" Ils devenaient visibles qu'ils eussent préféré avoir pour auditeurs des vis-à-vis plus soumis, à qui ils auraient pu asséner leurs affirmations sans risquer d'être interrompus.
Or on interrompait tout le temps. Aucun ne réussissait à faire son numéro, à être le patron.
Nous étions (moi, un peu en retrait, pas du même bord, probablement incompétent, jugé dangereux tout de même), nous étions cinq ou six dominateurs en cage, tournant en rond cherchant le coup de patte décisif, le mot ou le document-massue, c'est-à-dire sans armes, sans armes qu'on pût utiliser, sans livres et sans pouvoir s'en aller... à cause de la cage de l'Invitation qui nous a été faite de passer la soirée ensemble." (Henri Michaux, Façons d'éveillé, façons d'endormi, 1969)
C'est ainsi que le poète interprète le rêve qu'il vient de restranscrire :
" Nous sommes plusieurs lions ensemble, la peau rase, plutôt lourds et marchant de long en large comme nous faisons lorsque nous sommes enfermés. Pourtant pas d'enceinte qui soit visible.
Chacun sur ses gardes. C'est vite reçu un coup de patte. Il faut montrer qu'on est prêt à la riposte. Sinon, on ne les tient pas en respect. Car le lieu renfermé énerve.
Lion avec trois lions (ou quatre) et avec eux à l'aise. À un moment, j'avais eu, sans m'en rendre compte sur-le-champ, une réflexion d'étranger, c'est que marchant avec des lions, il ne faut jamais mettre une jambe trop en avant, tentation alors excessive pour le lion le plus proche de détacher davantage ce morceau appétissant qu'il voit déjà si détaché."
Dans la cage de l'Invitation entrent aussi désormais les lionnes. Cela doit induire des rêves plus complexes. Mais tout se simplifiera en colloque, où l'on peut rugir à tour de rôle 30 minutes, dans le silence des autres rois et reines de la jungle philosophique.