dimanche 4 septembre 2011

La philosophie qu'il ne faut pas faire.

Jocelyn Benoist écrit dans Concepts. Introduction à l'analyse (Cerf 2010):
" La philosophie ne maîtrise, en règle générale, qu'une sphère assez limitée de concepts. Ordinairement, il s'agit de ceux du sens commun enrichis de quelques concepts qu'elle tient pour "techniques", qu'elle emprunte, en général dans une version simplifiée et déformée, à des disciplines ou savoirs de référence, plus ses propres concepts techniques qui, pour ne pas être toujours inutiles, sont souvent suspects. Il arrive aussi souvent qu'elle se prive de bon nombre des concepts du sens commun, qu'elle les adultère ou leur fasse porter le poids d'interprétations extravagantes. Cela ne signifie pas alors forcément qu'elle leur substitue d'autres concepts qu'elle serait capable de produire par elle-même. Trop souvent on l'a vue offrir en lieu et place de ces concepts de sens commun, dont nous ne savons pas trop ce qu'ils sont, mais dont, bon an mal an, nous disposons, de purs non-sens, et bien des concepts philosophiques proclamés sont en fait des pseudo-concepts dont, avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de comprendre ce qu'il faudrait penser par eux - comme si la pensée s'y était échappée et qu'ils n'avaient pas été pensés jusqu'au bout, exemptés de leur cohérence et/ou de leurs conditions d'application. Il se trouve, de ce point de vue, somme toute plutôt moins de vrais concepts dans la philosophie que dans d'autres disciplines ou que dans des modes de pensée plus ordinaires. Nous parlons cependant, bien sûr, de la mauvaise philosophie." (p.21)

Commentaires

1. Le lundi 5 septembre 2011, 13:32 par Elias
L'avant-dernière phrase est une pique adressée à Deleuze, non?
Donne-t-il des exemples des "interprétations extravagantes" et des "purs non-sens" ici dénoncés?
2. Le mardi 6 septembre 2011, 19:26 par Philalèthe
C'est clair que Jocelyn Benoist qui a beaucoup de sympathie désormais pour la philosophie du langage ordinaire n'est guère porté à définir la philo comme création de concepts.

samedi 3 septembre 2011

La question du mal.

" C'est vraiment très curieux, continua-t-il d'une voix sombre et monotone, cette question du mal... ce que c'est, où ça se trouve, si c'est une réalité ou simplement une fiction de l'esprit. Si c'est une maladie comme le cancer, quelque chose qu'on peut arracher, détruire, le spécialiste du cerveau jouant le rôle du chirurgien, ou si c'est quelque chose d'incurable, sur lequel il faut mettre le pied comme sur une puce transmetteuse de peste bubonique, détruisant à la fois la maladie et la porteuse. Autrefois, il n'y a pas si longtemps, - vous avez fait votre droit, vous savez cela aussi bien que moi - on aurait pendu un gosse de dix ans pour avoir volé deux sous de bonbons. Dans l'aimable Angleterre, en France aussi. C'était la théorie de la peste, je suppose. Mettez le pied sur le mal. Écrasez-le. Maintenant, le gosse vadrouille dans les rues - il n' a même plus dix ans, il en a vingt, plus vraisemblablement, et il sait foutre bien ce qu'il fait - et il commet un crime sauvage, dénué de sens, un meurtre peut-être, et on le considère comme un malade, et on appelle le psychiatre, d'après la théorie que le mal est... eh bien, disons un habitant temporaire du cerveau, pas autre chose. Et les deux théories sont aussi nocives que le mal qu'elles prétendent détruire et guérir. Du moins, c'est à ces conclusions que je suis arrivé. Et cependant, je en vois pas quel pourrait être la bonne solution possible entre les deux." ( William StyronLa proie des flammes 1960, trad. Coindreau, p.229-230, Folio)

jeudi 1 septembre 2011

Le rocambolesque : Descartes et Roger Vailland.

On connaît la fin de la Première Méditation Métaphysique de Descartes. Ce dernier vient de donner de bonnes raisons de douter de tout.
" Mais ce dessein est pénible et laborieux, et une certaine paresse m'entraîne insensiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de même qu'un esclave qui jouissait dans le sommeil d'une liberté imaginaire, lorsqu'il commence à soupçonner que sa liberté n'est qu'un songe, craint d'être réveillé, et conspire avec ces illusions agréables pour en être plus longuement abusé, ainsi je retombe insensiblement de moi-même dans mes anciennes opinions, et j'appréhende de me réveiller de cet assoupissement, de peur que les veilles laborieuses qui succéderaient à la tranquillité de ce repos, au lieu de m'apporter quelque jour et quelque lumière dans la connaissance de la vérité, ne fussent pas suffisantes pour éclaircir les ténèbres des difficultés qui viennent d'être agitées."
Roger Vailland écrit, lui, dans Action en octobre 1947 un article intitulé Actualité de Rocambole:
Rocambole c'est analogue au rêve éveillé que fait le prisonnier dans sa cellule ou l'adolescent pauvre dans sa chambre solitaire. Tout est possible pour le héros auquel s'identifie le rêveur : il participe à des festins, les plus belles femmes l'aiment, ses ennemis sont humiliés, le peuple le porte en triomphe, sa vieille mère pleure de joie. Il s'est évadé du présent."
Certes Vailland aime bien lire Rocambole ( " Le roman psychologique m'ennuie (il pense entre autres à Mauriac). Moi qui n'ai pas d'âme, comment serais-je touché par les cas de conscience des âmes torturées ?") mais comme Descartes le rêve du prisonnier, il identifie Rocambole aux illusions qui détournent de la réalité :
" Fuite dans le rêve, c'est pourquoi Rocambole fut une oeuvre pernicieuse (...) Le rêve éveillé offre une "compensation" au prisonnier, il ne l'incite pas à briser ses barreaux. La bergère qui rêve d'épouser le fils du roi ne songe pas à mettre en question le pouvoir royal. Et le roi a tout intérêt à ce que ses poètes officiels mystifient les bergères en leur faisant croire qu'il n'est pas impossible que le fils du roi les épouse.
C'est pourquoi Karl Marx a dit que Les Mystères de Paris étaient une mystification. C'est pourquoi Rocambole est une oeuvre mystificatrice et réactionnaire."
Bien sûr ce n'était pas le souci de Descartes de contester l'ordre social, il vise la liberté de son esprit qu'il tend pourtant à fuir tant l'effort pour l'obtenir est étonnamment coûteux et possiblement incertain. Certes à travers la possibilité ouverte d'une fondation de la morale il en espère des retombées pratiques . Mais Descartes n'a-t-il pas écrit quelques lignes où la fiction est aussi dénoncée comme décrivant un monde irréel ? Et s'il porte un regard sceptique sur l'histoire, n'est-ce pas précisément en tant qu'elle ne peut pas ne pas ressembler un peu à cette même fiction ?
" Outre que les fables font imaginer plusieurs événements comme possibles qui ne le sont point ; et que même les histoires les plus fidèles, si elles ne changent ni n'augmentent la valeur des choses, pour les rendre plus dignes d'être lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus basses et moins illustres circonstances : d'où vient que le reste ne paraît pas tel qu'il est, et que ceux qui règlent leurs moeurs par les exemples qu'ils en tirent, sont sujets à tomber dans les extravagances des Paladins de nos romans, et à concevoir des desseins qui passent leurs forces." (Discours de la méthode 1)
Certes si pour Vailland le roman paralyse l'action (en confinant la pensée à l'élaboration des hypothèses romanesques), pour Descartes il la dérègle en encourageant une action donquichottesque caractérisée par la démesure. Néanmoins les deux s'accordent pour reconnaître dans la fiction une cause de désordre pratique et pas simplement d'errance théorique.

mercredi 31 août 2011

Marc-Aurèle : contre l'ontologie naïve, apparemment simple et de fait complexe ou pourra-t-on un jour parler autrement qu'en termes démodés mais parfaitement judicieux ?

Dans Le ciment des choses- Petit traité de métaphysique scientifique réaliste -(2011), Claudine Tiercelin écrit relativement à Searle la note suivante :
" Searle (1995/1998, p. 17) est frappé par les immenses efforts d' abstraction auxquels nous soumet la réalité, constituée d'objets non pas donnés mais construits. Parce que nous sommes élevés dès l'enfance dans une culture où l'on tient la réalité simplement pour acquise, il nous semble bien plus naturel de voir des voitures rouler, des billets de un dollar ou des baignoires pleines que de voir en eux des masses de métal s'inscrivant dans des trajectoires linéaires, des fibres de cellulose tachetées de vert-de-gris, ou des concavités de fer recouvertes d'émail et remplies d'eau. L'ontologie naïve est complexe et semble pourtant simple ; c'est l'ontologie désormais rendue simple par la science qui paraît difficile." (p.29-30).
Ce qui me fait penser à ces deux textes de Marc-Aurèle qui militent pour une identification de la chose perçue à ce à quoi elle est réductible scientifiquement :
1) " Il faut toujours se faire une définition ou une description de l'objet qui se présente dans la représentation, afin de le voir en lui-même, tel qu'il est en son essence, dans sa nudité et dans tous ses détails, et se dire à soi-même le nom qui lui est propre et le nom des parties qui le composent et dans lesquelles il se résoudra" (Pensées III, 11, trad. Pierre Hadot)
2) " Comme il est important de se représenter, à propos des mets recherchés et d'autres nourritures de ce genre : " Ceci est du cadavre de poisson, ceci est du cadavre d'oiseau ou de porc", et aussi : " Ce Falerne, c'est du jus de raisin", " Cette pourpre, c'est du poil de brebis mouillé d'un sang de coquillage". Et, à propos de l'union des sexes: " C'est un frottement de ventre avec éjaculation, dans un spasme, d'un liquide gluant." Comme sont importantes ces représentations (phantasiai) qui affectent les choses elles-mêmes et les traversent de part en part en sorte que l'on voit ce qu'elles sont en réalité." (VI, 13) __
À la différence de Searle, l'empereur stoïcien n'est pas étonné mais il proteste contre la perception spontanée du monde et surtout fait un devoir éthique d'une telle réduction, la raison étant que seules affectent (positivement ou négativement) les représentations non-scientifiques. À la différence encore de Searle, Marc-Aurèle n'avait pas conscience des conditions sociales et collectives d'accès à la description vraie des choses : au coeur de chacun de nous, grâce à la raison, il y aurait la possibilité de se représenter ce qui nous affecte tel qu'il est et par là même de cesser de ressentir les affections pertubatrices (relatives autant au plaisir qu'à la douleur). En plus, pour nous, les choses se sont compliquées à cause des différents niveaux de compréhension scientifique : ainsi l'auteur fait-il une description physiologique (simple) de l'acte sexuel mais on pourrait en faire aussi bien une mobilisant un savoir neurologique. En plus y a-t-il un niveau ultime ? Par exemple en termes de physique quantique ? S'il y a un fond du réel, est-il nécessaire de l'atteindre pour gagner en sérénité (ataraxia) ? Il semble bien que Marc-Aurèle ait répondu positivement à cette question : seulement il pensait que la décision d'accéder à l'essence ne mobilisait pas toutes les médiations qui nous sont si bien connues que précisément est ordinaire aujourd'hui (je n'ai pas écrit vraie) l'idée d'une relativité des connaissances scientifiques. Enfin la réduction stoïcienne, qu'elle revienne à formuler des jugements factuels triviaux ou sophistiqués, suppose la possibilité d'une distinction stricte fait / valeur qui ne va plus vraiment de soi.
En guise de conclusion, le début de L'homme sans qualités de Robert Musil. On y lit un exemple de réduction scientifique d'un objet valorisé :
" On signalait une dépression au-dessus de l'Atlantique ; elle se déplaçait d'ouest en est en direction d'un anticyclone situé au-dessus de la Russie, et ne manifestait encore aucune tendance à l'éviter par le nord. Les isothermes et les isothères remplissaient leurs obligations. Le rapport de la température de l'air et de la température annuelle moyenne, celle du mois le plus froid et du mois le plus chaud, et ses variations mensuelles apériodiques était normal. Le lever, le coucher du soleil et de la lune, les phases de la lune, de Vénus et de l'anneau de Saturne, ainsi que nombre d'autres phénomènes importants, étaient conformes aux prédictions qu'en avaient faites les annuaires astronomiques. La tension de vapeur dans l'air avait atteint son maximum, et l'humidité relative était faible. Autrement dit, si l'on ne craint pas de recourir à une formule démodée mais parfaitement judicieuse : c'était une belle journée d'août 1913." (trad. Philippe Jaccottet).
Heureusement que Musil a eu aussi recours à la langue désuète, sinon on n' aurait rien compris à son roman (on n'aurait même pas pu assimiler la distinction entre les deux types de formules : les formules démodées et judicieuses et les formules modernes - plus exactement prétendument intemporelles - et vraies).
On pourrait citer ici Jocelyn Benoist :
" Si par exemple, je vous dis : "Passez-moi le parallélépipède qui se trouve sur la table !", il est probable que vous serez assez étonné, s'il s'agit d'un livre : vous vous attendriez alors à ce que je le décrive et désigne comme "un livre". Encore le premier descriptif ne vous paraîtra-t-il peut-être pas entièrement absurde mais juste "étrange", parce que la forme visible de l'objet vous permettra certainement d'identifier inférentiellement ce dont il s'agit ( de le "rétablir" en quelque sorte), en dépit de la bizarrerie de l'angle d'attaque adopté sur lui. Mais si je dis : " Eliette m'a acheté un parallélépipède", sauf conditions contextuelles très particulières, l'énoncé semble tout à fait absurde. Il se peut que ce qu'elle ait acheté ait une forme parallélépipédique, mais ce n'est certainement pas en tant que paralllélépipède qu'elle l'a acheté ni qu'elle me l'a offert. Dans ce contexte il est tout simplement surréaliste d'appeler "parallélépipède" un livre. Le nommer "livre" permet la description adéquate : c'est bien en tant que livre que l'objet joue un rôle dans la situation, et c'est cette seule détermination qui pénètre donc dans la richesse de la situation." (Éléments de philosophie réaliste, Vrin, 2011, p.50,51)

mardi 30 août 2011

Surtout pas un message de rentrée !

Roger Vailland dans un article sur Pierre Soulages :
" Il ne livre par bonheur aucun "message" : laissons les messages aux prophètes et aux facteurs " (L'Oeil, mai 1961)

vendredi 29 juillet 2011

C.R.S. = S.S. Qui ont eu droit les premiers à un point Godwin, les communistes ou les gauchistes ?

J'étais persuadé que le slogan C.R.S = S.S. était une invention de Mai 68. Or quelle n'est pas ma surprise de le trouver dans un article de Roger Vailland paru dans Action, le quotidien communiste en novembre 1948 :
" Des camarades venus les uns d' Amérique du Sud, les autres de Pologne ou de Tchécoslovaquie, me disaient au cours de ces dernières semaines que "l'opéra est à réinventer". Ils entendaient par là que les travailleurs de leurs pays réclamaient un spectacle complet : danses, chants, mimes, décors et texte significatif, - tout ce que l'opéra aurait pu donner s'il n'était devenu très vite un genre purement formel qui n'intéresse plus que les amateurs du bel canto. L'opéra réinventé sera sans doute par excellence le spectacle populaire de l'avenir. Imaginez aujourd'hui même un opéra réinventé sur la grève des mineurs. Quel décor, quel ballet de tragédie, quelques textes à faire sur le thème C.R.S. = S.S. !"
On trouve ce texte ainsi que beaucoup d'autres articles de Vailland dans Roger Vailland publié en 1973 chez Seghers dans la collection Ecrivains d'hier et d'aujourd'hui par Elisabeth Vailland et René Ballet.
En 1955, l’usage de l’expression est assez ordinaire pour que Vailland en fasse une identification quasi réflexe qu’il place dans la bouche des ouvriers et de leur famille, au moment où ils voient les C.R.S s’apprêter à charger les grévistes :
“ Les femmes et les vieux travailleurs étaient sur le pas de leurs portes, le visage blanc. Ils enfonçaient les ongles dans la paume de la main. Ils regardaient dans un terrible silence les hommes noirs monter vers leurs maris et leur fils, la matraque noire à la main, ils murmuraient : “ Les S.S.” ( Les journées d’Homecourt L’Humanité Dimanche 10 Juillet 1955)

Commentaires

1. Le vendredi 5 août 2011, 19:21 par sopadeajo
"L'opéra réinventé sera sans doute par excellence le spectacle populaire de l'avenir."
Et qui aurait pu expliquer à un vieux loup communiste, combien il se fourvoyait en 1948, puisque ce seraient les amerloques, avec l´utilisation des anciens esclaves noirs, à peine affranchis à cette époque aux étatsunis , qui populariseraient l´opéra partout dans le monde et que cela s´appellerait le pierre-et-roule.

jeudi 28 juillet 2011

Roger Vailland, mythologue aussi.

Ce sont quelques lignes consacrées au Frigidaire, écrites par Roger Vailland dans La Tribune des Nations du 14 Mars 1952 et extraites d'un article intitulé Le ménage n'est pas un art de salon .
Immédiatement, il m' a fait penser, au style près, par son objet mais aussi par son intention ( identifiable clairement dans la dernière phrase ) au Barthes du Degré zéro de l'écriture, texte un peu plus tardif (1953) :
" Il faut bien en conclure que le Frigidaire, à l'heure actuelle, en France, n'est pas tant un objet d'utilité qu'un symbole. C'est le symbole de l'aisance matérielle, d'une certaine bonne vie. " Mon mari m'a acheté un Frigidaire ", cela veut dire : " J'ai un homme qui s'est élevé au-dessus du niveau commun ", et aussi " Mon homme attache tellement de prix à moi qu'il s'est donné un mal fou pour pouvoir m'acheter un Frigidaire " et encore : " Je n'ai plus rien à envier aux femmes américaines, dont mon magazine favori me décrit hebdomadairement la vie merveilleuse."
Le même jugement vaut pour les machines à laver, que ne peuvent acheter que les femmes qui n'ont jamais lavé leur linge elles-mêmes, les machines à faire la vaisselle, etc. Et, dans la plupart des cas, pour l'automobile et le manteau de fourrure.
Quand un symbole ne correspond pas à la réalité, mais s'y substitue pour la faire oublier, il faut le nommer mystification."

Commentaires

1. Le vendredi 5 août 2011, 19:07 par sopadeajo
Nous vivions en effet dans un monde foncièrement en dédéquilibre: le frigidaire et le manteau de fourrure pour ceux qui n´ont jamais eu froid, la voiture pour ceux qui n´ont jamais eu à marcher, la machine à vaisselle pour ceux qui ne la faisaient jamais. Et maintenant que les prix ayant baissé, atteignent tout le monde, on dépense le temps et les kilos gagnés dans les gymnases , pour retrouver la forme que nous avions avant; la conservation de l´espace-temps et l´éloignement du naturel qui ne revient ni au galop ni en promenade.

jeudi 30 juin 2011

Julien Benda et Pascal : comment parvenir à croire à ce à quoi on ne croit pas ?


Les Amorandes est un roman écrit par Julien Benda en 1922. Il y présente Etienne hanté par le souvenir d'une ancienne maîtresse et pour cela incapable d'aimer passionnément sa jeune épouse. Or, Etienne, qui est un être moral, veut mettre fin à cette situation qu'il juge injuste pour sa femme. Le moyen qu'il trouve à cette fin est tout à fait inspiré de Pascal. En effet, de même que Pascal conseillait à l'athée de singer la foi pour finalement l'éprouver, Etienne pense qu'il doit faire l'amour le plus possible à sa femme pour parvenir à ressentir comme effet ce dont il regrette l'absence en tant que cause :
" Mais comment la faire naître, cette passion ? qui ne se déclarait pas ? qui ne voulait pas se déclarer ? Eh bien, en en prenant l'attitude, en en faisant les gestes. Le geste crée le sentiment. Il se rappelait le conseil des profonds médecins de l'âme : " Faites les gestes de la foi, la foi viendra ". Oui, il allait vivre tout contre cette enfant, la serrer dans ses bras, non plus pour la rassurer, mais dans toute l'intensité de sa volonté de guérir, la prendre souvent, très souvent. Et l'amour viendrait, il oublierait cette femme. Rien ne l'autorisait à en douter. Avait-il jamais essayé ? Cette toute-puissance du lien charnel, s'y était-il jamais vraiment offert ? Ne s'appliquait-il pas, au contraire, à s'y dérober le plus qu'il pouvait, lâchement, cruellement ? Oui, c'était là une puissance intacte, inéprouvée. Elle ferait son effet. " (p. 211 éd. Émile-Paul frères)
On se demandera alors : est-ce que le remède est efficace ?
En réalité il aggrave le mal car les gestes de l'amour passionné causent les images de l'objet premier de la passion :
" Et voilà que la résurrection, exacte, totale, constante, de circonstances qui avaient été imprimées dans la conscience d' Étienne en liaison, et combien étroite ! avec l'image d'une autre, ramenait peu à peu avec elle, exacte, totale,constante, l'image de cette autre, de plus en plus vivante, de plus en plus durable, dans le coeur du jeune homme, la vision d'un autre être qui y avait été associé à cette forme précise de mouvements. Voilà que l'infortuné sentait son mal l'envahir davantage par les actes mêmes qu'il faisait pour s'en évader." (p. 223)
En fait, le remède va être le passage du temps :
" Cependant, comme un pauvre malade qui, dans une nuit de torture, entrevoit, avec l'aube, la fin possible de son supplice, Étienne croyait sentir qu'avec le temps l'image de sa maîtresse perdait de son terrible empire ; pour peu qu'on ne la provoquât point par des remuements de l'être trop profondément liés à elle, bien des circonstances, qui autrefois le suscitaient fatalement,n'y parvenaient plus toujours ; souvent elle apparaissait sans netteté, sans couleur, sans durée, comme s'évanouissant avant de s'être formée ; ou, encore, demeurant un simple état du connaître - " Irène faisait ceci ; elle avait été là ", - dénué de retentissement dans le sentir. " (p. 247-248)
Certes la langue classique et largement abstraite de Benda est quelquefois désuète mais ce roman gagne à être lu, pour son analyse rationnelle des passions et de leurs composantes.

mercredi 29 juin 2011

Peut-on identifier les qualia à des processus physiques ? L'étonnement de Pascal et la perspicacité de Léon Brunschvicg.

" Quand on dit que le chaud n'est que le mouvement de quelques globules (Littré : Terme de physiologie. Nom donné à des corpuscules plus ou moins arrondis, qui existent dans beaucoup de liquides et dans quelques tissus animaux ), et la lumière le conatus recedendi (Brunschvicg : le conatus recendendi est la force centrifuge dont sont animés "tous les corps qui se meuvent en rond pour s'éloigner des corps autour desquels ils se meuvent" Descartes, Les principes de la philosophie, III, 54) que nous sentons, cela nous étonne (étonner a un sens fort dans la langue de Pascal, Littré donnant pour étonner : causer un ébranlement moral) . Quoi ! que le plaisir ne soit autre chose que le ballet des esprits (les esprits animaux sont "des parties du sang très subtiles et qui se meuvent très vite, car ce que je nomme ici des esprits ne sont que des corps" Descartes, Traité des passions, I, 10) Nous en avons conçu une si différente idée ! et ces sentiments-là nous semblent si éloignés de ces autres que nous disons être les mêmes que ceux que nous leur comparons ! Le sentiment du feu, cette chaleur qui nous affecte d'une manière tout autre que l'attouchement, la réception du son et de la lumière, tout cela nous semble mystérieux, et cependant cela est grossier comme un coup de pierre. Il est vrai que la petitesse des esprits qui entrent dans les pores touche d'autres nerfs, mais ce sont toujours des nerfs touchés." (Pensée 580 édition Le Guern, 368 édition Brunschvicg)
Dans une note - qui date aujourd'hui d'à peu près un siècle -, Brunschvicg commente ainsi la pensée :
" La science moderne semble avoir confirmé cette vue cartésienne suivant laquelle les différents sens seraient des modifications et des raffinements du toucher primitif ; en revanche, le passage des conditions physiologiques de la sensation au sentiment que nous en prenons et qui la constitue en tant que fait de conscience, semble être demeurée tout à fait mystérieux malgré l'affirmation de Pascal. Du point de vue scientifique au moins, le progrès aurait consisté à considérer comme une énigme ce que Descartes croyait pouvoir poser comme une solution " ( Pensées et opuscules, p.407-408, Hachette, 1922).
Comme Brunschvicg est perspicace ! En effet, David Chalmers dans L'esprit conscient (1996) voit encore dans ce rapport entre le côté physique du fait et son côté vécu, ressenti, le mystère central de ce qu'on appelle aujourd'hui la philosophie de l'esprit :
" La partie la plus difficile des rapports du corps et de l'esprit consiste en la question suivante : comment un système physique peut-il donner lieu à une expérience consciente ?" (p. 49, Ithaque, 2010)
Certes une lecture rapide de la pensée de Pascal pourrait faire croire que le mystère auquel Chalmers se réfère est précisément celui que mentionne Pascal. Mais il n'en est rien : ce qui étonne l'auteur des Pensées, c'est que toutes les perceptions soient contre toute apparence causées par des contacts.

dimanche 26 juin 2011

La sagesse vue par Céline.

" N'hésite surtout pas devant la difficulté apparente. Crache devant, dessus, dessous tous les gens qui te diront que c'est folie. On arrive à ce qu'on veut, et les choses les plus difficiles d'apparence sont protégées surtout par sa propre peur et la lâcheté bruyante des arguments dits de la sagesse. La destinée est une putain qui se tait quand on l'enfile. Mais pour cela il faut bander, et les vieux voudraient bien encore, mais la Pondération les tue." (Lettre à Albert Milon, 1920)
Ce qui me fait penser de loin à La Rochefoucauld :
" Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n'être plus en état de donner de mauvais exemples." (Maxime 93, édition de 1678)

Commentaires

1. Le dimanche 26 juin 2011, 19:04 par sopadeajo
"On arrive à ce qu'on veut" (Céline) Pas si vous êtes le centre des attaques, si on vous fait de tout et constamment. Il le dit dans un bref entertien avec Pauwels, quoique bien plus tard. Et dans ces cas on peut même arriver à ce que l´on ne veut pas, contre notre volonté et désirer la mort (sans souffrance) plus que la vie.