Dans Penser la pornographie (2003), Ruwen Ogien reprend aux historiens l'idée que " le premier pornographos (pornographe) connu est un philosophe grec" ( p.36). D'après la note correspondante, Ogien paraît tirer le fait du livre de Bernard Arcand Le jaguar et le tamanoir. Anthropologie de la pornographie (1991). Or, à la lecture de ces lignes, mon étonnement est tel que je consulte l'irremplaçable Dictionnaire des philosophes antiques, dirigé par Richard Goulet. Sept Athénaios y sont répertoriés, mais un seul est candidat au titre, Athénaios de Naucratis, auteur de langue grecque, mieux connu sous le nom d'Athénée, et ayant vécu entre la fin du 2ème siècle et le début du 3ème.
L'auteure de la notice, Françoise Caujolle-Zaslawsky, le caractérise comme un "écrivain érudit", dont on ne connaît qu'un seul ouvrage, les Deipnosophistes, traduit par "Le banquet des sages" ou "Autorités sur les banquets", meilleure traduction d'après l'auteure. Voici quelques lignes permettant d'avoir un aperçu de l'ouvrage :
L'auteure de la notice, Françoise Caujolle-Zaslawsky, le caractérise comme un "écrivain érudit", dont on ne connaît qu'un seul ouvrage, les Deipnosophistes, traduit par "Le banquet des sages" ou "Autorités sur les banquets", meilleure traduction d'après l'auteure. Voici quelques lignes permettant d'avoir un aperçu de l'ouvrage :
" Athénée raconte à son ami Timocrate tout ce qui s'est dit lors du banquet offert par Larensios, un riche et savant Romain, féru d'érudition (...) Les convives, "experts aux banquets" sont des juristes, dont Ulpien, des poètes, des orateurs, des grammairiens, des philosophes, des médecins, dont Galien, des musiciens (...) Quant aux sujets de conversation, ils sont multiples et disparates : on passe de la musique, des chants et des danses aux vins, aux mets et aux épices, des hétaïres (ah, on brûle, semble-t-il) et des anecdotes piquantes ou licencieuses à la littérature, à l'art poétique, à la science, à la vie privée, etc. Il n'y a pas d'ordre, sinon celui de la succession des plats composant le banquet ; à cette succession correspond un schéma répétitif dans les propos : une suite de digressions en série, dont chacune a pour point de départ les commentaires des convives sur les plats qui défilent à leur table. On pourrait donc décrire l'ouvrage comme un traité de gastronomie gonflé d'innombrables digressions (...) Athénée a visiblement rassemblé comme en un "trésor" tout ce qu'il avait découvert de plus curieux dans ses lectures, sur tous les sujets. Aussi a-t-on pu décrire son ouvrage comme "une sorte de répertoire universel de l'antiquité"" (p.646-647)
Ce passage suffit à réaliser que traiter Athénée de premier pornographe est un peu cavalier. Mais d'où vient l'idée même de le faire ?
Il semble que la source de cette caractérisation hardie se trouve dans un passage du livre 13 : le voici dans la traduction qu'en donne Philippe Remacle :
Il semble que la source de cette caractérisation hardie se trouve dans un passage du livre 13 : le voici dans la traduction qu'en donne Philippe Remacle :
" Toi, charmant sophiste, tu te vautres dans ces lieux, non pas avec des amis de ton sexe, mais avec des femmes, des maquerelles à la pelle. En outre, tu ne cesses de distribuer à la volée les ouvrages d'Aristophane, d'Apollodore, d'Ammonios, d'Antiphane, et même de Gorgias d'Athènes, bref que des torchons où l’on ne parle que de putains athéniennes ! Ma foi, elle est belle, ton érudition ! Il est sûr et certain que tu n'as rien à voir avec Théomandros de Cyrène, dont Théophraste dit dans son livre sur le Bonheur, qu'il désirait enseigner l’art d’être heureux. Non, toi, tu cherches plutôt à nous apprendre l’érotisme. En fait, tu ressembles à cet d'Amasis d'Élis, dont Théophraste – encore lui- fait mention dans son Traité sur l'amour, et qui était un expert en matière sexuelle. On ne se tromperait pas de beaucoup en t'appelant pornographe, au même titre que les peintres Aristide, Pausias et Nicophanos. Dans son livre sur les Tableaux de Sicyone, Polémon reconnaît que ces gens-là excellaient dans ce genre de peinture. "
Athénée n'est donc pas ni le premier pornographe, ni même un pornographe mais en revanche c'est dans son oeuvre qu'on trouve, semble-t-il, la première occurrence de "pornographe" au sens étymologique de "celui qui écrit sur, celui qui réprésente les prostituées".
À la suite du texte où il qualifiait Athenaeus de premier pornographe, Ruwen Ogien avait placé la parenthèse suivante :
À la suite du texte où il qualifiait Athenaeus de premier pornographe, Ruwen Ogien avait placé la parenthèse suivante :
" ( ce qui semble contredire la thèse de l'invention moderne de la pornographie et nous donne aussi une idée intéressante du rôle que des philosophes pourraient avoir dans ce domaine )."
La deuxième partie de cette phrase devient désormais douteuse, car Athénée a produit dans ce cas un néologisme et non, à la différence d' Ogien, des pensées ayant comme objet la pornographie.