Dans Port-Royal (II, p. 673, La Pléiade), Sainte-Beuve cite une lettre de Bossuet adressée à la sœur Cornuau. Celle-ci, « religieuse à Jouarre, voyant ces dames de Luines, religieuses au même couvent, lire les Lettres de Saint-Cyran, avait écrit à plusieurs reprises à l’illustre prélat qui la conseillait, pour avoir la permission de cette lecture. Bossuet en est un peu impatienté, on le sent, il répond :
« J’oublierais toujours, ma fille, de vous répondre sur les Lettres de M. de Saint-Cyran, si je ne commençais par là. Elles sont d’une spiritualité sèche et alambiquée ; je n’en attends aucun profit pour la personne que vous savez. Je ne les défends pas, mais je ne les ai jamais ni conseillées, ni permises. » »
Rien d’étonnant à ce que le prélat catholique ait cette opinion sur les œuvres d’un janséniste de première importance. En revanche, comme Sainte-Beuve, on peut être surpris par la dernière phrase :
« Quel biais étroit entre ne pas défendre et ne pas permettre ! Bossuet avait ainsi, sur bien des points, de ces biais singuliers pour un aussi puissant et absolu génie. »
Si par la première phrase Sainte-Beuve semble approuver la finesse conceptuelle de Bossuet, par la deuxième il paraît condamner une distinction purement verbale. Le passage est, à mes yeux du moins, un peu ambigu mais, exégèse beuvienne mise à part, peut-on ne pas interdire si on ne permet pas ?
Oui, bel et bien ! Qu’on pense à une situation de vide juridique ou de vide moral : par exemple une technique nouvelle est toujours en avance sur le droit et l’éthique ; dans ces conditions, elle n’est ni permise ni interdite (juridiquement, moralement). Elle est simplement non qualifiée en termes de droit, de morale.
Bossuet voudrait donc dire qu’il n’a jamais pris position sur les Lettres de Saint-Cyran, son silence n’étant assurément ni une permission ni une interdiction.
Mais le problème est le suivant : quand Bossuet dit ne pas avoir permis cette lecture, veut-il dire qu’il n’a rien dit ou qu’il a formulé l’énoncé « je ne permets pas cette lecture » ? Dans le premier cas, il y a une abstention qui n’est en effet pas une non-permission effective ; dans le second, il y a bel et bien interdiction. C’est en effet incohérent de dire : « je ne vous permets pas ceci mais je ne vous l’interdis pas ».
Aussi le biais est-il certes étroit mais bien réel. Le compte-rendu de Bossuet doit porter alors sur son silence et non sur le fait qu’il a exprimé une non-permission.
Il va de soi que si on interprétait un silence comme une non-permission implicite, alors le biais serait imaginaire et la distinction purement verbale, et indigne d'un "puissant et absolu génie".
Oui, bel et bien ! Qu’on pense à une situation de vide juridique ou de vide moral : par exemple une technique nouvelle est toujours en avance sur le droit et l’éthique ; dans ces conditions, elle n’est ni permise ni interdite (juridiquement, moralement). Elle est simplement non qualifiée en termes de droit, de morale.
Bossuet voudrait donc dire qu’il n’a jamais pris position sur les Lettres de Saint-Cyran, son silence n’étant assurément ni une permission ni une interdiction.
Mais le problème est le suivant : quand Bossuet dit ne pas avoir permis cette lecture, veut-il dire qu’il n’a rien dit ou qu’il a formulé l’énoncé « je ne permets pas cette lecture » ? Dans le premier cas, il y a une abstention qui n’est en effet pas une non-permission effective ; dans le second, il y a bel et bien interdiction. C’est en effet incohérent de dire : « je ne vous permets pas ceci mais je ne vous l’interdis pas ».
Aussi le biais est-il certes étroit mais bien réel. Le compte-rendu de Bossuet doit porter alors sur son silence et non sur le fait qu’il a exprimé une non-permission.
Il va de soi que si on interprétait un silence comme une non-permission implicite, alors le biais serait imaginaire et la distinction purement verbale, et indigne d'un "puissant et absolu génie".