mardi 21 janvier 2020

Greguería n° 273

" Esas casitas cerradas en medio de la soledad de la valle son como libros muertos."
" Ces maisonnettes fermées au milieu de la solitude de la vallée sont pareilles à des livres morts."

Égorgement et vérité.

Comme Pascal a eu tort d'écrire : " Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger." !

lundi 20 janvier 2020

Greguería n° 272

" Decía : " Me duele el gran almirante ", y es que le dolía el colon."
" Elle disait : " J'ai mal au grand amiral ", et c'est au colon qu'elle avait mal."
Vu que le verbe dire (decir) n' a pas ici de pronom personnel, seule la misogynie que j'attribue à Ramón, au vu de greguerías jusqu'à présent non traduites, justifie que je féminise le sujet.

Allégorie de la caverne à la façon sceptique : la chute des philosophes-escargots.

Le héros de l'histoire qui suit vient d'aller se coucher :
" Déjà (j') inclinais vers l'inconscience, quand un imperceptible bruit, net, cependant, comme une châtaigne tombant à terre, me tira de ma somnolence. Je n'y attachais d'autre importance dans le moment. Un second coup, après un instant de silence où seuls montaient et descendaient, en se croisant à des points fixes, les souffles de mes compagnons, me réveilla un peu plus (...) Pour vous dire le vrai (...), je n'en dormis de la nuit. Pendant six heures que dura mon supplice, je dénombrai 98 chocs, exactement semblables, toujours à de longs intervalles (...) J'eus au repas l'explication de mes terreurs nocturnes. On nous servit des escargots. L'hôtesse les avait déposés dans la chambre haute, sous un bahut : pour qu'ils ne s'enfuyassent pas, elle les avait tenus fermés dans un gros carton. Je compris tout (...) et vous me comprenez !! Ces admirables bêtes cherchaient comme nos philosophes une issue vers le ciel : ellle grimpaient aux parois et s'empilaient, coquille en bas, sous le couvercle du carton. La première se fixait ferme, et eût tenu sans les autres qui l'escaladant à renverse faisaient une grappe qui, cédant d'un coup, tombait en faisant le bruit qui m'intrigua si fort." (Louis Althusser, Journal de captivité, Stock/Imec, 1992, p. 173)
Platon avait raison : c'est seul que le prisonnier pouvait sortir de la caverne. Il fut bon aussi que les autres prisonniers le tuassent. Sans ce meurtre, l'histoire interminable de la philosophie aurait été possible.

Commentaires

1. Le vendredi 24 janvier 2020, 13:06 par gerardgrig
On ne connaît pas de grand livre sur la philosophie française en Oflag. Les plus grands esprits y ont séjourné. Il est vrai que cette captivité reste honteuse, d'autant que ces philosophes n'ont lu que de la métaphysique allemande. Seul Maxime Chastaing faisait de la résistance en lisant Virginia Woolf.
2. Le dimanche 26 janvier 2020, 12:27 par Philalèthe
Les camps dont vous parlez ne sont-ils pas la Caverne au centuple ? Pouvoir y écrire quoi que ce soit sur la Caverne, n'est-ce pas déjà presque héroïque ?
" Journée finie, fatigue, repas, sommeil. Liberté d'esprit  des urbains grecs inconcevable avec le travail dur. Esclavage nécessaire." écrit  Althusser  dans son journal le 20 avril  1941.
En somme il a fallu à  Platon des esclaves  réels pour avoir le loisir de faire la théorie  de l'homme-esclave...
3. Le dimanche 26 janvier 2020, 18:25 par gerardgrig
Il est intéressant de voir comment Althusser, philosophe chrétien féru de platonisme, commence à s'intéresser aux masses, sous la forme de l'analogie avec un tas d'escargots, et au rapport de l'individu à la communauté. Ici, l'individu dans son rapport à la communauté, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. D'autres penseurs ont vécu la captivité différemment, comme Henri Maldiney, dans "In Media Vita", qui était déjà phénoménologue, et qui faisait ses exercices merleau-pontyens.
4. Le lundi 27 janvier 2020, 09:35 par Philalèthe
Si Althusser était mort en captivité, lisant son journal, on aurait dit : " Quel grand moraliste ou quel grand poète il aurait fait ! ".

dimanche 19 janvier 2020

Greguería n° 271

" El existencialismo es una cosa que no acaba de arreglar la existencia."
" L'existentialisme est une chose qui ne parvient pas à régler l'existence."

Éternité-objectivité et Éternité.

Le 2 mars 1944, prisonnier en Allemagne, Louis Althusser écrit :
" " Scripta manent..." Cette objectivité à volonté, l'autre nom des choses qui demeurent et bravent le temps. Non pas bravent le temps mais le suscitent, l'engendrent comme l'unité engendre le multiple dans la pensée. Qu'il y a une éternité-objectivité qui ne peut se concevoir que dans le temps, objectivité qui se refait à elle-même une jeunesse chaque fois que le temps semble la dépasser. Mais il ne la dépasse point, elle fait un bond à chaque approche, suscitant le temps dans la suite du mouvement, terme connexe au terme relation-temps, elle en est le terme-élément, répété et multiplié, mais toujours semblable. De cette éternité-là, il peut être dit beaucoup, hors qu'elle n'est pas Éternité." (Journal de captivité, Stock / Imec, 1992, p.151)
Il se peut qu'ici le catholique Althusser cherche à penser la vérité objective et éternelle dans un cadre non religieux. De ce cadre-là on aurait alors encore bien besoin aujourd'hui où la subjectivité et l'éphémère veulent occuper tout le terrain du temps.

samedi 18 janvier 2020

Greguería n° 270


" Quiso ser filósofo, bebió cicuta y se murió."
' Il voulut être philosophe, but de la ciguë et mourut."

Les yeux de Socrate.

Généralement on pense plus à Socrate comme vu, que voyant. Particulièrement, c'est bien connu, il est vu comme très laid. Pourtant deux textes, au moins, conduisent à réfléchir sur Socrate voyant. Le premier est tiré du Banquet de Xénophon. C'est Socrate qui parle et se compare à son interlocuteur, Critobule :
" - (...) tes yeux voient seulement droit devant eux, tandis que les miens voient aussi de côté puisqu'ils sont à fleur de tête.
- Alors, d'après toi, de tous les animaux c'est l'écrevisse qui a les plus beaux yeux ?
- Assurément ; car ses yeux sont les plus puissants." (5.5, Les Belles Lettres, 1961, p. 65)
Non seulement les yeux de Socrate captent excellemment le visible, mais son nez sent aussi tous-azimuts :
" Critobule : Bien ; mais voyons les nez : lequel est le plus beau, le tien ou le mien ?
Socrate : Le mien, à mon avis, si du moins c'est pour sentir que les dieux nous ont donné le nez. Tes narines, en effet, regardent vers la terre, les miennes sont retroussées, de manière à capter de partout les odeurs." (5.6)
On notera cependant que la vertu du nez, du moins quant à sa forme, est subordonnée à celle de la vue :
" Critobule : Mais comment un nez camus serait-il plus beau qu'un nez droit ?
Socrate : Parce qu'il ne fait pas barrière, mais permet aux yeux de voir sur le champ ce qu'ils veulent ; un nez haut, au contraire, dresse comme par arrogance un mur entre les yeux." (ibid.)
Un problème apparaît : à quoi peuvent bien servir des sens si performants chez un homme qui n'a jamais eu comme but d'explorer finement le sensible ?
Les textes semblent permettre une double réponse, du moins si l'on restreint l'enquête à la fonction visuelle.
D'abord, on peut attribuer une finalité cognitive à ces yeux ouverts sur l'ampleur du visible. Diogène Laërce écrit qu' à son avis, " Socrate s'est entretenu aussi de physique." (Vies et doctrines des philosophes illustres, Livre II, 45, Le Livre de Poche, 1999, p. 248). Dans le Phédon (96 a-b), Socrate précise les questions naturelles qui l'intéressaient :
" Dans ma jeunesse, Cébès, je fus pris d'un appétit extraordinaire pour cette forme de savoir qu' on appelle " science de la nature ". Elle me paraissait éblouissante, cette science capable de savoir les causes de chaque réalité, de connaître, concernant chacune, pourquoi elle advient, pourquoi elle périt et pourquoi elle existe. Je ne compte pas les fois où l'examen de questions de ce genre me mettait la tête à l'envers." (Œuvres complètes, Flammarion, 2008, p. 1217)
Mieux vaut donc pour avancer dans ces quêtes empiriques avoir les yeux à l'endroit. Cependant la fonction cognitive de la vue n'a plus eu aucune utilité, semble-t-il, quand l'enquête est devenue proprement socratique, c'est-à-dire quand elle a cherché à disposer d'un savoir sur des objets intelligibles comme les réalités morales. Certes, mais un texte au moins permet de donner alors à la vue une fonction cognitivo-éthique : on le trouve dans le Banquet (221 a), c'est Alcibiade qui parle et qui décrit le comportement de Socrate soldat, lors d'une retraite de l'armée athénienne :
" D'abord, Socrate faisait preuve d'un sang-froid plus grand que Lachès (''je rappelle que Lachès est un fameux général"), et de beaucoup. Ensuite, j'avais l'impression - ce sont tes propres termes, Aristophane - que là-bas il déambulait comme il le fait ici,
se rengorgeant et regardant de côté,
observant d'un œil tranquille amis et ennemis, et faisant savoir à tous, même de fort loin, que si l'on s'avisait de se frotter à cet homme, il riposterait avec vigueur." (ibid., p. 155)
La traduction de Victor-Henri Debidour, plus " savoureuse ", comme on dit, donne :
" et toi, pour la façon dont tu te pavanes dans les rues, tes coups d'oeil en biais (...) " (Les Nuées, Théâtre complet, tome 1, Le Livre de Poche, 1965, p. 243)
La vue est donc ici mise clairement au service du courage. Et Lachès dans le dialogue éponyme pensait peut-être à Socrate quand Platon lui fait donner comme première définition du courage celle-ci, bien sûr, trop anecdotique, pour satisfaire Socrate :
" Si un homme est prêt à repousser les ennemis tout en gardant son rang, et sans prendre la fuite, sois assuré que cet homme est courageux." (190 e)
On en concluera en tout cas que les yeux protubérants de Socrate peuvent être interprétés comme un signe de son acuité visualo-morale.

Commentaires

1. Le dimanche 19 janvier 2020, 02:09 par gerardgrig
C'est l'intérêt des Petits Socratiques, de montrer Socrate sous des aspects inattendus, que Platon a savamment ignorés. Mais il est vrai que pour Platon aussi le sens de la vue a une valeur épistémique, car il est un analogue de la fonction cognitive de l'âme, liée à l'éthique. En ce qui concerne les qualités guerrières de Socrate, attachées à ses yeux globuleux, elles entrent dans la déclaration d'amour d'Alcibiade. Il y a une cristallisation amoureuse chez lui, qui lui fait trouver belle la forme animale des yeux de Socrate. En ce qui concerne l'organe olfactif, l'éloge de Socrate est plus mesuré. La vision surplombante des trous de nez de l'homme est la ruine de l'idéalisme.
2. Le lundi 27 janvier 2020, 10:14 par Philalèthe
Il me semble que dans " Le Banquet ", Alicibiade ne reconnaît à Socrate que la beauté de l'âme. Il n'est pas fou comme ces amoureux dont se moque Lucrèce dans le " Natura rerum ", prêts à transformer en qualités précieuses les pires défauts. En fait, Alcibiade, pas chanceux sur l'oreiller avec Socrate, reconnaît tout de même être pris par l'oreille, tant le charme des paroles de Socrate est comparable à la beauté des sons que le dyonisiaque satyre Marsias sait tirer de l'aulos. Peut-on alors voir dans le supplice réservé à Socrate par la Cité l'équivalent politique du terrible supplice infligé à Marsyas par Apollon ?

vendredi 17 janvier 2020

Greguería n° 269

" Nietzsche era de aquellos hombres que, para no necesitar dentadura postiza, se dejaban el bigotazo."
" Nietzsche était de ces hommes qui, pour éviter le dentier, se laissaient pousser une grosse moustache."

Commentaires

1. Le vendredi 17 janvier 2020, 22:18 par gerardgrig
Dans "Aurore", Nietzsche explique le secret de sa moustache :
"Nous oublions trop facilement qu’aux yeux des étrangers qui nous voient pour la première fois nous sommes tout autre chose que ce que nous pensons être nous-mêmes : et généralement nous ne sommes rien de plus qu’une particularité qui saute aux yeux et détermine l’impression d’ensemble. Ainsi le plus doux et le plus équitable des hommes n’a qu’à porter une grosse moustache, et il pourra en quelque sorte s’asseoir à son ombre, et s’y asseoir en paix, – les yeux ordinaires voient en lui l’accessoire d’une grosse moustache : à savoir un caractère militaire, prompt à s’échauffer, violent à l’occasion – et ils se comportent avec lui en conséquence." Platon l'avait bien vu. Le problème de l'homme juste, c'est que cela ne se voit pas. Pour survivre dans le monde de la compétition sociale, il vaut mieux avoir l'air d'un timocrate, d'un Spartiate, plutôt que d'un gourou athénien.
Ramón y voit l'indice d'une coquetterie. Dans le registre de la plaisanterie sur Nietzsche, Ramón aurait aimé le livre de Jean-Baptiste Botul, "Nietzsche et le démon de midi".
2. Le lundi 27 janvier 2020, 10:25 par Philalèthe
Nombreux sont ceux désormais qui fabriquent la particularité qui saute aux yeux en vue de déterminer une fausse impression d'ensemble ! Plus que jamais, nous devons donc être tel l'entendement face aux formes peut-être délicieuses mais accidentelles de la cire !

Greguería n° 269

" Nietzsche era de aquellos hombres que, para no necesitar dentadura postiza, se dejaban el bigotazo."
" Nietzsche était de ces hommes qui, pour éviter le dentier, se laissaient pousser une grosse moustache."

Commentaires

1. Le vendredi 17 janvier 2020, 22:18 par gerardgrig
Dans "Aurore", Nietzsche explique le secret de sa moustache :
"Nous oublions trop facilement qu’aux yeux des étrangers qui nous voient pour la première fois nous sommes tout autre chose que ce que nous pensons être nous-mêmes : et généralement nous ne sommes rien de plus qu’une particularité qui saute aux yeux et détermine l’impression d’ensemble. Ainsi le plus doux et le plus équitable des hommes n’a qu’à porter une grosse moustache, et il pourra en quelque sorte s’asseoir à son ombre, et s’y asseoir en paix, – les yeux ordinaires voient en lui l’accessoire d’une grosse moustache : à savoir un caractère militaire, prompt à s’échauffer, violent à l’occasion – et ils se comportent avec lui en conséquence." Platon l'avait bien vu. Le problème de l'homme juste, c'est que cela ne se voit pas. Pour survivre dans le monde de la compétition sociale, il vaut mieux avoir l'air d'un timocrate, d'un Spartiate, plutôt que d'un gourou athénien.
Ramón y voit l'indice d'une coquetterie. Dans le registre de la plaisanterie sur Nietzsche, Ramón aurait aimé le livre de Jean-Baptiste Botul, "Nietzsche et le démon de midi".
2. Le lundi 27 janvier 2020, 10:25 par Philalèthe
Nombreux sont ceux désormais qui fabriquent la particularité qui saute aux yeux en vue de déterminer une fausse impression d'ensemble ! Plus que jamais, nous devons donc être tel l'entendement face aux formes peut-être délicieuses mais accidentelles de la cire !