Si je commence par la fin, la mort que lui attribue Diogène Laërce n’est pas de bon augure :
« On rapporte qu’étant chauve il prit un coup de soleil et mourut de cette façon. » (VII, 164)
Pure passivité, cette fois ; le philosophe n’organise pas sa sortie, il est expulsé de la vie. Néanmoins Ariston n’a pas suivi Zénon comme un mouton. Cependant ses initiatives ne le conduisent pas à enrichir la doctrine mais à l’appauvrir. Appauvrissement nº1 : Zénon avait pour la première fois divisé la philosophie en trois parties, la physique (qu’est-ce que la réalité ?), la logique (comment connaître la vérité ?), l’éthique (comment bien vivre ?). Mais ces trois parties, interdépendantes, se justifiaient réciproquement et constituaient la philosophie comme un ensemble systématique : l’idée de la philosophie comme système de vérités scientifiques est en effet d’origine stoïcienne. On ne vivra bien que si on connaît la vérité à propos de la réalité. La logique fonde la physique qui justifie l’éthique, mais cet ordre n’est qu’une des manières de mettre en évidence la relation entre les parties car il semble qu’aucune position n’ait jamais défini la relation correcte à établir entre elles. En réalité, quel que soit l’endroit par où on entre dans le système, le raisonnement initial conduit petit à petit à la compréhension de la totalité. Cette indétermination se traduit par la multiplicité des comparaisons prises par les stoïciens pour faire comprendre la dimension systématique de leur doctrine :
« Ils comparent la philosophie à un animal, assimilant aux os et aux tendons la logique, aux parties plus charnues l’éthique, à l’âme la physique. » (VII, 40)
C’est à mes yeux la meilleure comparaison car si on enlève une des trois parties, il n’y a plus d’animal. L’image, en plus, met bien en évidence qu’aucune des trois parties n’est plus importante que les autres. On a malheureusement fait le deuil aujourd’hui d’une représentation si cohérente de la philosophie ! L’autre image se réfère encore au vivant mais sous une forme à mes yeux moins adéquate :
« Ou encore à un œuf : l’extérieur est en effet la logique, ce qui vient ensuite l’éthique, la partie la plus intérieure la physique. »
Enlever la coquille de l’œuf ne touche en rien ni au blanc ni au jaune - du moins si l'oeuf est cuit !- et voilà qui fait la limite de l’image ! En outre cette comparaison a l’inconvénient de suggérer que la doctrine a un cœur, un centre. La métaphore suivante a le même défaut :
« Ou bien à un champ fertile : la clôture d’enceinte est la logique, le fruit l’éthique, la terre ou les arbres la physique. »
Je pense alors à Descartes qui de cet ensemble extraira l’arbre pour symboliser toute la philosophie :
« Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale. » (Préface des Principes de la philosophie 1644)
Ici aussi il y a système mais une partie est pensée clairement comme fondamentale : la métaphysique (en clair, la connaissance rationnelle de Dieu). Retour à Ariston qui anéantit le système en disqualifiant deux des trois parties :
« Le « lieu » (topos) physique et le « lieu » logique, il les supprimait, disant que l’un nous dépasse, l’autre ne nous concerne pas et que seul le « lieu » éthique nous concerne. » (VII, 160)
Diagnostic : Ariston n’a rien compris du caractère systématique de la doctrine qu’il défend. On ne peut pas vivre conformément à la nature si on ne connaît pas la nature et on ne peut pas connaître la nature si on n’est pas en mesure de discriminer le vrai du faux ! D’où le discrédit qu’il jette sur l’étude subtile et complète que le stoïcisme fait des différents types de raisonnement :
« Il comparait les arguments dialectiques aux toiles d’araignée, lesquelles, bien qu’elles démontrent apparemment un certain art, sont inutiles. » (VII, 161)
Mais Ariston ne se contente pas de donner un coup de balai fatal dans les toiles d’araignées de la logique, c’est aussi l’éthique qu’il simplifie…