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samedi 11 novembre 2006

Démétrios de Phalère : l'aristotélisme au pouvoir.

Démétrios est quasi un philosophe-roi, certes le trait est un peu poussé car ce n’est pas le Savoir Ultime qui le fait accéder à Athènes au pouvoir suprême mais la volonté des vainqueurs, je veux dire des Macédoniens, précisément de Cassandre.
Reste qu’il est Athénien de souche (né au port du Phalère exactement) et formé à la philosophie par Théophraste.
En plus il a bel et bien une production philosophique : Laërce cite 45 titres mais Jean-Pierre Schneider dans la notice qu’il lui consacre (Dictionnaire des philosophes antiques TII p.628) se réfère à une « œuvre immense ». C'est néanmoins par l’évocation de sa carrière politique que Laërce commence sa biographie. Risquant l’anachronisme, j’ose dire qu’elle suggère à première lecture un impressionnant « culte de la personnalité » :
« Il fut jugé digne de trois cent soixante effigies en bronze, dont la plupart étaient à cheval, sur des chars et des attelages à deux chevaux, qui furent achevés en moins de trois cents jours : à tel point il suscitait l’empressement » (V 75 trad. de Michel Narcy)
Les derniers mots mettent en évidence que, si les artisans athéniens produisent plus d’une sculpture par jour et cela pendant presque un an, ce n’est pas servilité apeurée mais reconnaissance et enthousiasme spontanés. Laërce est d'alleurs explicite :
« Comme homme d’Etat, il réalisa pour sa patrie de nombreuses et très belles choses. Et en effet, en revenus et en constructions, il fit croître la cité, bien qu’il ne fût pas de naissance noble. » (ibidem)
Ce qui semble clair, c’est qu’il permet l’institutionnalisation de l’école aristotélicienne : si Théophraste, malgré le fait d’être métèque, peut acquérir le jardin qui donne naissance au Peripatos, c’est à Démétrios qu’il le doit (V 39). Qui sait ? Sans ce soutien politique de premier plan, Aristote serait peut-être pour nous aussi peu que ces innombrables philosophes antiques dont on ne connaît aujourd’hui plus que le nom…Même si une philosophie vise le ciel, son salut sera d’autant moins fragile qu’elle occupera du terrain, au sens le plus prosaïque du terme !
Démétrios, s’il tient l’étrier à l’aristotélisme, ne fait pas, lui, long feu. A en croire Laërce, c’est sa valeur qui l’a ruiné :
« (…) Bien qu’il fût illustre auprès des Athéniens, la jalousie qui ronge toutes choses jeta pourtant sur lui aussi son ombre. En effet, victime d’une cabale montée par certains, il fut, sans comparaître, condamné à mort. Certes ils ne s’assurèrent pas de sa personne, mais ils déversèrent leur bave sur le bronze, renversant ses effigies dont certaines furent vendues, d’autres jetées à la mer, d’autres débitées en pots de chambre : car on dit même cela. Et une seule est conservée à l’Acropole. » (76-77)
Michel Narcy explique en note que le mot grec ión qu’il traduit ici par bave veut dire autant le venin du serpent que la rouille. La précision est d’intérêt car c’est mordu par un aspic que Démétrios mourra (78), ce qui permet finalement de parler de sa mort politique: tué au figuré avant de l’être pour de bon, c’est dans les deux cas le même mot qui désigne la cause de la fin. Ceci dit, je ne comprends pas pourquoi Narcy a tenu à introduire la bave. « Ils déversèrent leur venin sur le bronze » me paraît tout de même infiniment plus corrosif et délétère…
Mais, qu’il s’agisse de bave ou de venin, Démétrios ne paraît pas avoir été atteint moralement :
« C’est lui qui, ayant entendu que les Athéniens avaient renversé ses effigies, dit : « mais pas la vertu qui fut cause qu’ils les ont érigées ». » (82)
Stoïcisme de la réaction : la valeur d’un homme ne se mesure pas à sa renommée. Bien sûr j’ai tout de même du mal à associer à une telle hauteur l’apophtegme qui suit immédiatement :
« Il disait que les sourcils ne sont pas une partie minime du visage, ils peuvent bel et bien assombrir la vie entière. » (ibidem)
Mais ce sera l’occasion d’un autre billet !