mardi 22 mars 2022

Le moi sexuel, un moi parmi d'autres ?

Dans  Du style d'idées : réflexions sur la pensée, sa nature, ses réalisations, sa valeur morale (1948, Paris, Gallimard), Julien Benda cite ces lignes de William James :

" Un crabe est indigné de s'entendre pensé sous l'idée générale de crustacé. Je suis moi-même, proteste-t-il, moi-même, vous dis-je, rien autre que moi-même."

L'animal trouve d'abord satisfaction à se dire crabe et non banal crustacé. Ressemble-t-il à nos contemporains quand ils veulent être identifiés non à un être humain, ni à un homme, ni à une femme, mais à une de ces catégories plus fines qui multiplient et diversifient l'idée de sexualité ? Ils seraient alors tel  Monsieur Crabe qui, allant ensuite plus loin, ne voudrait pas être pris pour un anomura, mais pour un brachyura. Sans doute ne s'arrêtera-t-il pas là et refusera vite d'être compris comme n' étant rien qu' un brachyura. 

Où est le mal, dira-t-on ? Cette connaissance plus fine des individus, certes exploitée par l'amour-propre de chacun - cf ce qu'on appelle le narcissisme des petites différences -  est aussi gain de savoir, de lucidité, gain de pouvoir, de  sécurité et gain de respect. Certes mais ce qui contredit l'effort de tous ces individus désireux de choisir les concepts à la carte pour se découvrir une identité personnelle est qu'ils partagent tous le même désir d'être uniques et l'idée générale, peut-être fausse, que la propriété sexuelle, pour autant qu'elle soit finement discriminée, informe réellement sur ce qu'ils jugent  leur singularité.

Mais on pourrait imaginer que ce n'est pas la sexologie, mais l'économie ou la sociologie ou la neurologie ou la linguistique qui fournissent les critères de classification fine et essentielle des personnes... On pourrait considérer dans une direction tout opposée alors que ce qui compte est de déterminer ce qu'on a en commun avec les autres et non ce qu'on est le seul à avoir

C'est toujours un certain aspect du freudisme qui l'emporte. On a dépassé l'oeuvre de Freud de mille manières, dit-on, mais on n' est pas sorti de l' héritage selon lequel l'identité sexuelle est de toutes les identités la plus éclairante, voire la seule vraiment éclairante. 

Et si on se mettait à voir les qualités sexuelles comme on voit les cheveux ou la couleur des yeux ?

lundi 21 mars 2022

Greguería nº 388

               


" Aquel tipo era como un frasco de farmacia que hubiese perdido la etiqueta."

" Ce type ressemblait à un flacon pharmaceutique qui aurait perdu son étiquette."

Il n'est pas indifférent que le flacon en question soit vide ou non. Cet homme a-t-il déjà servi ? 

dimanche 20 mars 2022

Greguería nº 387

" Sol de verano : valor oro en plaza, sin intermediarios ni bolsa negra."

" Soleil d'été : valeur or dans l'arène, pas d' intermédiaires ni d'argent noir."



Sous ce soleil exactement, jamais de corrida. " A las cinco de la tarde ", il y aura de l'ombre pour les plus riches. Les pauvres, eux, supporteront le poids écrasant de la valeur or.

                                                              

Greguería nº 386


                                                             


 


" Cuando leemos lo de " alta costura "nos imaginamos una mujer muy alta a la que prende alfileres una modista subida en una escalera, mientras la cliente admira con sus impertinentes el alto modelo."

" Quand nous lisons l'expression " haute couture ", nous imaginons une femme de très haute taille qu'épingle une modiste montée sur une échelle, pendant que la cliente admire avec ses lorgnettes ce modèle de haute taille."


Au moment même où Ramón exprime une fantaisie de l'imagination, il livre une greguería assez exactement descriptive sociologiquement parlant : la haute couture est une couture pour les grands.

 


dimanche 13 mars 2022

Les philosophies hellénistiques face à la guerre : 1) le scepticisme

Un sceptique contemporain, très modeste et conscient de ne pas être du tout un modèle pour les autres, pourrait s'exprimer ainsi :

" Il est vrai pour moi et pour une foule d'autres personnes qu'il y a actuellement ce qu'il est convenu d'appeler une guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine. Mes impressions nées de la lecture des nouvelles justifient que je croie à ce nouveau conflit. En plus, ces informations spontanément m'inquiètent.
Comme je suis sceptique, donc chercheur, au sens étymologique du mot, je cherche à savoir ce qu'il en est en vérité dans le détail de cette " chose " qui n'a pas lieu très loin de l'endroit où je vis, mais par exemple les chiffres des victimes dans les deux camps, comme toutes les autres informations visant à préciser la réalité de ce conflit, ne sont jamais fournies neutrement mais toujours au sein d'un camp particulier, engagé directement ou indirectement.
Je crois (je veux dire par là : je tiens pour vrai sans être assuré que ça soit vrai) qu'avec le temps d'autres descriptions de ce conflit verront le jour, mais je doute qu'elles puissent jamais résister aux objections et aux critiques qu'on leur fera et que le passage du temps ne les modifie pas à leur tour elles aussi. 
À la différence des sceptiques anciens qui ne connaissaient les guerres que par le discours ou par leurs effets directs (ils voyaient blessés et morts), je suis face à une multiplicité d'images, en mouvement ou non, qui pour  les non-sceptiques prouvent la réalité de la guerre, mais même si je ne suis pas platonicien, je reprendrai ici l'allégorie de la caverne : je vois certes mille images sur mon smartphone mais je crois qu'elles sont fabriquées à partir de multiples perspectives, dont plusieurs totalement antagonistes. Je suspends donc mon jugement concernant ce qui existe réellement. 
Mais cela ne veut pas dire que je reste inactif. Cette guerre m'a tiré de ce qu'on appelle aujourd'hui ma zone de confort : en effet je crois que mon tempérament et ce que font les autres me poussent à intervenir activement. Aussi par exemple fais-je des dons à destination de l'Ukraine. 
Mais je ne crois  pas pour autant  être un acteur même minuscule de ce qu'on a appelé quelquefois l'Histoire, pour la bonne raison que je ne connais pas l'Histoire, je crois juste savoir ce que je me représente comme historique ou non. 
Et encore un de mes maîtres me ferait penser que sur le concept d'histoire, j'ai une foule de représentations contradictoires. Et sais-je même ce qu'est une représentation ? 
Des gens que je tiens pour proches pourraient me demander : " Si tu ne crois pas à la réalité de cette guerre, pourquoi donc passes-tu le plus clair de ta journée à lire les journaux ? Pourquoi es-tu aussi anxieux ? " N'ai-je pas déjà répondu ? Mais répétons-le : à la première question, j' invoquerais mon tempérament, depuis toujours curieux. À la deuxième, je reconnaîtrais que je crois ne pas être un sceptique achevé. En effet la tranquillité de mon esprit reste un idéal que je me fixe, mon scepticisme est plus une réaction aux croyances assurées des uns et des autres qu'un doux oreiller sur lequel je pourrais déjà me reposer."

vendredi 11 mars 2022

Rien de nouveau sous le soleil ?

La pandémie et la guerre en Ukraine, malgré le choc qu'elles causent à tous, ne surprennent vraiment que si on imagine que le passé passe et que l'humanité est en mesure de " refaire sa vie ", de " se convertir ", de faire peau neuve. En fait Poutine ressemble aux chefs de guerre ou d' État dont Machiavel faisait l'éloge dans Le Prince et obéit à des sentiments vieux comme le monde. 

Certes le progrès des techniques n'est jamais que technique et les sociologues étudient légitimement les mutations de l'amour à l'heure du portable, par exemple. Mais de là à croire à un surgissement d'un homme plus juste, plus raisonnable ou plus amplement à une mutation morale de l'espèce humaine... 

On pourra toujours répondre que Poutine est un archaïsme, aussi destructeur soit-il. Mais on peut aussi le voir à la lumière des tragédies grecques comme emporté par la démesure, l'hubris et juger  que cette démesure est une potentialité humaine qui couve toujours  sous les changements constants de nos civilisations... 

Certes les historiens du futur auront à coeur d'expliquer dans leurs ouvrages la singularité irréductible de cette nouvelle guerre, c'est la fonction de l'historien d' expliquer que ce qui se ressemble apparemment diffère en vérité et ils auront raison à leur manière. 

Mais la manière du moraliste, plus sensible à la répétition qu'a la nouveauté, est-elle pour autant insensée ? Il va de soi en tout cas que le moraliste ne joue en rien le jeu du conquérant et n'appelle pas implicitement à la résignation ! Il sait que la résistance est une des réactions éternelles à cette démesure, sous des formes encore une fois souvent inédites.

Mais y aurait-il des catastrophes historiques susceptibles de sortir le moraliste de son penchant à toujours trouver l'ancien, la même nature humaine sous le nouveau, la pluralité des cultures et des histoires ? J'en doute. Les philosophes hellénistiques, stoïciens et épicuriens,  nourrissaient déjà leur réflexions morales de la présence réelle à leur côté de tyrans sans limites pour leur époque, ces derniers étant en un sens le mal " absolu ", " absolu " relativement au cadre de vie de ces philosophes, si on me permet l'oxymore. L'existence de la bombe nucléaire comme arme possible d'agression est la forme que prend pour nous l'usage sans limites de la violence, elle rend la démesure, l'intempérance, la mégalomanie plus destructrices que jamais mais de même que les films en trois D, bien que supérieurs techniquement aux 16mm, reposent sur le désir invariant de créer des images, les armes les plus ravageuses, comme les plus primitives, permettent la réalisation du désir invariant de dominer. 

Pour le moraliste, rien d'à venir ne peut être bien surprenant. 

Pour finir, on se demandera si Poutine est fou ou rationnel. On peut le voir comme rationnel, si on le compare à Hitler en 1940 : lui aussi avait exploité la faiblesse des démocraties et avait des tactiques militaires à la hauteur de sa stratégie. Mais, si on imagine en lui déjà le Hitler de 1945, on le verra comme une victime de plus du wishful thinking, au bas mot, sauf que, vu  son pouvoir, son wishful thinking a des effets sur une bonne partie de l'humanité...

dimanche 27 février 2022

Greguería nº385.

 


" Dos maneras gregueristicas de decir eso : " los alicates bailan flamenco " o " bailaba como unos alicates "."

" Deux manières gregueristiques de dire : " les pinces dansent le flamenco " ou bien " il dansait comme le font les pinces."

                                                              


samedi 26 février 2022

Greguería nº 384

" La alegoría es una metáfora que celebra su santo."

" L'allégorie est une métaphore qui célèbre sa fête."

Métaphore qui métamorphose la métaphore !

vendredi 25 février 2022

Greguería nº 383




 

" Cabeza de ajos : tertulia bajo un mosquitero hasta que llega la cocinera y la acaba."

" Tête d'ail : cercle réuni sous une moustiquaire jusqu'à l'arrivée fatale de la cuisinière."

Si par peur des moustiques ils font le dos rond et se cachent, qu'en sera-t-il d'eux quand la cuisinière viendra  les ajouter à sa sauce ?

jeudi 24 février 2022

Greguería nº 382

" El agua no tiene memoria : por eso es tan limpia."

" L'eau n'a pas de mémoire : c'est pour cela qu'elle est si propre."

Le propre à rien n'a lui non plus aucune mémoire.