Rien à redire à ces lignes extraites de l'article de François Flückiger, parues dans Le Monde du 13-03-2019 (l'auteur est un des inventeurs du web) :
" Même si elle n’est pas majoritaire, une forme d’obscurantisme rampe insidieusement dans nos consciences : 2 500 ans de réflexions philosophiques sur la nature des idées humaines semblent balayés, emportant Socrate ainsi que Kant et ses catégories de pensées. Beaucoup confondent désormais la connaissance, que j’aime définir comme le résultat transmissible et reproductible d’une expérience ou d’un raisonnement ; l’opinion, qui est une pensée basée sur l’expérience, mais avec la conscience de ses limites ; et la foi, qui est une croyance associée au sacré. Les voilà devenues interchangeables : elles sont réduites au terme générique d’« idée ». Il faut donc tenter de revenir aux définitions fondamentales et rappeler qu’une croyance est une ignorance par définition puisque, si l’on croit, c’est que l’on ne sait pas.
Pour nous scientifiques, le défi est immense : comment garder notre rigueur intellectuelle sans alimenter le discours antiscientiste ? Si on nous demande d’affirmer que l’on est certain, absolument certain à 100 %, que le boson de Higgs existe parce que nous l’avons découvert au CERN, que répondre ? La vérité ? Alors la voilà : non, nous n’en sommes pas certains à 100 % parce que, dans le monde matériel, la certitude n’existe pas. Le monde matériel est changeant et incertain : c’est sa nature. Devons-nous, en tant que scientifiques, reconnaître publiquement cette vérité que la certitude, dans le monde matériel, n’existe pas, au risque de donner du grain à moudre à l’obscurantisme ? Oui, bien sûr, mais il faut aussi se battre pour expliquer, et tenter d’inverser la tendance.
Car tout n’est pas perdu. De même que le Web a amplifié, au cours des trente dernières années, les tendances obscurantistes, il pourrait demain, si les Lumières revenaient, amplifier les progrès de la conscience et de l’intelligence de l’humanité. Nous retrouverions alors la primauté du civisme sur l’individualisme, de l’altruisme sur l’égocentrisme, du savoir sur les croyances. Le Web et l’Internet redeviendraient ce que leurs pionniers avaient imaginé : des instruments d’accélération vers la connaissance, le partage, le progrès. "
Le deuxième paragraphe est particulièrement important à mes yeux : j'ai l'impression qu'une plus grande prise en compte de l'historicité des sciences dans l'enseignement secondaire a fait perdre chez la plupart des élèves la confiance dans les sciences physico-chimiques ou biologiques. La science s'est transformée en récit arbitraire, comme l'histoire quand le professeur a trop insisté sur la multiplicité des mémoires relatives à un même événement. Difficulté de trouver le chemin du milieu, qui ne fait tomber ni dans le dogmatisme, ni dans le relativisme...
Ajoutons que la philosophie est, elle aussi, difficile à présenter : "science" dit l'élève en début d'année, "idéologie", "opinion", "vision", croit-il en fin d'année. Une petite minorité, blessée par ses notes ou condamnée par son incompréhension, osera même "bullshit". Mais si on ne va jusqu'à la bazarder à la poubelle, alors la philosophie devient affaire de goût. Au début de l'année, on se pliait crédule à ses exigences et le professeur le plus arbitraire aurait pu alors , camouflé en scientifique d'un type nouveau, faire apprendre les pires fantaisies à la plupart.
Là aussi, le chemin du milieu est difficile à suivre. Certes on pourra bien enseigner les vérités de la logique, c'est utile et rassurant mais ça sera en gros au mépris de tout contenu autre que logique et cette science n'intéressera vraiment qu'appliquée à des problèmes déjà intéressants. Face aux problèmes, l'honnêteté du professeur exigerait qu'il souligne la fragilité des prémisses, la discutabilité des points de départ, des premiers concepts même, dans leur choix et leur définition. On ne le fait pas, on n'est qu'au lycée, on n'a pas beaucoup d'heures : par ignorance des alternatives, le gros des élèves consent ; quand, par hasard, un collègue écoute, par complicité ou concession, voire par générosité, il ne dit mot.