Arcésilas paraît donc avoir utilisé sa raison à fragiliser les positions de Platon, en s’ingéniant à justifier leur négation :
« Il fut aussi le premier à discuter les thèses dans un sens et dans l’autre » (IV 28)
Son refus de faire une oeuvre coule alors de source :
« Du fait qu’il suspendait son jugement en toutes choses, selon certains, il n’écrivit aucun livre. » (32)
Dans la même veine, la lecture révisionniste d’un académicien peut-être trop orthodoxe :
« Selon d’autres, il avait été surpris en train de corriger certaines oeuvres (de Crantor) qu’il aurait, selon les uns publiées, selon les autres brûlées. » (32)
J’imagine que, s’il met au feu les ouvrages incorrigiblement dogmatiques, ce qu’il laisse circuler, c’est de la doctrine interrogée, autrement dit, pyrrhonisée.
Reste qu’il eût à parler ; certes il aurait pu opter pour le mutisme éloquent de Pyrrhon, mais il choisit paradoxalement la voix axiomatique:
« Il aimait par-dessus tout parler par axiomes et de façon concise ; dans la conversation il détachait les mots, tout en étant très incisif et franc dans son discours. »(33)
Parler par axiomes, ce n’est pas, jouant au mathématicien, prétendre démontrer et clouer le bec à l’adversaire ; non, c’est bien plutôt annoncer la couleur : le vrai, c’est le posé et pas le conforme au réel, comme on l’a cru. Parler ainsi, c’est encourager l’interlocuteur à répondre par d’autres axiomes, contradictoires ceux-là et si l’échange a lieu sous le regard étonné d’un disciple en mal de certitudes, ce serait alors le comble de la réussite pédagogique...Quant à ce discours excellemment articulé et défini, osons l’éclairer par ce passage de T.Williamson que Julien Dutant a choisi de mettre en exergue de son blog :
« To be precise is to make it as easy as possible for others to prove one wrong. That is what requires courage.
Etre précis revient à rendre aussi facile que possible aux autres de démontrer qu'on a tort. C'est cela qui requiert du courage. (Must do better 2004.)
C’est tout le contraire de la carapace spinoziste telle que la dénonce Nietzsche :
« Ce charlatanisme de démonstrations mathématiques dont use Spinoza pour barder d’airain et masquer sa philosophie – c’est-à-dire, à bien prendre ici le terme, l’ « amour de sa propre sagesse » ni plus ni moins – afin d’intimider dès l’abord l’assaillant qui oserait jeter les yeux sur cette vierge invincible, cette Pallas Athéna : quelle timidité et quelle vulnérabilité trahissent ces simagrées d’un ermite malade ! » (Par-delà le bien et le mal Des préjugés des philosophes 5 trad. de H.Albert, révisée par J.Lacoste)
Arcésilas, lui, vise la défaite comme critère de sa victoire.