Dans son Évaluation et contre-pouvoir, portée éthique et politique du jugement de valeur dans le stoïcisme romain (2014), Sandrine Alexandre désigne du nom de procédé de redescription dégradante (p.160) la technique utilisée par Marc-Aurèle en vue de se détourner d'un bien en fait imaginaire mais ayant le mauvais effet de nous détourner d'un bien réel. Ainsi, dans le paragraphe VI 13 des Pensées, l'empereur philosophe redécrit-il un mets à base de poisson, un autre à base de viande, puis un vin réputé, puis, changeant de domaine, il se centre sur un vêtement prestigieux, la robe prétexte. Reste l'acte sexuel :
" Il est le frottement d'un boyau, avec un certain spasme, l'éjaculation d'un peu de morve." (p.159 du livre de Sandrine Alexandre)
Un moine bénédictin, Odon de Cluny, au 10ème siècle a lui aussi utilisé le même procédé à des fins ressemblantes (tourner vers Dieu) - du moins si Johan Huizinga dans Le déclin du Moyen-Âge (Paris, Payot, 1932) a bien raison de lui attribuer les lignes suivantes - :
" La beauté du corps est tout entière dans la peau. En effet, si les hommes, doués, comme les lynx de Béotie, d'intérieure pénétration visuelle, voyaient ce qui est sous la peau, la vue seule des femmes leur serait nauséabonde : cette grâce féminine n'est que saburre, sang, humeur, fiel. Considérez ce qui se cache dans les narines, dans la gorge, dans le ventre : saletés partout... Et nous qui répugnons à toucher, même du bout du doigt, de la vomissure et du fumier, comment pouvons-nous désirer serrer dans nos bras le sac d'excréments lui-même."
Un tel procédé est-il encore utilisé aujourd'hui au service d'une grande cause éthique, religieuse ou philosophique ?
Il semble plutôt qu'on assiste à un mouvement inverse mais en dehors de toute visée morale : ce qui est sous la peau est désormais exposable, non plus seulement utile bien entendu à des fins didactiques mais proposé à l'appréciation esthétique, comme sont constamment offerts au public à des fins divertissantes les mouvements d'entrailles psychiques des uns et des autres, tous désireux de faire connaître leur secrète et chère intériorité.