samedi 18 janvier 2020

Greguería n° 270


" Quiso ser filósofo, bebió cicuta y se murió."
' Il voulut être philosophe, but de la ciguë et mourut."

Les yeux de Socrate.

Généralement on pense plus à Socrate comme vu, que voyant. Particulièrement, c'est bien connu, il est vu comme très laid. Pourtant deux textes, au moins, conduisent à réfléchir sur Socrate voyant. Le premier est tiré du Banquet de Xénophon. C'est Socrate qui parle et se compare à son interlocuteur, Critobule :
" - (...) tes yeux voient seulement droit devant eux, tandis que les miens voient aussi de côté puisqu'ils sont à fleur de tête.
- Alors, d'après toi, de tous les animaux c'est l'écrevisse qui a les plus beaux yeux ?
- Assurément ; car ses yeux sont les plus puissants." (5.5, Les Belles Lettres, 1961, p. 65)
Non seulement les yeux de Socrate captent excellemment le visible, mais son nez sent aussi tous-azimuts :
" Critobule : Bien ; mais voyons les nez : lequel est le plus beau, le tien ou le mien ?
Socrate : Le mien, à mon avis, si du moins c'est pour sentir que les dieux nous ont donné le nez. Tes narines, en effet, regardent vers la terre, les miennes sont retroussées, de manière à capter de partout les odeurs." (5.6)
On notera cependant que la vertu du nez, du moins quant à sa forme, est subordonnée à celle de la vue :
" Critobule : Mais comment un nez camus serait-il plus beau qu'un nez droit ?
Socrate : Parce qu'il ne fait pas barrière, mais permet aux yeux de voir sur le champ ce qu'ils veulent ; un nez haut, au contraire, dresse comme par arrogance un mur entre les yeux." (ibid.)
Un problème apparaît : à quoi peuvent bien servir des sens si performants chez un homme qui n'a jamais eu comme but d'explorer finement le sensible ?
Les textes semblent permettre une double réponse, du moins si l'on restreint l'enquête à la fonction visuelle.
D'abord, on peut attribuer une finalité cognitive à ces yeux ouverts sur l'ampleur du visible. Diogène Laërce écrit qu' à son avis, " Socrate s'est entretenu aussi de physique." (Vies et doctrines des philosophes illustres, Livre II, 45, Le Livre de Poche, 1999, p. 248). Dans le Phédon (96 a-b), Socrate précise les questions naturelles qui l'intéressaient :
" Dans ma jeunesse, Cébès, je fus pris d'un appétit extraordinaire pour cette forme de savoir qu' on appelle " science de la nature ". Elle me paraissait éblouissante, cette science capable de savoir les causes de chaque réalité, de connaître, concernant chacune, pourquoi elle advient, pourquoi elle périt et pourquoi elle existe. Je ne compte pas les fois où l'examen de questions de ce genre me mettait la tête à l'envers." (Œuvres complètes, Flammarion, 2008, p. 1217)
Mieux vaut donc pour avancer dans ces quêtes empiriques avoir les yeux à l'endroit. Cependant la fonction cognitive de la vue n'a plus eu aucune utilité, semble-t-il, quand l'enquête est devenue proprement socratique, c'est-à-dire quand elle a cherché à disposer d'un savoir sur des objets intelligibles comme les réalités morales. Certes, mais un texte au moins permet de donner alors à la vue une fonction cognitivo-éthique : on le trouve dans le Banquet (221 a), c'est Alcibiade qui parle et qui décrit le comportement de Socrate soldat, lors d'une retraite de l'armée athénienne :
" D'abord, Socrate faisait preuve d'un sang-froid plus grand que Lachès (''je rappelle que Lachès est un fameux général"), et de beaucoup. Ensuite, j'avais l'impression - ce sont tes propres termes, Aristophane - que là-bas il déambulait comme il le fait ici,
se rengorgeant et regardant de côté,
observant d'un œil tranquille amis et ennemis, et faisant savoir à tous, même de fort loin, que si l'on s'avisait de se frotter à cet homme, il riposterait avec vigueur." (ibid., p. 155)
La traduction de Victor-Henri Debidour, plus " savoureuse ", comme on dit, donne :
" et toi, pour la façon dont tu te pavanes dans les rues, tes coups d'oeil en biais (...) " (Les Nuées, Théâtre complet, tome 1, Le Livre de Poche, 1965, p. 243)
La vue est donc ici mise clairement au service du courage. Et Lachès dans le dialogue éponyme pensait peut-être à Socrate quand Platon lui fait donner comme première définition du courage celle-ci, bien sûr, trop anecdotique, pour satisfaire Socrate :
" Si un homme est prêt à repousser les ennemis tout en gardant son rang, et sans prendre la fuite, sois assuré que cet homme est courageux." (190 e)
On en concluera en tout cas que les yeux protubérants de Socrate peuvent être interprétés comme un signe de son acuité visualo-morale.

Commentaires

1. Le dimanche 19 janvier 2020, 02:09 par gerardgrig
C'est l'intérêt des Petits Socratiques, de montrer Socrate sous des aspects inattendus, que Platon a savamment ignorés. Mais il est vrai que pour Platon aussi le sens de la vue a une valeur épistémique, car il est un analogue de la fonction cognitive de l'âme, liée à l'éthique. En ce qui concerne les qualités guerrières de Socrate, attachées à ses yeux globuleux, elles entrent dans la déclaration d'amour d'Alcibiade. Il y a une cristallisation amoureuse chez lui, qui lui fait trouver belle la forme animale des yeux de Socrate. En ce qui concerne l'organe olfactif, l'éloge de Socrate est plus mesuré. La vision surplombante des trous de nez de l'homme est la ruine de l'idéalisme.
2. Le lundi 27 janvier 2020, 10:14 par Philalèthe
Il me semble que dans " Le Banquet ", Alicibiade ne reconnaît à Socrate que la beauté de l'âme. Il n'est pas fou comme ces amoureux dont se moque Lucrèce dans le " Natura rerum ", prêts à transformer en qualités précieuses les pires défauts. En fait, Alcibiade, pas chanceux sur l'oreiller avec Socrate, reconnaît tout de même être pris par l'oreille, tant le charme des paroles de Socrate est comparable à la beauté des sons que le dyonisiaque satyre Marsias sait tirer de l'aulos. Peut-on alors voir dans le supplice réservé à Socrate par la Cité l'équivalent politique du terrible supplice infligé à Marsyas par Apollon ?

vendredi 17 janvier 2020

Greguería n° 269

" Nietzsche era de aquellos hombres que, para no necesitar dentadura postiza, se dejaban el bigotazo."
" Nietzsche était de ces hommes qui, pour éviter le dentier, se laissaient pousser une grosse moustache."

Commentaires

1. Le vendredi 17 janvier 2020, 22:18 par gerardgrig
Dans "Aurore", Nietzsche explique le secret de sa moustache :
"Nous oublions trop facilement qu’aux yeux des étrangers qui nous voient pour la première fois nous sommes tout autre chose que ce que nous pensons être nous-mêmes : et généralement nous ne sommes rien de plus qu’une particularité qui saute aux yeux et détermine l’impression d’ensemble. Ainsi le plus doux et le plus équitable des hommes n’a qu’à porter une grosse moustache, et il pourra en quelque sorte s’asseoir à son ombre, et s’y asseoir en paix, – les yeux ordinaires voient en lui l’accessoire d’une grosse moustache : à savoir un caractère militaire, prompt à s’échauffer, violent à l’occasion – et ils se comportent avec lui en conséquence." Platon l'avait bien vu. Le problème de l'homme juste, c'est que cela ne se voit pas. Pour survivre dans le monde de la compétition sociale, il vaut mieux avoir l'air d'un timocrate, d'un Spartiate, plutôt que d'un gourou athénien.
Ramón y voit l'indice d'une coquetterie. Dans le registre de la plaisanterie sur Nietzsche, Ramón aurait aimé le livre de Jean-Baptiste Botul, "Nietzsche et le démon de midi".
2. Le lundi 27 janvier 2020, 10:25 par Philalèthe
Nombreux sont ceux désormais qui fabriquent la particularité qui saute aux yeux en vue de déterminer une fausse impression d'ensemble ! Plus que jamais, nous devons donc être tel l'entendement face aux formes peut-être délicieuses mais accidentelles de la cire !

Greguería n° 269

" Nietzsche era de aquellos hombres que, para no necesitar dentadura postiza, se dejaban el bigotazo."
" Nietzsche était de ces hommes qui, pour éviter le dentier, se laissaient pousser une grosse moustache."

Commentaires

1. Le vendredi 17 janvier 2020, 22:18 par gerardgrig
Dans "Aurore", Nietzsche explique le secret de sa moustache :
"Nous oublions trop facilement qu’aux yeux des étrangers qui nous voient pour la première fois nous sommes tout autre chose que ce que nous pensons être nous-mêmes : et généralement nous ne sommes rien de plus qu’une particularité qui saute aux yeux et détermine l’impression d’ensemble. Ainsi le plus doux et le plus équitable des hommes n’a qu’à porter une grosse moustache, et il pourra en quelque sorte s’asseoir à son ombre, et s’y asseoir en paix, – les yeux ordinaires voient en lui l’accessoire d’une grosse moustache : à savoir un caractère militaire, prompt à s’échauffer, violent à l’occasion – et ils se comportent avec lui en conséquence." Platon l'avait bien vu. Le problème de l'homme juste, c'est que cela ne se voit pas. Pour survivre dans le monde de la compétition sociale, il vaut mieux avoir l'air d'un timocrate, d'un Spartiate, plutôt que d'un gourou athénien.
Ramón y voit l'indice d'une coquetterie. Dans le registre de la plaisanterie sur Nietzsche, Ramón aurait aimé le livre de Jean-Baptiste Botul, "Nietzsche et le démon de midi".
2. Le lundi 27 janvier 2020, 10:25 par Philalèthe
Nombreux sont ceux désormais qui fabriquent la particularité qui saute aux yeux en vue de déterminer une fausse impression d'ensemble ! Plus que jamais, nous devons donc être tel l'entendement face aux formes peut-être délicieuses mais accidentelles de la cire !

jeudi 16 janvier 2020

Greguería n° 268

" Aprended a caer en silencio. Es una estrella y cae como una pluma."
" Apprenez à tomber en silence. C'est une étoile mais elle tombe comme une plume."

mercredi 15 janvier 2020

Greguería n° 267

" Hay unos hombres fracasados que han pasado a la categoría de inservibles, que son " hombres tachados " parangonables con los " precios tachados " de la propaganda liquidadora."

" Il y a des hommes coulés qui sont entrés dans la catégorie des inemployables : ce sont des " hommes barrés " comparables aux " prix barrés " de la publicité qui liquide."

mardi 14 janvier 2020

Greguería n° 266

" Cuando no hay mesa libre en el restaurante, todos nos miran como a seres inferiores a ellos, que tienen asiento y estan arregostados."
" Quand il n'y pas de table libre au restaurant, tous nous regardent comme des êtres inférieurs à eux, eux qui ont une place et sont paix et aise."

lundi 13 janvier 2020

Greguería n° 265

" Las primeras fresas se ve que aún no son aptos para el amor."
" Les premières fraises, on voit qu'elles ne sont pas encore bonnes pour l'amour."

dimanche 12 janvier 2020

Greguería n° 264

" El teatro es como el amor : nunca se sabe si es verdad o mentira."
" Le théâtre est comme l'amour : on ne sait jamais si c'est vérité ou mensonge."

Commentaires

1. Le jeudi 16 janvier 2020, 23:53 par gerardgrig
Le théâtre dont parle Ramón doit être le vaudeville espagnol, appelé la zarzuela. À égalité avec la blague de café, Ramón pratique le mot d'esprit du théâtre de boulevard. Sur scène, le trait d'esprit de cette gregueria serait d'autant plus drôle dans la bouche d'un comédien qui, en réalité, parlerait de lui-même en feignant de l'oublier. Ici, l'influence du trait d'esprit gaulois du boulevard est manifeste. Robert de Flers disait plutôt : la vertu, c'est comme la Bretagne, c'est beau mais c'est triste. Blague à part, le théâtre ne donne pas vraiment l'illusion de vérité, avec ses personnages qui gesticulent et crient sur scène pour qu'on les entende dans le fond de la salle. Paradoxalement, c'est le cinéma qui crée l'indécision entre la vérité et le mensonge. D'ailleurs, dans la réalité, nos d'histoires d'amour ne font que rejouer des scènes vues au cinéma.

samedi 11 janvier 2020

Greguería n° 263

" Las estrellas están tan deslumbradas por su luz, que no pueden verse a otras."
" Les étoiles sont si éblouies par leur propre lumière qu'elles ne peuvent pas se voir les unes les autres."