mercredi 20 novembre 2019

Greguería n° 211

" Cuidado con lo que se hace al entrar en una floresta virgen, porque madre Naturaleza es la suegra."
" Attention à ce qu'on fait quand on entre dans une forêt vierge, parce que madame la Nature est la belle-mère."

mardi 19 novembre 2019

Greguería n° 210

" Gastrónomo es el astrónomo que usa el tenedor en vez del telescopio."
" Le gastronome est un astronome qui utilise une fourchette à la place du télescope."

lundi 18 novembre 2019

Greguería n° 209

" Hay una manera de poner la mano sobre el volante del automóvil como si se descansase del dominio del mundo y se tuviera la displicencia de haber alcanzado su término, su saciedad."
" Il y a une manière de mettre la main sur le volant de la voiture qui fait croire qu'on se repose d' avoir conquis le monde et qu'on prend avec indifférence le fait d'avoir atteint son but, d' être assouvi."

dimanche 17 novembre 2019

Greguería n° 208

" Soy un conocedor de los etcéteras y sé cuando no hay nada detrás de alguno."
" Je suis un connaisseur des et cetera et je sais quand derrière certains il n'y a rien."

samedi 16 novembre 2019

Greguería n° 207

" Enterramos al perro, pero el ladrido quedó en otro perro que ladraba a lo lejos."
" Nous enterrâmes le chien, mais son aboiement resta dans un autre chien qui aboyait au loin."

Le spiritualiste déçu, peut-être sur le chemin du matérialiste.

" La plupart des marmots veulent surtout voir l'âme, les uns au bout de quelque temps d'exercice, les autres tout de suite. C'est la plus ou moins rapide invasion de ce désir qui fait la plus ou moins grande longévité du joujou. Je ne me sens pas le courage de blâmer cette manie enfantine : c'est une première tendance métaphysique. Quand ce désir s'est fiché dans la moelle cérébrale de l'enfant, il remplit ses doigts et ses ongles d'une agilité et d'une force singulières, L'enfant tourne, retourne son joujou, il le gratte, il le secoue, le cogne contre les murs, le jette par terre. De temps en temps, il lui fait recommencer ses mouvements mécaniques, quelquefois en sens inverse. La vie merveilleuse s'arrête. L'enfant, comme le peuple qui assiège les Tuileries, fait un suprême effort ; enfin il l'entrouvre, il est le plus fort. Mais où est l'âme ? C'est ici que commencent l'hébétement et la tristesse." (Baudelaire, Morale du joujou, 1853, Oeuvres complètes, Gallimard, La Pléiade, 1975, p. 587)

Commentaires

1. Le samedi 16 novembre 2019, 15:11 par Arnaud
Ne pensez-vous pas que cette "tendance métaphysique" qui anime l'enfant, lorsqu'il agite, malmène, voire éventre son joujou, n'est pas déjà d'inspiration matérialiste ? Ce n'est peut-être rien d'autre chez lui que la recherche d'un éventuel mécanisme interne, y compris dans un joujou inanimé, susceptible d'engendrer la vie qu'il lui prête dans ses jeux...
2. Le samedi 16 novembre 2019, 16:08 par Philalèthe
Pourquoi pas ? Ce matérialiste en herbe ferait alors une erreur de catégorie, comme qui, ayant visité chacune des Facultés, est déçu de ne pas avoir découvert l'Université.
3. Le samedi 16 novembre 2019, 17:37 par Arnaud
Souvenir ému et émouvant de Ryle !
Mais il est surtout déçu de découvrir qu'il n'y a rien à découvrir : rien à l'intérieur qui soit foncièrement différent de l'extérieur, de quoi se convertir au ... behaviorisme !
4. Le samedi 16 novembre 2019, 17:41 par Philalèthe
Logique !

vendredi 15 novembre 2019

Greguería n° 206

" La felicidad consiste en ser un desgraciado que se cree feliz."
" Le bonheur consiste à être un malheureux qui se croit heureux."

Une rime bien déraisonnable ?

Relisant Le vampire de Baudelaire, je m'aperçois d'une étrange anomalie :
" (...)
— Infâme à qui je suis lié
Comme le forçat à la chaîne.
Comme au jeu le joueur têtu,
Comme à la bouteille l’ivrogne,
Comme aux vermines la charogne,
— Maudite, maudite sois-tu !"
En toute logique, le poète aurait dû écrire " comme à la charogne les vermines ". Mais les contraintes de la rime l'ont emporté sur les exigences de la raison ! D'ailleurs ce n'est qu'à la rime que pense Antoine Adam dans sa belle édition des Fleurs du mal :
" On notera la disposition des rimes, embrassées dans ce quatrain,alors qu'elles étaient croisées dans les deux premières strophes." (Classiques Garnier, 1959, p. 314). Rien non plus dans l'édition de la Pléiade.
En tout cas, de cette irrégularité naît l'image rare d'un cadavre addict aux vers, telle une bouteille à la recherche désespérée de qui la boira.

Commentaires

1. Le vendredi 15 novembre 2019, 17:34 par sok
Il me semble qu'il n'y a rien d'illogique dans ces vers, que l'analogie est simple : la vermine ronge la charogne de la même manière que la bouteille ronge l'ivrogne, ou que le jeu ronge le joueur têtu.
D'ailleurs, si la rime avait été un problème pour Baudelaire, il lui restait la possibilité d'une simple permutation syntaxique : "comme la charogne aux vermines".
Est-ce que je rate quelque chose ?
2. Le vendredi 15 novembre 2019, 17:55 par Philalèthe
Si on fait entrer en jeu l' imaginaire ronger, on crée un nouveau poème. 
Moi, je suis parti de la relation exprimée par ce qui est dit : être lié à. Le poète est lié à la femme qui le vampirise comme le forçat est lié à la chaîne, le joueur au jeu, l'ivrogne à la bouteille et... la vermine à la charogne et non la charogne à la vermine. À part le forçat qui est contraint physiquement, poète, joueur, ivrogne sont dépendants par le plaisir qu'ils prennent à l'objet de leur passion. Il y a un sujet dépendant, humain ou non, et un objet, vivant ou non, dont il dépend. Or la formule baudelairienne fait dépendre bizarrement la charogne de la vermine, comme si la charogne pouvait avoir la passion de la vermine.
3. Le vendredi 15 novembre 2019, 22:21 par sok
Je me trompe peut-être, mais je ne suis pas convaincu. Le forçat est lié à la chaîne, cela veut simplement dire qu'il ne peut s'en défaire. Le joueur ne peut se défaire du jeu, l'ivrogne ne peut se défaire de la bouteille, la charogne ne peut se défaire de la vermine.
Avant la bouteille et le jeu, pas vraiment de relation de dépendance, d'ailleurs ; plutôt une relation entre un vainqueur envahissant et un humilié plaintif. Le vainqueur : la vermine, la bouteille, le jeu, la chaîne, tu ; l'humilié : la charogne, l'ivrogne, le joueur, le forçat, je.
Après, si on garde votre hypothèse et qu'il s'agit d'une relation de dépendance, Baudelaire n'aurait eu pas vraiment eu un problème de rime, car il pouvait bien inverser l'ordre syntaxique... mais il aurait eu un problème de mètre... qu'il aurait pu résoudre par un pluriel : "comme les vermines aux charognes".
4. Le vendredi 15 novembre 2019, 23:20 par gerardgrig
Quel est l'ingénieur littéraire qui a dit que le fond, c'est la forme ? Boileau recommandait de ne pas laisser filer la rime, parce qu'ensuite le sens court derrière elle. Baudelaire, poète rompu aux recettes de l'ingénierie littéraire, utilise la contrainte de la rime pour faire une inversion hardie, qui nous plonge dans un abîme de perplexité sémantique, avant l'imprécation de la "punchline" mortelle de la strophe, qui "achève" le lecteur.
5. Le samedi 16 novembre 2019, 13:42 par Philalèthe
En somme, ca fait partie de la raison poétique de ne pas toujours suivre la raison logique.
6. Le dimanche 17 novembre 2019, 09:16 par Arnaud
"... There is a sense in which paradox is the language appropriate and inevitable to poetry."
Cleanth Brooks, The Language of Paradox, 1956.
http://seas3.elte.hu/coursematerial...
A coup sûr, Oscar Wilde (et d'autres) adhérai(en)t à cette perspective...
7. Le dimanche 17 novembre 2019, 10:22 par Philalèthe
Certes, mais c'est ici un paradoxe singulièrement dissimulé.

jeudi 14 novembre 2019

Greguería n° 205

" Hay cosas con tapadera y cosas sin tapadera : el amor tiene tapadera y el azucarero también:"
" Il y a des choses avec couvercle et des choses sans couvercle : l'amour a un couvercle et le sucrier aussi."

Des différentes manières de voir la chose qu'il y a en-dessous.

À F..., pour ses efforts de résistance !
Il y a peu je réfléchissais sur un certain type de tante, celle qui éclaire sa nièce relativement aux choses de l'amour en vue de lui permettre de ne plus être dominée mais dominante. La tante en question ouvre les yeux de sa parente sur la matérialité des choses, comme le stoïcien le fait mais pas dans le même but. C'est en effet la liberté de l'esprit que le philosophe du Portique vise.
La tante que je présente aujourd'hui est un autre type de tante démystificatrice : vieille fille, elle cherche par la révision à la baisse de l'acte sexuel à ouvrir les yeux pour dégoûter sa nièce. La description n'est plus alors neutre moralement, elle disqualifie ce qu'elle pense être surqualifié.
Cette tante, c'est Jules Romains qui la présente dans le troisième tome des Hommes de bonne volonté : Les amours enfantines (1932) :
" (...) Toi, est-ce que tu as jamais eu l'occasion de voir ça de près ?
- Quoi, ma tante ?
- Eh bien ! Les façons des animaux entre eux, des chiens spécialement, les mâles avec les femelles, et tout ce qui s'ensuit. Pourquoi rougis-tu comme une sotte ? Est-ce que tu t'imagines qu'une fille de la campagne ne connaît pas ces affaires-là dans le détail, et rougit quand on en parle devant elle ; et qu'elle en est moins bonne chrétienne, ou moins honnête pour ça ? Au contraire, je prétends, au contraire.
- Elle sembla méditer, puis reprit :
- Le vrai péché, c'est d'idéaliser tout ça. Alors... l'imagination s'excite. Et on se figure que parce qu'on emploie de grands mots, la chose qu'il y a en dessous change de nature. Peuh ! il vaudrait bien mieux avouer franchement que chez les chiens ou chez nous c'est tout à fait pareil. Rien ne m'horripile plus que les tirades sur l'amour." Elle faisait vibrer ironiquement l'l et l'm. " Aujourd'hui, tout de même, on n'ose plus raconter aux filles de ton âge (Jeanne de Saint-Papoul a 19 ans) que le mariage, ça consiste à se bécoter dans un wagon, et à chercher un appartement. Je n'ai pas craint avec toi de mettre quelquefois les points sur les i. Mais je ne suis pourtant pas bien sûre que, toutes jeunes filles modernes que vous vous croyiez, vous vous rendiez compte de ce que c'est au fond, hé oui ! cette fameuse affaire autour de laquelle on tourne tout le temps, pour soi-disant vous en réserver la surprise."
(...) Mademoiselle Bernardine se pencha vers Jeanne, prit l'air de quelqu'un qui va confier le suprême secret ; puis, à mi-voix, en surveillant les portes :
- Hé bien ! tu sais déjà, n'est-ce pas, que l'homme et la femme font quelque chose ensemble ? Ou plutôt que c'est l'homme qui fait quelque chose à la femme . Tu sais de quels organes il s'agit, n'est-ce pas ? Donc il ne t'est pas bien difficile de deviner exactement la vraie nature de l'acte... Ce que l'homme fait à la femme, tu me comprends..." elle parla presque à l'oreille, " ce qu'il fait dans la femme, c'est une ordure. (Les hommes de bonne volonté, Flammarion, volume I, 1954, pp. 383-384)
Bernardine de Saint-Papoul n'est pas plus stoïcienne que la tante imaginée par Maupassant dans la nouvelle à laquelle je faisais plus haut référence. Mais, alors que cette dernière visait par son éclairage matérialiste et nouveau du baiser, à en donner la maîtrise à sa nièce, la tante créée par Jules Romains ne prétend que transmettre à la femme dominée une conscience lucide de la domination.

Commentaires

1. Le jeudi 14 novembre 2019, 19:58 par gerardgrig
À vrai dire, cette tante-là est le modèle de la célibataire d'autrefois, celui de la vieille fille, comme il y avait celui du vieux garçon. Elle aurait plutôt tendance à tenter de convertir sa nièce à son mode de vie, pour peupler sa solitude, en la dégoûtant de l'amour physique. Mais encore faudra-t-il que la nièce ait le courage de dire non au curé, quand son prince charmant la conduira devant l'autel. On pourrait se demander si la tante n'essaierait pas aussi de se dégoûter elle-même, parce qu'elle aurait encore des tentations, à cause du démon de midi.
La tante un peu folle du "Baiser" inaugurait la naissance de la Belle Époque. C'était la fin de l'Ordre moral, avec le retour des républicains au pouvoir. Cette tante incarnait la licence des mœurs du Second Empire. Elle était aussi un peu féministe. Elle était étrangère au débat du baiser sur la bouche qui divisait l'opinion d'alors. Avec Maupassant, on avait un cours de relativisme culturel. Le baiser était l'expression de la sexualité des Romains. Dans la culture africaine, le baiser est pratiqué par les ânes.