mercredi 26 janvier 2011

Un exemple d'imagination prophétique : Diderot et les ordinateurs.

" Ce Comus est un charlatan du rempart, qui tourne l'esprit à tous nos philosophes, et son secret consiste à établir de la correspondance, d'une chambre à une autre, entre deux personnes, sans le concours sensible d'aucun agent intermédiaire. Si cet homme là étendoit un jour la correspondance d'une ville à une autre, d'un endroit à quelques centaines de lieues de cet endroit, la jolie chose ! Il ne s'agirait plus que d'avoir chacun sa boëte. Ces boëtes seroient comme deux petites imprimeries où tout ce qui s'imprimeroit dans l'une, subitement s'imprimeroit dans l'autre." (Lettre 84 à Sophie Volland)

mardi 25 janvier 2011

Bonheur impossible, limite du rire et humeur salvatrice ou une illustration d' un matérialisme.

" Un évènement inattendu m'enrichit et ne me laisse aucun souci sur l'avenir. En ai-je été plus heureux ? Aucunement. Une chaîne ininterrompue de petites peines m'a conduit jusqu'au moment présent. Si je faisais l'histoire de ces peines, je sçais bien qu'on en riroit. C'est le parti que je prends moi-même quelquefois. Mais qu'est-ce que cela fait ? Mes instants n'en ont pas été moins troublés, et je ne prévois pas que ceux qui suivront soient plus tranquilles... Mais je crois que ma digestion va mieux, puisqu'à mesure que j'écris, je pers l'envie de continuer sur ce ton triste et moraliste." (Diderot, Lettre à Sophie Volland 115, 8 septembre 1765)

mardi 18 janvier 2011

Un passage cioranien de Diderot.

" Naître dans l'imbécillité et au milieu de la douleur et des cris ; être le jouet de l'ignorance, de l'erreur, du besoin, des maladies, de la méchanceté et des passions ; retourner pas à pas à l'imbécillité ; du moment où l'on balbutie, jusqu'au moment où l'on radote, vivre parmi des fripons et des charlatans de toute espèce ; s'éteindre entre un homme qui vous tâte le pouls, et un autre qui vous trouble la tête ; ne sçavoir d'où l'on vient, pourquoi l'on est venu, où l'on va : voilà ce qu'on appelle le présent le plus important de nos parents et de la nature, la vie." (Lettre à Sophie Volland 91, 26 septembre 1762)

Commentaires

1. Le lundi 7 février 2011, 21:45 par nicotinamide
Bonsoir,
est-ce que vous pensiez à un passage du penseur roumain en particulier ?
(si oui, je serais heureux de le lire ou d'avoir les références)
2. Le lundi 7 février 2011, 21:57 par Philalèthe
Bonsoir Nicotinamide,
Je croyais que vous ne fréquentiez plus ces parages ! Ça me fait plaisir en tout cas de vous lire. Malheureusement je ne pensais pas à un passage particulier, mais en farfouillant on doit vite trouver quelque chose.
Cependant on peut se demander si j'ai eu raison de mentionner Cioran ; peut-être aurais-je dû dire tout simplement "pessimiste", "sombre" etc. Un peu trop simplement, je prenais "cioranien" comme synonyme de ces adjectifs.
Mais peut-être trouverais-je bientôt un passage ad hoc (dans les Cahiers, j'ai l'idée).
3. Le samedi 12 février 2011, 21:56 par Nicotinamide
Merci.
S'il est vrai que je n'ai plus le temps de proposer des commentaires, je continue néanmoins à parcourir régulièrement vos réflexions. Elles instruisent, donnent des idées de lectures et invitent à poursuivre.
Il me semble que Diderot affectionnait Diogène. Demain sur France culture, une vie, une oeuvre est consacrée à Diogène :
http://www.franceculture.com/emissi...
Je contesterai volontiers le titre : Diogène chien royal. En effet, le chien royal c'est aristippe (DL II 66). Plutôt Diogène chien céleste ? (DL VI 77)
Bien à vous
4. Le dimanche 13 février 2011, 19:16 par Philalèthe
Je suis preneur de tout texte de Diderot sur les cyniques. Merci d'avance !
5. Le mardi 15 février 2011, 00:44 par Nicotinamide
Il me semble que Diderot est l'auteur de l'article "Cynique" de l'encyclopédie. Pensez aussi au "Neveau de Rameau".

lundi 17 janvier 2011

Les sorts platoniciens.

" À ce propos, n'avez-vous pas remarqué qu'il y a des circonstances dans la vie qui nous rendent plus ou moins superstitieux ? Comme nous ne voyons pas toujours la raison des effets, nous imaginons quelquefois les causes les plus étranges à ceux que nous désirons ; et puis nous faisons des essais sur lesquels on nous jugerait dignes des petites-maisons..
Une jeune fille dans les champs prend des chardons en fleurs et elle souffle dessus pour sçavoir si elle est tendrement aimée. Une autre cherche sa bonne ou sa mauvaise aventure dans un jeu de cartes. J'en ai vu qui dépeçoient toutes les fleurs en roses qu'elles rencontroient dans les prés, et qui disaient à chaque feuille qu'elles arrachoient : Il m'aime, beaucoup, un peu, point du tout, jusqu'à ce qu'elles fussent arrivées à la dernière feuille, qui étoit la prophétique. Dans le bonheur elles se rioient de la prophétie. Dans la peine, elles y ajoutaient un peu de foi ; et elles disoient : La feuille a bien raison.
Moi-même j'ai tiré une fois les sorts platoniciens. Il y avait trente jours que j'étois renfermé dans la tour de Vincennes. je me rappelai tous ces sorts des anciens. J'avais un petit Platon dans ma poche, et j'y cherchai à l'ouverture quelle serait encore la durée de ma captivité, m'en rapportant au premier passage qui me tomberait sous les yeux. J'ouvre et je lis en haut d'une page : " Cette affaire est de nature à finir promptement. " Je souris, et un quart d'heure après j'entens les clefs ouvrir les portes de mon cachot. C'était le lieutenant de police Berryer qui venoit m'annoncer ma délivrance pour le lendemain." (lettre 90 à Sophie Volland, 23 septembre 1762)

dimanche 16 janvier 2011

La mouche, comme métaphore du philosophe piégé : trait d'union entre Wittgenstein et Derrida.

Surprise de lire dans la biographie consacrée par Benoît Peeters à Jacques Derrida :
" Devant les concepts philosophiques de la tradition, il se sent " comme une mouche qui aurait compris le danger", dira-t-il un jour lors d'un débat avec Jean-Luc Nancy. "J'ai toujours eu le réflexe de fuir, comme si j'allais, au premier contact, à nommer seulement ces concepts, me trouver, comme la mouche, les pattes engluées : captif, paralysé, otage, piégé par un programme" " (p.599)
On pense bien sûr à :
" 309. Quel est ton but en philosophie ? - Montrer à la mouche comment sortir du piège à mouches." (Recherches philosophiques, Wittgenstein)

Commentaires

1. Le samedi 4 janvier 2020, 16:44 par Arnaud
L’oncle Tobie dans Réflexions sur l’éducation de Kant (Trad. Philonenko) :
« Toby dans Tristram Shandy dit à une mouche qui l’avait longtemps agacé, tandis qu’il la laisse
s’envoler par la fenêtre : « Va, méchant animal, le monde est assez grand pour toi et pour moi. »
Chacun pourrait choisir ces mots comme devise. Nous ne devons pas être odieux les uns aux autres.
Le monde est bien assez grand pour tous. »
A. L’éducation du corps, p. 108, Vrin, 1974.
2. Le samedi 4 janvier 2020, 20:25 par Philalèthe
Merci de me guider, sans me moucher, vers ce roman extraordinaire, que la petite mouche à miel que je suis n'a pas encore assez butiné.

samedi 15 janvier 2011

À quoi ressemble pour Diderot un stoïcien exemplaire.

" J'avais donné un manuscrit à copier à un pauvre diable. Le tems pour lequel il me l'avait promis expiré, et mon homme ne reparoissant point, l'inquiétude m'a pris et je me suis mis à courir après lui. Je l'ai trouvé dans un trou grand comme ma main, presque privé du jour, sans un méchant bout de bergame qui couvrît ses murs, deux chaises de paille, un grabat avec une couverture ciselée des vers, sans draps, une malle dans un coin de la cheminée, des haillons de toute espèce accroché au-dessus, une petite lampe de fer-blanc à laquelle une bouteille servait de soutien ; sur une planche une douzaine de livres excellents. J'ai causé là pendant trois quarts d'heure. Mon homme était nud comme un ver, maigre, noir, sec, mais serein ; ne désirant rien, mangeant son morceau de pain avec appétit, et caressant de tems en tems sa voisine sur ce misérable châlit qui occupoit les deux tiers de sa chambre. Si j'avais ignoré que le bonheur est dans l'âme, mon Épictète de la rue Hyacinthe me l'aurait bien appris " (Lettre à Sophie Volland du 5 Août 1762)
Il me semble que trois détails ne collent pas avec l'image qu' on est porté à se faire aujourd'hui du stoïcien type. D'abord, la saleté du lieu ("une couverture ciselée de vers") ; ensuite sa nudité complète ; enfin le fait que pendant le temps bien court que dure la visite de l'étranger il caresse à plusieurs reprises sa concubine. À la rigueur, on peut être gêné aussi par la présence des livres, même s'ils sont excellents, car on pense que le stoïcien accompli s'est approprié le savoir et n'a plus besoin des supports matériels qui le véhiculaient. Certes, concernant la saleté et la nudité, on est en droit d'hésiter car rien n'assure qu'il n'est pas convenable pour ce type d'existence de se dérouler sans la propreté et l'habillement. Le seul point net est la fréquence des attouchement qui, à première vue, exprime une dépendance sinon sexuelle, du moins sentimentale.
Bien sûr je n'oppose pas ici la représentation de Diderot à celle qu'elle devrait être. Non, j'ai plutôt mis en place ici une comparaison de préjugés.

vendredi 14 janvier 2011

Ruwen Ogien et Elisabeth Anscombe dans le Magazine littéraire de janvier (dossier sur la morale)

Comme un petit extrait de Ruwen Ogien (post du 22/10/10) a suscité quelque intérêt, je me permets de faire savoir que dans le numéro de Janvier du Magazine littéraire consacré à la morale, j'ai publié un article sur les Ethiques de la philosophie analytique. Malheureusement le titre en haut de l'article est un peu fantaisiste puisqu'il devient Tactiques de l'éthique analytique, ce qui évoque plus Bobby Lapointe que les deux auteurs sur lesquels je me suis centré, précisément Ruwen Ogien et Elisabeth Anscombe.

mercredi 12 janvier 2011

Jacques Derrida : un philosophe Dada ?

À Isabelle, à qui je dois en quelque sorte ce billet...
Quand j'ai entrepris la lecture de la biographie, intéressante bien qu'un peu hagiographique, consacrée à Derrida par Benoît Peeters ( Flammarion 2010), je savais bien que je m'intéressais à l'histoire d'un homme qui pour certains analytiques, à tort ou à raison, incarne jusqu'à la caricature les défauts de la philosophie dite continentale. Je connaissais déjà le "débat" Searle-Derrida (je mets des guillemets à débat car je crains qu'en répondant à Searle, Derrida n'ait guère respecté les règles du jeu usuelles dans les échanges analytiques) mais ce que j'ignorais, c'est l'engagement de Quine contre l'initiative de l'université de Cambridge d'accorder un doctorat honoris causa au philosophe français :
" Le samedi 9 mai 1992, une lettre ouverte est publiée dans le Times sous le titre "Une question d'honneur". Elle est signée par une vingtaine de philosophes venus de nombreux pays, parmi lesquels une des figures majeures de la philosophie analytique américaine, Williard Quine. Éternelle ennemie de Derrida, Ruth Marcus joue bien sûr un rôle actif dans cette campagne. Mais parmi les signataires, on trouve aussi le célèbre mathématicien René Thom. D'après leur lettre, qui évoque irrésistiblement les romans de David Lodge (cette dernière remarque illustre le tour hagiographique de la biographie en question), l'oeuvre "nihiliste" de Derrida présente de redoutables dangers. Son principal effet est "de nier et de détruire les niveaux de preuves et de discussions sur lesquelles sont basées toutes les disciplines universitaires" :
" M. Derrida semble être parvenu à fonder une sorte de carrière à partir de ce qui nous apparaît comme une traduction dans la sphère académique de tours et d'astuces proches du dadaïsme et de la poésie concrète. Sous cet angle, il a certainement fait preuve d'une considérable originalité. Mais une telle honorabilité ne fait nullement de lui un candidat crédible pour un doctorat honoris causa "
Pendant les semaines suivantes, la polémique est largement relayée, en Grande-Bretagne et ailleurs. Pour stigmatiser le style et la pensée de Derrida, on lui attribue une formule parfaitement imaginaire, celle de "logical phallusies" (on reconnaît les logical fallacies honnies des analytiques). Howard Erskine-Hill, professeur d'histoire de la littérature anglaise, est un des plus virulents détracteurs de l'auteur de Glas. Selon lui, les méthodes de Derrida sont à ce point incompatibles avec le concept même de l'enseignement supérieur et de la connaissance que lui accorder un doctorat honoris causa "revient à nommer un pyromane au poste de chef des pompiers ". Une universitaire, Sarah Richmond, déclare pour sa part dans l'hebdomadaire allemand Der Spiegel que les idées de Derrida constituent "un poison pour les jeunes gens", reprenant sans y prendre garde l'argument employé vingt-cinq siècles plus tôt contre Socrate (j'ose dire qu'ici l'hagiographie frise le ridicule). Tandis que l'Observer décrit l'oeuvre de Derrida comme un "virus informatique". Tout semble bon pour attaquer le philosophe français : dans certains articles, on indique même s'il a été arrêté à Prague pour "trafic de drogue" sans préciser qu'il s'agissait d'un coup monté " (p. 547-548)
Il n'est guère sérieux de mettre sur le même plan la protestation quinienne et le coup monté praguois, mais, soyons rassuré, Derrida s'en est mieux sorti que Socrate ! Le 16 mai 1992, " le "oui" s'impose par 336 voix contre 204". Certes un tel vote n'avait pas été organisé depuis 30 ans.
Il va de soi que si on lisait ce billet comme une incitation, au demeurant passablement médiocre, à ne pas lire Derrida ou pire comme une volonté de dénigrer sa personne et toute son oeuvre, on se tromperait lourdement : si l'oeuvre semble avoir par endroits une dimension plus poétique que philosophique, autant son ampleur que la personnalité de son auteur m'imposent, au-delà des divergences théoriques profondes, un fort respect.

samedi 11 décembre 2010

Diderot, Helvétius et Wittgenstein : la confusion des causes et des raisons.

Dans sa Réfutation suivie de l' ouvrage d'Helvétius intitulé L'Homme, Diderot reproche au philosophe de défendre un matérialisme réducteur et pauvre qui n'est en mesure de rendre compte ni de l'identité humaine spécifique, ni de l'identité humaine individuelle.
Précisément il dénonce un sophisme consistant à confondre les conditions et les causes , qu'il appelle aussi motifs. Or, il est possible d'identifier le plus souvent cette distinction diderotienne à la célèbre distinction wittgensteinienne des causes et des raisons. Qu'on en juge d'après ce passage :
" Est-il bien vrai que la douleur et le plaisir physiques, peut-être les seuls principes des actions de l'animal, soient aussi les seuls principes des actions de l'homme ?
Sans doute, il faut être organisé comme nous et sentir pour agir ; mais il me semble que ce sont là les conditions essentielles et primitives, les données sine qua non, mais que les motifs immédiats et prochains de nos aversions et de nos désirs sont autre chose.
Sans alcali et sans sable, il n'y a point de verre ; mais ces éléments sont-ils la cause de la transparence ? (cet exemple fait certes tache ici car c'est net qu'on ne peut parler des raisons de la transparence)
Sans terrains incultes et sans bras on ne défriche point ; mais sont-ce là les motifs de l'agriculteur quand il défriche ?
Prendre des conditions pour des causes, c'est s'exposer à des paralogismes puérils et à des conséquences insignifiantes.
Si je disais : Il faut être pour sentir, il faut sentir pour être animal ou homme, il faut être animal ou homme pour être avare, ambitieux et jaloux ; donc la jalousie, l'ambition, l'avarice ont pour principes l'organisation, la sensibilité, l'existence... pourriez-vous vous empêcher de rire ? Et pourquoi ? C'est que je prendrais la condition de toute action animale en général pour le motif de l'action de l'individu d'une espèce d'animal qu'on appelle homme " (p. 566-567, Oeuvres philosophiques, Garnier, 1972)
Très clairement Diderot s'oppose à toute révision à la baisse des actions humaines qui se fonderait sur la mise en relief des causes ordinaires et communes qui les conditionnent. Même une certaine vanité philosophique ne permet pas de ramener le philosophe à l'énième cas illustrant les lois de la biologie :
" Je vous entends, ils se flattent qu'un jour on les nommera, et que leur mémoire sera éternellement honorée parmi les hommes. Je le veux ; mais qu' a de commun cette vanité héroïque avec la sensibilité physique et la sorte de récompense abjecte que vous en déduisez ?
- Ils jouissent d'avance de la douce mélodie de ce concert lointain de voix à venir et occupées à les célébrer, et leur coeur en tressaille de joie.
- Après ?
- Et ce tressaillement du coeur ne suppose-t-il pas la sensibilité physique ?
- Oui, comme il suppose un coeur qui tressaille ; mais la condition sans laquelle la chose ne peut être en est-elle le motif ? Toujours, toujours le même sophisme."
Diderot est très attentif aussi à prendre en compte la spécificité des raisons personnelles et l'irréductibilité de celles-ci aux raisons communes. Ainsi ce sont des raisons proprement leibniziennes qui éclairent les actions de Leibniz :
" Croyez que quand Leibniz s'enferme à l'âge de vingt ans, et passe trente ans sous sa robe de chambre, enfoncé dans les profondeurs de la géométrie ou perdu dans les ténèbres de la métaphysique, il ne pense non plus à obtenir un poste, à coucher avec une femme, à remplir d'or un vieux bahut, que s'il touchait à son dernier moment. C'est une machine à réflexion, comme le métier à bas est une machine à ourdissage (on remarque ici que prendre en compte des raisons singulières n'implique pas un rejet du matérialisme : il reste sensé de comparer Leibniz à une machine à réflexion) ; c'est un être qui se plaît à méditer ; c'est un sage ou un fou, comme il vous plaira, qui fait un cas infini de la louange de ses semblables, qui aime le son de l'éloge comme l'avare le son d'un écu ; qui a aussi sa pierre de touche et son trébuchet pour la louange, comme l'autre a le sien pour l'or, et qui tente une grande découverte pour se faire un grand nom et éclipser par son éclat celui de ses rivaux, l'unique et le dernier terme de son désir.
Vous, c'est la Gaussin (célèbre actrice), lui, c'est Newton, qu'il a sur le nez.
Voilà le bonheur qu'il envie et dont il jouit.
- Puisqu'il est heureux, dites-vous, il aime les femmes.
- Je l'ignore.
- Puisqu'il aime les femmes, il emploie le seul moyen qu'il ait de les obtenir.
- Si cela est, entrez chez lui, présentez-lui les plus belles femmes et qu'il en jouisse, à la condition de renoncer à la solution de ce problème ; il ne le voudra pas.
- Il ambitionne les dignités.
- Offrez-lui la place du premier ministre, s'il consent de jeter au feu son traité de l' Harmonie préétablie ; il n'en fera rien.
(...)
- Il est avare, il a la soif ardente de l'or.
- Forcez sa porte, entrez dans son cabinet, le pistolet à la main, et dites-lui : ou ta bourse, ou ta découverte du Calcul des fluxions...et il vous livrera la clef de son coffre-fort en souriant. Faites plus : étalez sur sa table toute la séduction de la richesse, et proposez-lui un échange ; et il vous tournera le dos avec dédain" (p.569-570)
Ce texte lu, la célèbre phrase de Robert Musil : "Les philosophes sont des violents qui, faute d'armée à leur disposition, se soumettent le monde en l'enfermant dans un système" ne perd-elle pas de son fascinant pouvoir de démystification ?

Commentaires

1. Le jeudi 16 décembre 2010, 22:05 par 
De Diderot rappelant Leibniz, à Musil (l'homme sans qualité...), d'excellents ingrédients pour un message très agréable à lire et méditer.
2. Le mardi 21 décembre 2010, 08:00 par 
de Robert Musil : "l'homme sans qualités" (avec mes excuses).
3. Le mardi 21 décembre 2010, 19:57 par Philalèthe
Merci pour les deux messages !

Une autre caverne diderotienne : la métaphore de l'intériorité.

" Voulez-vous savoir l'histoire abrégée de presque toute notre misère ? La voici. Il existait un homme naturel : on a introduit au dedans de cet homme un homme artificiel ; et il s'est élevé dans la caverne une guerre continuelle qui dure toute la vie. Tantôt l'homme naturel est le plus fort ; tantôt il est terrassé par l'homme moral et artificiel ; et, dans l'un et l'autre cas, le triste monstre est tiraillé, tenaillé, tourmenté, étendu sur la roue ; sans cesse gémissant, sans cesse malheureux, soit qu'un faux l'enthousiasme de gloire le transporte et l'enivre, ou qu'une fausse ignorance le courbe et l'abatte. Cependant il est des circonstances extrêmes qui ramènent l'homme à sa première simplicité " (Supplément au voyage de Bougainville, p.511, Oeuvres philosophiques, Classiques Garnier, 1972)
J'ose blasphémer et faire bondir, entre autres, les freudiens. Le maître a appelé l'homme naturel l'inconscient, l'homme artificiel, le surmoi, et a introduit un troisième combattant, le moi.