lundi 30 juin 2025

Comment vivre en déterministe au quotidien ? (8)

Vu que la philosophie déterministe n'est pas vraie, mais seulement vraisemblable, comme la philosophie indéterministe, comment justifier qu'on la défende, elle, plutôt qu'une autre ? Ou, du moins,  dans le cadre d'une réflexion sur les manières de vivre correspondant aux diverses croyances philosophiques, pourquoi donc la privilégier ?

On peut donner l'explication génétique suivante, reposant sur l'idée que la manière de vivre causerait l'adhésion à cette philosophie : ainsi, prenant conscience d'une vie jugée ratée, on défendrait le déterminisme pour la supporter, par exemple par la diminution, voire la suppression des regrets et remords qu'il devrait entraîner. Dans un tel cas, cette philosophie, à première vue désenchantante, serait embrassée, comme on adhère à une illusion. En un sens, le déterministe, dans ce cadre, prendrait ses désirs pour la réalité : désireux de ne pas avoir loupé de bons choix possibles passés, il croit que les seuls choix qu'il a faits étaient inévitables, nécessaires, pas forcément bons, mais inéluctables. Dit autrement, le déterministe n'aurait pas de bonnes raisons de défendre ses croyances, les causes effectives de ses croyances étant dans son état affectif et non dans une connaissance vraie qu'il détiendrait.

La réponse à apporter à cette première explication est la suivante : la valeur d'une philosophie, ou plus encore d'une connaissance vraie, est indépendante des conditions psychologiques qui y mènent. Imaginons qu' Euclide ait construit sa géométrie en vue de clouer le bec à son rival oublié, Peuclide, son objectif étant de l'humilier au maximum : doit-on en conclure que sa géométrie est fausse ou biaisée ? Non, car les circonstances fantaisistes qu'on vient d'imaginer appartiennent à ce qu'on appelle le contexte de découverte d'une croyance. Or, en faisant la genèse de la naissance de la croyance dans l'esprit, on n'aborde pas la justification de son contenu, plus largement le contexte de justification. Cette croyance a-t-elle ou non des bons arguments en sa faveur ? Si elle a pour elle de bons arguments, que tel déterministe la défende pour soulager ses malheurs n'enlève à la croyance aucune valeur cognitive. On peut même faire l'hypothèse que la conscience d'une vie heureuse empêche malheureusement quelquefois l'accès à la philosophie déterministe, parce que la philosophie indéterministe, en augmentant le mérite des actions, donne un surplus de plaisir d'amour-propre à qui l'embrasse.

Mais quel argument donner en faveur de la philosophie déterministe ? C'est la connaissance scientifique qui vient au premier plan : qu'il s'agisse des mathématiques ou de la physique (je ne prendrais pas ici la question de savoir si la physique quantique est ou non déterministe), on a affaire à la nécessité : nécessité logique dans le cadre des mathématiques, nécessité nomologique dans le cadre de la physique (nomos = loi, les faits étudiés obéissent à des lois, permettant la prévision des faits futurs - pensons au calcul des marées par exemple). C'est bien sûr la seconde nécessité qui sert de modèle au déterministe évoqué dans ces billets. Cette seconde nécessité s'applique-t-elle ou non à l'homme, vu que les sciences humaines (psychologie, économie, histoire, sociologie, ethnologie etc.) n'arrivent jamais complètement à une connaissance de type nomologique ? Ce fait doit-il être jugé comme un échec provisoire, accidentel ou comme la limite essentielle d'un savoir sur les hommes ? C'est ici qu'on peut invoquer le libre-arbitre humain qui ferait de l'homme un être irréductiblement différent de tous les autres êtres vivants sur terre. La croyance dans le libre-arbitre est-elle vraie ? C'est toute la question. Dit autrement, les hommes sont-ils des réalités exceptionnelles parce que dotées du libre-arbitre (sous forme d'une volonté libre qui cause des effets mais qui n'est pas elle-même effet) ou sont-ils des réalités plus complexes que celles étudiées à l'échelle de la physique et de la chimie ?

Face à cette alternative, on peut essayer de s'orienter en prenant au sérieux l'athéisme et l'évolutionnisme à la fois : si la croyance en Dieu est illusoire, quelle que soit la religion, naturelle ou positive, qui la justifie, et si l'être humain est un animal humain, formé par " le hasard et la nécessité ", pourquoi donc lui donner le pouvoir, digne d'un petit Dieu, d'initier une série causale sans autre cause que le mystérieux libre-arbitre ?

On dira que le déterministe dont je parle fait la part belle à la science. Si cela veut dire qu'il ne croit pas  que les connaissances scientifiques sont à mettre sur le même plan que les idéologies, les mythologies, les fictions, alors oui, c'est vrai, il privilégie les sciences. Mais si cela veut dire qu' il ne prêche que la connaissance scientifique ou le silence, cette série de billets montre qu'il n'en est rien.

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