samedi 22 juin 2019

Les mauvais frottements.

" Alors les individus désoeuvrés et tournés vers le dehors se poussent, se bousculent, se frottent les uns aux autres, car aucune intime pudeur ne les tient à distance respectueuse les uns des autres ; tout n'est que remue-ménage et remous parfaitement stériles. L'on ne possède rien, ni individuellement, ni en commun : et l'on se monte la tête et se prend de querelle. Ce ne sont pas alors les couplets entraînants et les joyeux festins qui réunissent les amis (...). Non, mais les commérages, les rumeurs, la vaine présomption et la jalousie indolente sont le fade succédané de tout cela." (Kierkegaard, Un compte-rendu littéraire, Oeuvres complètes, VIII, p. 204)

vendredi 21 juin 2019

Greguería n° 72

" El escritor es un ser al que le han sentenciado a escribir cien millones de veces la frase "Quiero superarme", "Quiero superarme", "Quiero superarme"..."
" L'écrivain est un être qu'on a condamné à écrire des centaines de millions de fois la phrase " Je veux me dépasser ", " Je veux me dépasser ", " Je veux me dépasser "..."

jeudi 20 juin 2019

Greguería n° 71

" Los húsares van vestidos de radiografía."
" Les hussards portent une radiographie pour vêtement."

mercredi 19 juin 2019

Greguería n° 70


" Parece mentira, pero aquel hombre horrible tenía cara de pensamiento."
" Ça paraît incroyable, mais cet homme horrible ressemblait à une pensée."

Commentaires

1. Le jeudi 20 juin 2019, 17:00 par gerardgrig
Est-ce Einstein que Ramón caricature, avec une insolence de potache ? Il imaginait bien le Cid avec des nœuds dans la barbe. En réalité, Ramón ne nous fera pas le coup de la beauté intérieure. Il serait prêt à dire que c'est ce que les gens moches ont inventé pour se reproduire. Il préfère trouver de la beauté à la laideur, pour mieux la supporter, en suivant la méthode stoïcienne. Ici, il évoque la sympathie mystérieuse qui existe entre les formes de la nature, notamment dans le règne végétal, et l'imaginaire de la figure humaine. La pensée est la violette, qui a une riche histoire mythologique. Elle signifie le souvenir des morts dans les cimetières. On a une pensée pour eux. Ramón fait un jeu de mots, s'il s'agit de reconnaître le génie du grand homme.
2. Le lundi 24 juin 2019, 00:07 par gerardgrig
En réalité, la pensée et la violette sont des espèces voisines du genre "Viola". La pensée est la violette avec le sourire en plus, à cause de ses pétales latéraux orientés vers le haut. Elle peut comporter des dessins de visages. Ici, l'illustration de la gregueria ressemble à un test de Rorschach que nous propose la nature. Que voyons-nous dans les taches de la pensée ? On dirait un génie hirsute de la fin du XIXeme siècle. Ou est-ce un quidam doté d'une gueule d'enfer, que Ramón a croqué par hasard à la terrasse d'un café, pour le ranger dans un cabinet de curiosités botaniques ? Ramón fait-il ou non un "dessin à clé" ? Dans la nature, à quoi servent ces taches en forme de visages, dont l'utilité semble bien moins évidente que le dessin d'une guêpe sur l'orchidée ? Y a-t-il un langage des fleurs que validerait l'étymologie populaire ? La violette est étymologiquement la fleur d'Io. Elle a été christianisée en herbe de la Trinité, car selon le peuple la nature a le langage de Dieu. Étymologiquement, la pensée est plutôt neutre. Elle est là pour nous rappeler quelqu'un, ce que suggèrent ses formes vagues de visages.
3. Le jeudi 27 juin 2019, 11:56 par Philalethe
" La pensée est la violette avec le sourire en plus "
C'est une greguería !
4. Le vendredi 28 juin 2019, 00:41 par gerardgrig
La paréidolie visuelle est une illusion d'optique qui nous fait trouver des formes humaines dans la nature. On voit des dessins de visages dans des pensées. Dans cette gregueria, Ramón dit l'inverse. C'est le visage qui ressemble à la fleur. Cela s'apparente à la caricature qui appuie sur la ressemblance d'un visage avec un fruit ou un légume, pour faire ressortir la bêtise du modèle. Mais ici, Ramón obtient un résultat opposé. La ressemblance du visage horrible avec la pensée semble lui donner une certaine beauté paradoxale.

mardi 18 juin 2019

Greguería n° 69

" La lluvia que vemos caer por los cristales son nuestras propias lágrimas magnificadas."
" La pluie que nous voyons tomber à travers les vitres, c'est nos propres larmes magnifiées."
Ajout du 14/08/19 :
Ramón a supprimé cette greguería de l'ultime édition de 1962. Mais celle qui la remplace ne me plaît guère : " Il ne faut pas se moucher dans le mouchoir des soirées d'adieux." (" No hay que sonarse en le pañuelo de las despedidas.").

Commentaires

1. Le dimanche 4 août 2019, 12:47 par gerardgrig
Comme tout avant-gardiste, Ramón rejetait l'affectif pur. L' émotion ne pouvait qu'être magnifiée par la littérature.

lundi 17 juin 2019

Greguería n° 68

" El arco del violin cose como aguja con hilo notas y almas, almas y notas."
" Comme l'aiguille avec le fil, l'archet du violon coud les notes aux âmes et les âmes aux notes."

Commentaires

1. Le lundi 17 juin 2019, 17:46 par gerardgrig
Chez Ramón, il y a une sorte de misérabilisme universel, avec un choix de termes familiers qui y ramènent toujours, et qui entrent dans des oxymores. Autant que la métaphore humoristique, c'est l'oxymore burlesque qui caractérise la gregueria. C'est le cas avec le poétique manteau du ciel de la gregueria 66, qui a laissé des "effiloches" sur les branches du saule, ce qui casse la poésie traditionnelle en introduisant une focalisation sur le déchet. Dans le jeûne en caleçon de la gregueria 61, il y a le soin suprême du corps, de l'esprit et de l'âme, si ce n'est pas de l'ironie pour nous faire tomber de haut, car il est associé à l'intimité souvent risible du dessous masculin. Ou bien le "roseau pensant" pascalien de la gregueria 64, qui prend l'aspect du porte-manteau de l'écrivain bohème du Café Pombo, qui cherche à ressembler à tout le monde. On notera la désynchronisation entre l'image, qui ne comporte pas de manteaux pour mieux laisser voir le support, et le texte de la gregueria. Dans la gregueria 68, l'aiguille et le fil du ravaudage sont associés à une esthétique musicale idéaliste. Auparavant, dans la gregueria 67, avec le cygne mélange d'ange et de serpent, Ramón faisait descendre les "Métamorphoses" d'Ovide dans le bassin du jardin public.
2. Le jeudi 27 juin 2019, 11:58 par Philalethe
Je crois que vous caractérisez bien une des veines de la mine ramonienne.

dimanche 16 juin 2019

Greguería n° 67

" En el cisne se unen el ángel y la serpiente."
" Dans le cygne s'unissent l'ange et le serpent."

samedi 15 juin 2019

Greguería n° 66

" En los sauces están los flecos del manto del cielo."
" Sur les saules il y a les effiloches du manteau du ciel."

vendredi 14 juin 2019

Greguería n° 65

" En la mano tenemos a la mano el recuerdo de los saurios primitivos."
" Avec la main nous avons sous la main le souvenir des sauriens primitifs."

jeudi 13 juin 2019

L'homme-araignée ou le malheur de l'extension de la toile.

Je dois à la lecture du très instructif livre de Claude Romano Être soi-même. Une autre histoire de la philosophie (Folio-Essais, 2019) ces quelques lignes de Jean-Jacques Rousseau, tirées de la sixième Lettre morale :
" Quand je vois chacun de nous sans cesse occupé de l'opinion publique étendre pour ainsi dire son existence tout autour de lui sans en réserver presque rien dans son propre coeur, je crois voir un petit insecte former de sa substance une grande toile par laquelle seule il paraît sensible tandis qu'on le croirait mort dans son trou. La vanité de l'homme est la toile d'araignée qu'il tend sur ce qui l'entoure. L'une est plus solide que l'autre, le moindre fil qu'on touche met l'insecte en mouvement, et si d'un doigt on la déchire il achève de s'épuiser plutôt que de ne pas la refaire à 'instant."
En permettant d'étendre notre toile au point de vibrer à des chocs infinitésimaux venus quelquefois de contrées lointaines et très étrangères, la technique nous fait frissonner ou sursauter, voire même trembler.
Malheureusement je ne partage pas la confiance de Rousseau dans la valeur de l'alternative qu'il propose, c'est-à-dire le repli sur le Moi...
Au fait la langue espagnole offre un joli verbe pour décrire ce retour à soi : ensimismarse. Je ne trouve ni en français, ni en anglais, ni en allemand un mot étymologiquement identique. Le néologisme le plus fidèle serait " s'ensoimêmer " !
À défaut de pouvoir " redevenir nous ", de pouvoir " nous concentrer en nous ", comme le demande Rousseau dans cette même lettre, il est peut-être sage de savoir contrôler l'ampleur, comme la position, de notre inévitable toile.

Commentaires

1. Le dimanche 4 août 2019, 13:11 par gerardgrig
Qu'aurait dit Ramón d'Internet ? Il aurait peut-être parlé de l'homme-araignée et de l'extension de la toile. Ou bien il aurait approuvé la théorie du copier-coller hypernumérique de Kenneth Goldsmith. C'est un peu ce qu'il faisait avec son trésor de citations. Néanmoins il n'aurait peut-être pas manqué le paradoxe moral induit par les réseaux sociaux. En effet, c'est l'amour-propre qui nous sauve des manipulations robotiques à base d'algorithme de nos préférences. Sur les réseaux sociaux, quand on me suggère de faire quelque chose dont j'ai très envie, je ne le fais pas, par réaction d'orgueil épidermique, car je ne veux pas que quiconque dirige ma vie.
2. Le lundi 5 août 2019, 09:04 par Philalèthe
Si tous les amours-propres étaient aussi peu grégaires que le vôtre...