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dimanche 13 mars 2022

Les philosophies hellénistiques face à la guerre : 1) le scepticisme

Un sceptique contemporain, très modeste et conscient de ne pas être du tout un modèle pour les autres, pourrait s'exprimer ainsi :

" Il est vrai pour moi et pour une foule d'autres personnes qu'il y a actuellement ce qu'il est convenu d'appeler une guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine. Mes impressions nées de la lecture des nouvelles justifient que je croie à ce nouveau conflit. En plus, ces informations spontanément m'inquiètent.
Comme je suis sceptique, donc chercheur, au sens étymologique du mot, je cherche à savoir ce qu'il en est en vérité dans le détail de cette " chose " qui n'a pas lieu très loin de l'endroit où je vis, mais par exemple les chiffres des victimes dans les deux camps, comme toutes les autres informations visant à préciser la réalité de ce conflit, ne sont jamais fournies neutrement mais toujours au sein d'un camp particulier, engagé directement ou indirectement.
Je crois (je veux dire par là : je tiens pour vrai sans être assuré que ça soit vrai) qu'avec le temps d'autres descriptions de ce conflit verront le jour, mais je doute qu'elles puissent jamais résister aux objections et aux critiques qu'on leur fera et que le passage du temps ne les modifie pas à leur tour elles aussi. 
À la différence des sceptiques anciens qui ne connaissaient les guerres que par le discours ou par leurs effets directs (ils voyaient blessés et morts), je suis face à une multiplicité d'images, en mouvement ou non, qui pour  les non-sceptiques prouvent la réalité de la guerre, mais même si je ne suis pas platonicien, je reprendrai ici l'allégorie de la caverne : je vois certes mille images sur mon smartphone mais je crois qu'elles sont fabriquées à partir de multiples perspectives, dont plusieurs totalement antagonistes. Je suspends donc mon jugement concernant ce qui existe réellement. 
Mais cela ne veut pas dire que je reste inactif. Cette guerre m'a tiré de ce qu'on appelle aujourd'hui ma zone de confort : en effet je crois que mon tempérament et ce que font les autres me poussent à intervenir activement. Aussi par exemple fais-je des dons à destination de l'Ukraine. 
Mais je ne crois  pas pour autant  être un acteur même minuscule de ce qu'on a appelé quelquefois l'Histoire, pour la bonne raison que je ne connais pas l'Histoire, je crois juste savoir ce que je me représente comme historique ou non. 
Et encore un de mes maîtres me ferait penser que sur le concept d'histoire, j'ai une foule de représentations contradictoires. Et sais-je même ce qu'est une représentation ? 
Des gens que je tiens pour proches pourraient me demander : " Si tu ne crois pas à la réalité de cette guerre, pourquoi donc passes-tu le plus clair de ta journée à lire les journaux ? Pourquoi es-tu aussi anxieux ? " N'ai-je pas déjà répondu ? Mais répétons-le : à la première question, j' invoquerais mon tempérament, depuis toujours curieux. À la deuxième, je reconnaîtrais que je crois ne pas être un sceptique achevé. En effet la tranquillité de mon esprit reste un idéal que je me fixe, mon scepticisme est plus une réaction aux croyances assurées des uns et des autres qu'un doux oreiller sur lequel je pourrais déjà me reposer."

dimanche 2 février 2020

La philo comme acide.

Lisant le remarquable ouvrage de Richard Popkin, Histoire du scepticisme. De la fin du Moyen-Âge à l'aube du XIXème siècle (2003), je relève sous la plume de Bayle dans son article sur Uriel da Costa cette désespérante comparaison :
" (...) l'on peut comparer la Philosophie à des poudres si corrosives, qu'après avoir consumé les chairs baveuses d'une plaie, elles rongeroient la chair vive, & carieroient les os, & les perceroient jusqu'aux mouelles. La philosophie réfute d'abord les erreurs ; mais, si on ne l'arrête point là, elle attaque les véritez : &, quand on la laisse faire à sa fantaisie, elle va si loin, qu'elle ne sait plus où elle est, ni ne trouve plus où s'asseoir. " (Agone, 2019, p. 639)
Il plaît souvent aux élèves qu'on élimine par l'acide de la réflexion philosophique les chairs doxiques corrompues. Quelquefois ils acceptent même avec jubilation qu'il s'agisse des leurs.
Tous, leur professeur compris, rêvent de chairs philosophiques fermes, mais l'acide de la réflexion philosophique mord tous les corps philosophiques constitués.
Certes, par l'anti-acide qu'ils sécrètent, ces corps durables limitent les dégâts mais de là à trouver de quoi asseoir pour toujours la pensée... On reste alors sur le siège familier par habitude, par goût et affinité...
Mais taisons-nous ! Qui célèbre avec enthousiasme le pouvoir corrosif de l'acide est remis à sa place et surtout il en ressent vite les brûlures.

lundi 20 janvier 2020

Allégorie de la caverne à la façon sceptique : la chute des philosophes-escargots.

Le héros de l'histoire qui suit vient d'aller se coucher :
" Déjà (j') inclinais vers l'inconscience, quand un imperceptible bruit, net, cependant, comme une châtaigne tombant à terre, me tira de ma somnolence. Je n'y attachais d'autre importance dans le moment. Un second coup, après un instant de silence où seuls montaient et descendaient, en se croisant à des points fixes, les souffles de mes compagnons, me réveilla un peu plus (...) Pour vous dire le vrai (...), je n'en dormis de la nuit. Pendant six heures que dura mon supplice, je dénombrai 98 chocs, exactement semblables, toujours à de longs intervalles (...) J'eus au repas l'explication de mes terreurs nocturnes. On nous servit des escargots. L'hôtesse les avait déposés dans la chambre haute, sous un bahut : pour qu'ils ne s'enfuyassent pas, elle les avait tenus fermés dans un gros carton. Je compris tout (...) et vous me comprenez !! Ces admirables bêtes cherchaient comme nos philosophes une issue vers le ciel : ellle grimpaient aux parois et s'empilaient, coquille en bas, sous le couvercle du carton. La première se fixait ferme, et eût tenu sans les autres qui l'escaladant à renverse faisaient une grappe qui, cédant d'un coup, tombait en faisant le bruit qui m'intrigua si fort." (Louis Althusser, Journal de captivité, Stock/Imec, 1992, p. 173)
Platon avait raison : c'est seul que le prisonnier pouvait sortir de la caverne. Il fut bon aussi que les autres prisonniers le tuassent. Sans ce meurtre, l'histoire interminable de la philosophie aurait été possible.

Commentaires

1. Le vendredi 24 janvier 2020, 13:06 par gerardgrig
On ne connaît pas de grand livre sur la philosophie française en Oflag. Les plus grands esprits y ont séjourné. Il est vrai que cette captivité reste honteuse, d'autant que ces philosophes n'ont lu que de la métaphysique allemande. Seul Maxime Chastaing faisait de la résistance en lisant Virginia Woolf.
2. Le dimanche 26 janvier 2020, 12:27 par Philalèthe
Les camps dont vous parlez ne sont-ils pas la Caverne au centuple ? Pouvoir y écrire quoi que ce soit sur la Caverne, n'est-ce pas déjà presque héroïque ?
" Journée finie, fatigue, repas, sommeil. Liberté d'esprit  des urbains grecs inconcevable avec le travail dur. Esclavage nécessaire." écrit  Althusser  dans son journal le 20 avril  1941.
En somme il a fallu à  Platon des esclaves  réels pour avoir le loisir de faire la théorie  de l'homme-esclave...
3. Le dimanche 26 janvier 2020, 18:25 par gerardgrig
Il est intéressant de voir comment Althusser, philosophe chrétien féru de platonisme, commence à s'intéresser aux masses, sous la forme de l'analogie avec un tas d'escargots, et au rapport de l'individu à la communauté. Ici, l'individu dans son rapport à la communauté, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. D'autres penseurs ont vécu la captivité différemment, comme Henri Maldiney, dans "In Media Vita", qui était déjà phénoménologue, et qui faisait ses exercices merleau-pontyens.
4. Le lundi 27 janvier 2020, 09:35 par Philalèthe
Si Althusser était mort en captivité, lisant son journal, on aurait dit : " Quel grand moraliste ou quel grand poète il aurait fait ! ".