Antiochus de Cilicie (ca 215) est une énigme. Le seul texte qui le mentionne est un passage de l'historien Dion Cassius (Histoire romaine 77 19-1) repris au 10ème siècle par la Suda.
N'ayant pas accès au texte original de Dion Cassius, je dispose de deux traductions légèrement contradictoires concernant son engagement cynique. D'abord celle d'Odile Goulet-Cazé qui, dans l'article du Dictionnaire des philosophes antiques qu'elle lui a consacré, écrit qu' "au début il jouait au philosophe cynique"; ensuite celle (en espagnol) fournie par l'édition récente de García et Villalobos (Madrid Akal 2008): "au début il s'était proposé d'exercer la philosophie à la mode cynique". Il est vrai que le verbe grec πλάττω signifie feindre, s'en faire accroire. Il paraît donc raisonnable de privilégier la traduction de Goulet-Cazé: on aurait donc affaire moins à un cynique authentique qu'à un imitateur (surgit un problème à cette occasion: quel est le critère permettant de distinguer l'un de l'autre vu que par essence le comportement cynique est un comportement ostentatoire ? Les Cyniques sont en effet des philosophes de l'extériorité, ils n'ont pas d'intériorité secrète car ils ne cessent de montrer publiquement ce qu'ils sont au fond d'eux-mêmes).
Cependant, quand on joue au cynique, il paraît logique d'imiter les vrais; c'est en un sens ce que fait effectivement Antiochus. Laërce rapporte en effet que Diogène "l'été se roulait sur du sable brûlant, tandis que l'hiver, il étreignait des statues couvertes de neige, tirant ainsi profit de tout pour s'exercer" (VI 23). Or Antiochus se jette dans la neige et s'y roule. Cependant le contexte donne un sens différent à l'action: en effet Diogène s'exerçait à rendre son corps insensible et par là même à parvenir à une maîtrise totale de soi; Antiochus lui entraîne l'armée romaine: celle-ci, découragée par le froid dans le cadre de la guerre contre les Parthes, retrouve de la force à être témoin de ses excentricités, comme si marcher dans la neige n'était pas grand chose comparé à l'immersion extrême à laquelle se livre Antiochus.
On est habitué à penser le cynique comme isolé dans une forme de militantisme hostile à tout embrigadement, on le trouve ici (mais n'oublions pas qu'il s'agit peut-être d'un faux) incorporé à une armée à laquelle d'une certaine manière il ouvre la voie. La logique protestataire individuelle est récupérée par l'institution militaire ! Ça semble d'autant plus défendable qu'Antiochus reçoit en échange de sa résistance thermique de l'argent et des honneurs, qu'il accepte et qui lui montent à la tête - je suis ici de près le texte de Dion Cassius - au point qu'il déserte et va rejoindre l'ennemi, c'est-à-dire les Parthes. Voulait-il donc vendre à plus offrant son insensibilité ? En aucune manière le texte de Dion Cassius ne justifie l'hypothèse. Reste que sa désertion n'est pas une péripétie: en effet l'empereur romain met comme condition à la fin de la guerre la livraison par les Parthes d'Antiochus, ce qui eut lieu.
Si Antiochus n'était pas suspect d'avoir été un simulacre de cynique, on pourrait interpréter sa désertion comme une manifestion de détachement et d'indifférence, comme si être successivement d'un camp puis de l'autre signifiait la conscience de la vanité de tout camp. Il aurait alors trouvé son inspiration par exemple dans le comportement de Diogène tel que Laërce le décrit en VI 29: "il louait également ceux qui s'apprêtaient à vivre dans la compagnie desprinces et qui ne s'en approchaient pas". Antiochus qui se serait apprêté à servir la cause romaine et qui s'en serait détourné...
Sont-ce des rêveries ? Qui sait ? La même Odile Goulet-Cazé qui en 1994 émet en traduisant Dion Cassius des réserves sur la valeur du cynisme d'Antiochus était celle qui en 1986 dans L'ascèse cynique comptait Antiochus au nombre des 81 Cyniques dont l'existence historique est attestée. Il n'était donc pas alors un simple poseur.