Diogène Laërce n'est guère plus disert sur Simon qu'il ne l'a été sur Criton et en plus, ce nouveau Socratique, à ma connaissance, n'apparaît nulle part dans les dialogues de Platon. C’était un cordonnier :
« Quand Socrate venait dans son échoppe et discutait sur un sujet quelconque, (il) prenait en notes tout ce dont il se souvenait. » (I, 122)
Quand Socrate parle, le cordonnier s’arrête donc de travailler. Peu importe le sujet, ce que dit Socrate mérite d’être gardé. Platon a beau lui avoir fait condamner l’écriture dans le Phèdre, Socrate, comme plus tard Epictète avec Arrien , ne prononce pas des paroles qui s’envolent pour laisser la place à d’autres, plus exactes mais toujours susceptibles d’être dépassées par des formulations plus précieuses encore. Non, Simon les arrête au vol et épingle ce qui n’aurait dû, par son passage, qu’éveiller à la pensée. J’imagine que ce sont de ces notes-là qu’il tire ses 33 « dialogues de cordonnerie » (II,122). Mais s’y était-il donné un rôle ou les avait-il écrits comme Platon qui, nulle part dans les si nombreux textes qu’il a écrits, n’a rejoint les personnages qu’il assemblait autour de Socrate ? Je cherche dans la liste un titre qui pourrait évoquer l’artisan, je ne trouve guère que Sur le travail. J’imagine que ce dialogue pouvait contenir une défense de l’artisan par opposition au peintre, sur le modèle de celle qu’on lit au début du livre X de la République. Si dans cet ouvrage il est question du lit, en revanche ici et en hommage à Simon le cordonnier, je parlerai plutôt de la chaussure. Pour dire qu’il y a non pas des milliards de chaussures mais seulement trois.
La première, qu’on appellera la Chaussure, a été créée par Dieu, que Socrate désigne sous le nom d’ « ouvrier naturel » (597 d). C’est le Concept de chaussure que Platon ne se représente pas comme né de l’imagination des hommes mais comme appartenant de toute éternité au monde des Essences.
La deuxième, c’est la chaussure fabriquée d’après la Chaussure. Avec Aristote, je dirais que pour faire la chaussure minuscule, il faut quatre choses : du cuir, un artisan, un but ( protéger le pied par exemple ) et ce qui nous intéresse ici une Forme, la Chaussure majuscule. Donc Simon, en un sens, fait des chaussures mais, pour parler comme Platon, aucun homme n’a fait la Chaussure. Ce n’est pas avec des morceaux de cuir qu’on crée une Forme mais avec de la pensée divine. Simon n’ est lui qu’un « ouvrier professionnel » (ibid.)
La troisième, c’est la chaussure peinte, par Van Gogh par exemple. Mais le plus grand peintre vaut de toute façon moins que Simon le cordonnier : l’artiste ne sait pas faire la chaussure ou quelque autre objet, il est juste capable d’imiter l’oeuvre de l’artisan. C’est Van Gogh qui doit vénérer le cordonnier et pas l’inverse, comme c’est l’usage aujourd’hui.
Au fond, on comprend pourquoi Simon s’arrêtait de travailler, buvait et notait les paroles de Socrate, puis, à son tour, s’est mis à écrire sur le Beau, la Loi, l’ Etre même etc. Conscient de n'avoir une relation privilégiée qu'avec une seule Essence, il a voulu se rapprocher de toutes les autres.