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dimanche 29 mars 2009

In memoriam canium (5): chiens cyniques, chiens bactriens, chiens de Priam.

Dans l’histoire du cynisme, il y a deux Onésicrite.
Du premier, citoyen d’Egine, rien à dire sinon qu’il était le père de Philiscos et qu’au lieu de détourner ses deux fils de Diogène il s’est comme eux soumis à lui (Diogène Laërce VI 75).
Le second, Onésicrite d’Astypalée, disciple aussi de Diogène, mérite en revanche plus d’ attention ; certes je lui ai déjà consacré un billet mais il est à compléter.
On pourrait commencer par remarquer qu’à la différence de Diogène il n’ a pas éconduit Alexandre le Grand mais l’a conduit, comme Philiscos, à sa façon cependant.
En effet, d’après Plutarque (Vie d’Alexandre 66 3), il était le pilote en chef de ceux qui dirigeaient la flotte macédonienne vers l’Inde. Arrien (Indica 18 9) le fait même pilote du navire d’Alexandre. En outre il a rédigé une chronique de ce voyage en Inde, cependant autant Arrien que Strabon l’ont jugé porté à l’exagération, voire menteur.
Le philosophe-chien a rapporté de là-bas de bien étranges choses, que Pline reprendra dans son Histoire Naturelle (VII 28) comme par exemple l’existence d’hommes à cinq coudes et à quatre paumes de la main. En revanche pas de traces qu’il ait mentionné un usage relatif à des chiens et qui se prête aisément, on le verra, à un usage symbolique.
C’est Strabon qui en fait état (je traduis le texte de l’espagnol à partir de la version qu’en donne l’édition García-Villalobos- vol 1 p.458-)
« Anciennement, pour sûr, les Sogdiens et les Bactriens ne différaient pas beaucoup des nomades dans le mode de vie et les coutumes, bien que celles des bactriens soient un peu plus civilisées. Mais ceux qui suivent Onésicrite ne racontent pas ce qui est chez eux le plus singulier : en effet, ceux qui succombent à la vieillesse ou à la maladie ils les jettent vivants à des chiens spécialement élevés à cette fin, que dans leur langue maternelle ils appellent croque-morts (sepultureros). Le côté extérieur de la muraille de la capitale des Bactriens est propre mais la majeure partie de l’intérieur est pleine d’os humains. Alexandre mit fin à cette coutume » (Géographie XI 11 3)
A la différence des chiens de Priam qui dévorent leur maître par faute de la guerre et du bouleversement qu’elle introduit, les chiens bactriens sont dressés pour dévorer les humains, par cela plus proches des chiens cyniques qui eux aussi ne faisaient qu’une bouchée de tous ceux qui, à leurs yeux, étaient porteurs des stigmates de la mauvaise conduite.

vendredi 2 mai 2008

In memoriam canium (2) : Androsthène, Philiscos et Onésicrite ou comment les familles au contact de l’acide cynique se décomposent et se recomposent.

« On raconte (…) qu’Onésicrite d’Egine avait envoyé à Athènes un de ses deux fils, Androsthène, lequel, après avoir entendu Diogène, resta à ses côtés, Onésicrite envoya ensuite à la recherche d’Androsthène son second fils, Philiscos, l’aîné dont j’ai parlé plus haut. Mais tout pareillement, Philiscos tomba sous son emprise. En troisième lieu lui-même arriva, qui ne fit rien moins que de se joindre à ses fils pour philosopher, tant était grande la séduction qu’accompagnait les paroles de Diogène. » (Vies et doctrines des philosophes illustres VI 75 Diogène Laërce ed. Goulet-Cazé p.741)
Vu de loin, rien de ressemble plus à un sophiste à succès qu’un cynique.

Commentaires

1. Le vendredi 2 mai 2008, 23:38 par Nicotinamide
Je cite la phrase qui introduit votre citation : "cet homme avait un pouvoir de persuasion à ce point étonnant qu'il pouvait facilement gagner à sa cause par ses paroles n'importe qui."
On se souvient de Monime (DL VI 82) amoureux féroce, inspiré par la vertu dans les paroles et dans les actes de Diogène. Xéniade tomba aussi sous le charme éhonté (DL VI 74). Néanmoins cette capacité de séduction se retrouve chez Cratès (DL VI 96). Je pourrais ajouter Antisthène : (DL VI 14) "Antisthène était très habile et qu'il pouvait subjuguer n'importe qui grâce au ton juste de sa conversation". Elargir le cercle des paroles caressantes : Pyrrhon captive (DL IX 64).
Paradoxalement, Diogène constate qu'il est impossible de convaincre. (DL VI 59). Ainsi d'où vient son pouvoir de persuasion ? Il me semble que ses aboiements sont le spectacle du sens. Aucune décoration dialectique. Pour convaincre les disciples, le maître cynique utilise : des coups de bâtons, des farces, des marmites de lentilles entre les cuisses, des colliers de hareng, la mise à nu et l'exemple de sa vie. (DL VI 71 "rien ne réussit sans ascèse")
2. Le lundi 7 juillet 2008, 14:05 par Teemu
Est ce qu'en fin de compte la philosophie, quand elle doit être transmise, n'est pas fatalement de nature à être sophistique ? malgré par exemple l'aversion profonde de Diogène pour les Orateurs.
En même temps les Sophistes ne recherchent pas forcément un auditoire de qualité, ce sont plutôt les Casanova des esprits faibles, plus nombreux sont les charmés plus heureux est le charmeur.
Diogène, lui, repousse les prétendants à la sagesse, (on connait tous l'histoire du hareng) pour en extraire le meilleur, surement de manière profondément inconsciente.

samedi 5 mars 2005

Un étrange cynique : Onésicrite et les gymnosophistes.

Laërce n´ a laissé qu’une dizaine de lignes sur ce disciple renommé de Diogène : il ne rapporte à son propos aucune anecdote savoureuse, il ne lui attribue aucune parole marquante. Il nous dit simplement qu’il a participé à la campagne d’Alexandre le Grand et qu’il a écrit un livre consacré à la formation du conquérant. C’est étonnant : comment peut-on être à la fois un imitateur de Diogène et, en même temps, au service d’un chef militaire ? Les cyniques nous ont habitués à remettre les grands hommes à leur place, pas à les honorer ! Mais à vrai dire, ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce n’est pas le témoignage de Laërce mais celui de Strabon. C’est un géographe grec, plus ou moins contemporain du Christ. Grâce à lui, j’assiste à l’étrange rencontre de deux sagesses, l’une grecque, l’autre indienne. C’est Alexandre qui, envahissant l’Inde, veut voir ces sages. Voltaire donne une image particulièrement brutale de la rencontre :
« Alexandre fit saisir dix philosophes indiens, que les Grecs appelaient gymnosophistes, et qui étaient nus comme des singes. »
Comme c’est le Dictionnaire universel du 19ème siècle (Tome 8, 1872) qui est la source de cette citation, je ne peux malheureusement pas en indiquer la provenance, Pierre Larousse se contentant d’indiquer les auteurs. Mais, malgré cela, je lui sais gré d’avoir rapporté dans le même article cette autre citation d’un certain Ourliac :
« Les gymnosophistes s’arrachaient des poils du menton pour se faire rire. »
Je découvre donc la version ascétique de la chatouille. Larousse, fort anticlérical, n’aimait pas ces moines avant la lettre qui, non contents de s’agacer le menton, « passaient des années entières debout sur un pied au faîte d’une colonne » ou « s’enfonçaient des épines sous les ongles ». Il leur règle leur compte en écrivant cette sèche mise au point :
« Mortifier le corps pour purifier l’âme, c’est finir, comme chacun sait, par les tuer tous les deux. »
J’apprécie la cruauté de la précision: « comme chacun sait ». En revanche, ce qui semble ne pas déplaire à Larousse, qui heureusement à cette époque n’était pas encore que Petit, c’est leur immense orgueil qui du coup limite celui d’Alexandre.
« L’élève d’Aristote avait déjà pu apprécier, par son entrevue avec Diogène, tout ce que peut contenir d’orgueil l’âme d’un philosophe ; il lui était réservé de rencontrer, dans le fond de l’Asie, d’autres Diogène, non moins intraitables et plus dangereux pour son pouvoir. Habile à respecter les croyances des peuples conquis, et à s’emparer de toutes les influences qui pouvaient concourir à consolider son pouvoir, Alexandre manda près de lui les chefs des gymnosophistes, qui, à son approche, s’étaient réfugiés dans des lieux inaccessibles ; mais il les attendit en vain : les intraitables fugitifs dédaignèrent ses promesses comme ses menaces, et lui répondirent de très haut que c’était à l’élève à venir chercher les leçons du maître. »
Alexandre n’ira pas mais enverra le paradoxalement fidèle Onésicrite. C’est précisément cette rencontre que narre Strabon. Le cynique rencontre le sage Calanos et reçoit une leçon de philosophie :
« Quand Calanos vit le manteau, le large chapeau et les bottes qu’Onésicrite portait, il se mit à rire de lui. »
Mauvais signe : c’est ordinairement le cynique qui rit. Il est vrai que ce cynique-là ne porte pas l’uniforme de la secte.
« Il lui enjoignit de se débarrasser de ses vêtements, s’il voulait apprendre, de s’étendre nu sur les mêmes pierres que lui, et d’écouter ainsi ses enseignements. »
Dépouilleur extrême, ce Calanos : au diable le manteau de bure ! Foin du tonneau ! Nu sur la pierre : c’est la nouvelle figure de la sagesse. Cet Onésicrite, déjà fort peu diogénien, a dû se rappeler longtemps l’entretien. Platon a dit de Diogène que c’était Socrate devenu fou, Onésicrite a peut-être pensé que Calanos, c’était Diogène devenu fou ! A fou, fou et demi ! Mais c’est surtout avec Mandanis qu’Onésicrite va apprendre ce qu’est le gymnosophisme. Mandanis lui explique qu’on doit par l’effort libérer l’âme du plaisir et de la douleur. Il s’agit d’entraîner le corps pour donner un surcroît de force aux idées (c’est clair: autant chez les gymnosophistes que chez les cyniques, la gymnastique est spirituelle). Mais Mandanis interroge Onésicrite pour savoir si cette doctrine a cours aussi chez les Grecs et celui-ci met en relief l’importance de la tradition végétarienne :
« Onésicrite lui répondit que Pythagore enseignait ces doctrines, qu’il invitait les gens à s’abstenir de viande, tout comme l’avaient fait aussi Socrate et Diogène, ce Diogène dont lui-même avait été disciple. »
Au moins, Onésicrite, à défaut de briller dans l’exercice du cynisme, a des idées justes. Le cynisme ne tombe pas du ciel. C’est alors que Mandanis donne son avis sur les Grecs :
« Il reprit alors qu’il considérait en général les Grecs comme des gens sensés, mais qu’ils se trompaient sur un point : le fait de mettre la loi au-dessus de la nature. Autrement, ils ne rougiraient pas de se promener tout nus, comme lui, et de mener une vie frugale : le meilleur gîte, à son avis, est celui qui exige le minimum de réparations. »
Au fond, ce que reçoit Onésicrite de Mandalis, c’est une leçon de radicalisme, sans pour autant tout le côté exhibitionniste et agressif du cynisme. Mais il semble qu’Onésicrite ne s’est pas moins intéressé aux gymnosophistes qu’aux animaux, aux plantes et à la géographie des lieux visités par Alexandre. Surprenant courtisan, à la fois militaire, ethnologue et philosophe. Nous le devinons un peu à travers ces textes de Strabon mais celui-ci ne lui faisait guère confiance :
« Plutôt que le pilote en chef, on ferait mieux d’appeler Onésicrite le fantaisiste en chef d’Alexandre. »
C’est peut-être Voltaire qui avait raison : les gymnosophistes ont juste été appréhendés manu militari.

Commentaires

1. Le jeudi 29 juin 2006, 10:48 par Exeko
merci beaucoup pour ce texte, il m'éclaire sur ce sujet peu connu, peu traité (sûrement car nous connaissant peu...) : les gymnosophistes...