lundi 14 avril 2025
Trois états de l'âme : délirante ou barricadée ou fugitive. Lire Céline comme si c'était un philosophe !
mardi 13 février 2024
Éduquer et rejeter.
Comment constituer une pédagogie qui d'une part, comme il se doit, favorise le développement du meilleur de chaque élève, en reposant sur une certaine confiance, et d'autre part, respecte la vérité de la dernière phrase de l'Éthique de Spinoza ?
" Omnia praeclara tam difficilia, quam rara sunt." " Tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare. " (traduction de Bernard Pautrat).
On entend par contraste la rengaine ressassée de la garderie à l'université : " Tout ce qui est remarquable est facile autant que fréquent."
En écho au problème posé, ces lignes de Denis Kambouchner à propos du monde des " généreux ", tel que Descartes l'entend :
" Leur société restera donc, non par vocation (comme les critiques récentes de l'humanisme le suggèrent à l'envi), mais par la force des choses, une société partielle et minoritaire." (La question Descartes, Gallimard, 2023, p. 287)
Y aurait-il un mensonge au sein de la pédagogie la plus honorable ? L'association que fait Platon dans La République entre éduquer et cacher, éduquer et exclure est-elle donc inévitable ?
samedi 27 août 2022
Insuffisance des traductions ou ethnocentrisme linguistique ?
Lire les dialogues de Platon, c'est quelquefois lire un monologue déguisé, au sens où ce que dit, par exemple, Socrate est interrompu seulement par des répliques sans intérêt, réduites à des adverbes comme assurément, certainement, cela va de soi, etc. ne servant qu'à relancer la parole du maître. L'impression du lecteur est alors que l'interlocuteur sert de faire-valoir à celui qui, finalement, donne une leçon unilatérale sous l'apparence d'un échange. Or, un passage de Jacqueline de Romilly dans ses Petites leçons sur le grec ancien (Le livre de poche, 2008) suggère que l'effet que je relève serait dû à la pauvreté en français des moyens permettant de traduire la diversité expressive des particules grecques :
" On rencontre souvent chez Platon des passages de dialogue avec des particules qui scandent la moindre réplique, et il arrive que les approbations que donnent à Socrate ses interlocuteurs nous semblent monotones et un tant soit peu artificielles. Ce peut être panu ge - un adverbe signifiant " tout à fait ", renforcé par la particule ge -, et les traducteurs s'ingénient à varier en français les formes de l'acquiescement, passant de " absolument " à " certainement " ou à " parfaitement ", comme le fait Alfred Croiset au début de sa traduction du Gorgias pour éviter la monotonie. Il choisit " évidemment " pour rendre le grec pôs gar ou qui signifie proprement " comment, en effet, ne serait-ce pas ? " et il rend sobrement dèlon dèpou par un " c'est évident " sans qu'on puisse savoir, à le lire, si la particule dèpou se borne à souligner l'évidence de l'accord poli mais ironique de l'interlocuteur devant un fait tellement évident qu'il s'excuse de répéter un truisme. C'est en effet la variation des particules qui permet de savoir si l'assentiment accordé est enthousiaste ou réservé, voir excédé. L'apparente montotonie de nos traductions, parfois leur lourdeur, ne doit pas nous faire oublier que ces particules, si légères, donnent au dialogue sa vivacité et soulignent les nuance les plus fines et les plus subtiles de la pensée." (p. 106)
Je me demande dans quelle mesure Jacqueline de Romilly ne rêve pas ici à une langue, précisément le grec ancien, telle que l'ambiguïté de l'écriture y aurait disparu, langue écrite qui serait en effet aussi expressive que l'oral. Mais cette écriture de rêve ne transcrirait-elle pas un oral à son tour largement irréel ? En effet quelles sont les nuances de l'oral qui n'ont pas tout autant une certaine dose d'équivocité ? Cette double transparence en grec ancien d'abord de l'échange oral puis de sa transcription écrite est trop belle pour être vraie.
dimanche 4 avril 2021
Un tapis de prière platonicien.
C'est un rêve de Wittgenstein que William W. Bartley III rapporte dans Wittgenstein : une vie, 1973, Paris, éditions Complexe, 1978, p. 28) :
" Il faisait nuit. J'étais à l'extérieur d'une maison dont les fenêtres resplendissaient de lumière. Je me dirigeai vers une fenêtre pour regarder à l'intérieur. Là, sur le plancher, je remarquais un tapis de prière d'une beauté exquise que j'eus le désir immédiatement d'examiner. J'essayai d'ouvrir la porte de devant, mais un serpent sortit d'un bond pour m'empêcher d'entrer. J'essayai une autre porte, mais là aussi un serpent s'élança pour me barrer la route. Des serpents apparurent également aux fenêtres et s'opposèrent à toute tentative d'atteindre le tapis de prière."
L'auteur de l'ouvrage paraît enclin à une lecture freudienne (" Son élément central est une forme qui rappelle assez celle d'un pénis en érection."). Pas vraiment appâté par l'amorce, je vois plutôt dans ce récit une variante de l'allégorie de la caverne, avec des différences notables bien sûr : entre autres, l'accès au Précieux semble pouvoir être immédiat, même si rien n'interdit de penser le tapis comme l'intermédiaire lent entre le priant et le prié ; les contraintes hostiles sont externes et non internes (ça fait plus jeu vidéo) ; les animaux y jouent un rôle décisif alors que dans l'allégorie platonicienne, que pourrait être l'accès au serpent, sinon la perception de l'ombre du faux serpent manipulé par le mauvais connaisseur de l'animal ? L'objet désiré semble être observable, analysable, examinable : il ne paraît pas prenant, absorbant, fascinant.
Certains y verront les anti-serpents du serpent biblique, sauf à penser que leur morsure possible est une forme subtile de tentation.
mardi 23 février 2021
Les essences platoniciennes contre les abstractions nationalistes : pour l'identité de l' Hêtre, contre l'identité française !
On ne doit pas lire Pierre Drieu La Rochelle en enfant de choeur !
Aussi ai-je conscience que le sens donné par moi au passage suivant de Gilles (1939), fait excessivement la part belle aux Formes platoniciennes aux dépens de celle, prééminente et superbe, que les personnages qui dialoguent (Gilles et son maître, le père Carentan), ainsi que vraisemblablement l'auteur lui-même, faisaient à la Terre, ou, plus précisément, à quelque chose comme une France déchue mais digne d'être éternelle.
Reste qu' une fois cette infidélité avouée, je m'autorise à lire ces lignes comme invitant à distinguer les essences véritablement éternelles des constructions sociales et des idéaux historiques !
- Des hommes, en tout cas, toujours...
mercredi 10 février 2021
Quand les astres sont des stars : comment Pierre Drieu La Rochelle revisite la chute de Thalès.
" Les parents de Myriam Falkenberg étaient riches et avaient cru prendre grand soin de son éducation. Mais ils ne s'aimaient pas et ne l'aimaient pas. Sa mère n'aimait pas plus son père qu'aucune autre personne au monde. D'abord elle avait voulu être riche ; ensuite faire de la peinture ; puis, connaître des duchesses ; plus tard encore, être pauvre (cela consistait à fréquenter de riches ministres socialistes). Elle admirait qu'un homme fût un grand médecin, ou fît un grand voyage ; mais l'être sensible derrière la parade des gestes, elle l'ignorait. Comme l'astronome prêt à tomber dans un puits, elle était éblouie par un firmament de signes sociaux. Elle s'était tôt désintéressée de sa fille qui ne saurait pas acquérir une situation brillante. Ses deux fils, qu'elle préférait, elle ne les avait pas plus approchés. Toutefois, elle avait jugé convenable de mourir de chagrin quand leur nom avait paru dans la liste des morts, au Figaro." (Gilles, Gallimard, 1939, Folio, p. 53-54)
On mesure l'inversion réalisée par Drieu La Rochelle en se rappelant de la cécité sociale qui caractérise ceux que Thalès symbolise dans le Théétète de Platon. Ainsi sont décrits " ceux qui perdent leur temps dans la quête du savoir " (173 c) :
" Ceux-là, oui, depuis leur jeunesse, d'abord ils ne savent pas le chemin pour se rendre au lieu de l' Assemblée, ni où se trouve le tribunal, le Conseil, ni un autre lieu où la cité s'assemble en commun ; lois et décrets, que ce soit au moment où ces assemblées en parlent, ou une fois promulgués, ne frappent ni leur vue, ni leur ouïe ; les efforts des partis pour s'assurer les magistratures, leurs réunions, les repas, les fêtes qu'ils organisent avec des joueuses de flûte, même en rêve cette activité ne leur vient pas à l'esprit. Et l'un d'entre eux connaît-il le bonheur ou le malheur dans la cité, ou l'entre d'entre eux a-t-il quelque handicap qui lui vient de ses ancêtres, soit par les hommes, soit par les femmes : il en est plus ignorant que du nombre de pintes, comme on dit, contenues dans la mer. Et tout cela, il ne sait même pas qu'il ne le sait pas. Car ce n'est même pas pour le plaisir d'être tenu en haute estime, qu'il s'en désintéresse : c'est qu'en fait son corps seul gît dans la cité, il y réside en étranger ; sa pensée, qui tient tout cela pour peu de chose et même pour rien, en éprouve du dédain, elle qui vole en tous sens, géomètre dans " les profondeurs de la terre ", comme dit Pindare, et sur ses étendues, astronome " au surplomb du ciel ", explorant enfin sous tous ses aspects la nature entière de chacun des êtres en général, sans s'abaisser elle-même vers rien de ce qui l'environne." (Théétète, Oeuvres complètes, Flammarion, 2008, p. 1930-1931)
dimanche 4 octobre 2020
L'Idée platonicienne meurt à Delphes.
Michel Leiris, en 1928, dans son journal, rapporte ainsi un de ses rêves :
" Je voyage à Delphes dans un pays montagneux, assez dangereux. J'arrive à Delphes et aperçois derrière le temple, toute une série de déserts qui s'étendent à perte de vue. Au bout de chaque désert, il y a une chaîne de montagnes. Derrière cette chaîne de montagnes, il y a un autre désert, limité lui-même par une chaîne de montagnes masquant un troisième désert et ainsi de suite. C'est l'ensemble de tous ces déserts limités qui constitue le vrai Désert, le DÉSERT en soi." (Gallimard, 1992, p. 131)
vendredi 20 mars 2020
La raison, l'homme et la femme.
La comparaison du nom avec un instrument justifie la référence au producteur des noms concrets qui ne peut réussir sa tâche que si, tel le fabricant d'outils, il a une connaissance théorique des Noms correspondant aux êtres nommés (choses, personnes etc.). Mais qui est susceptible d'être ce producteur éclairé ?
Hermogène : Je dirais évidemment que ce sont les gens raisonnables.
Socrate : Eh bien, d'après toi, dans les cités, sont-ce les femmes ou les hommes qui sont les plus raisonnables - j'entends le sexe féminin ou le sexe masculin dans son ensemble ?
Hermogène : Les hommes.
Socrate : Eh bien, tu sais que, d'après Homère, le jeune enfant d' Hector était appelé Astuánax par les Troyens : il est clair, n'est-ce pas ? que les femmes lui donnaient le nom de Skamándrios puisque ce sont les hommes qui l'appelaient Astuánax ?
Hermogène : Je crois bien.
Socrate : Par conséquent, Homère ne jugeait-il pas, lui aussi, les Troyens plus sages que leurs femmes ?
Hermogène : Oui, je crois.
Socrate : Dans ce cas, il trouvait plus correct de donner à l'enfant le nom d' Astuánax plutôt que celui de Skamándrios ?
Hermogène : Apparemment." (392c, Œuvres complètes, p. 206, Flammarion, 2008).
vendredi 27 avril 2018
Platon avant Saint-Augustin.
Aucune référence n'est donc donnée de ce texte de Saint-Augustin justifiant la coercition comme préparation à la conversion libératrice :
Manifestement cette première (?) mise en scène des rapports complémentaires de la contrainte physique et de la liberté mentale éclaire, tout autant que les lignes de Saint-Augustin, certains des textes bien plus tardifs cités par Philippe Buc, comme par exemple ces lignes du puritain William Perkins (1558-1602) dont je ne peux malheureusement pas non plus donner la source :
De nos jours, cette contrainte initiale n'est plus bien vue. Elle correspond plus ou moins à ce que Kant désigne par discipline dans son Traité de pédagogie, du moins si l'on accepte que faire faire à quelqu'un ce qu'il ne veut pas (Platon) équivaut en contrainte à l'empêcher de faire ce qu'il veut (Kant : " la discipline doit brider l'homme pour l'empêcher de se livrer aux dangers dans le désordre et l'irréflexion.").
Il faudrait avoir le talent d'écrire une version de l'allégorie de la caverne que les pédagogues du jeu pourraient s'approprier. Ce serait en s'amusant et donc sans réaliser la différence de niveau entre sa caverne et la connaissance que le prisonner sortirait au grand jour. Certes, quand il se retrouverait seul face aux choses, le réel lui-même devrait être divertissant pour faire entrer sans peine le savoir dans l'esprit ... Comme notre nouveau prisonnier, d'autant plus pressé que la technique lui permettrait de gagner du temps (sur ce sujet, consulter Accélération. Une critique sociale du temps de Hartmut Rosa), serait trop impatient pour prendre le temps de s'habituer à son nouvel environnement (516 a), la réalité devrait être complètement accessible d'un seul coup. Mais, dans de telles conditions, je le vois mal s'attarder à contempler l' Idée du Bien, elle l'ennuierait vite, il redescendrait d'où il vient, juste pour se changer les idées. Serait-il tué ? Sans doute pas, on lui préférerait un clown plus captivant...
lundi 15 mai 2017
La difficulté d'enseigner la philosophie sans être nuisible.
- Oui, dit-il, ils en raffolent.
- Dès lors, lorsqu'ils ont eux-mêmes réfuté beaucoup de gens, et lorsqu'ils ont été réfutés par plusieurs, ils basculent avec une brutale rapidité dans le scepticisme à l'endroit de ce qu'ils croyaient auparavant. Et compte tenu de cela, justement, ils deviennent eux-mêmes, comme tout ce qui touche à l'exercice de la philosophie, objets de mépris de la part de tous les autres." (539 bc, édition Brisson, pp. 1705-06)
Commentaires
- 1. Le jeudi 18 mai 2017, 19:46 par gelana cleps
- boire un petit coup c'est agreable. Fuir l'ivresse en philosophie, mais pas ailleurs.
L'ivresse peut être aussi ennuyeuse que la sobriété. Osons le dire : souvent Nietzsche est ennuyeux. Souvent les alcools forts sont insipides. - 2. Le samedi 20 mai 2017, 12:56 par Philalèthe
- Oui, on s'accoutume à un alcool, Nietzsche doit aussi être lu à petites doses et, en gardant raison, il stimule mais risque d'anesthésier et de rendre insensible, certains nietzschéens ont un ton tellement grand seigneur, à mes yeux.Toutefois, même à petites doses, il rend ivres certains jeunes esprits qui perdent alors tout sens commun. Freud a encore plus cet effet : enivrés par son inconscient, les mêmes sont portés à écrire n'importe quoi en faisant de ce même inconscient un petit dieu.
- 3. Le samedi 20 mai 2017, 14:15 par Arnaud
- "Nietzsche n'est pas une nourriture, c'est un excitant" : célèbre citation de Valéry dans ses Cahiers qui résumerait assez bien la discussion ?
- 4. Le samedi 20 mai 2017, 16:00 par Philalèthe
- Merci de rappeler ce texte de Valéry , mais à ses yeux " toute philosophie ne peut être qu'un excitant " (Cahiers, volume 1, La Pléiade, p.567).Il semble que celle de Nietzsche, si intelligent à ses yeux (" Comment se peut-il que cet homme si intelligent ait pu écrire de telles sottises ? ") lui est indigeste : il lui reproche son prophétisme plus que mégalomane (" un chef d'orchestre danubien furibond " !), son infantilisme, ses généralités, ses sophismes, son verbalisme (la volonté de puissance, " le mot magique : Vie "). Il l'aime en revanche dans sa capacité à repérer "les fantômes verbaux", "les mots suspects". C'est un de ses philosophes préférés, avoue-t-il." Nietzsche - Inflation insupportable qui infeste cette intelligence.Que de sommets de carton ! - Comment peut-on se croire quelque chose à ce point -!Et quelle imagination universitaire -- Il est ivre de lectures et de lections. Les livres comptent pour lui ! Ce n'est pas le fort de M. Teste.Et naturellement, non-observateur personnel. Pas de sens - des nerfs - type nordique.D'où mixture, salade, d'histoire, de philo-logie et sophie - Esthétique de thèses.Mais, quand il est bon, very-exciting. Rien de plus - mais rien de moins - et c'est beaucoup.Appartient à l'ordre des exagérants, classe des solitaires par mégastomanie." (1942)Ou encore ce texte dela même année :" Excitants - Les ivresses théorétiques -Je lis quelques pages de la "Volonté de puissance" - et après y avoir trouvé ce que cela peut donner, c'est-à-dire une excitant - de la classe L, je ressens, re-trouve la sensation du vide - que ces mixtures de prophétisme, historisme, philosophisme et biologie, me procurent."Savez-vous à quoi la classe L se réfère ?
samedi 28 janvier 2017
Indémodable Platon.
mercredi 24 août 2016
Figures du cygne chez Platon et Baudelaire.
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal :
" Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ?"
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Comme s'il adressait des reproches à Dieu."
Entre le cygne baudelairien, définitivement loin du ciel, et le cygne socratique, qui y est déjà en pensée, peut-être la mouche wittgensteinienne occupe-t-elle une place intermédiaire, se butant contre les parois du piège mais potentiellement libérée..
Certes le ciel de la mouche wittgensteinienne n'est pas le Ciel.
Commentaires
- 1. Le samedi 27 août 2016, 19:29 par angle pselac
- et le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui ?Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.
lundi 11 avril 2016
Calliclès et Bourdieu : la philo, bonne pour les ados ?
Commentaires
- 1. Le samedi 16 avril 2016, 14:07 par Arnaud
- La conception exprimée ici par Calliclès ne rejoint-elle pas l’opinion commune sur la philosophie qui avait cours chez les Athéniens de cette époque ? Elle envisageait la philosophie comme une formation éducative parmi d’autres ou encore comme une gymnastique mentale et verbale bonne pour la jeunesse, mais par la suite inutile voire ridicule et nuisible chez l’homme mûr. Il est clair que cette philosophie qui convient à l’adolescent mais non à l’adulte n’a que peu de choses à voir avec celle que pratique Socrate : pour Calliclès, une vie réussie est une vie où l’on se distingue sur l'Agora, notamment par l’éclat du discours. On devine sans peine sa fascination pour la rhétorique qu’il confond purement et simplement avec la philosophie… Dans cette optique, le parallèle avec cet extrait de Bourdieu n'est-il pas hasardeux ?
- 2. Le dimanche 17 avril 2016, 09:40 par sale pelcange
- proposition : pas de philosophie avant 25 ans ( avant les esprits ne sont pas mûrs), et pas après 70 ans ( après ils sont trop mous).
Et sanctions pour ceux qui continuent après cet âge. - 3. Le dimanche 17 avril 2016, 11:41 par Philalethe
- à sale pelcangevoilà une proposition platonicienne en tant qu'elle légifère dans les choses de l'esprit et non platonicienne en tant qu'elle y condamne la gérontocratie.
Mais l'exclusion des plus de 70 ans est trop générale, je propose donc après 70 ans une censure d' État constituée des meilleurs philosophes et jugeant au cas par cas. - 4. Le dimanche 17 avril 2016, 11:47 par Philalethe
- à ArnaudUn parallèle ne veut pas dire une identification. L'arrière-plan des deux condamnations de la philosophie est bien différent : pour Calliclès, c'est la vie active qui la justifie, pour Bourdieu, c'est la science.
Cela dit, il y a de nombreux textes chez Bourdieu qui expriment ce désir d'en finir avec la philosophie, ce qui est en aucune manière une misologie.
Certes les références aux philosophies sont multiples chez lui mais elles ne sont pas vraiment respectueuses ; il se sert des concepts philosophiques des autres comme les chrétiens ont récupéré pour leurs églises les restes des monuments païens...
jeudi 18 février 2016
Dialoguer empêche de mourir !

- Tout simplement, Socrate, fit Criton, ce que me dit à moi depuis un bon moment déjà celui qui doit te donner le poison : que je dois t'expliquer qu'il faut dialoguer le moins possible, car il prétend que l'on s'échauffe trop en dialoguant, et qu'il ne faut rien opposer de tel à l'action du poison ; sinon on est parfois obligé d'en boire deux et même trois fois quand on se comporte ainsi." (63d-e, éd. Brisson, p.1179)
Mais qu'importe l'argent à Socrate !
En effet il répond ainsi à Criton :
- Je me doutais bien que tu allais réagir de cette façon, dit Criton, mais l'homme n'arrête pas de me faire des histoires.
- Laisse-le dire, fit Socrate."
Mais revenons au texte d'Eva Cantarella :
L'introduction de la mort douce ne signifie pas que les Athéniens cherchaient à réduire la cruauté de la peine de mort, mais montre plutôt leur volonté d'exercer le pouvoir de façon plus discrète, conscients qu'ils étaient de la nécessité d'employer la force sans ostentation et sans excès. Mais ce ne fut pas leur seule motivation : permettre aux condamnés à mort d'éviter la peine capitale publique et infamante était aussi la reconnaissance d'un privilège social.
Les condamnés pour raisons politiques étaient très différents des autres condamnés à mort.. Ils n'étaient pas de vulgaires malfaiteurs comme les voleurs et tous les autres kakourgoi ou comme les assassins qui continuaient à mourir sur la croix. Ils étaient des dissidents et des ennemis, mais en même temps ils faisaient partie de ceux qui comptaient et appelaient le respect. Leur permettre de mourir sans douleur et sans infamie était un moyen de reconnaître cette position et de ne pas les priver d'une dignité qui, en définitive, était analogue à celle de ceux qui les avaient condamnés." ( pp.102-106)
lundi 15 février 2016
Singerie.
POLOS : Pourquoi ? N'ai-je pas le droit de parler autant que je veux ?."
Commentaires
- 1. Le mardi 16 février 2016, 11:19 par Arnaud
- Mieux vaut s'adresser à Dieu qu'à ses singes...
dimanche 20 décembre 2015
Socrate et l'esclave dans le Criton : l'élévation morale illustrée a contrario par la bassesse sociale.
Une dernière fois, les Lois vont comparer Socrate à un esclave, mais sous un nouvel aspect : en effet, pour que personne ne lui fasse honte de la préférence qu'il a donnée à la vie sur la vertu, Socrate devrait sur sa terre d'exil faire profil bas :
Certes, plus tard, les premiers cyniques, disciples de Socrate, imiteront l'animal mais pour montrer, eux, leur excellence humaine au-delà des artifices vains et trompeurs des rôles sociaux.
samedi 19 décembre 2015
Sándor Márai, lecteur attentif du Criton.
C'est la leçon bien connue du Criton : il est légitime de subir une condamnation illégitime quand elle est formulée légalement dans le cadre des Lois de la Cité. Cependant Márai a raison d'en tirer aussi une autre leçon, plus discrète mais tout autant contenue dans le dialogue, qui, elle, justifie indéniablement son projet d'exil légal. En effet les Lois reconnaissent au citoyen le droit de quitter la Cité :
Certes Sándor Márai est tout de même partiellement infidèle à la leçon platonicienne en paraissant transformer en devoir de s'exiler en protestant ce que les Lois se contentent de présenter comme un droit au départ. Mais il faut dire aussi que la loi russe différait des Lois auxquelles Platon donnait la parole, en privant le citoyen hongrois du pouvoir de partir avec ses biens, pour la raison simple qu'elle l'en avait antérieurement dépossédé.
vendredi 11 décembre 2015
Aller-retour Caverne-Soleil, une variante de l'allégorie platonicienne.
Dans la Lumière, la pure Lumière, oui - après cette obscurité démente, je retournai enfin à la Lumière, là ou il est impossible de tricher, où il est inutile de mentir, où tout, le vrai comme le faux, se manifeste dans une clarté aveuglante. Oui, j'affrontais la Lumière, qui avait jailli d'ici avant de se répandre à travers toute l'Europe obscure et sauvage. Et, fùt-ce une dizaine d'années plus tard, alors que je grelottais , sous les néons de la nuit new-yorkaise, j'évoquais toujours avec le même bonheur la lumière du Pausilippe.
Pourtant, si l'on peut se baigner dans la lumière, si l'on peut s'y plonger comme dans l'Océan, il est impossible d'y vivre, tant elle vous éblouit. Vivre - réfléchir, agir - n'est possible que dans la pénombre. Aussi, fermant les yeux, m'étirai-je une dernière fois au sommet de ces hauteurs du sud avant de prendre le train pour Paris.
À la frontière française, je faillis être arrêté. Le douaniers examina à la loupe chacun de mes pauvres effets : il me soupçonnait de vouloir introduire en contrebande...quoi, au juste ? Je l'ignore. Sans doute ce que rapportent, d'ordinaire, les contrebandiers qui viennent de la Lumière pour regagner l'Obscurité." (Le livre de poche, p.286-287)
mercredi 2 décembre 2015
L'expertise est bonne pour les esclaves ! Aux hommes libres de décider !
Pour le dire vite, les hommes libres prennent ensemble les décisions politiques et les esclaves mettent leur expertise au service de la réalisation de ces choix. Le lieu du savoir "politique" est servile et ne se confond pas avec celui du pouvoir, libre.
Loin d'être soumis aux directives des experts, les assemblées démocratiques les instrumentalisent en vue de réaliser la politique décidée par elles. Rien d'étonnant à ce que dans les dernières pages de l'ouvrage, l'auteur se laisse aller à rêver :
Les deux premiers sont des passages très connus.
D'abord, dans le Protagoras, le mythe de Prométhée :
Second passage : quand Socrate fait trouver au petit esclave du Ménon une démonstration géométrique :
(...) Le dêmosios n'est en rien l'un des disciples de Socrate et, s'il a participé à de nombreuses conversations avec lui, comme le philosophe l'affirme, les logoi sokratikoi se sont bien gardés d'en rapporter le contenu. Célébré par Socrate, le comportement de l'esclave est en réalité construit par contraste avec l'attitude des disciples, tétanisés à l'idée de la mort du maître. Face aux disciples abattus, l'esclave donne l'exemple du noble comportement à adopter devant la mort du maître.
Alors que les disciples pleurent sur leur propre sort, comme le reconnaîtra Phédon, c'est par générosité et noblesse d'âme (hôs gennaiôs) que l'esclave pleure Socrate. Mieux que tous les disciples réunis, le dêmosios comprend le comportement de Socrate. Sa compassion le projette aux côtés du philosophe quand les disciples observent impuissants la disparition de leur maître. Aucun d'entre eux ne sera d'ailleurs gratifié de l'adieu (chairê) que Socrate lance à l'esclave et si Phédon clôt son récit par la célébration en Socrate du meilleur (aristos), du plus sage (phrônimotatos) et du plus juste (dikaiotatos) de tous les hommes, c'est en écho au discours de l'esclave qui avait prononcé l'éloge, selon une même structure ternaire, de l'homme le plus noble (gennaiotatos), le plus doux (praotatos) et le meilleur (aristos)." (p.189-190)
Commentaires
- 1. Le dimanche 6 décembre 2015, 18:25 par sang capelle
- Finalement, le sort le plus enviable est celui des clercs aux temps médiévaux. Sans pouvoir, sans argent, mais experts quand même, en universalité, et quand même respectés un peu plus que les esclaves anciens.
jeudi 12 novembre 2015
Discours de Diotime à Socrate, aveugle de naissance.
Si les aveugles sont capables d'aimer comme tout nous incite à le penser, une idée platonicienne tombe d'elle-même : c'est le spectacle de la beauté physique masculine qui déclencherait le mouvement d'ascension spirituelle au cours duquel se construit l'amour véritable. Les platoniciens chercheront probablement un compromis qui respecte l'intuition que les aveugles sont capables d'aimer, sans ôter la place centrale qu'ils donnent au spectacle de la beauté corporelle dans l'éveil de l'amour."
On note d'ailleurs que dans cette version hétérodoxe le passage du physique au moral est plus naturel que dans le texte original car c'est aussi la voix par laquelle se manifeste possiblement la beauté de l'âme. Alors que le texte authentique suppose un saut brutal entre le physique vu et le moral compris, lui, en revanche, par le sens de l'ouïe, dans ce texte fantaisiste, il n'y a pas de solution de continuité entre l'amour des personnes dans leur dimension physique et l'amour de ces mêmes personnes dans leur dimension morale, l'ouïe passant seulement de la perception de la valeur musicale de la voix à la compréhension de la valeur éthique de ce que dit la voix.
Certes, c'est une autre paire de manches de parvenir à adapter à l'élève aveugle l'allégorie de la Caverne : il faut distinguer écho d'un son imité, son imité, son d'origine, mais comment conduire du son d'origine à l'origine sonore de tout son, je veux dire, bien sûr à la Forme du Bien ?
Mais, bien avant, quel sera le son qui servira de transition entre le son imité et le son d'origine ? Ce son qui est l'équivalent sonore des ombres et des reflets, auxquels le prisonnier, une fois sorti de la Caverne, doit s'habituer avant de parvenir à percevoir les sons réels et non plus leurs images ? Doit-on encore recourir à la métaphore de l'écho ? Y aurait-il alors deux types d'écho, celui qui renvoie les imitations de sons et un autre qui renverrait les sons objets d'imitation ? Peut-être.
Reste l'énigmatique incarnation sonore du Bien...
Commentaires
Merci pour le retour sur Platon. Toute coercicion n´est pas chrétienne.
Augustin, Ep. 93.1.3, CSEL 34:2, 448, ou CCSL 31A, 169.
William Perkins, Works, vol. 2 (Londres: 1617), 412:
"True it is, the will cannot be compelled; and true it is likewise, that the Magistrate doth not compell any to beleeve: for when a man doth beleeve, and from his heart imbrace true religion, he doth it willingly. Notwithstanding meanes are to be used to make them willing, that are unwilling, and the meanes is to compell them to come to our assemblies, to heare the word, and to learne the grounds for true religion".
Je tiens à ajouter que l'ouvrage, même sans les notes, reste passionnant !