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jeudi 13 juillet 2023

Ça commence mal (15)

MOI : - Une question m'est venue à l'esprit au cours de ma nuit d'insomnie ! Puisque vous faites si peu confiance à la véracité de ce que chacun dans son for intérieur pense de lui-même,  peut-on se justifier en invoquant son sentiment intime ?
ELLE : - À quel propos ?
MOI : - Je pense aux personnes qui changent de sexe parce qu'elles sentent que leur genre ne correspond pas à leur physique.
ELLE : - C'est sûr que le sentiment intime, comme vous dites, est bien leur seul recours. Reste que, pareil à toutes les convictions ancrées en nous, il peut se discuter.
MOI : - En disant à la personne concernée qu'elle peut se tromper ? Mais elle répondra de son infaillibilité précisément, en invoquant la force de son vécu !
ELLE : - Oh, je ne crois pas qu'on doive contredire la personne sur ce plan-là, sauf si nous la soupçonnons menteuse, mais, à la supposer sincère, c'est vers un autre plan qu' il faut la diriger, à condition, bien sûr, qu'elle nous demande conseil ou qu'on doive la conseiller dans le cadre de tel ou tel protocole.
MOI : - Le plan de ses actions ?
ELLE : - Bien sûr, et pas seulement ! Qu'elle se rappelle de ce qu'elle a fait et n'a pas fait, de ce qu'elle a dit et n'a pas dit, de ce qu'autrui lui a communiqué et ne lui a pas communiqué, etc.
MOI : - Vous jugez donc bon, non de la détourner mais de la troubler ? Trouble dans le genre, en somme !
ELLE : - En effet. On a vite fait de transformer en indice de la vérité de notre désir des phénomènes qui mériteraient peut-être d'être interprétés autrement.
MOI : - Mais que voulez-vous donc dire par la vérité du désir ? Ne suffit-il pas de ressentir un désir pour qu'il soit vrai ? 
ELLE : - N'y a-t-il pas plusieurs manières de nommer l'objet du désir, de le qualifier ? Plusieurs jugements possibles sur son intensité ? Plusieurs interprétations de ses causes et des effets qu''on lui attribue quand il sera réalisé ?
MOI : - Vous me perdez, vous ne pourriez pas prendre un exemple ?
ELLE : - Pensez au désir amoureux : vous désirez une personne donnée...
MOI : - Pardonnez-moi de vous interrompre, mais savoir cela, ça suffit ! C'est clair et net !
ELLE : - Vous m'avez en effet interrompu trop vite, car l'ordinaire est de désirer quelqu'un pour certaines raisons, que ces raisons soient flatteuses ou non, pour soi ou pour la personne désirée, et ces raisons transparaissent dans la description, faite aux autres ou à soi-même, de l'objet du désir. Or, pour en rester à ces raisons, la question se pose de savoir si elles sont vraies, si ce sont les bonnes raisons, celles qui justifient votre désir, comme quand, par exemple, vous désirez voir tel spécialiste parce que vous savez qu'il est très compétent. Si on vous convainquait qu'il s'agit d'un charlatan, vous prendriez un rendez-vous avec un autre, non ?
MOI : - Mais, dans le désir amoureux, où est le savoir ? Vous intellectualisez tout !
ELLE : - Non !  Par exemple, si vous désirez telle personne parce que vous pensez avoir juste besoin d'une relation physique avec une personne de son sexe, c'est bien parce que vous croyez savoir qu'elle appartient à un sexe et pas à l'autre. Vous pourriez aussi bien désirer un rapport avec un transgenre et être déçu en vous rendant compte que cette personne a le genre correspondant à son sexe biologique. Vous pourriez aussi croire que vous désirez un rapport sexuel alors que vous réaliserez que vous désiriez de la tendresse ou de l'écoute (ou inversement, que vous désirez du sexe alors que vous croyez vouloir juste de la compréhension !)
MOI : - Alors pour chaque désir, il faut se lancer dans une enquête ? Je crois que vous me faites marcher.
ELLE : - Tout dépend de l'impact du désir sur votre vie : je ne discute pas avec mon psychologue avant de commander une glace au citron, parfum que j'adore...
MOI : - Mais comment sait-on qu'un désir est important ?
ELLE : - De manière générale, tout désir dont l'objet est de produire des effets irréversibles est important, le changement de sexe en est un parmi d'autres.
MOI : - Mais vous voulez vraiment introduire le débat et la discussion dans des domaines où on les tient à l'écart parce qu' on croit dans ses pulsions, dans ses sentiments, dans ses instincts.
ELLE : - Vous savez : à lire les historiens et les anthropologues, on réalise que les hommes peuvent vraiment croire dans n'importe quoi. Et quand on survole le passé, on est bien obligé de se dire que les croyances les plus personnelles obéissent à des modes, à des mouvements de masse, décidés par personne mais touchant tout le monde.
MOI : - Ne me dites, comme une vieille réac, que si un jeune veut changer de sexe, c'est parce que c'est à la mode. Sinon, je perds l'estime que j'ai pour vous.
ELLE : - N'ayez crainte, je ne risque pas de dire une telle sottise. Je veux juste attirer votre attention sur le fait que ce n'est pas parce qu'un désir nous concerne de près qu'il est vrai. Vous acceptez sans doute pour les phobies que, quand elles se fixent sur un animal par exemple, elles ne sont pas causées par l'animal mais par tout un arrière-plan psycho-social dont elles sont l'indice. 
MOI : - Vous voulez donc dire que le scalpel doit venir longtemps après l'analyse en somme.
ELLE : - En tout cas, que l'analyse des raisons doit avoir la première place.
MOI : - Mais vous savez, comme moi, que, quand on commence une enquête psychologique, c'est un peu comme quand on entre en classe de philo en Terminale : dans quel cadre, parmi tant d'autres possibles, va-t-on se retrouver ?
ELLE : - Certes, mais on ne change pas de prof de philo en cours d'année normalement alors que les expertises peuvent se succéder et être contradictoires.
MOI : - Vous, la sceptique, vous croyez aux expertises contradictoires...
ELLE : - Ça serait être bien dogmatique de toujours déprécier les avis et, en ce qui nous intéresse ici, les seconds avis.
MOI : - Je crains que votre prudence et votre raison aient bien peu de poids face aux violences des inclinations.
ELLE : - Bien sûr, c'est un fait éternel, mais il ne faut pas en conclure pour autant à la vérité intrinsèque des inclinations !

mercredi 3 mai 2023

Ça commence mal (8)

ELLE : - Comment se défaire de ses illusions ? Ma foi, je crains que la pire des illusions ne soit de se croire débarrassé de toute illusion !
MOI : - Pourquoi la pire ?
ELLE : - Parce qu'alors on pense dogmatiquement qu'on est une fois pour toutes installé dans la vérité, si je peux m'exprimer ainsi.
MOI : - D'accord, mais comment se défaire au moins de certaines de ses illusions ?
ELLE : - Je ne sais pas si c'est un but qu'il faut se donner, j'ai plutôt tendance à penser que si l'on est constamment soucieux de connaître la vérité, alors quelquefois on réalise que ce qu'on croyait vrai jusqu'à présent était une illusion.
MOI : - Mais pourquoi ne pas se fixer comme but de les éliminer ?
ELLE : - Au moins, pour deux raisons : d'abord parce que, par définition, on ne peut  pas identifier ses illusions pour les combattre, vu que, si on a des illusions, elles ne nous apparaissent pas comme telles ! Ensuite, parce que ce combat serait si général et si vague, qu'on ne saurait pas sur quel front le livrer. En fait, il vaut mieux continuer de s'instruire dans les domaines qui nous intéressent déjà.
MOI : - Mais alors, cela revient au même de combattre l'erreur que l'illusion ?
ELLE : - En effet l'acquisition du savoir devrait éliminer les deux mais il est bon de garder en tête la distinction entre l'erreur et l'illusion, pour soupçonner par exemple que si on a du mal à voir comme des erreurs certaines de nos croyances passées, c'est peut-être qu'elles étaient des illusions qui nous facilitaient la vie. 
MOI : - Mais y a-t-il des domaines où il ne faut pas chercher à connaître la vérité ? Parce que ça serait en somme trop coûteux de la connaître.
ELLE : - C'est à chacun de juger de la dose de vérité qu'il peut accepter. Pensez par exemple à la connaissance d'une maladie grave, qu'elle touche nous-même ou un proche. Trop peu savoir risque de mettre notre vie en danger, mais trop savoir peut mettre notre moral en danger. 
MOI : - Vous ne pensez donc pas que la vérité vaut plus que tout ?
ELLE : - Non, bien sûr, d'abord parce qu'il y a des domaines où la connaissance de la vérité n'est pas intéressante, par exemple s'il pleut, est-ce intéressant de savoir le nombre de gouttes de pluie ?
MOI : - En fait rien n'est vraiment inintéressant en soi, c'est une affaire de contexte, non ?
ELLE : - C'est clair que si vous cherchez à fuir un orage, la connaissance la plus intéressante porte sur l'abri le plus proche, et si vous cherchez à connaître la quantité de pluie tombée, la connaissance du nombre  de gouttes n'est pas plus intéressante. Donc en effet selon nos buts, l'intéressant varie, mais la vérité, elle, ne varie pas selon nos intérêts !
MOI : - Si je comprends bien, vous ne placez pas la vérité au-dessus du bonheur ?
ELLE : - Ah, quelle question ! Vous savez déjà que je ne sais pas définir le bonheur... Disons que je place la vérité au-dessus de l'erreur et de l'illusion.
MOI : - Pourquoi donc ? Si vous êtes sceptique, vous pourriez ne pas savoir si la vérité est supérieure à l'erreur.
ELLE : - En effet si l'on réfléchit sur les effets de la connaissance de la vérité, on peut les mettre en question mais si l'on définit la vérité classiquement comme ce qui correspond aux faits, l'erreur est manifestement l'échec de cette correspondance. En somme c'est par définition que la vérité est supérieure à l'erreur, mais nous ne parlons alors ni de la connaissance de la vérité, ni de ses effets.
MOI : - Je ne comprends pas comment vous pouvez aimer le scepticisme et en même temps croire dans l'existence de la vérité. Ça ne serait pas plus cohérent de douter de l'existence de la vérité, comme on doute de l'existence de Dieu ou de la liberté ?
ELLE : - Répondez à cette question : pour quelle raison, selon vous, douterait-on de la vérité ? 
MOI : - Parce qu'on ne sait pas s'il est vrai que la vérité existe !
ELLE : - Voilà ! Vous comprenez que douter de la réalité de la vérité, c'est se demander si la phrase " la vérité existe " est conforme aux faits. Dit autrement, à partir du moment où on cherche à savoir, à connaître, on présuppose la vérité, comme correspondance aux faits. 
MOI : - Donc même les sceptiques croient dans la vérité ?
ELLE : - En fait ils ne disposent pas d'une seule vérité mais leur enquête, précisément cette enquête qui n'aboutit à aucune vérité, présuppose la vérité comme but de leur recherche. 
MOI : - Mais alors comment les sceptiques peuvent-ils ne pas se contredire ?
ELLE : - En se taisant ou en ne formulant que des questions ! 
MOI : - Donc il faut se taire sans donner les raisons de son silence, et surtout ne pas formuler de questions rhétoriques !
ELLE : - Exactement et c'est pour cela que c'est impossible de vivre conformément au scepticisme ! Pyrrhon, le fondateur, a fait quelquefois semblant de vivre selon sa doctrine, par exemple en n'évitant pas les dangers dans la rue, mais il ne doutait pas du fait que les disciples qui l'entouraient allaient en cas de problème veiller sur lui, comme on le ferait  avec un aveugle. Encore une fois le doute n'a de prix que comme moyen d'éviter l'erreur.