ses enseignements et cherchait par tous les moyens à les faire pénétrer partout. Et néanmoins tous ensemble, avec leurs disciples également animés de sentiments opposés, assistaient aux mêmes sacrifices sans que nul s'y opposât. Je n'ai point à dire lequel d'entr'eux était plus près de la vérité; mais ce qui paraît ici très-évident, c'est qu'ils se prêtaient avec le peuple à des actes religieux bien différents de ce qu'ils disaient à ce même peuple dans leurs enseignements particuliers." (Oeuvres complètes T.III 1843 trad. de l'abbé Joyeux)
Claude Mauriac, me semble-t-il, suggérait (contre l'interprétation de son père ?) que Socrate (tel le législateur dans le Contrat Social de Rousseau ?) avait peut-être habillé de polythéisme une pensée toute humaine et simplement rationnelle absolument. Saint-Augustin, lui, pointe la contradiction entre deux allégeances religieuses, l'une aux faux dieux, traduite par la pratique unanime des rites païens (le coq d'Esculape), l'autre au vrai dieu, explicite dans le discours philosophique.
Qui détient la vérité ? Reste qu'il est difficile de faire abstraction de la référence aux dieux dans les paroles de Socrate, au point que c'est toujours forcé de le présenter en incarnation de la raison pure ("le miracle grec").

Commentaires

1. Le mardi 9 janvier 2007, 20:11 par julien dutant
Moi aussi, en lisant: "il s'était senti exister, non pas en tant que surhomme, mais avec ses faiblesses d'homme", j'ai penser que Claude se démarquait de François, mais ce n'est finalement pas clair.

Mon grain de sel d'externaliste/référentialiste à propos des concepts: je ne pense pas que Socrate n'est pas Socrate, i.e. qu'on doive considérer le thème de l'oeuvre et l'homme lui-même comme deux objets distincts. Par exemple, les dialogues de Platon ne mettent pas en scène un personnage fictif qui s'appelle "Socrate" et qui ressemble beaucoup à Socrate et parle un peu comme lui, mais n'est pas Socrate. Non: les dialogues de Platon mettent en scène Socrate dialoguant avec divers interlocuteurs. De même, dans la Divine Comédie, ce n'est pas un homonyme, mais Dante lui-même, qui est présenté comme visitant l'Enfer, et les personnes qu'il y rencontre ne sont pas des homonymes non plus.

Il me semble essentiel au sens, au propos et à l'intérêt de ses oeuvres qu'elles mettent en scène les personnes réelles elles-mêmes. Un étudiant qui n'aurait pas compris que Dante dans le récit est Dante l'auteur aurait manqué qqch de crucial!

(Mais comme ce point a peu à voir avec Socrate, Jésus et les Mauriac, j'en garde le développement de côté pour un prochain billet sur mon blog...)
2. Le mardi 9 janvier 2007, 21:42 par philalethe
Certes c'est Dante qui visite l' Enfer mais comme Dante lui-même n'a jamais visité l'Enfer, soit je soutiens une contradiction: "Dante a visité et n'a pas visité l'Enfer", soit je distingue le personnage littéraire Dante (comme le Marcel de la Recherche) de l'individu historique Dante. Maintenant je comprends qu'il est correct de dire: "Platon met en scène Socrate dans ses dialogues" (c'est insensé de dire: "Platon fait parler un homonyme de Socrate" - car en effet, au sens strict, un homonyme de Socrate n'est pas Socrate- ou "Dante s'imagine lui-même en Enfer"; le référent (est-ce le bon mot ?) est Socrate, mais le personnage des dialogues n'est pas Socrate, plutôt un avatar littéraire. Quand on écrit un certain genre de texte, l'individu qu'on vise en tant qu'historique est, qu'on le veuille ou non, métamorphosé en personnage littéraire (certes d'un statut tout à fait différent de celui de Madame Bovary).
Je suis gêné aussi parce que j'ai l'impression que, si j'accepte ce que vous dites, je ne pourrais plus faire la différence entre un texte de fiction et un texte historique ( quand un historien se réfère à Socrate, je ne peux tout de même pas dire qu'il aborde les dialogues socratiques comme des documents sur le Socrate qui, lui, l'intéresse et qui est l'individu historique). Vous abordez en tout cas une question très intéressante.
3. Le mardi 9 janvier 2007, 22:38 par franssoit
Bonjour,

La différence entre les dialogues avec Socrate et l'enfer avec Dante c'est que dans le premier cas, le littéraire et un "récit de dialogue réel" peuvent éventuellement être confondus. Dans le cas de l'enfer, ça parait plus difficile à imaginer.

Et aussi un homonyme de Socrate EST Socrate, mais pas le même.

Franssoit
4. Le mercredi 10 janvier 2007, 18:58 par julien dutant
"Quand on écrit un certain genre de texte, l'individu qu'on vise en tant qu'historique est, qu'on le veuille ou non, métamorphosé en personnage littéraire."

Mmm... Cela me semble ambigü entre deux positions. La première serait: Platon a voulut parler de Socrate (lui-même, le vrai), mais il a échoué, et celui qui parle dans ses dialogues est quelqu'un d'autre, appellons-le "Focrate". Focrate n'est pas Socrate, il est "littéraire" alors que Socrate est réel, mais Focrate ressemble beaucoup à Socrate, et il est une création inspirée de Socrate. La seconde serait: quand Platon écrit les dialogues, Socrate subit une "métamorphose", il est transformé en qqch de non-humain (un "personnage littéraire"). C'est donc bien Socrate qui est là, mais ses propriétés ont radicalement changé: par exemple, ce peut être une idée, sans poids, taille, épaisseur, location unique ("il vit en chacun de nous"), etc. Ou alors, il a les propriétés que la fiction lui attribue: par ex, il prononce les discours que la République lui fait dire.

Les deux versions de la position "métamorphose" sont étranges. Selon la seconde, il est faux de dire que Socrate n'a pas prononcé les discours de la République: depuis que Platon a écrit le dialogue, et que Socrate a subit sa métamorphose littéraire, il est vrai que Socrate a prononcé les discours. (Ou alors, on admet la contradiction: il est à la fois faux et vrai que Socrate a prononcé ces discours.) Selon la première, il est possible à un être humain d'être transformé en idée ou en fiction. (C'est la Rose Pourpre du Caire à l'envers!)

De l'autre côté, la première option, "Focrate" revient à dire que Platon ne peut pas mettre en scène Socrate lui-même. "Qu'il le veuille ou non", c'est quelqu'un d'autre. Mais on revient alors à la thèse de l'homonyme.

"J'ai l'impression que, si j'accepte ce que vous dites, je ne pourrais plus faire la différence entre un texte de fiction et un texte historique." C'est en effet la principale question qu'on peut se poser à propos de ma position. Mais la réponse est: pas du tout!

Commençons avec les croyances fausses. Supposons que Diogène Laërce croie à tort telle légende à propos de Socrate (il va falloir que vous trouviez un ex à ma place, désolé!). Est-ce qu'il suit pour autant que, "qu'il le veuille ou non", sa croyance ne porte pas sur Socrate lui-même, mais un être de fiction? Non, par que sinon, sa croyance serait *vraie* à propos de cet être de fiction.

Mais les croyances fausses sont juste les analogues des textes historiques faux; ne suis-je pas amené à traiter les oeuvres littéraires comme des textes historiques erronés? Non, parce que les oeuvres de fiction ne sont pas présentés comme des choses à croire, mais des choses à imaginer.

Prenez les imaginations ou suppositions "fausses", ou, comme on préfère dire, "contrefactuelles" (qui sont contraires aux faits). Par exemple, imaginez François Mauriac avec une casquette "I love NY". François Mauriac n'a probablement jamais porté de casquette de ce genre; mais est-ce qu'il suit pour autant que ce n'est pas Mauriac lui-même, mais un certain Fauriac, que vous imaginez? De même vous pouvez supposer, envisager, décrire, etc. des situations fausses qui mettent en scène des personnages réels.

La différence est que une croyance fausse est un état mental déficient: les croyances sont les états mentaux qu'on doit s'efforcer d'avoir vraies, et non fausses. Par contre, il n'y a rien de déficient à une fausse imagination, une supposition contrefactuelle, etc. C'est précisément le but de l'imagination, de la supposition, etc., que d'envisager des situations qui pourraient ne pas se produire.

De façon similaire, il n'y a rien de déficient à un texte qui dit des choses fausses de personnages réels, pourvu que le but du texte n'était pas de dire des choses vraies, mais d'imaginer ces personnages réels (eux-mêmes, les vrais!) dans d'autres situations que celles qu'ils ont réellement vécues. De la même façon qu'il est parfaitement normal de s'imaginer en couple avec la personne de ses rêves, même si cela ne devait par malheur ne jamais arriver, *pourvu* que vous ne confondiez pas rêve et réalité. (Et ce genre d'imagination peut avoir d'autres bénéfices que le simple plaisir: cela peut vous faire changer d'avis, ou envisager des moyens d'y parvenir, etc.)



5. Le vendredi 12 janvier 2007, 19:18 par philalethe
Votre réponse éveille beaucoup de réflexions. Je vous les livre à chaud en suivant votre ordre.
La première position qui présente le Socrate platonicien comme une approximation du Socrate réel me paraît tout à fait défendable ; c’est à travers une telle position qu’on jugera le film allemand « La chute » mettant en scène Hitler. On comparerait alors le portrait d’Hitler selon les meilleures sources historiques à cette reconstitution cinématographique. On dira alors : « le Hitler de la Chute est partiellement fidèle au personnage historique ». Cet énoncé me paraît défiguré si on remplaçe le Hitler de la Chute par un nouveau nom propre, du genre Fitler. Car je ne peux juger la valeur (sur le plan historique ) du personnage cinématographique que si je l’identifie à une représentation du personnage historique (je veux dire par là que c’est une représentation cinématographique d’un personnage historique : c’est Hitler vu par…, ce n’est pas un nouveau personnage Fitler).
Je ne vois pas clairement la différence entre la deuxième position et la première : quand vous parliez de Focrate, n’invoquiez-vous pas déjà un statut de personnage « littéraire » ? Mais c’est un détail. Je relève plutôt votre insistance alors à l’immatérialiser. On peut en effet identifier alors Socrate à un ensemble de textes qui ont le statut immatériel d’une œuvre (ou plus exactement ici) d’un fragment d’œuvre allographique. « Socrate vit en moi » veut dire alors que je connais par cœur des passages de Platon où il parle. Si j’imagine que je suis un des résistants de Fahrenheit 451, quand je dis cela, ça signifie que le dernier endroit où se trouve l’œuvre platonicienne, c’est dans ma mémoire. Ce n’est pas le Socrate réel qui vit en moi, c’est le Socrate traité par Platon (encore une fois je fausse tout si je dis « Focrate vit en moi »).
Je ne suis pas choqué par l’idée qu’un être humain puisse être transformé en fiction (c’est le mythe Napoléon, le mythe Einstein etc). Un homme devient légende.
Je m’explique mieux sur ce que j’ai voulu dire par « qu’il le veuille ou non » ; quand on écrit une œuvre qui ne prétend pas être historique, même si l’intention de l’auteur est d’être le plus fidèle possible au personnage réel, la simple insertion du personnage dans un récit supposément fictif le fait considérer (à juste titre) comme un personnage littéraire (quitte à s’apercevoir qu’en réalité il n’a rien du personnage littéraire). Le lecteur peut faire l’expérience inverse : réaliser que dans un texte prétendument historique un personnage a beaucoup de traits fictifs (ce qui invalide le texte alors que le texte fictif n’est pas invalidé par la découverte des traits historiques réels).
Je ne pense donc pas que le texte de Diogène Laërce fasse partie des textes qui donnent ipso facto aux noms propres historiques un statut fictionnel. A la différence de l’insertion de Socrate dans le texte d’Aristophane par exemple, la référence à Socrate dans le texte de DL bénéficie d’un effet de réalité vu le genre auquel appartient Les vies (compilation historique). Ce n’est pas la présence du nom propre Socrate dans le texte qui le fictionnalise, que DL le veuille ou non, c’est la contradiction éventuelle entre cette source prétendument historique et d’autres sources effectivement historiques.
Concernant Mauriac et sa casquette, ne faut-il pas faire la différence entre celui qui imagine et le spectateur de l’œuvre imaginée (un tableau, une photo, un film etc) ? C’est François Mauriac que j’imagine dans une situation invraisemblable, certes. Mais le spectateur se tromperait s’il disait : « c’est un portrait de F.Mauriac », il doit réaliser que même si je me réfère à l’individu historique François Mauriac, j’ai produit un François Mauriac imaginaire (si je devais préciser, je dirais que cet individu peint a à peu près les mêmes propriétés que FM plus quelques propriétés imaginaires, ici le port de la casquette. On voit ici qu’il y aurait une multiplicité d’individus à l’identité indéterminée : le haut du visage de FM suffit-il à défendre la thèse que c’est un FM imaginaire ? La présence d’un seul bouton de veste différent suffit-il pour soutenir que c’est aussi un FM imaginaire ?).
Ne voyez pas dans ces lignes plus qu'un essai de clarification à usage personnel dont vous m'avez donné aimablement l'occasion !
6. Le mardi 30 janvier 2007, 02:08 par julien dutant
Bonjour,
J'ai repris et développé les idées de ces commentaires dans un billet sur mon blog, où j'ai indiqué quelques réponses à votre dernier commentaire.
julien.dutant.free.fr/blo...

Merci pour la discussion!

samedi 9 septembre 2006

Qui s'intéresse encore aux philosophes antiques ? (2)

Socrate et Aristodème se rendent ensemble au banquet organisé par Agathon :
« Or, chemin faisant, Socrate, qui s’était absorbé en lui-même, resta un peu en arrière ; et comme je l’attendais, il me pria de continuer. Arrivé devant la maison d’Agathon, j’en trouvai la porte ouverte ; une plaisante aventure m’attendait. En effet, un esclave sortit aussitôt à ma rencontre pour me conduire où étaient installés les convives que je trouvai déjà sur le point de souper ; sitôt qu’il m’eut aperçu, Agathon s’écria : - Aristodème, tu arrives à point pour te joindre à nous ; si quelque autre affaire t’amenait, fais-moi la grâce de la remettre à plus tard ! Hier d’ailleurs, je t’avais cherché partout pour t’inviter… Mais, Socrate ? Comment se fait- il que tu ne nous l’amènes pas ? Je me retourne : plus de Socrate ! J’expliquai que j’étais pourtant venu avec lui, que c’était même lui qui m’avait décidé. – Et tu as fort bien fait ! dit Agathon. Mais où peut-il bien être ? – Il était encore derrière moi à l’instant ; je me demande moi aussi où il sera passé. – Va voir ! dit Agathon à un esclave, et ramène-le nous ! Et toi, Aristodème, prends place ici, à côté d’Eryximaque. A ce moment, continua-t-il, comme un garçon me lavait les pieds pour me permettre de m’étendre, un autre accourut, annonçant que ce monsieur Socrate, réfugié dans le vestibule des voisins, y restait planté sans vouloir écouter ses appels. – Que me chantes-tu là ? dit Agathon. Cours l’appeler et ne le laisse pas filer ! – Non, non ! laissez-le, intervins-je, c’est son habitude de s’isoler ainsi et de rester planté où bon lui semble. Il ne tardera pas, croyez-moi. Ne le dérangez pas. – A ton gré, dit Agathon. » (Le Banquet Platon traduction de Jaccottet)
« Dignité perdue.
La méditation a perdu toute sa dignité de forme, on a tourné au ridicule le cérémonial et l’attitude solennelle de celui qui réfléchit et l’on ne tolérerait plus un homme sage du vieux style. Nous pensons trop vite, nous pensons en chemin, tout en marchant, au milieu des affaires de toute espèce, même lorsqu’il s’agit de penser aux choses les plus sérieuses ; il ne nous faut que peu de préparation, et même peu de silence : c’est comme si nous portions une machine d’un mouvement incessant, qui continue à travailler, même dans les conditions les plus défavorables. Autrefois on s’apercevait au visage de chacun qu’il voulait se mettre à penser – c’était là chose exceptionnelle ! – qu’il voulait devenir plus sage et se préparait à une idée : on contractait le visage comme pour une prière et l’on s’arrêtait de marcher ; on se tenait même immobile pendant des heures dans la rue, lorsque la pensée « venait » - sur ou deux jambes. C’est ainsi que cela « en valait la peine » ! » (Le gai savoir I 6 Nietzsche trad. de Albert révisée par Lacoste)

samedi 2 septembre 2006

Aristote, traître à Socrate ?

Criton avait proposé à Socrate de s’enfuir plutôt que de subir la peine injuste à laquelle il venait d’être démocratiquement condamné. Cependant par respect pour les Lois, quelle malheureuse qu’ait pu être à l’occasion leur application, Socrate avait refusé l’offre.
Aristote, lui, n’a pas voulu répéter le destin socratique :
« Quant à Aristote, après être venu à Athènes et avoir pendant treize ans dirigé son école, il s’enfuit à Chalcis, parce que Eurymédon le hiérophante (ou Démophile, comme le dit Favorinus dans l’Histoire variée) porta contre lui une accusation d’impiété, pour avoir composé l’hymne à cet Hermias dont il a déjà été question (…) » (V 6)
L’accusation en question n’est pas émise par un quidam mais par le hiérophante, autrement dit le grand-prêtre d’Eleusis. Rien d'étonnant: on ne peut découvrir une antithèse plus radicale à cette prétendue divinisation d’un potentat que le culte mystérieux célébré à Eleusis : autant Hermias a eu une visibilité incontestable, autant l’objet honoré par les mystes initiés par le hiérophante reste encore aujourd’hui, malgré la référence que Laërce fait plus loin à Déméter, d’une invisibilité assez énigmatique.
Quant à ce Démophile, ami du peuple par son nom, son identité me reste cachée.
Mais le problème n’est pas là : ce que je voudrais clarifier, c’est si Aristote, en adoptant une attitude contraire à celle du maître de son maître, est indigne du nom de philosophe. Plus précisément est-il infidèle aux convictions socratiques ?
La réponse n’est pas aisée, on va voir pourquoi.
Socrate argumente son refus de fuir la cité par le fait qu’elle est sa cité, ou autrement dit qu’il a une dette par rapport aux lois athéniennes qui ont rendu possible, par l’organisation de la communauté à laquelle il appartenait, sa vie individuelle. Mais la position est subtile et mieux vaut lire directement Platon faisant parler les Lois :
« Nous en effet, nous qui t’avons engendré, qui t’avons complètement éduqué, nous qui t’avons fait part, à toi comme à tout le reste des citoyens, de l’ensemble des biens dont nous étions à même de vous faire part, nous donnons ensuite avis, par voie de proclamation, que tout Athénien est libre, s’il le souhaite, une fois admis au rang de citoyen, expérience faite du régime en vigueur dans la Cité et de ce que nous sommes, nous les Lois ; libre, si nous ne lui plaisons pas, de s’en aller où il le voudra, en emportant ce qui lui appartient. Aucune de nous, les Lois, ne met obstacle à la volonté de tel d’entre nous, de s’en aller dans une de nos colonies, ne lui interdit non plus, si nous, ni la Cité, ne lui plaisons ; à sa volonté de se rendre, en emportant ce qui lui appartient, quelque part ailleurs, pour y établir sa nouvelle résidence. Mais en revanche, celui d’entre vous qui sera resté ici, expérience faite de la façon dont les jugements de notre justice et dont, par ailleurs, est administré l’Etat, de celui-là désormais nous affirmons qu’il s’est en fait mis d’accord avec nous pour faire ce que nous pourrions lui ordonner ; et celui qui n’obéit pas, nous affirmons qu’il est trois fois coupable de ne pas nous obéir, et puisque c’est nous qui l’avons engendré, et puisque c’est nous qui l’avons nourri, et puisque enfin, ayant convenu qu’il nous obéirait, il ne se laisse pas convaincre par nos avis et nous convainc pas non plus, à supposer que nous soyons en quelque point fautives : lui à qui nous proposons cette alternative, au lieu de lui prescrire brutalement de faire ce que nous pouvons avoir à lui ordonner, lui à qui nous la concédons, ou bien de nous convaincre, ou bien de se conformer, et qui ne fait ni l’un ni l’autre ! » (Criton 51 cd – 52 a traduction de Robin)
Les conditions de l’illégitimité de la fuite sont donc clairement posées : être né dans la cité, y avoir vécu, avoir bénéficié d’un procès contradictoire et l’avoir perdu. Sont présentés ainsi les trois degrés de la culpabilité. Or, à première vue, Aristote n’a rempli qu’une des trois conditions et encore partiellement, puisqu’il n’a passé que treize ans à Athènes. On peut donc apparemment en conclure que, selon les critères socratiques, Aristote n’est que faiblement coupable, son innocence totale étant tout de même exclue par l’idée que vivre dans le cadre d’un Droit équivaut à la reconnaissance implicite de sa valeur. Cependant les choses se compliquent quand, quelques pages plus loin, Laërce ajoute :
« C’est lui qui fut le premier, dit Favorinus dans l’Histoire variée, à rédiger un discours judiciaire pour lui-même, à l’occasion justement de ce procès ; et à dire qu’à Athènes
il mûrit poire sur poire, et figue sur figue (dénonciateur et figue se disent en grec à peu près pareil) » (V 8)
On est doublement surpris : d’abord, avant Aristote, Socrate n’a-t-il pas été son propre avocat ? Ensuite, fuite et procès sont incompatibles, sauf à penser que la fuite suit le procès, ce qui certes augmenterait la faute sans néanmoins la porter à la dimension de la culpabilité d’un Socrate qui aurait écouté Criton, vu le statut d’étranger d’Aristote.
Reste qu’Aristote, échappant à la mort donnée par la cité, se la donne à lui-même en utilisant comme Socrate un poison, non pas la cigüe mais l’aconit. Dans l’épigramme qu’il lui consacre, Laërce donne la raison de ce suicide :
« Il arriva qu’Eurymédon allait accuser Aristote d’impiété,
lui, le desservant des mystères de Déméter.
Mais en buvant de l’aconit il s’échappa ; c’était là sans effort (en grec aconiti !)
Donc, remporter la victoire sur d’injustes calomnies. » (V 8)
On note que Laërce bouleverse la chronologie qu’il a suggérée quelques lignes plus haut et donne au suicide la fonction de la fuite, ce qui ne rend que plus mystérieuse du coup la séquence antérieure : fuite + suicide. Il semble en effet que des deux remèdes l’un est en trop. En tout cas, ce suicide, précédé ou non de la fuite, semble un peu démesuré, un stoïcien aurait, lui, accusé le coup en renvoyant aux faux biens l’amour de l’honneur et de la bonne réputation. Je relève aussi que le suicide va jusqu’à précéder la formulation de la calomnie, comme si le pire des maux était moins d’être calomnié que d’être témoin des discours malveillants dont on est l’objet. Ajoutons que, du point de vue des accusateurs, le suicide (et bien davantage la fuite suivie de la mort volontaire) est aisément interprétable en termes de reconnaissance honteuse de la faute.
Mais ouf ! Aristote est aussi mort d’une autre façon, moins maladroite, moins ambiguë, plus classique en somme, comme le rapporte Laërce en s’appuyant sur Apollodore, dans ce texte qui tient tant de l'enregistrment, du constat qu’il donne à la vie (et à la mort) d’Aristote une singulière platitude :
« Par ailleurs, Apollodore dans sa Chronologie(le titre de l'oeuvre est en effet mérité), dit ce qui suit : il naquit la première année de la quatre-vingt-dix-neuvième Olympiade ; il devint l’élève de Platon et passa auprès de lui vingt ans, après l’avoir rencontré à dix-sept ans ; et il alla à Mytilène sous l’archontat d’Eubule, la quatrième année de la cent-huitième Olympiade. C’est après la mort de Platon, la première année, sous l’archontat de Théophile, qu’il s’en alla chez Hermias, et il y resta trois ans ; puis, sous l’archontat de Pythodote, il alla chez Philippe, la deuxième année de la cent-onzième Olympiade, alors qu’Alexandre avait déjà quinze ans. Puis il arriva à Athènes la deuxième année de la cent-onzième Olympiade et il enseigna eu Lycée pendant treize ans. Ensuite il s’en alla à Chalcis la troisième année de la cent-quatorzième Olympiade, et il mourut de maladie à l’âge d’environ soixante-trois ans, quand Démosthène, lui aussi, mourut à Calaurie, sous l’archontat de Philoclès. » (V 9)
Malheureusement c’est ce texte, résistant à l’interprétation, qui est jugé le plus en accord avec la réalité. Dois-je, en généralisant, faire l’hypothèse que le degré de réalité d’une vie est proportionnel au degré de son incapacité à mettre en pratique les idées ?

lundi 15 mai 2006

Flash-back : Socrate métamorphosé par Baudelaire ou l’opium comme parachèvement des qualités philosophiques ou le péripatéticien et la péripatéticienne.

Janvier 1860: la Revue Contemporaine publie l’essai Un mangeur d’opium de Charles Baudelaire (inspiré des Confessions d’un opiomane anglais de Thomas de Quincey). J’en extrais cette page:
« Je voudrais, pour raconter dignement cet épisode, dérober, pour ainsi dire, une plume à l’aile d’un ange, tant ce tableau m’apparaît chaste, plein de candeur, de grâce et de miséricorde. « De tout temps, dit l’auteur, je m’étais fait gloire de converser familièrement, more socratico, avec tous les êtres humains, hommes, femmes et enfants, que le hasard pouvait jeter dans mon chemin ; habitude favorable à la connaissance de la nature humaine, aux bons sentiments et à la franchise d’allures qui conviennent à un homme voulant mériter le titre de philosophe. Car le philosophe ne doit pas voir avec les yeux de cette pauvre créature bornée qui s’intitule elle-même l'homme du monde, remplie de préjugés étroits et egoïstiques, mais doit au contraire se regarder comme un être vraiment catholique, en communion et en relations égales avec tout ce qui est en haut et tout ce qui est en bas, avec les gens instruits et les gens non éduqués, avec les coupables comme avec les innocents. » Plus tard parmi les jouissances octroyées par le généreux opium, nous verrons se reproduire cet esprit de charité et de fraternité universelles, mais activé et augmenté par le génie particulier de l’ivresse. Dans les rues de Londres, plus encore que dans le pays de Galles, l’étudiant émancipé était donc une espèce de péripatéticien, un philosophe de la rue, méditant sans cesse à travers le tourbillon de la grande cité. L’épisode en question peut paraître un peu étrange dans des pages anglaises, car on sait que la littérature britannique pousse la chasteté jusqu’à la pruderie ; mais, ce qui est certain, c’est que le même sujet, effleuré seulement par une plume anglaise, aurait rapidement tourné au shocking, tandis qu’ici il n’y a que grâce et décence. Pour tout dire en deux mots, notre vagabond s’était lié d’une amitié platonique avec une péripatéticienne de l’amour. » (La Pléiade 1954 p.492)
Pas d'inquiétude: je ne ferai pas à Baudelaire l’injure de le lire en professeur de philosophie, mesquin rectificateur de contre-sens !

Commentaires

1. Le mardi 16 mai 2006, 22:26 par Nicotinamide
Baudelaire cynique ?
« Et toutes les fois que le poète endosse le gilet du peintre, il est contraint de penser aux bons chiens, aux chiens philosophes, aux étés de la Saint-Martin et à la beauté des femmes très mûres. (Les bons chiens) » Pour tricoter le chien, comment ne pas feuilleter alors la fausse monnaie : « Je vis alors clairement qu’il avait voulu faire à la fois la charité et une bonne affaire; gagner quarante sols et le cœur de Dieu (…) On n’est jamais excusable d’être méchant, mais il y a quelque mérite à savoir qu’on l’est ; et le plus irréparable des vices est de faire le mal par bêtise. »
Je continue : « Quand il y aura un vrai médecin philosophe, il pourra faire une puissante étude sur le vin, une sorte de psychologie double dont le vin et l’homme composent les deux termes.» (Je tisse alors avec Nietzsche : « j’en suis encore à attendre la venue d’un philosophe médecin.» (préface gai savoir §2)
Puis un autre : « de Maistre et Poe m’ont appris à raisonner.» Etirons la farce. N’est-ce pas Cioran (exercice d’admiration) qui demandait si de Maistre ne fut pas cynique ? Ferveur cruelle du verbe couplé aux rages divines. Baudelaire, un de Maistre sans Dieu. L’éruption sanglante des fleurs du mal a engrossé les myiases. Dans chaque cavité, au coin de chaque œil, le long des cicatrices purulentes, les mouches aux éclats métalliques ont pondu. Au fond des abcès sanieux : Baudelaire pourrait ainsi résumer la danse des asticots : « Qu’est-ce que c’est que cette morale prude, bégueule, taquine, et qui ne tend à rien moins qu’à créer des Conspirateurs même dans l’ordre si tranquille des rêveurs? Cette morale-là irait jusqu’à dire: Désormais on ne fera que des livres consolants et servant à démontrer que l’homme est né bon, et que tous les hommes sont heureux. - abominable hypocrisie ! »

Probablement qu’un autre célèbre poète tiendrait mieux la lanterne que Baudelaire, je pense à Rimbaud.
Ce qui m’amène à demander s’il existe une filiation Cynique ? En dépit du fait que le cynisme ne se caractérise qu’à travers sa mise en pratique, qu’il ne vit que sur des souvenirs fragmentaires et malgré le vide théorique ou l’absence de constante qui gêne sa transmission, je crois que l’on pourrait déterrer un humanisme cynique. L’humanisme qui culmine à la renaissance réveille l’antiquité. Lorenzo Valla génère une filiation de ventre à partir des intestins d’Epicure. Pyrrhon à l’état diffus habite la conscience de Francesco Sanchez, le Montaigne ibérique. Juste Lipse rouvre le portique. Platon influence les têtes florentines (Marsile Ficin). Sans oublier les penseurs qui croisent les courants en « pillotant les anciens ». Cependant la renaissance n’évoque jamais la résurrection du cynisme. Aucun nom illustre ne vient s’y associer… Pourquoi n’a-t-il pas pu renaître ? Pourtant le cynisme remplit des peaux dont celles d’Erasme, Bonaventure des Périers, Rabelais, la Boétie et Montaigne. Michèle Clément le prouve en comptant les apparitions cyniques dans leurs œuvres. Erasme fleurit la barbe de Diogène pour le déguiser en Christ ironique. Montaigne enchaîne les occurrences cyniques pour défendre la nature impudique et attaquer la grimace... La Boétie écrit un purgatif des humeurs aliénées. Il mord la servitude volontaire du peuple. «.Rabelais est l’Eschyle de la mangeaille, il introduit du gouffre dans le goinfre (…) Cet univers que Dante mettait dans l’enfer, Rabelais le fit tenir dans un tonneau. » (Hugo) Bonaventure des Périers représente l’esprit réfractaire, agnostique et nihiliste de la renaissance. Son ouvrage, le Cymbalum mundi ou autrement dit la cymbale du monde critique l’incompétence de Dieu et les dogmes religieux. Il en appelle à l’intelligence de l’estomac pour se moquer des jeûnes. Il ridiculise le pucelage des prêtres et les cierges allumés à midi. Il rit des infanticides aux forceps perpétrés par les religieuses engrossées. La bassesse des chefs de prière, la cupidité, la vanité, le désir fourbe, la curiosité poulesque, l’amour de la dissimulation et l’humanité imbécile sont stigmatisées à travers ses dialogues. L’un d’eux met d’ailleurs en scène une paire de chien : Hylactor et Phamphagus. Les clébards baveux, symbole poilu du cynisme, parlent après avoir avalé la langue d’Actéon (Ovide). Hylactor bavarde ne désespérant pas de se rapprocher d’un « dire-vrai ». Phamphagus malgré sa voix reste un laudateur du silence. Il ne se contente que de plaintes joyeuses : « J’aime mieux être ce que je suis que plus avant ressembler les hommes, en leur misérable façon de vivre, quand ne serait-ce déjà le trop parlé dont il me faudrait user avec eux. » Chien taciturne, désabusé et pessimiste, il anticipe le libertin érudit du siècle suivant... Le Cymbalum mundi exploite la tradition dissidente agrémentée du voile nécessaire d’allégories absconses. En effet, la cymbale collectionne des railleries sceptiques à l’égard des apories de la providence ou de la prière. Le tintamarre du monde est une mise en scène de la religion envisagée comme une fraude politique dont la décadence se métamorphose en tyrannie ou en monstre froid. A côté de cette satire de la crédulité, il cultive la poétique et la sensualité du plaisir sans mâcher son obsession pour la révolte des libertins enragés… Michèle Clément n’évoque pas l’Arétin. Pourtant à en croire le panégyrique d’Edmond Rostand lors de son discours de réception à l’académie française, il se prêterait à réveiller les barbes cyniques : « dans toute la beauté de sa honte, dans toute sa bouffissure sanglée de velours blanc, glorieux et obscène, pourri de débauches et de talent, commodément installé dans le mépris pour insulter, donnant le premier exemple d'une de ces situations d'infamie qui s'affermissent en durant parce que la boue durcit… Manipulant l’art de la goujaterie romancée et des grâces stercoraires (…) jusqu’à celui de ne jamais applaudir un homme que sur les joues d'un autre ! » Sans oublier le témoignage de Maupassant : « un prodigieux contempteur de rois, le plus surprenant des aventuriers, qui sut jouer, en maître artiste, de toutes les faiblesses, de tous les vices, de tous les ridicules de l'humanité, un parvenu de génie doué de toutes les qualités natives qui permettent à un être de faire son chemin par tous les moyens, d'obtenir tous les succès, et d'être redouté, loué et respecté à l'égal d'un Dieu, malgré les audaces les plus éhontées. Ce compatriote de Machiavel et des Borgia semble être le type vivant de Panurge qui réunit en lui toutes les bassesses et toutes les ruses, mais qui possède à un tel point l'art d'utiliser ces défauts répugnants qu'il impose le respect et commande l'admiration. » Long discours sur le cynisme renaissance pour en arriver à la citation que votre flash-back a ressuscité. L’arétin écrit dans l’une de ses lettres : « Je me moque des philosophes qui, sur le théâtre du monde, passent tout leur temps à contempler la nature des choses et les mœurs des gens. Et j’admire ces poètes qui mangent, s’habillent, se logent avec une pompe splendide, royale et magnanime et font rire jusque dans la douleur, écho de la frénésie de Diogène, laquelle l’obligeait à se taire pour laisser à d’autres la parole comme à la prendre pour qu’ils se taisent. » Là justement, j’aimerai la lecture impitoyable d’un professeur de philosophie pour essayer de comprendre où se positionne Diogène dans l’esprit de l’Arétin… Philosophe-artiste ? Poète et non-philosophe ? Echo frénétique de la pompe, du luxe, de la luxure et de la volupté en velours ?
2. Le mercredi 5 décembre 2007, 09:48 par piwo
Cher Nicotinamide, vous citez Francesco Sánchez, dont je cherche depuis des années les dates : les connaîtriez-vous ? merci d'avance.