dimanche 5 octobre 2014

Le disciple détesté de tous les bons maîtres.

" C'était l'un de ces disciples de Léon Tolstoï dans la tête desquels les pensées d'un génie qui n'avait jamais connu la paix s'étaient couchées pour goûter un long repos et s'amenuisaient sans espoir." (Boris Pasternak, Le Docteur Jivago, Gallimard, 1958, p.57)

dimanche 28 septembre 2014

Passéisme ?

En 1933, n'eurent pas lieu que des événements horribles dans le monde. En effet, le 31 Juillet, Victor Fontoynont écrivait ces lignes dans l'introduction à son Vocabulaire grec commenté et sur textes:
" Il fallait des pages renfermant le plus grand nombre de mots utiles, et introduisant aux divers aspects de l'esprit grec ; et nous les voulions accessibles, sans sacrifier pourtant à la superstition de la facilité. Quand il s'agit de textes sur lesquels on doit revenir souvent, mieux valent ceux qui ne livrent pas tout leur secret d'un coup. Nous avons donc mis tout de suite, même l'enfant, en présence de textes exemplaires, les seuls formateurs et dignes de lui, qui n'est pas un lâche. Il suffisait de lui apprendre à les maîtriser : par des notes, par une exacte adaptation du vocabulaire, et surtout par des traductions littérales. Ôtons à l'effort sa tristesse, non sa peine ; qu'il soit allègre et qu'il soit aimé." (p.IX)

Commentaires

1. Le dimanche 28 septembre 2014, 13:31 par page las slcen
Que d'heures , élèves, passées au Grec. Qu'en reste-t-il ? même les discours de Lysias, de Démosthène, qui résistaient contre les Macédoniens, rien.
Et outre Rhin, en 33, les nazis aussi se réclamaient des Grecs.
2. Le dimanche 28 septembre 2014, 13:47 par Philalèthe
Je ne voulais pas mettre au premier plan le grec ancien mais plutôt une ancienne pédagogie et les vertus épistémiques qu'elle cultivait.
Ceci dit, c'est vrai que Fontoynont a pensé inculquer l'esprit grec à travers son manuel et vous avez raison de poser la question de son héritage et d'en appeler au bilan.
Mais je ne crois pas qu'on puisse isoler l'enseignement du grec classique dans l'ensemble des causes de notre présent, encore moins en quantifier l'influence et la proclamer de plus nulle...
Quant à ce qu'il reste de l'enseignement des humanités dans les vies de chacun, c'est précisément à chacun de le déterminer et votre nihilisme brutal ici me surprend.
Et pour la mention des nazis, vous méritez un point Godwin !!!
3. Le mercredi 1 octobre 2014, 04:54 par page las sceln
C'est vous même qui évoquez les nazis avec la date de 1933 ! on peut penser à la manière dont Heidegger tient le grec comme, avec l'allemand, la seule langue philosophique digne de ce nom. Personne n'a dit non plus que le grec était la cause de tous nos maux. Mais que son enseignement passait jadis par des textes ennuyeux. Cela dit, je me rappelle que Thucydide m'était encore plus obscur que Lysias, et que j'étais incapable de traduire Homère. Xénophon n'était pas si difficile , et pourtant intéressant. De même Plutarque. Mais on nous bassinait avec Lysias, Isocrate.
4. Le mercredi 1 octobre 2014, 20:40 par Philalèthe
Les lignes de Fontoynont ne rendent pas compte bien sûr de la réalité de l'enseignement du grec mais encore une fois c'était un petit hommage à une pédagogie inapplicable aujourd'hui, qui éveille cependant, sur le papier du moins. ma nostalgie peut-être injustifiée...
Pour contraster avec votre expérience de l'enseignement du grec, ces lignes de Freud dans une lettre à Arnold Zweig du 4 avril 1934 :
" J'ai toujours été fier du riche sédiment de grec déposé dans ma mémoire (choeurs de Sophocle, passages d'Homère)."
Aujourd'hui on ne cherche plus à déposer des sédiments (de grec ou d'autre chose) dans les mémoires des élèves, tant est précoce l'apprentissage de la discussion, de la critique et de la création. Aussi ces jeunes esprits font-ils souvent pousser leurs plantes dans des terreaux de mince épaisseur.
5. Le vendredi 3 octobre 2014, 22:56 par Niklaus Vonderflu
Plantes d'un nouveau genre? Plantes grasses? Buissons de désert?
6. Le vendredi 3 octobre 2014, 23:10 par Philalèthe
Si seulement...
Mais ça serait leur accorder une durée et une résistance qu'elle n'ont pas.
Plus simplement, sans assez de bonne terre, la plante meurt vite.
7. Le dimanche 5 octobre 2014, 11:17 par Niklaus Vonderflu
Leur vertu n'est peut-être pas celle-là. Peut-être consiste-elle seulement, par leur mort précoce, à fabriquer (rapidement) un terreau d'un genre nouveau ?
Sans doute me répondrez-vous qu'un terreau est un terreau, qu'il y en a suffisamment, qu'il suffit d'aller le chercher... Je ne saurais alors quoi répondre.
8. Le dimanche 5 octobre 2014, 20:48 par Philalèthe
Certes, comme vous le voyez, la métaphore du terreau n'est pas parfaite : car un terreau met du temps à se faire, mais c'est la décomposition de n'importe quel végétal, et non seulement des plantes classiques qui le constitue. Néanmoins, comme il est possible que nos classiques n'aient pas toujours été engendrés par la lecture des classiques antérieurs, la métaphore du terreau, quelle que soit la rareté et la beauté des végétaux dont il est constitué, garde sa force, au moins contre l'idée d'une genèse ex nihilo à partir du seul talent, nom quelquefois donné à la simple présomption. Vous me direz que l'épaisseur du terreau requis est discutable et que les racines se développent chez certaines plantes horizontalement...

samedi 13 septembre 2014

Dieu existe-t-elle ? ou sur une sorte d'agnosticisme grammatical...

- Eh bien, en rentrant chez moi, ce jour-là j'ai parlé à Dieu, bien que je ne croie pas en lui, en elle..." Elle rit." (Curt Leviant, Journal d'une femme adultère, Anatolia, 2007, p. 293)
Lisant Rorty, il y a quelques années déjà, j'avais découvert que ce philosophe utilisait systématiquement "she" (elle) au lieu de "he" (il) quand le pronom personnel se rapportait à l'homme en général , en latin homo et non vir. J'ai réalisé depuis qu'il n'était pas le seul à détrôner le masculin en faveur du féminin quand il s'agit de représenter l'être humain en général. À ma connaissance, les intellectuels français n'ont pas repris cette petite révolution linguistique qu'on jugera seulement politiquement correcte ou vraiment justifiée.
Mais c'est de Dieu qu'il s'agit aujourd'hui. On est habitué à le désigner par le pronom "il", par "he" en anglais donc. Or, j'ai la surprise de voir Robert Nozick utiliser dans la même phrase le masculin, le féminin et le neutre pour désigner Dieu. Le philosophe discute le problème du mal :
" Fourth - and there I draw from the Kabbalist tradition - the explanation of evil should not leave a divine being untouched. It won't do to say that he or she is just proceeding along merrily doing what's best (maximizing some good function, creating the best of all possible words, giving us free will, or whatever), and it so happens that a consequence of its doing what's best is that things are sometimes pretty terrible for us down here."( The examined life, Simon and Schuster, 2006, p.231)
Mais, deux pages plus loin, le neutre l'a emporté :
" Don't just define the divine being as omniscient : there might be certain facts about the limits of its own powers at that level that it doesn't know. " (p.233)
Attention cependant ! Le chapitre duquel ces lignes sont extraites a beau s'intituler "Theological explanations", à aucun moment Nozick ne problématise la question du pronom personnel adéquat pour renvoyer à Dieu. Son choix laisse penser que c'est à la fois possible et indifférent d'utiliser n'importe lequel des trois genres. À ce propos, la première note de son introduction des Philosophical explanations (1981) est éclairante ; après avoir traditionnellement désigné l'être humain par le masculin (" how can we punish someone for an action, or hold him responsible, if it was causally determined, eventually by factors going back to before his birth, hence out of his control ?*"), Nozick ajoute cette note correspondant à l'astérique :
" I do not know of a way to write that is truly neutral about pronoun gender yet does not constantly distract attention - at least the contemporary reader's - from the sentence's central content. I am still looking for a satisfactory solution." (p.2)
Manifestement, huit ans plus tard, publiant en 1989 The examined life, Nozick n'a pas trouvé une solution satisfaisante et le lecteur contemporain que je suis n'a pas manqué d'avoir son attention distraite par ces hésitations pronominales !
Pour prolonger la réflexion, on peut se rappeler comment bien plus tard en 2012 le sexe de Dieu est intervenu dans le débat politique en Allemagne.

vendredi 12 septembre 2014

L'oeuvre philosophique doit ressembler non à un gratte-ciel mais au Parthénon.

" Rather than begin with (...) first principles, I prefer to let linkages emerge. Philosophers often seek to deduce their total view from a few basic principles, showing how all follows from their intuitively based axioms. The rest of the philosophy then strikes readers as depending upon these principles. One brick is piled upon another to produce a tall philosophical tower, one brick wide. When the bottom brick crumbles or is removed, all topples, burying even those insights that were independent of the starting point.
Instead of the tottering tower, I suggest that our model be the Parthenon. First we emplace our separate philosophical insights, column by column ; afterwards, we unite and unify them under an overarching roof of general principles or themes. When the philosophical structure crumbles somewhat, as we should expect on inductive grounds, something of interest and beauty remains standing. Still preserved are some insights, the separate columns, some balanced relations, and the wistful look of a grander unity eroded by misfortunes or natural processes. We need go so far as to hope that the philosophical ruin, like some other, will be even more beautiful than the original. Yet, unlike the philosophical tower, this structure will remain as more than a heap of stones." (Philosophical explanations, Belknap Harvard, 1981, p.3)
Dans ce cadre, le travail philosophique aurait entre autres la fonction de préserver, ou restaurer ou réparer les choses "of interest and beauty" qui auront résisté à un temps ruinant toutes les constructions philosophiques. Nozick ne paraît pas appeler en tout cas à la reconstitution, mêlée de nostalgie et de mélancolie, d'une philosophie, aussi impressionnante qu'elle ait pu être de son temps ( encore qu'il mentionne "the wistful look of a grander unity"... ). Reste que dans une telle perspective, les philosophes les plus novateurs pourraient construire leur Parthénon en mêlant aux copies des restes précieux des autres monuments leurs propres productions (certes la métaphore de la construction ne doit pas égarer au point de faire oublier que les philosophes ont généralement en vue la connaissance de la réalité et non l'élaboration d'une fiction ou d'un artefact).
En tout cas, les lignes du philosophe américain mettent en relief que, si la comparaison avec l'architecte est un lieu commun de la philosophie fondationnaliste (1), on peut néanmoins continuer de prendre l'architecte comme modèle du philosophe tout en cessant d'exiger de ce dernier qu'il "pose la première pierre".
(1) Descartes écrivait dans les Réponses aux septièmes objections :
" J’ai déclaré, en plusieurs de mes écrits, que je tâchais partout d’imiter les architectes, qui, pour élever de grands édifices aux lieux où le roc, l’argile et la terre ferme est couverte de sable et de gravier, creusent premièrement de profondes fosses, et rejettent de là non seulement le gravier, mais tout ce qui se trouve appuyé sur lui, ou qui est mêlé et confondu ensemble, afin de poser par après leurs fondements sur le roc et la terre ferme ”

Commentaires

1. Le dimanche 14 septembre 2014, 18:43 par nage le scalp
et pourquoi pas une oeuvre qui ressemblerait à cela :
2. Le dimanche 14 septembre 2014, 20:06 par Philalèthe
Ah oui, ça m'est familier...
Oui, bien sûr ! Sectarisme religieux, capitalisme agressif et audace architecturale font bon ménage... Dit autrement, fondationalisme et fondamentalisme ne s'excluent pas du tout (ils se confondent même dans l'esprit de certains élèves).
Mais face à la photo de l'article que vous m'envoyez, ne faut-il pas se rappeler ces lignes ? 
"Je peux aussi, dans le plus pur style Rousseau, récriminer contre la vanité des Grands qui font servir la sueur du peuple à des choses si superflues (...) mais là n'est pas le problème" 

" Rather than begin with (...) first principles, I prefer to let linkages emerge. Philosophers often seek to deduce their total view from a few basic principles, showing how all follows from their intuitively based axioms. The rest of the philosophy then strikes readers as depending upon these principles. One brick is piled upon another to produce a tall philosophical tower, one brick wide. When the bottom brick crumbles or is removed, all topples, burying even those insights that were independent of the starting point. Instead of the tottering tower, I suggest that our model be the Parthenon. First we emplace our separate philosophical insights, column by column ; afterwards, we unite and unify them under an overarching roof of general principles or themes. When the philosophical structure crumbles somewhat, as we should expect on inductive grounds, something of interest and beauty remains standing. Still preserved are some insights, the separate columns, some balanced relations, and the wistful look of a grander unity eroded by misfortunes or natural processes. We need go so far as to hope that the philosophical ruin, like some other, will be even more beautiful than the original. Yet, unlike the philosophical tower, this structure will remain as more than a heap of stones." (Philosophical explanations, Belknap Harvard, 1981, p.3) Dans ce cadre, le travail philosophique aurait entre autres la fonction de préserver, ou restaurer ou réparer les choses "of interest and beauty" qui auront résisté à un temps ruinant toutes les constructions philosophiques. Nozick ne paraît pas appeler en tout cas à la reconstitution, mêlée de nostalgie et de mélancolie, d'une philosophie, aussi impressionnante qu'elle ait pu être de son temps ( encore qu'il mentionne "the wistful look of a grander unity"... ). Reste que dans une telle perspective, les philosophes les plus novateurs pourraient construire leur Parthénon en mêlant aux copies des restes précieux des autres monuments leurs propres productions (certes la métaphore de la construction ne doit pas égarer au point de faire oublier que les philosophes ont généralement en vue la connaissance de la réalité et non l'élaboration d'une fiction ou d'un artefact). En tout cas, les lignes du philosophe américain mettent en relief que, si la comparaison avec l'architecte est un lieu commun de la philosophie fondationnaliste (1), on peut néanmoins continuer de prendre l'architecte comme modèle du philosophe tout en cessant d'exiger de ce dernier qu'il "pose la première pierre". (1) Descartes écrivait dans les Réponses aux septièmes objections : " J’ai déclaré, en plusieurs de mes écrits, que je tâchais partout d’imiter les architectes, qui, pour élever de grands édifices aux lieux où le roc, l’argile et la terre ferme est couverte de sable et de gravier, creusent premièrement de profondes fosses, et rejettent de là non seulement le gravier, mais tout ce qui se trouve appuyé sur lui, ou qui est mêlé et confondu ensemble, afin de poser par après leurs fondements sur le roc et la terre ferme ” Commentaires 1. Le dimanche 14 septembre 2014, 18:43 par nage le scalp et pourquoi pas une oeuvre qui ressemblerait à cela : http://www.nytimes.com/2014/09/08/w... 2. Le dimanche 14 septembre 2014, 20:06 par Philalèthe Ah oui, ça m'est familier... Oui, bien sûr ! Sectarisme religieux, capitalisme agressif et audace architecturale font bon ménage... Dit autrement, fondationalisme et fondamentalisme ne s'excluent pas du tout (ils se confondent même dans l'esprit de certains élèves). Mais face à la photo de l'article que vous m'envoyez, ne faut-il pas se rappeler ces lignes ? "Je peux aussi, dans le plus pur style Rousseau, récriminer contre la vanité des Grands qui font servir la sueur du peuple à des choses si superflues (...) mais là n'est pas le problème"

" Rather than begin with (...) first principles, I prefer to let linkages emerge. Philosophers often seek to deduce their total view from a few basic principles, showing how all follows from their intuitively based axioms. The rest of the philosophy then strikes readers as depending upon these principles. One brick is piled upon another to produce a tall philosophical tower, one brick wide. When the bottom brick crumbles or is removed, all topples, burying even those insights that were independent of the starting point.
Instead of the tottering tower, I suggest that our model be the Parthenon. First we emplace our separate philosophical insights, column by column ; afterwards, we unite and unify them under an overarching roof of general principles or themes. When the philosophical structure crumbles somewhat, as we should expect on inductive grounds, something of interest and beauty remains standing. Still preserved are some insights, the separate columns, some balanced relations, and the wistful look of a grander unity eroded by misfortunes or natural processes. We need go so far as to hope that the philosophical ruin, like some other, will be even more beautiful than the original. Yet, unlike the philosophical tower, this structure will remain as more than a heap of stones." (Philosophical explanations, Belknap Harvard, 1981, p.3)
Dans ce cadre, le travail philosophique aurait entre autres la fonction de préserver, ou restaurer ou réparer les choses "of interest and beauty" qui auront résisté à un temps ruinant toutes les constructions philosophiques. Nozick ne paraît pas appeler en tout cas à la reconstitution, mêlée de nostalgie et de mélancolie, d'une philosophie, aussi impressionnante qu'elle ait pu être de son temps ( encore qu'il mentionne "the wistful look of a grander unity"... ). Reste que dans une telle perspective, les philosophes les plus novateurs pourraient construire leur Parthénon en mêlant aux copies des restes précieux des autres monuments leurs propres productions (certes la métaphore de la construction ne doit pas égarer au point de faire oublier que les philosophes ont généralement en vue la connaissance de la réalité et non l'élaboration d'une fiction ou d'un artefact).
En tout cas, les lignes du philosophe américain mettent en relief que, si la comparaison avec l'architecte est un lieu commun de la philosophie fondationnaliste (1), on peut néanmoins continuer de prendre l'architecte comme modèle du philosophe tout en cessant d'exiger de ce dernier qu'il "pose la première pierre".
(1) Descartes écrivait dans les Réponses aux septièmes objections :
" J’ai déclaré, en plusieurs de mes écrits, que je tâchais partout d’imiter les architectes, qui, pour élever de grands édifices aux lieux où le roc, l’argile et la terre ferme est couverte de sable et de gravier, creusent premièrement de profondes fosses, et rejettent de là non seulement le gravier, mais tout ce qui se trouve appuyé sur lui, ou qui est mêlé et confondu ensemble, afin de poser par après leurs fondements sur le roc et la terre ferme ”

Commentaires

1. Le dimanche 14 septembre 2014, 18:43 par nage le scalp
et pourquoi pas une oeuvre qui ressemblerait à cela :
2. Le dimanche 14 septembre 2014, 20:06 par Philalèthe
Ah oui, ça m'est familier...
Oui, bien sûr ! Sectarisme religieux, capitalisme agressif et audace architecturale font bon ménage... Dit autrement, fondationalisme et fondamentalisme ne s'excluent pas du tout (ils se confondent même dans l'esprit de certains élèves).
Mais face à la photo de l'article que vous m'envoyez, ne faut-il pas se rappeler ces lignes ? 
"Je peux aussi, dans le plus pur style Rousseau, récriminer contre la vanité des Grands qui font servir la sueur du peuple à des choses si superflues (...) mais là n'est pas le problème" 

mercredi 3 septembre 2014

Spinoza et Nozick : pierre et molécule conscientes.

On sait qu'en vue de dénoncer la croyance dans le libre-arbitre, Spinoza invente une expérience de pensée :
" Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, sache et pense qu'elle fait tout l'effort possible pour continuer de se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu'elle n'est consciente que de son effort, et qu'elle n'est pas indifférente, croira être libre et ne persévérer dans son mouvement que par la seule raison qu'elle le désire " (Lettre LVIII à Schuller).
Imaginons que cette pierre garde sa conscience après avoir touché le sol. A supposer que la cause extérieure qui l'a auparavant lancée soit humaine et en plus sache que la pierre est désormais consciente, tout en n'ayant bien sûr rien perdu de son incapacité naturelle à se projeter elle-même en l'air, cette cause la reprendrait-elle pour lui faire subir un autre jet ?
Je suis porté à penser que, sachant que j'ai à faire à un être matériel conscient, j'y regarderais à deux fois avant de le traiter comme une pierre ordinaire. Vient à l'appui de mon inclination l'attitude que nous avons vis-à-vis des animaux, comparée à celle que nous avons par rapport aux végétaux ou aux êtres sans vie.
Aussi ai-je été étonné de lire quelques lignes de Nozick. Elles sont écrites dans le cadre d'une réflexion sur ce qu'est l'importance, plus précisément celle d'une cause, par exemple d'une action. Nozick rejette l'idée que ce puisse être le nombre des effets qui serve de critère pour juger de l'importance de la cause : " When I speak I am moving and changing the position of millions of air molecules, and these effects continue to cascade down in time. Yet that does not by itself guarantee importance to the utterance." ( The examined life, Simon and Schuster, 2006, p. 172). Mais peut-on soutenir que ce qui fait l'importance du fait initial, c'est le nombre non des effets en tant que tels mais des effets en tant que connus ? C'est dans la discussion de cette hypothèse que Nozick reproduit en un sens l'expérience de pensée spinoziste :
" First, imagine that all molecules have some rudimentary form of consciousness."
C'est alors que l'auteur soutient que l'action humaine ne serait pas jugée en fonction de la conscience ou non des entités qu'elle modifie :
" Would that make our utterances important simply because the millions of molecules were aware of their new positions caused by our speaking ? Wouldn't we instead hold those awarenesses weren't so important and so neither was the the event which caused them ?"
L'argument est donc le suivant : il ne suffit pas qu'une cause produise une infinité d'effets dont on a conscience pour qu'elle soit jugée par cela même importante. Mais si je savais que mes paroles produisent une multiplicité de modifications à des entités qui ont conscience de les subir, comment pourrais-je ne pas leur donner de l'importance ? A dire vrai, je n'envisage pas vraiment la même situation que celle imaginée par Nozick . En effet il se demande ce qui se passerait si on apprenait qu'une action, une fois faite et jugée ordinairement insignifiante, est ressentie consciemment par une multitude indéfinie d'entités et il soutient qu'elle resterait une action insignifiante dont l'impact est connu par ce qui l'a subie. Je me place plutôt avant la profération des paroles : si je savais que mes paroles vont faire bouger des entités conscientes, pourrais-je continuer de les voir comme des actions neutres ou ne serais-je pas conduit à tenir compte des intérêts de ces entités conscientes ?

samedi 30 août 2014

Vanité des remèdes stoïcien et épicurien ou scepticisme de rentrée ?

C'est Breuer qui parle (il pense à Anna O.) :
" - Je suis prisonnier de cette obsession : elle ne me dira jamais comment m'échapper d'elle. C'est pourquoi je vous interroge sur votre expérience en la matière, et sur les méthodes que vous avez employées pour vous échapper.
- Mais c'est exactement ce que j'ai essayé de faire la semaine dernière, quand je vous ai demandé de prendre de la hauteur, rétorqua Nietzsche. Une perspective cosmique permet toujours d'atténuer le souffrance et le drame de la vie. Pour peu que vous vous éleviez suffisamment, vous atteindrez des sommets du haut desquels la tragédie cessera d'être tragique.
- Oui, oui, oui..." Breuer était de plus en plus agacé. " Intellectuellement, je sais tout cela. Mais un traitement par l'altitude ne m'apporte aucun soulagement. Pardonnez mon impatience, mais de la connaissance intellectuelle à la connaissance sensible, il y a un abîme, un immense abîme. Souvent, lorsque la nuit je suis dans mon lit, éveillé, effrayé par la mort, je me récite la maxime d'Épicure : " Quand nous sommes, la mort n'est pas là et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas." C'est une vérité éminemment rationnelle, irréfutable. Mais lorsque la peur est plus forte que moi, rien n'y fait et cette phrase ne m'apporte aucun repos. Dans ce cas la philosophie ne suffit plus. Enseigner la philosophie et la pratiquer sont deux choses différentes." (Irving Yalom, Et Nietzsche a pleuré, 1992)

dimanche 24 août 2014

Contribution psychologique à une compréhension des impasses du conflit israélo-palestinien ou comment l'égalité finale n'implique pas l'égalité initiale.

" Part of the process by which people soften their boundaries and move into a we involves repeated expression of the desire to do so, repeated telling each other that they love each other. Their statement often will be tentative, subject to withdrawal if the other does not respond with similar avowals. Holding hands, they walk into the water together, step by step. Their caution may become as great as when two suspicious groups or nations - Israel and the Palestinians might be an example - need to recognize the legitimacy of one other. Neither wants to recognize if the other does not, and it also will not suffice for each to announce that it will recognize if the other ones does also. For each then will have announced a conditional recognition, contingent upon the other's unconditonal recognition. Since neither one has offered this last, they haven't yet gotten started. Neither will it help if each says it will recognize conditional upon the other's conditional recognition : " I'll recognize you if you'll recognize me if I'll recognize you." For here each has given the other a three-part conditional announcement, one which is contingent upon, and goes into operation only when there exists, a two-part conditional announcement from the other party ; so neither one has given the other exactly that will trigger that other's recognition, namely a two-part announcement. So long as they both simmetrically announce conditionals of the same length and complexity, they will not be able to get started. Some asymmetry is needed, then but it need not be that either one begins by offering unconditional recognition. It would be enough for the first to offer the three-part recognition (which is contingent upon the other's simple two-part conditional recognition), and for the second to offer the two-part conditional recognition. The latter triggers the first to recognize outright and this, in turn triggers the second to do the same. Between lovers, it never becomes this complicated explicitly. Neither makes the nested announcement " I will love you if you will love me if I will love you," and if either one did, this would not (to put it mildly) facilitate the formation of a we. Yet the frequency of their saying to each other " I love you ", and their attention to the other's response, may indicate a nesting that is implicit and very deep, as deep as the repeated triggering necessary to overcome caution and produce the actual and unconditional formation of the we." (Robert Nozick, The examined life, Simon and Schuster, 2006, p. 78-79)

Commentaires

1. Le vendredi 29 août 2014, 09:56 par Niklaus Vonderflu
Il me semble qu’il y a une sophisme dans le raisonnement de Nozick.
Il veut exploiter le fait que de (A->B)->A et (A->B) on peut conclure A
Je crois en effet que son argument fonctionne ainsi :
Il conçoit :
(1) « I'll recognize you if you'll recognize me if I'll recognize you. »
que je traduirais par :
(2) « Je te reconnaitrais, si tu me reconnaissais, si je te reconnaissais »
ainsi :
(3) (si je te reconnais, alors tu me reconnais), alors je te reconnais
Du coup, si on a la dissymétrie [différence de complexité] dont il parle on a aussi :
(4) (si je te reconnais, alors tu me reconnais)
de (3) et (4) on déduit
(5) je te reconnais.
et du coup de (5) et (4) on déduit
(6) tu me reconnais.
formidable !
Mais si l’on reprend plus concrètement à partir de (2), en utilisant « Israël » et « Palestine » et en mentionnant des moments d’énonciations présupposés par ces conditionnels, qu’obtient-on ?
Supposons que l’Autorité Palestinienne s’exprime ainsi à 12h :
(2’) « La Palestine reconnaîtrait Israël maintenant, si Israël avait reconnu la Palestine à 11h, si la Palestine avait reconnu israël à 10h. »
Ce que je conçois ainsi :
(3’) (Si la Palestine avait reconnu Israël à 10h, alors Israël aurait reconnu la Palestine a 11h), alors la Palestine reconnaîtrait Israël maintenant.
On a donc besoin pour poursuivre le raisonnement comme tout à l’heure, que l’Etat d’Israël s’exprime ensuite (à 13h) ainsi :
(3’) « si la Palestine avait reconnu Israël à 10h, alors Israël aurait reconnu la Palestine à 11h »
Bien qu’un tel énoncé fasse sens, l’autorité Palestinienne ne serait-elle pas tentée de répondre :
(!) « C’est vrai, mais ça ne s’est pas passé ainsi ! » ?
et d’ajouter ironiquement et logiquement :
(5’) « La Palestine reconnaîtrait Israël sinon…»
Pourquoi l’autorité palestinienne ne peut-elle conclure :
(5’’) « La Palestine reconnaît Israël » ?
Il me semble que c’est par ce qu’on a simplement à faire qu’à des conditionnels et que de conditionnels on ne peut conclure qu’à des conditionnels comme en (5’).
En effet, si les deux énoncés suivants sont vrais (et il me semble qu’il le sont) :
(Si j’avais 3 enfants, alors j’aurais 2 enfants), alors j’aurais 1 enfant.
(Si j’avais 3 enfants, alors j’aurais 2 enfants)
il me semble impossible d’en conclure :
j’ai 1 enfant.
non ?
P.S. Merci pour vos articles, si peu commentés, dont je suis pourtant certain que beaucoup, comme moi, les lisent avec grand intérêt.
2. Le dimanche 14 septembre 2014, 19:23 par Philalèthe
Merci beaucoup pour cette clarification logique et aussi pour les encouragements finaux !

vendredi 22 août 2014

Clarification minuscule concernant la relation de Wittgenstein avec la religion ou que veut dire "avoir la foi" ?

J'ai du mal à caractériser la position de Ludwig Wittgenstein sur la religion. Comme Jacques Bouveresse l'a bien expliqué, si la position de Russell, franchement athée et hostile aux religions historiques, est vite accessible, celle de Wittgenstein se laisse difficilement saisir. Aussi parviens-je plus facilement à déterminer ce qu'elle n'est pas.
Aujourd'hui un texte de Robert Nozick me sert de repoussoir, si on ose parler ainsi. Dans le chapitre intitulé The Nature of God, the Nature of Faith, tiré de son ouvrage, The examined life (1989), Nozick s'efforce de préciser ce qu'est l'accès à Dieu par la foi et non par la tradition ou par la justification prétendument rationnelle. C'est intéressant car Wittgenstein a cherché aussi à décrire ce qu'est une conversion qui ne pourrait pas être justifiée par des raisons (ou historiques, comme la découverte des faits narrés par la Bible ou rationnelles comme la preuve ontologique par exemple). Mais voyons d'abord ce qu'écrit Nozick :
" One might believe in the existence of a deepest reality that is divine, on faith. To say that someone believes something on faith marks the kinds of reasons by which he has come to believe (or continues to do so) ; for instance it is not because of the evidence or because of what he was taught by parents or traditions. Faith's particular route to belief is the following. There is an encounter with something very real - an actual person, a person in a story, a part of nature, a book or work of art, a part of one's being - and this thing has extraordinary qualities that intimate the divine by being forms of qualities that the divine itself would have : these extraordinary qualities touch you deeply, opening your heart so that you feel in contact with a special manifestation of the divine, in that it has some form of divine qualities to a very great extent." (Simon and Schuster, 2006, p. 51)
Nozick trouve la genèse de la foi dans une rencontre d'un certain type (dans un certain jargon, on pourrait dire que quelque chose de transcendant se manifeste dans quelque chose d'immanent). Comme on le voit, l'occasion d'une telle rencontre est très variable : entre autres, Nozick mentionne la lecture d'un livre ou la perception d'un phénomène naturel. Or, il se trouve que Wittgenstein a consacré au moins un texte à la perception de quelque chose de naturel, en l'occurrence des arbres qui penchent (Wittgenstein, on va le voir, envisage aussi " a person in a story"). Le texte qui suit a été écrit vers 1944 en anglais par le philosophe et se trouve dans les Vermischte Bemerkungen :
" A miracle is, as it were, a gesture which God makes. As a man sits quietly and then makes an impressive gesture, God lets the world run on smoothly and then accompanies the words of a saint by a symbolic occurrence, a gesture of nature. It would be an instance if, , when a saint has spoken, the trees around him bowed, as if in reverence. Now, do I believe that this happens ? I don't.
The only way for me to believe in a miracle in this sense would be to be impressed by an occurrence in this particular way. So that I should say e.g. : " It was impossible to see these trees and not to feel that they were responding to the words. " Just as I might say " It is impossible to see the face of this dog and not to see that he is alert and full of attention to what his master is doing". And I can imagine that the mere report of the words and life of a saint can make someone believe the reports that the trees bowed. But I am not so impressed." (Werkausgabe Band 8, Suhrkamp, 1984, p.513)
Je retiens l'idée que Wittgenstein se dit "not so impressed". Or, Nozick décrit la foi comme une réponse à quelque chose, au point qu'il se demande si la foi n'est pas d'abord foi dans la valeur de la réponse que l'on adopte dans la rencontre en question :
" Perhaps the faith involved is a faith in oneself and one's own responses, a faith that one would not be so deeply touched by something in that way unless it was a manifestation of the divine. Thereby one also would have a belief that the divine existed - otherwise it could not manifest itself - but the faith would initially not be a faith in it but a trust in one's own deepest positive responses. To not have the belief then would be to distrust one's very deepest responses and thus involve a significant alienation from oneself."
Si je dois associer la personnalité de Wittgenstein à une des deux expressions suivantes : " trust in one's own deepest responses" et "alienation from oneself", c'est la seconde que je choisirai. Que je me rapporte au premier, au second ou au troisième (?) Wittgenstein, je ne trouve aucune reconnaissance de la valeur gnoséologique possible d'une quelconque impression irrationnelle, aussi profonde qu'elle puisse paraître être au sujet concerné. Il me semble donc que Wittgenstein n'a pas compris la foi sur le modèle d'une sorte de passivité menant à la découverte d'une réalité supérieure (et c'est une des raisons pour lesquelles il est difficile de conceptualiser ce qu'a été la foi dans la pensée du philosophe viennois).
En fait Wittgenstein semble avoir pensé plutôt la foi comme un mouvement vers, une initiative, voire une décision. Un texte de 1947 va au moins clairement dans la direction d'une conception de la foi comme choix d'un système d'orientation :
" Es kommt mir vor, als könne ein religiöser Glaube nur etwas wie das leidenschaftliche Sich-entscheiden für ein Bezugssystem sein. Also obgleich es Glaube ist, doch eine Art des Lebens, oder eine Art das Leben zu beurteilen. Ein leidenschaftliches Ergreifen dieser Auffassung (cette phrase n'apparaît pas dans la traduction française). Und die Instruktion in einem religiösen Glauben müsste also die Darstellung, Beschreibung jenes Bezugssystems sein und zugleich ein in's-Gewissen-reden. Und diese beiden müssten am Schluss bewirken , dass der Instruierte selber, aus eigenem, jenes Bezugssystem leidenschaftlich erfasst. Es wäre, als liesse mich jemand auf der einen Seite meine hoffnunglose Lage sehen, auf der anderen stellete er mir das Rettungswerkzeug dar, bis ich, aus eigenem, oder doch jedenfalls nicht von dem Instruktor an der Hand geführt, auf das zustürzte und es ergriffe." (ibidem p. 540-541)
Ce qui est troublant dans ce texte, c'est qu'il mêle le vocabulaire de la décision, de l'autonomie (sich entscheidenaus eigenem), de la saisie, de la prise (ergreifen) à celui de la passion, de la passivité (leidenschaftlich répété deux fois) zustürzen qu'on traduit par se précipiterfoncer sur unit bien les deux idées contradictoires d'activité et de passivité: dit autrement, il s'agit d'une "décision passionnée", selon la traduction de Gérard Granel ( Remarques mêlées, GF, 2002, p.132).
Il semble en tout cas qu'on est loin d'une découverte du divin à travers le non-divin, sur le modèle de la foi telle que l'analyse Nozick.

jeudi 21 août 2014

Quand Nozick justifie le choix par Platon du soleil pour symboliser dans l'allégorie de la la caverne l'Idée du Bien.Quand Nozick justifie le choix par Platon du soleil pour symboliser dans l'allégorie de la la caverne l'Idée du Bien.

Dans The examined life (1989), Robert Nozick s'interroge sur ce qui pourrait être une preuve incontestable, universelle et permanente de l'existence de Dieu. Il met d'abord en évidence que tout signe à première vue indiscutable de l'existence de Dieu pourrait être interprété comme un artefact technologique sophistiqué :
" Any particular signal announcing God´s existence - writing in the sky, or a big booming voice saying he exists, or more sophisticated tricks even - could have been produced by the technology of advanced beings from another star or galaxy, and later generations would doubt it had happened anyway." (Simon and Schuster, 2006, p.49)
Face à de tels signes, comment être certain de ne pas revivre la situation que Sartre présente dans L'existentialisme est un humanisme (1945) ? :
" Il y avait une folle qui avait des hallucinations : on lui parlait par téléphone et on lui donnait des ordres. Le médecin lui demanda : " Mais qui est-ce qui vous parle ?" Elle répondit : " Il dit que c'est Dieu."" (Nagel, 1970, p.30)
Mais quelles doivent être alors les propriétés d'un signe révélant de manière non équivoque l'existence de Dieu ? C'est en formulant une réponse à ce problème que Nozick aboutit, même s'il ne mentionne pas la convergence, à quelque chose qui semble avoir été pris en compte par Platon dans son invention de l'allégorie de la caverne (La République, livre VII) :
" What then would an effective signal be like ? Understanding the message should not depend upon complicated and convoluted reasoning which is mistaken or faulty. Either people wouldn't figure it out, or they would not trust it if they did. To cope with the fact that anything can be interpreted in various ways, the signal would have to show its meaning naturally and powerfully, without depending on the conventions or artificialities of any language. The signal would have to carry a message unmistakably about God, if about anything ; its meaning should shine forth. So the signal itself would have to be analogous to God ; it would have to exhibit analogues of at least some of God's properties or relationships to people. Having some of the properties it speaks of and itself instancing part of its message, the signal would be a symbol of God. As an object symbolizing God, it would have to command respect - no people traipsing all over it, cutting and analysing it in their laboratories, or coming to dominate it ; best might be for it to be unapproachable. For people who don't yet have the concept of God, it would help if the symbol also gave people the idea, so they then could know what that symbol was a symbol of. A perfect signal should be spectacularly present, impossible to miss. It should capture the attention and be available by various sense modalities ; no one should have to take another's word for it. It should endure permanently or at least as long as people do, yet not constantly be before them, so that they will notice it freshly. No one should have to be an historian to know the message had come. The signal should be a powerful object, playing a central role in people's lives. To match God's being the source of creation or standing in some crucially important relation to it, all life on earth should depend (mediately) on the signal and center about it. It there were some object which was the energy source of all life on earth, one which dominated the sky with his brilliance, whose existence people could not doubt, which couldn't be poked at or treated condescendingly, an object about which people's existence revolved, which poured out a tremendous quantity of energy, only a small fraction of which reached people, an object which people constantly walked under and whose enormous power they sensed, one they even were unable to look at directly yet which did not oppress them but showed how they could coexist with an immensely dazzling power, an object overwhelmingly powerful, warning them and lighting their way, one their daily bodily rhythms depended upon, if this object supplied energy for all life processes upon earth and for the beginning of life as well, if it were dazzingly spectacular and beautiful, if it served to give the very idea of God to some cultures that lacked the concept, if it were immense and also similar to billions of others scattered throughout the universe so that it couldn't have been created by more advanced beings from another galaxy or by any being lesser than the creator of the universe, then that would be a suitable message announcing God's existence.
Of course, I am being somewhat playful here. The Sun does exist, it is about as good a permanent annoucement as one could imagine or devise, yet it has not served to prove God's existence, even though viewing it as a signal does provide a unified explanation of why all of these properties listed happen to be conjoined in one object." (p.49 à 51)
On peut lire ces lignes comme un encouragement à actualiser l'allégorie platonicienne en fonction de nos connaissances en astrophysique (même si l'intention de Nozick est juste de mettre l'hypothèse à l'abri d'une réfutation par aliens interposés) : le prisonnier libéré découvrirait non plus un soleil mais une infinité d'autres (reste que cela pose un nouveau problème : comment l'Un peut-il être symbolisé par le Multiple ?).
On notera aussi que Platon n'a pas lui considéré le soleil comme la meilleure preuve possible de l'existence du Bien. Le soleil n'est pas un indice du Bien comme la fumée l'est du feu ; il n'en est pas plus une icône, comme le portrait d'une personne par rapport à cette personne. Le soleil est juste un élément d'une analogie : par rapport au choses sensibles, il a la même fonction que le Bien par rapport aux Idées. Les choses sensibles n'étant pas de même nature que les choses intelligibles, aucune d'entre elles ne peut mettre sur la piste de Dieu comme la trace matérielle met le détective sur la piste du criminel. Dit autrement, et en termes kantiens, ce qui est dans le temps et dans l'espace ne peut pas montrer, même de manière infiniment allusive, ce qui est pensé comme étant en dehors du temps et de l'espace.
Terminons : ce texte de Nozick, loin d'amener à conclure que Platon a échoué à trouver ce qui dans le sensible serait indubitablement un signe de la réalité de Dieu, engage plutôt à penser que Platon a bel et bien découvert avec le soleil la meilleure manière de symboliser le Bien.