" Peu de personnes peuvent aimer un philosophe. C'est presque un ennemi public qu'un homme qui, dans les différentes prétentions des hommes, et dans le mensonge des choses, dit à chaque homme et à chaque chose: " je ne te prends que pour ce que tu es; je ne t'apprécie que ce que tu vaux." Et ce n'est pas une petite entreprise de se faire aimer et estimer avec l'annonce de ce ferme propos." (254)
Chamfort n'a pas renoncé à l'ambition de dire ce qu'il en est vraiment de la valeur et ceci une fois pour toutes. C'est encore la même contradiction qui est pointée: le respect des codes et des usages sociaux n'est pas légitimable du point de vue de la philosophie.
Le stoïcien quant à lui ne court pas le risque de devenir un ennemi public; il maîtrise les jeux de langage qui correspondent aux divers rôles qu'il doit jouer. A la limite, " stoïcien courtisan" n'est pas une contradiction dans les termes, "cynique courtisan" l'est en revanche. Au fond ce sont les disciples de Diogène de Sinope qui sont visés par cette maxime.
Classiquement ( dans la logique de Lucrèce De natura rerum livre IV), Chamfort met aussi en relief l'incompatibilité essentielle entre aimer et philosopher :
" On dit communément: "la plus belle femme ne peut donner que ce qu'elle a"; ce qui est faux: elle donne précisément ce qu'on croit recevoir, puisqu'en ce genre c'est l'imagination qui fait le prix de ce qu'on reçoit." (383)
Ce faisant, le proverbe que Chamfort dénonce ici, c'est le jugement le plus abouti que pourrait formuler un stoïcien sur la femme en question, à laquelle il pourrait dire:
" Je ne te prends que pour ce que tu es, tu ne peux donner que ce que tu as."
Aucun doute sur la capacité à établir une ligne de partage claire entre les propriétés réelles et les propriétés imaginaires...