J' ai consacré il y a longtemps plusieurs billets à ce que j'ai appelé la bataille de l'amour, dit autrement le rapport sexuel décrit par Lucrèce au livre IV du Natura rerum. Voici les principaux vers de cette description clinique dans la traduction la plus récente dont je dispose, celle de Jackie Pigeaud, publiée en 2010 dans le volume de la Pléiade consacré aux Épicuriens :
" (...) dans le temps même de la possession,
flotte l'ardeur des amants en d'erratiques incertitudes,
et ils ne savent comment jouir d'abord, par les yeux ou par les mains ?
L'objet de leur désir ils le serrent étroitement, le font souffrir,
impriment souvent leurs dents dans ses lèvres,
qu'ils meurtrissent de baisers, parce que le plaisir n'est pas pur,
et il y a, par-dessous, des aiguillons qui les poussent à faire du mal à l'objet lui-même,
quel qu'il soit, d'où surgissent ces germes de rage.
Mais avec douceur Vénus brise les peines pendant l'amour,
et, caressant, se mêle aux morsures, pour les réfréner, le plaisir.
(...)
ils ne peuvent se rassasier de contempler le corps de l'être aimé en sa présence,
et ne peuvent de leurs mains rien détacher des tendres membres,
errant incertains sur le corps tout entier.
Enfin, membres accolés, quand ils jouissent de cette fleur de jeunesse, quand déjà le corps envisage des joies,
et que Vénus est au point d'ensemencer le champ de la femme,
avides ils clouent son corps, ils joignent leur salive
à la sienne, leur souffle pénètre sa bouche qu'ils pressent de leurs dents ;
en vain, puisqu'ils ne peuvent rien détacher de son corps,
le pénétrer et de leur corps aller jusqu'au tréfonds de son corps.
C'est en effet par moments ce qu'ils semblent vouloir faire et le but de leurs combat,
tant le désir les accroche aux liens de Vénus,
tandis que, par la violence du plaisir, leurs membres fondent et se liquéfient." (pp. 428-429)
flotte l'ardeur des amants en d'erratiques incertitudes,
et ils ne savent comment jouir d'abord, par les yeux ou par les mains ?
L'objet de leur désir ils le serrent étroitement, le font souffrir,
impriment souvent leurs dents dans ses lèvres,
qu'ils meurtrissent de baisers, parce que le plaisir n'est pas pur,
et il y a, par-dessous, des aiguillons qui les poussent à faire du mal à l'objet lui-même,
quel qu'il soit, d'où surgissent ces germes de rage.
Mais avec douceur Vénus brise les peines pendant l'amour,
et, caressant, se mêle aux morsures, pour les réfréner, le plaisir.
(...)
ils ne peuvent se rassasier de contempler le corps de l'être aimé en sa présence,
et ne peuvent de leurs mains rien détacher des tendres membres,
errant incertains sur le corps tout entier.
Enfin, membres accolés, quand ils jouissent de cette fleur de jeunesse, quand déjà le corps envisage des joies,
et que Vénus est au point d'ensemencer le champ de la femme,
avides ils clouent son corps, ils joignent leur salive
à la sienne, leur souffle pénètre sa bouche qu'ils pressent de leurs dents ;
en vain, puisqu'ils ne peuvent rien détacher de son corps,
le pénétrer et de leur corps aller jusqu'au tréfonds de son corps.
C'est en effet par moments ce qu'ils semblent vouloir faire et le but de leurs combat,
tant le désir les accroche aux liens de Vénus,
tandis que, par la violence du plaisir, leurs membres fondent et se liquéfient." (pp. 428-429)
Qu'on ne s'y trompe pas, le pronom personnel "ils" ne renvoient qu'à de jeunes hommes et les souffrances sont les leurs : ce que peut ressentir la femme sur le corps de laquelle ils s'acharnent, Lucrèce n'en dit pas un mot. Certes le poète nous présente une copulation mais pas un couple. Elle, à peine qualifiée, est l'aimée, eux, agresseurs mus par Vénus, sont les amants. Pas de reciprocité, ni dans les sentiments, ni dans les conduites. Mais laissons Lucrèce car c'est encore d'Épictète que je veux traiter aujourd'hui !
En effet on trouve dans les Entretiens (VI,1,143) quelques lignes qu'on peut rapprocher du texte bien connu de Lucrèce. Elles se trouvent à la fin d'un long chapitre consacré à la liberté. Comme le précise l'intertitre placé par l'éditeur, en l'occurrence Robert Muller, Épictète présente "le philosophe à l'école et en dehors de l'école". Plus exactement au lit, c'est du moins la dernière des situations choisies par Épictète pour faire comprendre que ledit philosophe ne manifeste ses compétences philosophiques qu'en situation scolaire, en situation d'examen. En effet au moment de faire l'amour, il est juste humain, trop humain aux yeux du maitre :
En effet on trouve dans les Entretiens (VI,1,143) quelques lignes qu'on peut rapprocher du texte bien connu de Lucrèce. Elles se trouvent à la fin d'un long chapitre consacré à la liberté. Comme le précise l'intertitre placé par l'éditeur, en l'occurrence Robert Muller, Épictète présente "le philosophe à l'école et en dehors de l'école". Plus exactement au lit, c'est du moins la dernière des situations choisies par Épictète pour faire comprendre que ledit philosophe ne manifeste ses compétences philosophiques qu'en situation scolaire, en situation d'examen. En effet au moment de faire l'amour, il est juste humain, trop humain aux yeux du maitre :
" J'aimerais être près d'un de ces philosophes pendant qu'il fait l'amour, pour voir le mal qu'il se donne, les mots qu'il prononce, pour voir s'il se souvient de son nom, des raisonnements qu'il entend, qu'il formule ou qu'il lit."
Manifestement, à la différence de Lucrèce, Épictète n'assiste pas en visionnaire au regard aigu , il se rêve espion plutôt, en vue de confirmer son opinion que la philosophie qu'il enseigne ne change pas les conduites mais seulement les esprits et encore, dans les limites des loisirs scolastiques... Reste que les hommes décrits par les deux philosophes ont un point commun : ils se donnent du mal alors qu'ils ne devraient pas s'en donner. Lucrèce a précisé comment le jeune homme devrait agir pour ne pas se donner de peine et récolter du coït le plaisir seul, sans la douleur qui le rend impur, il lui suffit de faire l'amour sans amour (" ce n'est pas se priver de la jouissance de Vénus que d'éviter l'amour, / mais plutôt en prendre les avantages sans rançon "). Mais comment agir pour faire l'amour stoico more ? Eh bien on ne doit pas compartimenter sa vie mais se rappeler que même au moment de l'oeuvre de chair on ne doit pas se laisser emporter.
Réservé et pudique, le philosophe stöicien participera raisonnablement à la fonction reproductive universelle et providentielle
Réservé et pudique, le philosophe stöicien participera raisonnablement à la fonction reproductive universelle et providentielle
Commentaires
Mais j'imagine que vous avez en tête en écrivant votre remarque quelque chose de précis.
Quant au stalinisme aristotélicien ou à l'aristotélisme stalinien, je ne demande qu'à mieux le connaître, je le devine un peu seulement ; il pourrait s'agir de voir l'État communiste éclairé comme le moyen de développer l'excellence humaine ; à vrai dire, à mes yeux, Staline parasite le projet mais vous devez le voir autrement que moi...
Quant à votre derniere question, je n'en vois pas le sens dans le contexte. Qui donc privilégie la tragédie à la comédie ? Je ne vois pas non plus en quoi il y a absurdité dans le comique de Molière. Mais je ne demande qu'à comprendre.
Sur le deuxième point, je ne peux que vous féliciter d'avoir eu cette interprétation en forme de chiasme au demeurant forte intéressante. Pour autant, elle est erronée puisque j'ai été trop sibyllin (e). La puissance de l'Etat, dans mon esprit, ne s'est jamais réduite à l'Etat communiste, fut-il éclairé. Staline de son côté n'est qu'un avatar tragique de l'ultra matérialisme confinant à la plus grande débilité. Mais vous m'entraînez vers d'autres horizons où les questions théoriques fondamentales des théories de l'Etat, sinon même du droit mériteraient de nombreuses discussions qui là, nous éloignent de Molière.
J'en viens donc au troisième point. Molière excellait dans l'art de la connaissance de la nature humaine. Il moquait dans ses pièces certains défauts et tournait ce qui était tragique en comédie. La moquerie est souvent ressentie comme une tragédie pour celui qui en est victime. Pourtant, se moquer avec les autres de son propre ridicule, atténue grandement le tragique de la situation, si tragédie il y a.
Ce qu'ils discernent de caché sous des mots dont le sens est changé
Et considèrent comme vrai ce qui peut agréablement toucher
Leurs oreilles et qui est paré d'une sonorité agréable."
Qui sont creux que chez ceux qui recherchent sérieusement des vérités."