vendredi 18 septembre 2015

Pour être stoïcien, il faut avoir des yeux de lynx (de Béotie)

Dans son Évaluation et contre-pouvoir, portée éthique et politique du jugement de valeur dans le stoïcisme romain (2014), Sandrine Alexandre désigne du nom de procédé de redescription dégradante (p.160) la technique utilisée par Marc-Aurèle en vue de se détourner d'un bien en fait imaginaire mais ayant le mauvais effet de nous détourner d'un bien réel. Ainsi, dans le paragraphe VI 13 des Pensées, l'empereur philosophe redécrit-il un mets à base de poisson, un autre à base de viande, puis un vin réputé, puis, changeant de domaine, il se centre sur un vêtement prestigieux, la robe prétexte. Reste l'acte sexuel :
" Il est le frottement d'un boyau, avec un certain spasme, l'éjaculation d'un peu de morve." (p.159 du livre de Sandrine Alexandre)
Un moine bénédictin, Odon de Cluny, au 10ème siècle a lui aussi utilisé le même procédé à des fins ressemblantes (tourner vers Dieu) - du moins si Johan Huizinga dans Le déclin du Moyen-Âge (Paris, Payot, 1932) a bien raison de lui attribuer les lignes suivantes - :
" La beauté du corps est tout entière dans la peau. En effet, si les hommes, doués, comme les lynx de Béotie, d'intérieure pénétration visuelle, voyaient ce qui est sous la peau, la vue seule des femmes leur serait nauséabonde : cette grâce féminine n'est que saburre, sang, humeur, fiel. Considérez ce qui se cache dans les narines, dans la gorge, dans le ventre : saletés partout... Et nous qui répugnons à toucher, même du bout du doigt, de la vomissure et du fumier, comment pouvons-nous désirer serrer dans nos bras le sac d'excréments lui-même."
Un tel procédé est-il encore utilisé aujourd'hui au service d'une grande cause éthique, religieuse ou philosophique ?
Il semble plutôt qu'on assiste à un mouvement inverse mais en dehors de toute visée morale : ce qui est sous la peau est désormais exposable, non plus seulement utile bien entendu à des fins didactiques mais proposé à l'appréciation esthétique, comme sont constamment offerts au public à des fins divertissantes les mouvements d'entrailles psychiques des uns et des autres, tous désireux de faire connaître leur secrète et chère intériorité.

Commentaires

1. Le lundi 21 septembre 2015, 21:54 par Dual
Il est à noter que la citation de Odon, abbé de Cluny, est interprétée dans une tout autre perspective par Jean Delumeau dans La peur en l'Occident (XIVeme-XVIIIeme siècles) : loin de voir dans cette description un « procédé » destiné à élever l'âme vers sa véritable nourriture ou sa véritable destination, on peut y observer « la peur de la femme qui a dicté à la littérature monastique ces anathèmes périodiquement lancés contre les attraits fallacieux et démoniaques de la complice préférée de Satan. » (Collection Pluriel, p.409). Le « procédé » trahirait en réalité la peur du désir tout en flattant l'illusion de sa maîtrise.
2. Le mardi 22 septembre 2015, 17:51 par Philalèthe
Merci pour cet éclairage. 
Même si Odon de Cluny cède à la peur et n'est pas motivé par le désir de triompher d'une tentation, son discours est à la lettre une redescription dégradante de type stoïcien. Je ne sais pas ce que vaut l' interprétation plutôt nietzschéenne  de Delumeau; mais il se peut en effet que les raisons d'une argumentation ne soient pas les vraies causes d'un jugement (voire d'une conduite) apparemment justifiés par l'argumentation en question. 
Mais je ne voulais pas prendre position sur ce point car je ne suis pas armé pour cela.
Peut-être doit-on associer l'apport de l'historien à la clarification du contexte de découverte : c'est la peur qui ferait apparaître l'argumentation ; mais, dans le cadre du contexte de signification, la référence à la peur est inopportune : le rejet de la femme s'explique par l'identification du répugnant sous l'attirant.
3. Le mardi 22 septembre 2015, 18:56 par Dual
Je dois préciser que la suggestion d'une "illusion de maîtrise" implicitement produite par le procédé de la redescription dégradante ne se trouve pas chez Delumeau, elle n'est qu'une remarque que j'ai risquée dans le commentaire. La tonalité nietzschéenne que vous relevez n'apparaît pas avec évidence chez l'auteur de La peur en Occident. Néanmoins, l'attitude qui consiste à mettre la naissance du désir charnel sur le compte d'une puissance étrangère maléfique (Satan) fait bien partie des manœuvres dénoncées par Nietzsche dans l'Antéchrist : "interprétations erronées des états du nervus sympathicus, etc..." (de mémoire) et autres ruses par lesquelles le candidat à l’ascétisme se défend contre son propre désir en l'imaginant issu d'une cause extérieure ou d'un Tentateur. C'est bien la peur de la damnation qui nourrit le procédé de redescription dégradante.
4. Le mardi 22 septembre 2015, 19:11 par Philalethe
Entendu.
Ce qui m'a conduit à penser à Nietzsche est bien sûr la transformation par la parole d'une faiblesse (peur) en mérite (victoire sur la tentation).
Reste la question centrale du billet : fait-on aujourd'hui usage d'une telle redescription dégradante ? Je ne vois partout que des redescriptions qualifiantes !
5. Le mercredi 23 septembre 2015, 07:13 par Dual
Redescriptions qualifiantes ? Peut-être pensez vous, par exemple, à la glorification actuelle de l'intestin, placé désormais sur un trône qui n'est plus seulement celui auquel on pense ordinairement.
Le ton et le style de cet article fleurent bon le canular, mais il est à craindre que cela n'en soit pas un. Une pensée profonde qui fera date :"Le cerveau chie et l'intestin pense."
6. Le mercredi 23 septembre 2015, 12:38 par Philalèthe
Entre autres mais bien vu !

jeudi 17 septembre 2015

Le stoïcisme aujourd'hui : ou religion ou technique psychologique ?

Dans Les sources du moi (1989), Charles Taylor a raison d'écrire :
" Chez les stoïciens, l'hégémonie de la raison était celle d'une certaine vision du monde selon laquelle tout ce qui arrive procède de la providence divine. Voyant cet ordre du monde, le sage est en mesure d'accepter et de se réjouir de tous les évènements qui surviennent dans cet ordre, et il se guérit ainsi de la fausse opinion que ces évènements importent en tant que satisfactions ou frustrations de ces besoins ou désirs individuels." ( Le Seuil, p.198)
Dans ces conditions, peut-on greffer le stoïcisme sur l'athéisme ?
Plus modestement, est-ce même cohérent de défendre l'éthique stoïcienne dans le cadre d'une conception strictement scientifique de l'univers et donc, au moins, agnostique sur la question de l'existence de la providence ?
J'en doute. En effet soit on réduit le stoïcisme à des recettes psychologiques dépourvues de leur justification métaphysique (et on peut alors faire, entre autres, des initiations au stoïcisme en vue par exemple de réduire les cas de burn-out chez les cadres...), soit on prend ce système au sérieux mais qui peut le faire aujourd'hui sinon un esprit, pour dire vite, religieux ?
Le croyant alors n'avance-t-il pas masqué, sous les traits du stoïcien contemporain ?
Certes le catholique fidèle aux dogmes de l' Eglise ne peut pas reprendre à son compte l'ontologie stoïcienne (ne serait-ce que parce qu'elle est matérialiste...). Pas plus ne peut le faire le juif ou le musulman. Mais il y a une religiosité qui flotte à la dérive des dogmes institutionnels. N'est-ce pas elle qui peut faire revivre le stoïcisme en s'ancrant alors dans des textes présentés désormais comme philosophiques et rationnels ?
Le stoïcisme 2015 ne serait-il quelquefois que l' avatar engageant d'une bien vieille croyance ?

dimanche 13 septembre 2015

Karl Kraus, notre contemporain.

En 1908, dans le numéro 261 de son journal Die Fackel (Le Flambeau), Karl Kraus écrit :
" Kein Atemholen bleibt der Kultur und am Ende liegt eine tote Menschheit neben ihren Werken, die zu erfinden ihr so viel Geist gekostet hat, dass ihr keiner mehr übrig, sie zu nützen.
Wir waren kompliziert genug , die Maschine zu bauen, und wir sind zu primitiv, uns von ihr bedienen zu lassen. Wir treiben eine Weltverkehr auf schmalspurigen Gehirnbahnen."
Son biographe, Edward Timms, traduit ainsi :
" There is no breathing space for culture, and ultimately mankind lies dead beside its works, whose invention has cost so much intelligence that there was none left to put them to use.
We were complicated enough to build the machine and we are too primitive to put it to our service. We are operating a world-wide system of communication on narrow-gauge lines of thought." ( Karl Kraus, apocalyptical satirist, Yale University Press, 1986, p.149)

Commentaires

1. Le dimanche 13 septembre 2015, 19:18 par pale langesc
Gerhirnbahnen , jolie expression: voies cervicales ?
Est ce qu'on ne peut pas énoncer une loi à partir de là : plus les voies de communication sont larges plus les pensées sont étroites et pauvres ?
2. Le dimanche 13 septembre 2015, 19:48 par Philalèthe
Oui, littéralement "des voies cérébrales à traces étroites"...
Si votre loi tient, on peut qui sait ? rajouter alors celle-ci : plus les conséquences négatives des voies larges de communication sont connues, plus de voies étroites sont reconstruites à des fins correctrices.

vendredi 11 septembre 2015

Cosmologie et éthique.

Dans le De ira, Sénèque a écrit :
" Il n'est pas de plus sûr indice de grandeur (d'âme) que le fait qu'il ne puisse rien advenir qui t' irrite. La partie supérieure de l'univers, qui est plus réglée et plus proche des astres, ne se condense pas en nuée, ne s'ébranle pas en tempêtes, ne tourne pas en tourbillon : elle est exempte de tout trouble - c'est en dessous que cela foudroie. De la même façon, une âme sublime, toujours en repos et placée sur une assise sereine, enfonçant en elle-même tout ce qui excite la colère, est mesurée, vénérable, rangée." (III,6, 1, trad. Ilsetraut Hadot).
Dans la lettre 59 à Lucilius, Sénèque soutient identiquement que " l'âme du sage est à l'image de l'univers au-dessus de la lune." (16).
Or, le philosophe ne présente pas ici une simple analogie, consistant à établir entre l'âme du sage et le monde extérieur la même relation qu' entre la partie supra-lunaire et la partie sub-lunaire de l'Univers. En effet le stoïcisme est un système dont les trois domaines (l'éthique, le physique, la logique) sont solidaires et se justifient réciproquement. Or, la physique galiléenne a porté un coup fatal à cette division du Ciel en deux mondes radicalement distincts : les mêmes lois gouvernent l'Univers dans son entier.
Mais Ilsetraut Hadot le dit clairement dans son Sénèque, direction spirituelle et pratique de la philosophie , " le seul critère valable pour le Portique était la vérité, devant laquelle tout passait au second plan. " (p.252, Vrin, 2014).
Donc pas de vie heureuse sans connaissance vraie :
" Ce savoir, la scientia rerum, est absolument indispensable." (p.201).
Certes Sénèque a défendu qu'il faut non seulement connaître la vérité, mais aussi se pénétrer d'elle et s'entraîner à agir conformément à elle. Il a pensé aussi qu'il ne faut pas s'y prendre toujours de la même manière quand on cherche à conduire le disciple vers la sagesse ( de la même manière que le médecin ne donne pas la même traitement à tous ses malades) ; reste que la doctrine stoïcienne qu'il a élaborée doit avoir la fixité et la permanence de la vérité (de même que le savoir médical, s'il est vrai, ne varie pas d'un patient à l'autre) :
" Qu'il s'agisse de Sénèque ou des stoïciens en général, on doit distinguer entre les points de vue thérapeutiques et doctrinaux, et la méconnaissance de cette distinction est l'une des sources principales de tous les contresens herméneutiques." (p.237).
Ilsetraut Hadot est nette sur ce point :
" La philosophie, comme Sénèque la comprenait, réunissait donc donc deux aspects à présent complètement dissociés ; et si j'ai donné à ma thèse allemande le titre " Seneca und die griechisch-römische Tradition der Seelenleitung (Sénèque et la tradition gréco-romaine de la direction des âmes)", je l'ai fait pour souligner un côté essentiel de la philosophie antique, qui était alors presque complètement ignoré. Outre que j'avais bien défini le sens que je donnais à la notion de " direction spirituelle ", je n'avais eu de cesse, tout au long de mon livre, de souligner l'impact de la partie théorique sur la direction spirituelle de Sénèque, fait qui pourtant n'a pas empêché quelques critiques de faire comme si je n'utilisais la notion de " direction spirituelle " que dans un sens moderne restrictif et comme si je négligeais l'importance du facteur théorique pour cet auteur." (p.27)
Mais si la théorie stoïcienne est un bloc logico-éthico-physique, quelle vérité garde son éthique, vu qu'elle est solidaire d'une cosmologie intégralement fausse ?
Ne doit-on pas alors jeter le bébé avec l'eau du bain ?

Commentaires

1. Le vendredi 11 septembre 2015, 23:54 par Elias
Au cas où vous en ignoreriez l'existence je me permets de vous signaler le blog de Massimo Pigliucci consacré au stoïcisme :
2. Le samedi 12 septembre 2015, 08:10 par Philalethe
Merci beaucoup d'attirer mon attention sur un blog dont j''ignorais l'existence.

dimanche 6 septembre 2015

Métamorphose d'une blague juive en une leçon cynique.

Dans la culture yiddisch, Chelm est la ville des idiots.
Parmi d'autres, une blague l'illustre :
" On demandait un jour à un Chelmer :
- Est-ce que des grands hommes sont nés à Chelm ?
- Non, répondit-il, à Chelm ne naissent que de petits enfants."
Me vient alors l'idée d'un dit apocryphe de Diogène :
" On demandait un jour à Diogène :
- Est-ce que des grands hommes sont nés à Athènes ?
- Non, répondit Diogène, à Athènes ne naissent que de petits enfants."

samedi 5 septembre 2015

Allégorie sur la situation de l'enseignement.

" Arrivé à Capo di Bove, devant la célèbre guinguette " Qui non se muore mai ", c'est-à-dire : " Ici on ne meurt jamais ", je me tournai vers le général Cork en montrant l'enseigne, et je criai :
" Ici on ne meurt jamais !
- What ? cria le général Cork en essayant de dominer de sa voix le bruit de ferraille des Sherman et les clameurs joyeuses des G.I.
- Here we never die, cria Jack.
- What ? We never dine ? cria le général Cork.
- Never die ! répéta Jack.
- Why not ? cria le général Cork. I will dine, I'm hungry ! Go on ! Go on !"
Mais devant la tombe de Cecilia Metella je demandai à Jack de s'arrêter un moment, et en me retournant je criai au général Cork que cette tombe était celle d'une des plus nobles matrones de la Rome antique, la tombe de cette Cecilia Metella qui fut parente de Sylla.
" Sylla ? who was this guy ? cria le général Cork.
- Sylla, the Mussolini of the ancient Rome", cria Jack.
Et je perdis au moins dix minutes pour faire comprendre au général Cork que Cecilia Metella - was'nt Mussolini's wife - n'était pas la femme de Mussolini.
Le bruit courut d'une jeep à l'autre, et une foule de G.I. se lança à l'assaut de la tombe de Cecilia Metella, the Mussolini's wife. Enfin nous nous remîmes en route, nous descendîmes vers les Catacombes de Saint-Calixte, nous remontâmes vers Saint-Sébastien, et arrivés devant la petite église du Quo Vadis je criai au général Cork qu'il fallait s'arrêter là, quitte à conquérir Rome les derniers, parce que cette église était celle du Quo Vadis.
"Quo what ?" cria le général Cork.
- The Quo Vadis church ! cria Jack.
- What ? What means Quo Vadis ? cria le général Cork.
- Where are you going ? Où vas-tu ? répondis-je.
- To Rome, of course ! cria le général Cork, où voulez-vous que j'aille ? Je vais à Rome, I'm going to Rome !" (Curzio Malaparte, La peau, 1949, Folio, p.378-379)

mardi 1 septembre 2015

Hitler est-il comme un havane poussant sur un crâne chauve ? Divertissement sur le pouvoir de la raison.

Naples, 1943. Jack, officier américain, et Malaparte discutent :
" "- (...) Vous n'êtes que de grands enfants, Jack. Vous ne pouvez pas comprendre Naples, jamais vous ne comprendrez Naples.
- Je crois, disait Jack, que Naples n'est pas imperméable à la raison. Je suis cartésien, hélas !
- Tu crois peut-être que la raison cartésienne peut t'aider, par exemple, à comprendre Hitler ?
- Pourquoi vraiment Hitler ?
- Parce que Hitler aussi est un élément du mystère de l'Europe, parce que Hitler aussi appartient à cette autre Europe, que la raison cartésienne ne peut pas pénétrer. Crois-tu donc pouvoir expliquer Hitler avec le seul secours de Descartes ?
- Je l'explique parfaitement" répondait Jack.
Alors je lui expliquais ce Witz de Heidelberg, que tous les étudiants des Universités d'Allemagne se transmettent en riant de génération en génération. Au cours d'un congrès de savants allemands à Heidelberg, après une longue discussion tout le monde tomba d'accord pour affirmer qu'on peut expliquer le monde avec le seul secours de la raison. À la fin de la discussion, un vieux professeur, qui jusqu'alors avait gardé le silence, son haut-de-forme enfoncé sur le front, se leva et dit : " Vous qui expliquez tout, sauriez-vous me dire comment, cette nuit, cette chose-là a pu me pousser sur la tête ?" Et, ôtant lentement son chapeau, il montra un cigare, un véritable havane, qui sortait de son crâne chauve.
" Ah ! ah ! c'est merveilleux ! s'écriait Jack en riant, tu veux donc dire que Hitler est un cigare havane ?
- Non, je veux dire que Hitler est comme ce cigare havane." (Curzio Malaparte, La peau,1949, Folio, p.58)

vendredi 14 août 2015

Réflexion sur le féminisme différentialiste.

" Elle comprit (...) que le mot femme, qu'il prononçait avec une emphase particulière, n'était pas pour lui la désignation de l'un des deux sexes de l'espèce humaine, mais représentait une valeur. Toutes les femmes n'étaient pas dignes d'être appelées femmes.
(...) cet impératif restait vivace tout au fond de lui : ne jamais faire de mal à Marie-Claude et respecter la femme en elle.
Cette phrase est curieuse. Il ne se disait pas : respecter Marie-Claude, mais : respecter la femme en Marie-Claude.
Seulement, puisque Marie-Claude était elle-même une femme, quelle est cette autre femme qui se cache en elle et qu'il doit respecter ? Ne serait-ce pas l'idée platonicienne de la femme ?
Non. C'est sa mère. Jamais il ne lui serait venu à l'idée de dire que ce qu'il respectait chez sa mère, c'est la femme. Il adorait sa mère, non pas quelque femme en elle. L'¡dée platonicienne de la femme et sa mère, c'était une seule et même chose." (Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être, 1984)

Commentaires

1. Le mardi 19 novembre 2019, 12:18 par ATIM
l'idée de la femme en Marie Claude serait-t-elle l'humain? j'aime bien cette réflexion.
2. Le mardi 19 novembre 2019, 19:11 par Philalèthe
Si seulement c'était l'humain ! Mais non, ce n'est que Maman !

jeudi 13 août 2015

En Chine, il y a 250 millions de blogueurs.

" L'irrésistible prolifération de la graphomanie parmi les hommes politiques, les chauffeurs de taxi, les parturientes, les amantes, les assassins, les voleurs, les prostituées, les préfets, les médecins et les malades me démontre que tout homme sans exception porte en lui sa virtualité d'écrivain en sorte que toute l'espèce humaine pourrait à bon droit descendre dans la rue et crier : Nous sommes tous des écrivains.
Car chacun souffre à l'idée de disparaître, non entendu et non aperçu, dans un univers indifférent, et de ce fait il veut, pendant qu'il est encore temps, se changer lui-même en son propre univers de mots.
Quand un jour (et cela sera bientôt) tout homme s'éveillera écrivain, le temps sera venu de la surdité et de l'incompréhension universelles." (Milan Kundera, Le livre du rire et de l'oubli, 1978)

mercredi 29 juillet 2015

Exercice spirituel en vue d ' être dans son corps comme un pilote dans son navire.

" Elle avait (...) inventé pour son usage personnel, une méthode originale d ' autopersuasion : elle se répétait que tout être humain reçoit en naissant un corps parmi des millions d ' autres corps prêts à porter, comme si on lui attribuait un logement pareil à des millions d ' autres dans un immense building ; que le corps est donc une chose fortuite et impersonnelle ; rien qu ' un article d ' emprunt et de confection. " ( Milan Kundera, Risibles amours, 1968)

Commentaires

1. Le jeudi 30 juillet 2015, 20:08 par Dual
L'analogie est discutable en ce qu'il n'est pas certain du tout que, pour le pilote, son navire ne soit qu'une chose "fortuite et impersonnelle" ou encore un "article d'emprunt et de confection". Voyagerions-nous à bord avec sérénité si nous avions connaissance qu'il navigue dans cet état d'esprit ?
2. Le mercredi 5 août 2015, 21:01 par Philalethe
Peut-être sommes-nous sereins à bord parce que nous savons que le pilote pourrait conduire aussi bien n'importe quel navire du même type !
3. Le jeudi 6 août 2015, 17:26 par Dual
Mis à part le fait que le rapport du pilote au navire est jugé par Descartes inapproprié pour penser adéquatement la relation de l'âme au corps, Kundera, qui n'y fait d'ailleurs ici aucune référence, demande apparemment à son personnage un pouvoir d'autopersuasion hors du commun, car l'idée d'un "être humain" dont l'identité existerait antérieurement à - et donc indépendamment de - son incarnation est dépourvue de sens (je laisse le mythe d'Er de côté...). En fait, Kundera précise que son personnage (la jeune fille) ne parvient pas à ce détachement tant désiré : « Voilà ce qu'elle se répétait sous toutes les variations possibles, mais sans pouvoir s'inculquer cette façon de sentir. Ce dualisme de l'âme et du corps lui était étranger. Elle se confondait trop avec son corps pour ne pas ressentir celui-ci avec anxiété. »
La suite de l'histoire montre l'échec total de cette méthode d'autopersuasion :  le jeu de l'auto-stop (l'auteur s'amuse-t-il avec le préfixe « auto- » ?)   dont cette jeune fille a d'abord l'initiative tourne très vite pour elle au cauchemar, puisque feignant de devenir pour son jeune amant une parfaite inconnue ou une rencontre de hasard, elle ravive en elle la jalousie de le voir courtiser, puis faire l'amour à une autre femme, celle que précisément elle s'applique à représenter pour lui. C'est d'un autre corps dont il jouit à présent dans une chambre d'hôtel, puisque, par le jeu en question, la jeune fille est dépossédée du sien. Tout cela se termine par les pleurs et des sanglots déchirants pour réclamer piteusement la fin du jeu : « Je suis moi, je suis moi... ».
Cela rappelle par ailleurs le paradoxe du jeu sans fin dans lequel les deux joueurs ont commis l'imprudence de ne pas convenir, AVANT le commencement du jeu, d'un signe sans ambiguïté avertissant l'autre qu'il désire l'interrompre : quand on joue à « faire semblant », et que l'un des deux se lasse du jeu, qu'est-ce qui garantit qu'il ne fait pas semblant de vouloir l'interrompre ? (Voir dans ce sens une scène de Les mains sales de Sartre entre Hugo et Jessica, Troisième tableau, scène I)
4. Le samedi 8 août 2015, 12:10 par Philalèthe
Merci beaucoup de vos remarques qui, compensant ma paresse, donnent aux visiteurs le contexte de la citation !

mardi 28 juillet 2015

Mise en scène.

" Diogène (...) dans ses vives répliques, mettait pour ainsi dire, la morale en comédie." (Martha, Le poème de Lucrèce, Hachette, Paris, 1869)

Commentaires

1. Le vendredi 31 juillet 2015, 12:05 par gelas calpen
Je serais intéressé par un exemple littéraire ou philosophique d'une personne mettant la morale en tragédie. Le moralisateur le fait.
Le père la vertu , la pharisien, le victorien.
Le Tartuffe ?
2. Le samedi 8 août 2015, 12:16 par Philalèthe
Les inventeurs du tramway problem et de toutes les expériences de pensée où la vie des personnages est en jeu ?

vendredi 24 juillet 2015

Diable !

" (...) restez toujours assis, à copier et coller,
Réchauffez les reliefs d'autrui dans un petit ragoût
Et tirez en soufflant de misérables flammes
De votre petit tas de cendres !...
Alors vous aurez l ' admiration des enfants et des singes "

Commentaires

1. Le samedi 25 juillet 2015, 15:58 par Monfeu
N'est-ce pas de la Faustocopie ? (aucun rapport
avec le Tour de France et son histoire ...)
Mais où sont les singes et les enfants ?
2. Le samedi 8 août 2015, 12:52 par Philalethe
Est-ce au Diable que vous devez vos lumières ?
En tout cas c'est à la fois à un singe et à un enfant  que vous devez cette question.

samedi 4 juillet 2015

Descartes et Musil : comment sortir du doute ?

On connaît les lignes que Descartes, au début de la deuxième partie du Discours de la méthode, consacre aux villes qui ont un passé :
" Ainsi ces anciennes cités qui, n'ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues par succession de temps des grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu'un ingénieur trace à sa fantaisie dans une plaine, qu'encore que, considérant leurs édifices chacun à part, on y trouve souvent autant ou plus d'art qu'en ceux des autres, toutefois, à voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit, et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c'est plutôt la fortune que la volonté de quelques hommes usant de raison qui les a ainsi disposés."
Ulrich, lui, est sensible aussi au manque d'unité de sa ville, Vienne. Mais il n'y voit point un défaut de raison, plutôt une série de styles architecturaux. Alors que la comparaison cartésienne engage à réfléchir sur l'histoire de la philosophie, expression de la raison, la réflexion d'Ulrich tourne plutôt l'attention du lecteur vers l'histoire de l'art, précisément celle de l'architecture :
" Une ville comme la nôtre, vieille et belle, avec ce cachet architectural qu'entraînent les changements périodiques de goût, est un vaste témoignage de la capacité d'aimer et de l'incapacité de le faire durablement. La fière succession de ses bâtiments ne dessine pas seulement une grande histoire, mais un perpétuel changement des directions de l'opinion. Considérée sous cet angle, elle est une versatilité pétrifiée qui, tous les quarts de siècle, se vanterait autrement d'avoir raison pour toujours. Son éloquence muette est celle des lèvres mortes. Plus fascinante est sa séduction, plus intense le mouvement aveugle de recul et d'effroi qu'elle doit provoquer au plus profond du plaisir et de la contemplation désintéressée" (L'homme sans qualités, tome 2, p.562)
Malgré les différences entre les deux textes, la suite de la réflexion d'Ulrich, me semble-t-il, a un air de famille avec celle de Descartes dans la première desMéditations métaphysiques. En effet Ulrich, comme Descartes, emprunte le chemin sceptique et s'interroge sur la possibilité d'en sortir. La différence majeure est que l'issue n'est pas associée à une vérité fondamentale et fondatrice mais à un sentiment d'un type différent de tous les autres (le roman est traversé par une réflexion sur la possibilité de deux accès, essentiellement différents, même contradictoires, à la réalité, l'un par la science et le savoir et l'autre, irrationnel, par une expérience affective, Musil explorant de manière identiquement critique à travers la multiplicité de ses personnages ces deux voies antithétiques) :
C'est ridicule et séduisant, m'a répondu Agathe. Ainsi, les queues d'hirondelle de ces flâneurs et les étranges coiffures que les officiers portent comme des pots sur la tête doivent être belles, puisque leurs propriétaires les aiment très résolument, les offrent à l'amour des autres, et que la faveur des femmes leur est acquise ! Nous en avons tiré un jeu. Nous l'avons savouré dans une sorte de dépit joyeux ; à chaque pas, pendant un moment, comme par désobéissance à la vie, nous nous demandions : que veut donc ce rouge sur cette robe, pour être si rouge ? À quoi riment finalement ce bleu, ce jaune et ce blanc sur le col des uniformes ? Pourquoi donc, au nom du ciel, les ombrelles des dames sont-elles rondes et non carrées ? Nous nous sommes demandé à quoi le fronton grec du Parlement, avec ses jambes écartées, voulait en venir : faire le grand écart, comme seuls peuvent le faire une danseuse ou un compas, ou répandre l'idéal classique ? Quand on se replace ainsi dans un état premier d'insensibilité où l'on refuse aux choses les sentiments qu'elles attendent complaisamment, on ruine la fidélité et la foi de l'existence. C'est comme quand on regarde quelqu'un manger muettement sans partager son appétit : on ne remarque bientôt plus que des mouvements masticatoires qui n'apparaissent rien moins qu'enviables."
Dans le cadre d'un jeu apparaît donc l'attitude sceptique de qui, mû par aucun habitus, rivé à aucun goût, ne partage plus l'entrain et l'appétit ordinaires, ne joue au fond plus le jeu. Ulrich expose alors de manière plus didactique cette prise de distance :
" J'appelle cela se fermer à l'opinion de la vie. Pour préciser ma pensée, je commencerai en disant que sans aucun doute, dans la vie, nous cherchons le solide aussi instamment qu'un animal terrestre tombé à l'eau. C'est pourquoi nous surestimons l'importance du savoir, du droit et de la raison non moins que la nécessité de la contrainte et de la violence. Peut-être n'est-ce pas surestimer que je devrais dire ; en tout cas, la plupart des manifestations de notre vie reposent sur l'incertitude de l'esprit. Parmi elles règnent la croyance, la conjecture, la supposition, le pressentiment, le désir, le doute, l'inclination, le commandement, le préjugé, la persuasion, les vues personnelles et toutes les autres formes de la demi-certitude. Comme l'opinion, sur cette échelle, tient à peu près le milieu entre le jugement fondé et le jugement arbitraire, j'adopte son nom pour le tout. Si ce que nous exprimons à l'aide des mots, si grandioses soient-ils, n'est la plupart du temps qu'une opinion, ce que nous exprimons sans leur aide l'est toujours.
Je dirai donc : notre réalité n'est en grande partie, pour autant qu'elle dépend de nous, que l'expression d'une opinion, bien que nous lui imaginions Dieu sait quelle importance. Nous avons beau donner une certaine expression à notre vie dans la pierre des maisons, c'est toujours pour l'amour d'une opinion. Nous pouvons tuer ou nous sacrifier, nous n'agissons que sur la foi d'une conjecture. Je dirais presque que toutes nos passions ne sont que conjectures ; très souvent nous faisons erreur sur leur compte ; il nous arrive d'y céder par simple nostalgie d'une résolution ! Faire quelque chose de sa libre volonté suppose, au fond, que cela n'est possible qu'à l'occasion d'une opinion. Depuis quelque temps, Agathe et moi sommes sensibles à une sorte de mouvement d'esprits au sein du réel. Le moindre détail dans l'expression de ce qui nous entoure nous parle, veut dire quelque chose, proclame qu'il est issu d'une intention tout autre que passagère. Il n'est sans doute qu'une opinion, mais il se présente comme une conviction. Les temps et les siècles se tiennent là debout sur leurs jambes bien plantées, mais une voix derrière eux chuchote : absurdité ! Jamais encore l'heure n'a sonné, le temps n'est venu.
Je paraîtrai peut-être obstiné, mais seule cette remarque me permet de comprendre ce que je vois : cette opposition entre la ferveur pour soi-même qui permet à nos oeuvres, imbues de leur magnificence, de bomber le torse, et cette nuance cachée d'abandon, de délaissement qui apparaît à la première minute, cette opposition s'accorde parfaitement avec l'idée que tout n'est qu'opinion. De là que nous nous découvrons dans une situation singulière. Toute opinion, en effet, présente un double caractère : tant qu'elle est nouvelle, elle rend intolérant à l'égard de toutes les opinions qui la contredisent (quand les ombrelles rouges sont à la mode, les bleues sont impossibles, et c'est un peu la même chose pour nos convictions) ; la seconde caractéristique de l'opinion est d'être abandonnée non moins automatiquement avec le temps, dès qu'elle cesse d'être nouvelle. J'ai dit un jour que la réalité s'abolissait elle-même. On pourrait exprimer la même idée encore autrement : quand l'homme ne manifeste essentiellement que des opinions, il ne se manifeste jamais tout entier ni durablement ; mais, quand il ne peut jamais s'exprimer tout entier, il essaie de toutes les manières possibles, et c'est ainsi qu'il peut avoir une histoire. Il n'en a donc, apparemment, qu'à la suite d'une faiblesse : bien que les historiens, assez naturellement, tiennent le pouvoir de faire l'histoire pour une qualité particulière !"
Ce qui revient à dire que s'il y a une histoire des opinions, en revanche il n'y a pas d'histoire de la vérité. Mais continuons :
" Ulrich semblait s'être écarté un peu du sujet, mais il poursuivait dans la même direction : " Voilà probablement la raison pour laquelle je remarque aujourd'hui ceci : l'histoire se fait, les événements se font, l'art même se fait...par manque de bonheur. Ce manque ne tient pas aux circonstances, en ce sens qu'elles nous empêcheraient d'obtenir le bonheur, mais à notre sentiment. Notre sentiment est le porte-croix de ces deux particularités : il n'en tolère aucun autre à côté de soi, et lui-même ne dure pas. C'est pourquoi tout ce qui lui est lié feint de valoir pour l'éternité ; pourtant, nous avons tous le désir d'abandonner les créations de notre sentiment et de modifier l'opinion qui s'exprime à travers elles. Un sentiment se modifie dès l'instant où il dure : il n'a ni durée, ni identité ; il doit être renouvelé. Non seulement les sentiments sont altérables et inconstants (comme chacun le sait et le dit), mais ils le deviendraient encore dès l'instant où ils ne le seraient pas. Dès qu'ils durent, ils perdent leur authenticité. S'ils veulent tenir, il faut qu'ils renaissent constamment, et même alors ils deviennent autres. Une colère qui tiendrait cinq jours ne serait plus une colère, mais un trouble mental : elle se change en pardon ou en vengeance, et tous les sentiments subissent une évolution analogue.
Notre sentiment cherche dans ce qu'il forme sa consistance, et la trouve toujours pour un temps. Mais Agathe et moi sentons dans ce qui nous entoure l'étrangeté peu rassurante, le rêve d'éclatement des éléments associés, la révocation au sein de l'évocation, le déplacement des murs prétendus solides : nous voyons et nous entendons cela tout d'un coup. Etre situés dans une époque nous semble une aventure, comme si nous étions tombés dans une assemblée douteuse. Nous nous trouvons dans la forêt magique. Et bien que nous n'ayons pas encore fait le tour de notre sentiment, de ce sentiment d'une autre espèce, que nous le connaissions à peine, nous sommes inquiets pour lui et nous aimerions le retenir. Mais comment retient-on un sentiment ? Comment pourrait-on s'attarder au plus haut degré de la béatitude, supposé qu'on puisse y atteindre ? Au fond, c'est la seule question qui nous préoccupe. Nous devinons un sentiment qui échappe à la caducité des autres.Il est devant nous comme une merveilleuse ombre immobile dans le mouvant. Mais pour pouvoir durer, ne devrait-il pas arrêter dans sa route ? J'en arrive à la conclusion que ce ne peut pas être un sentiment dans le même sens que les autres."
Et voici ce qui ressemble à la découverte du cogito par Descartes :
" Ulrich concluait soudain : " J'en reviens ainsi à la question : l'amour est-il un sentiment ? je crois que non. L'amour est une extase. Dieu Lui-même, pour pouvoir aimer durablement le monde, y compris sa part achevée, comme un Dieu artiste, devrait Se trouver perpétuellement en extase. On ne peut le concevoir qu'ainsi..."
La note s'arrêtait là." (ibidem p. 562-566)
Certes on comprend mieux la fin du doute cartésien que celle proposée par Ulrich...

vendredi 3 juillet 2015

L'essence de la guerre (de civilisation ou non).

Le capitaine Prasch debout devant son abri, tout barbouillé de sang, il brandit au-dessus de sa tête un tête empalée sur un bâton. Il parle : " C'est mon premier prisonnier italien, c'est moi qui ai fait ça avec mon propre sabre. Mon premier prisonnier russe, je l'avais fait torturer avant. Mes préférés pour ça, c'est les Tchèques. Je suis natif de Graz. Tous ceux que j'ai rencontrés en Serbie je les ai abattus sur le champ. De mes propres mains, j'en ai tué une vingtaine, parmi eux des civils et des prisonniers, et j'en ai fait fusiller au moins cent cinquante. Tout soldat qui tardait à monter à l'assaut ou qui se planquait pendant un feu roulant, je l'ai abattu moi-même. J'ai toujours frappé au visage mes subordonnés, qui avec ma canne, qui avec mon poing. Toutefois j'ai aussi beaucoup fait pour eux. En Serbie, j'ai violé une jeune Serbe mais ensuite je l'ai abandonnée aux soldats, et le lendemain j'ai fait pendre la fille et sa mère au parapet d'un pont. La corde s'est cassée et la fille, encore vivante, est tombée dans l'eau. J'ai sorti mon revolver et j'ai tiré jusqu'à ce qu'elle coule, morte. J 'ai toujours rempli mon devoir jusqu'au dernier souffle de l'homme et de sa monture. Je fus décoré et promu. J'ai toujours été à mon poste. La guerre exige une solide concentration de toutes les forces. Il ne faut pas perdre courage. Haut les coeurs ! " Il lève plus haut le bâton." (Karl Kraus, Les derniers jours de l'humanité, Acte V, scène 55, 1919, Agone, 2005, p.691-692)

jeudi 2 juillet 2015

Le patient stoïcien.

" Parlant de sa mère à qui il adresse à travers moi des reproches véhéments, un patient, rompu à l'exercice de l'analyse, ajoute : " Bien sûr, c'est la représentation que je m'en fais." Quel meilleur moyen d'atténuer les choses, de se protéger du désir et de la haine dirigés vers un être de chair : "Ce n'est qu'une représentation, toute subjective, n'allez pas croire que j'en sois dupe au point de la confondre avec la réalité." (Jean-Bertrand Pontalis, En marge des jours, 2002)

mercredi 1 juillet 2015

La raison s'interdit de prendre des vacances.

" Il n'est pas exclu que le droit de ne pas se servir de son intellect et de sa raison ou, en tout cas, de s'en servir le moins possible soit en train de se transformer plus ou moins en un droit fondamental et qu'un intellectuel qui serait tenté de le contester explicitement coure le risque d'être soupçonné de faire preuve simplement d'arrogance et de mépris. Ce qui est nouveau n'est évidemment pas le fait que les êtres humains dans certaines circonstances et même de façon générale, se servent fort peu de la faculté dont ils sont en principe le plus fiers, à savoir la raison, c'est plutôt le fait que l'on se sente de moins en moins autorisé à le leur reprocher." (Jacques Bouveresse, Et Satan conduit le bal..." Kraus, Hitler et le nazisme in Karl Kraus, Troisième nuit de Walpurgis, Agone, 2005, p.50)

lundi 29 juin 2015

L'allégorie de la caverne et la révision à la hausse de l'ombre : lecture de Platon par Jean-Bertrand Pontalis.

Dans Traversée des ombres (2003), Jean-Bertrand Pontalis porte le jugement suivant sur l'allégorie de la caverne, présentée par Platon dans La République :
" Et comme elle m'a d'emblée séduit, dès ma classe de philosophie, l'allégorie de la caverne souterraine où les hommes qui y demeurent depuis l'enfance ne voient sur un mur que des ombres d'objets qui sont pour eux la réalité. Je devais être trop platonicien à l'époque ; je n'avais su qu'accompagner, admiratif, la délivrance des prisonniers, leur lente progression de la caverne vers la lumière, de l'ombre vers le soleil, du reflet, de l'image, vers l'idée. J'avais passé outre la souffrance des prisonniers prétendument libérés. Or c'est bien d'un arrachement d'une extrême violence qu'il est question, comme le fut peut-être notre arrachement de la caverne maternelle, comme l'est pour beaucoup l'arrachement brutal de nos rêves au profit, si l'on peut dire, de la seule réalité. Je lis : " Qu'on détache un de ces prisonniers, qu'on le force à se dresser soudain, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière, tous ces mouvements le feront souffrir et l'éblouissement l'empêchera de regarder les objets dont il voyait les ombres tout à l'heure.(...) Si on le forçait à regarder la lumière même, ne crois-tu pas que les yeux lui feraient mal et qu'il se déroberait aux choses qu'il peut regarder ? Et si on le tirait de là par la force, qu'on lui fît gravir la montée rude et escarpée et qu'on ne le lâchât pas avant de l'avoir traîné dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu'il souffrirait et se révolterait d'être ainsi traité ?"
Douleur, révolte face à trop de lumière, à la lumière implacable. Un soleil qui éblouit, un soleil qui tue. Confrontés par force à l'idée pure, sans ombre, des philosophes, ne choisirions-nous pas plutôt de rester, comme les prisonniers, au plus près des ombres ?
Pourquoi instituer en principe absolu la séparation de la lumière et de l'ombre ? Sommes-nous voués à répéter la division originelle : "Dieu sépare la lumière et le noir, Dieu appelle la lumière le jour et nuit le noir" ? Je me refuse à séparer le jour et la nuit. La nuit n'est pas ténèbres et nos jours ne sont pas lumineux. J'ai toujours présent en moi ce titre de Sylvie Germain Le Livre des Nuits. Les plus beaux poèmes, les plus grands romans sont des enfants de la nuit, des enfants du silence aussi. C'est qu'ils transforment nos visions nocturnes en des mots qui ne le leur sont pas infidèles."
Certes, mais de tels mots ne parviennent à ce but que parce qu'ils font la lumière sur les phénomènes obscurs ! Peu importe l'objet de la connaissance, s'il y a connaissance, c'est parce que précisément on voit clairement et précisément la réalité en jeu...
Et puis le soleil platonicien non seulement ne tue pas mais ne brûle même pas. Il éclaire et engendre...
Par ailleurs la psychanalyse existerait-elle si Freud n'avait pas abordé en homme des Lumières des phénomènes mal connus ?
Quant au philosophe, il n'est pas celui qui ignore les ombres ! L'allégorie le met en évidence : il vise à faire voir l'ombre comme ombre, précisément à en acquérir et à en donner une connaissance vraie, lumineuse si possible.
Pour terminer, un seul prisonnier est libéré, ce qui n'est pas sans importance au sens où l'allégorie laisse penser ainsi qu'une personne libérée peut en libérer une autre mais échoue à en libérer plusieurs, et encore plus un grand nombre, comme le prouve la fin du texte où la masse emprisonnée se débarrasse de l'homme seul qui prétend les libérer tous.
En somme est-on jamais trop platonicien ?

dimanche 28 juin 2015

Le stoïcien, le déprimé et le poète.

Dans Frère du précédent (2006), Jean-Bertrand Pontalis mentionne un trait de son adolescence, sa capacité à "métaphoriser", plus clairement à voir dans quelque chose ce qu'en toute rigueur elle n'est pas. Il en décrit quelques manifestations :
" (...) soudain, ce pavé recouvert d'une fine couche de pluie se muait en un visage lumineux de jeune femme ; ce passant anonyme qui pressait le pas pour aller où ? se transformait, sans que je sois pour rien dans cette métamorphose instantanée, en un oiseau prenant son envol ; ces platanes alignés le long du boulevard étaient les colonnes d'un temple, j'étais transporté à Olympie."
Comme on s'y attend, il associe ce regard sur les choses à celui du poète :
" Au fond, ce que je découvrais en identifiant, par exemple un pavé et un visage, un passant et un roseau, c'était le pouvoir de la poésie, c'était la métaphore présente dans la perception que nous avons des choses. Pas seulement dans la perception, pas seulement dans notre regard ; dans les choses elles-mêmes."
L'auteur présente alors deux types de perception opposés à la sienne : celle de "tous ceux qui ont les pieds sur terre" et qu'il associe à son entourage, précisément à sa mère, et celle dont on fait l'expérience dans la dépression. C'est cette dernière qui me retient :
" Beaucoup plus tard, cette incapacité à "métaphoriser", si je puis dire, la réalité, je l'ai retrouvée à l'oeuvre, sur son versant négatif, destructeur, chez les déprimés : une table est une table, elle l'est à jamais, un mur est un mur qui bouche tout l'horizon, un cendrier est un cendrier, sa fonction est de recueillir les cendres."
En somme, pour le déprimé, les choses ne disent plus rien.
Je pense alors à une manière de décrire les choses que les stoïciens ont préconisée, pour en finir avec la séduction qu'elles exercent quand elles disent trop, beaucoup trop. Dans Évaluation et contre-pouvoir, portée éthique du jugement de valeur dans le stoïcisme romain (Millon, 2014), Sandrine Alexandre s'y réfère comme à "un procédé de redescription dégradante" (p.160). Le texte, bien connu, qui exemplifie au mieux ce procédé, est de Marc-Aurèle (je le cite dans la traduction qu'en donne Sandrine Alexandre) :
" On peut se faire une représentation de ce que sont les mets et les autres aliments de ce genre, en se disant : ceci est le cadavre d'un poisson ; cela le cadavre d'un oiseau ou d'un porc ; et encore en disant du Falerne, qu'il est le jus d'un grapillon ; de la robe prétexte qu'elle est du poil de brebis ; de l'accouplement, qu'il est le frottement d'un boyau, avec un certain spasme, l'éjaculation d'un peu de morve." (Pensées, VI, 13)
Qu'est-ce qui distingue ici le stoïcien du déprimé vu par Jean-Bertrand Pontalis ? D'abord, mais entre autres, le philosophe désenchante volontairement la chose car il veut la désarmer et s'en protéger ; ensuite, ne se contentant pas de la tautologie (" ce n'est qu'un poisson, qu'un rapport sexuel etc."), il met en relief le dessous peut-être dégoûtant mais réel des choses.
Ils ont cependant un point commun : à eux on ne la leur fait pas, croient-ils.
Peut-on alors dire qu'un des exercices stoïciens revient à jouer au déprimé, voire à surjouer le rôle, en mettant en relief l'envers moche du désirable ? Le stoïcien en attend la neutralisation des choses, celle-ci devant exclure deux émotions incompatibles avec la sagesse: la jubilation délirante et le désabusement triste.
Quant au poète, s'il refuse de prendre les choses pour ce qu'elles sont, ce n'est pas qu'il est victime d'un délire l'éloignant du réel ; bien plutôt, il sait que, quelquefois, le meilleur moyen de connaître ce qu'elles sont est de faire voir ce qu'elles ont en commun avec d'autres choses qui, pour l'esprit prosaïque et réaliste, pour l'esprit scientifique, et pour le déprimé, chacun des trois ayant ses raisons, ne sont pas elles du tout.
Reste qu' en fin de compte le poète a un point commun avec le stoïcien : les deux savent en effet ce que, quelquefois, on gagne à faire des détours.

Commentaires

1. Le lundi 29 juin 2015, 22:23 par dual
On peut remarquer que cet extrait de Pontalis sur la dépression en dit trop peu sur elle, surtout chez un clinicien qui a une expérience qu'on peut supposer approfondie de cette pathologie. La raison en est sans doute qu'il n'a pas, du moins dans ce contexte, l'ambition d'en faire une description exhaustive. Réglerait-il à cette occasion des comptes avec sa mère ? Laissons à ses confrères le soin
d'en décider ! Il faut en effet ignorer ou oublier la gravité des formes les plus aiguës de cet effondrement mental pour se contenter de dire que, pour le déprimé, « les choses ne disent plus rien » ou, plus exactement, sont réduites à n'être que ce qu'elles sont, dans une sorte de platitude fonctionnelle bornée, sans aucune échappée métaphorique possible qui délivre la perception d'une routine anesthésiante. A moins d'utiliser la locution courante « ça ne me dit rien » comme expression du taedium vitae, pour décliner toute occupation proposée comme diversion, ce qui est aussi métaphorique et loin de la dépression mélancolique sévère.
Par ailleurs, si les choses étaient ainsi laissées à leur neutralité, on ne comprendrait pas comment le déprimé pourrait ressentir la moindre expérience de perception comme un écrasement, une oppression, voire un anéantissement de soi. Comment le ciel pourrait-il « peser comme un couvercle », s'il n'était que le ciel ? On objectera peut-être que c'est là l'image poétique de quelqu'un qui (re)trouve les mots adéquats pour décrire une expérience dont il est sorti et parce qu'il en est sorti. Mais en prononçant ou en écrivant les mots que la dépression lui a auparavant ôtés, il n'a aucunement l'impression de trahir l'expérience qu'ils tentent de décrire après-coup. D'autre part, si l'on se réfère à la description incroyablement précise et poignante que William Styron propose de sa descente aux enfers dans Face aux ténèbres, on jugera éloignée de la réalité la description de la dépression comme « incapacité à métaphoriser ». Il observait sur lui-même que l'intensité de l'angoisse et de la souffrance psychique était telle qu'elle le détournait de la perception même du monde. Le monde se tait parce seule la souffrance parle.
2. Le mercredi 1 juillet 2015, 22:15 par Philalèthe
Merci de vos remarques enrichissantes.
À vrai dire je ne voulais pas explorer ce qu'est la dépression à travers ce billet mais encore une fois me centrer sur ce " retour aux choses mêmes " que pratique le stoïcisme. J'étais porté à le voir comme identification de l'essence des choses mais Sandrine Alexandre me détourne de cette idée avec sa référence à la redescription dégradante. Aussi, sans chercher à savoir si la définition du déprimé est bonne ou non, je l'ai reprise car cet homme que Pontalis appelle le déprimé aurait si on suit Alexandre un point commun avec le stoïcien : un penchant négativiste. Chez lui ce serait maladie alors que le stoïcien en ferait un remède en vue de la santé de l'esprit.
3. Le jeudi 2 juillet 2015, 15:14 par Philalèthe
Dans En marge des jours (2002). Jean-Bertrand Pontalis écrit :
" Les mots du déprimé sont pauvres - il le sait, il en souffre. Ils ne parviennent même pas à dire sa misère, ils ne traduisent pas : ils la reflètent. Rien ne lui dit rien, telle est sa plainte. Plus douloureuse encore que l'impuissance à parler, que son inappétence généralisée, le constat que le monde est tombé comme lui dans le silence, est désespérément muet. Donner la parole aux arbres et aux oiseaux (c'est le plus facile), au vent comme aux pierres (plus difficile), rendre cette parole aérienne au lieu qu'elle reste rivée au sol, c'est à quoi parvient Supervielle-merveille, c'est ce qui me donne confiance dans les pouvoirs fragiles de l'analyse. Le psychanalyste n'est pas un poète, tant s'en faut, mais il arrive que par sa médiation ce que nous appelons à tort  "les choses" ou le "monde extérieur" soient, plus intensément que nous, une parole vivante."
Certes fait défaut ici le stoïcien, le troisième homme étant cette fois le psychanalyste. 
Je me demande cependant si on ne peut pas dire de lui qu'il veut enlever la parole aux choses, elles qui sont si parlantes qu'on tombe sous leur charme. 
Elles deviennent alors les éléments muets d'un décor dans lequel il joue son rôle, en se voyant en même temps au-delà de tout décor, de toute scène. 
C'est lui qui est devenu aérien après avoir rivé tout le reste au sol.
4. Le jeudi 2 juillet 2015, 15:38 par dual
En effet, mes remarques ne reviennent pas à oublier que c'était la question du stoïcisme, à travers l'étude de Sandrine Alexandre déjà évoquée dans des échanges précédents, qui était au centre de votre réflexion. Je voudrais simplement dire au lecteur avisé et enthousiaste de William Styron que vous êtes, si j'en juge par le billet du lundi 19 septembre 2011 (je réagis avec retard, mais nous ne sommes pas dans l'éphémère de l'actualité!), que votre jugement sur Face aux ténèbres était un peu expéditif et injuste en parlant à son propos d’ « œuvre mineure », (vous ajoutiez « parfois un peu pauvre »!). Vous n'en reteniez d'ailleurs que le passage sarcastique sur la thérapie infantilisante par l'art et le portrait en effet fort drôle de la psychologue qui en était chargée pendant l'hospitalisation de Styron. Il se trouve que ce passage se termine tout de même par un mouvement de sympathie à son égard !..
Maintenant quand on tombe sur le passage suivant (que je n'ai pas eu de mal à retrouver après l'allusion à Baudelaire et à son ciel-couvercle) on se dit qu'on n'a pas affaire à une œuvre mineure :
« Par une journée radieuse, alors que je me promenais dans les bois en compagnie de mon chien, un vol d'oies du Canada passa très haut en cacardant au-dessus des arbres qu'embrasaient leur frondaison, un spectacle et une musique qui d'ordinaire m'eussent mis la joie au cœur, le passage des oiseaux me fit m'arrêter net, cloué par la peur et je restais là figé et impuissant, frissonnant, conscient pour la première fois d'avoir été frappé non par de simples angoisses dues au manque, mais par une maladie grave dont j'étais capable, et ce également pour la première fois, de m'avouer le nom et la réalité. En regagnant la maison, je ne parvins pas à chasser de mon esprit la phrase de Baudelaire, exhumée d'un lointain passé, qui depuis plusieurs jours rodait à la lisière de ma conscience : « J'ai senti passé sur moi le vent de l'aile de l'imbécillité ». (Gallimard, 1990, pp.71-72)
Ce qui est aérien, ici, devient un fardeau insoutenable...
Quant au psychanalyste, il se rêve poète, tout en niant l'être, pour donner corps au fantasme de son efficacité supposée. Avec cependant la modestie nécessaire :" ... il arrive que par sa médiation..." Ce "il arrive" en dit long sur la prudence qu'il convient d'observer lorsqu'on évoque ce que l'analyse est capable de faire ou de ne pas faire, notamment dans le cas de pathologies sévères. Mais c'est une autre question...

lundi 15 juin 2015

Iatromathématique.

Dans Le chef-d'oeuvre inconnu(1831), Balzac écrit à propos du peintre Frenhofer :
" Le vieillard était alors en proie à l'un de ces découragements profonds et spontanés dont la cause est, s'il faut en croire les mathématiciens de la médecine, dans une digestion mauvaise, dans le vent, la chaleur, ou quelque empâtement des hypocondres; et, suivant les spiritualistes, dans l'imperfection de notre nature morale."
L'expression "les mathématiciens de la médecine" éveille ma curiosité... Bien sûr, rien sur Internet... Mais, ouf, mon Dictionnaire universel du 19ème siècle (tome neuvième, 1873) vient à mon secours... J'y apprends que Balzac aurait pu aussi bien, mais moins clairement, mentionner les iatromathématiciens, les partisans de la iatromathématique, définie ainsi par Larousse :
" Ancien système de pathologie, dans lequel on essayait d'expliquer par des calculs les phénomènes morbides, en partant de l'hypothèse qu'ils étaient tous les résultats des lois de l'hydraulique et de la mécanique."
Ça me semble donc être l'héritage du mécanisme cartésien et, plus ou moins, l'ancêtre du matérialisme physicaliste.
" Mais laissons là le prétentieux jargon de notre époque, le bonhomme s'était purement et simplement fatigué à parachever son mystérieux tableau."
Retour à la folk psychology !

Commentaires

1. Le mercredi 17 juin 2015, 14:27 par Dual
La langue française propose, bien entendu, pour « folk psychology » « psychologie populaire », mais encore «psychologie naïve». «Psychologie spontanée » serait une traduction qui ne serait pas malvenue non plus. Dans tous les cas, l'extrait de Balzac vise à ce que nous penchions en faveur de cette « naïveté » ou de cette « spontanéité »-là plutôt qu'en faveur de cette pseudo-science verbeuse prisée par tous les Diafoirus de service...
2. Le mercredi 17 juin 2015, 15:32 par Philalèthe
Oui, j'aurais pu écrire "psychologie du sens commun" au lieu de "folk psychology" ; c'est sans doute parce que j'ai mis du temps à  comprendre cette expression en langue anglaise que je suis bêtement fier aujourd'hui de la ressortir !
Mais quel rapport avec "la pseudo-science verbeuse" ? Je ne vois pas là de quoi vous parlez. Tout de même pas de la philosophie de l'esprit, excusez-moi, je veux dire, de la philosophy of mind ?
3. Le mercredi 17 juin 2015, 16:28 par dual
Je parle bien entendu de celle qui est décrite et brocardée dans l'extrait de Balzac qui hérite visiblement du ton railleur de Molière...
Je ne pensais pas un seul instant à la philosophie de l'esprit !..
4. Le mercredi 17 juin 2015, 16:53 par Philalèthe
D'accord !
Reste à voir quelles relations existent entre le prétentieux jargon dénoncé par l'auteur et la philosophie de l'esprit de notre époque. Il peut y avoir aussi des parentés et pas simplement une relation d'opposition.
5. Le mercredi 17 juin 2015, 17:29 par dual
Sachant que Balzac évoque ici un état dépressif ou mélancolique, je ne vois pas en quoi il faudrait se référer à la philosophie de l'esprit et non pas directement au discours psychiatrique, notamment dans sa prétention à la scientificité, au XIXème siècle et au-delà. Il peut toutefois arriver à la philosophie de l'esprit de réfléchir sur les processus mentaux en s'appuyant sur l'étude de leurs manifestations pathologiques. Quant à savoir si c'est un domaine où sévit un jargon prétentieux, je ne m'aventurerai pas à citer des noms !
Sous-entendez vous que tout projet relevant d'un réductionnisme matérialiste de l'esprit est une imposture dans sa prétention à "faire science" (comme on dit) ?
Le "jargon" peut aussi bien s'épanouir dans les thèses anti-matérialistes...
6. Le mercredi 17 juin 2015, 18:20 par Philalèthe
En toute rigueur, la iatro-mathematique semble être une psychiatrie matérialiste et physicaliste,  relevant d ' une conception de l ' esprit réductionniste. Or cette dernière est une des options possibles en philosophie de l ' esprit. 
Quant à la question de la parenté,  elle ne visait pas le jargon, mais la proximité théorique. Y a-t-il ou non rupture épistémologique entre ce que Balzac identifiait comme jargon prétentieux et la neuropsychiatrie contemporaine ?
7. Le mercredi 17 juin 2015, 19:07 par dual
Ce qui donne chez Balzac un caractère comique voire burlesque aux "explications" avancées par les iatromathématiciens, du moins tels qu'il les caricature, est qu'elles invoquent pêle-mêle des causes internes (digestion, "empâtement"... ) et des causes externes (météorologiques) à l'organisme, autrement dit elles n'hésitent pas à faire flèche de tout bois sans se préoccuper de la priorité causale de tel ou tel facteur par rapport à d'autres. Dans la neuropsychiatrie contemporaine, il serait bien surprenant qu'on tombe dans un tel fourre-tout, puisqu'elle fait le pari du rôle déterminant d'un seul type de facteurs (le neurochimique)
du moins dans ses formes les plus réductionnistes.
8. Le samedi 27 juin 2015, 15:15 par Philalethe
Incohérence peut-être mais reste la même ligne matérialiste, qu'on se réfère au vent ou à l'empâtement des hypochondres.