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lundi 24 novembre 2025

Cours élémentaire de philosophie (5) : la conscience (1)

Il n'y a pas un ordre fixe pour commencer à découvrir les problèmes philosophiques. 
Je choisis la conscience car rien, on va le voir, ne nous est plus intime, plus proche qu'elle. Et pourtant peut-être n'avez-vous jamais pensé à elle ! En effet, vous avez nécessairement déjà pensé à votre tête ou plus largement à votre corps,  mais vous n'avez pas forcément déjà pensé à votre conscience.

C'est néanmoins facile d'arriver jusqu'à elle : partez pour cela de n'importe quelle question que vous vous posez sur vous-même, par exemple, quand vous vous demandez si vous êtes belle, si vous êtes beau. 
Vous réalisez qu'en vous interrogeant sur vous, vous faites quelque chose que les choses qui vous entourent ne peuvent pas faire. Par exemple votre portable est beau ou pas, mais n'est pas capable de se demander s'il l'est. 
Si autour de vous il y a un animal domestique (un chien, un chat, un serpent, un poisson rouge, un hamster, etc.), est-il capable, lui, de s'interroger sur lui-même ? Et la mouche qui tourne autour de vous ? Vous ne savez pas trop sans doute.
En tout cas, vous avez découvert cette capacité, que vous-même  avez, de vous poser des questions sur vous, sur un plan physique ou pas. C'est elle qu'on appelle la conscience. Vous ne savez certes pas bien quels sont les autres êtres qui l'ont aussi mais vous, vous l'avez.

Cette conscience, vous la perdez régulièrement : chaque matin, au réveil, si vous ne vous souvenez pas de vos rêves et si votre sommeil a été ininterrompu, vous réalisez que vous n'aviez plus pendant quelques heures cette capacité de vous observer et de vous interroger sur vous-même. En la perdant, vous avez perdu en même temps la capacité de percevoir le monde extérieur (par la vue, l'ouïe, le goût, le tact, l'odorat) et d'y réagir (du moins vous avez perdu la capacité de connaître à chaque instant ce qui se passe autour de vous : en effet si vous aviez perdu vraiment la capacité de percevoir, vous ne pourriez pas, par exemple, entendre votre réveil...). 
C'est aussi cela,  avoir conscience : c'est pouvoir observer ce qui vous entoure et se poser des questions sur ce qui vous entoure. Vous aviez conscience de la présence de votre animal préféré à votre côté, de la mouche, de votre portable, vous pouviez vous interroger sur eux.
Cette conscience, on la perd aussi, mais plus rarement dans l'évanouissement, dans le coma. 
Quand on la retrouve, on entre à nouveau en relation avec soi-même (on se voit par exemple) et avec le monde extérieur, on sait ce qu'on fait, on sait ce qui se passe et on peut s'interroger sur ce qu'on fait et sur ce qui se passe. 

Si on vous demande si les autres personnes l'ont aussi, vous allez sans doute répondre " bien sûr ". Vous pouvez même me dire en vous moquant un peu de moi : " C'est comme si vous me demandiez si les autres ont aussi une tête ! ". Je vous répondrai alors que c'est tout à fait différent. 
Voici pourquoi : la tête des autres personnes est comme la vôtre, vous la voyez, vous pouvez la toucher, vous la percevez en somme. 
Mais la conscience d'autrui, vous ne la percevez pas. La vôtre, non plus, vous ne la percevez pas avec vos cinq sens. Si par exemple pour des raisons médicales, on vous fait un IRM (une radio) de votre cerveau, le radiologue pourra ensuite vous  faire voir votre cerveau à partir de son image, mais on ne peut pas faire une radio de votre conscience, car la conscience est quelque chose d'immatériel (est immatériel ce qui ne peut pas être perçu par les cinq sens, même avec des microscopes et des télescopes).

Cette conscience, que vous ne verrez jamais, pas plus chez autrui qu'en vous, vous permet donc de vous interroger sur vous mais aussi de vous interroger sur vos interrogations : par exemple, à un premier degré, vous vous demandez si vous êtes belle ou beau, mais vous pouvez vous demander si cette question que vous venez de poser est une question importante ou pas ; si vous vous dites par exemple : " c'est une question au fond sans intérêt ", à nouveau vous pouvez interroger cette réponse en vous demandant si elle réellement vraie, etc. On voit vite ainsi que cette capacité de questionner les questions, de questionner les réponses, ouvre la voie à la réflexion. Par la conscience on est capable de réfléchir à ce qu'on est et à ce qui se passe et bien sûr de réfléchir à la valeur, à l'intérêt, à la vérité de nos réflexions sur ce qu'on est et sur ce qui se passe, les dernières réflexions pouvant toujours être l'objet de nouveaux questionnements.

Ainsi par la conscience, je suis en quelque sorte condamné à me poser des questions. Ceux qui disent qu'ils n'aiment pas les questions ont, s'ils ne sont pas de purs perroquets qui répètent des phrases qu'ils ne comprennent pas, questionné l'intérêt de poser des questions et ont conclu que les questions ne valent rien. Bien sûr on peut étouffer le questionnement en soi-même ou chez les autres (" ne te pose pas de questions ! "), mais le questionnement, l'interrogation sur soi et tout ce qui nous entoure nous constitue. On ne peut pas se transformer en chose.

À ce stade, on ne voit aucun problème de la conscience. On va le faire apparaître quand on va questionner la conscience (prendre conscience de la conscience en somme)  et se demander si ce qu'elle nous apprend sur nous-même est digne ou non de confiance.





mercredi 12 juillet 2023

Ça commence mal (14)

MOI : - La dernière fois, vous m'avez drôlement attristé en me parlant si froidement de ce que je tiens pour ma chère intimité. Au point que j'en viens à penser par moments que la seule chose que je sais, c'est ce que je suis en train de faire au moment où j'en parle. Par exemple, je sais que maintenant je vous parle ! Mince résultat, vous me direz. Certes, mais pour me consoler, je me dis que ça a beau ne pas être grand chose, c'est quand même l'illustration du pouvoir de la conscience. Et la conscience, ce n'est tout de même pas rien pour vous ?
ELLE : - En effet c'est une caractéristique qui à première vue distingue les êtres humains des autres êtres vivants et de toutes les choses matérielles. 
MOI : - N'ennoblit-elle pas l'homme ?
ELLE : - Méfions-nous de la noblesse quand c'est l'homme qui se l'attribue à lui-même !
MOI : - Vous êtes tellement rabat-joie...
ELLE : - Je pense qu'il vaut mieux essayer de caractériser exactement la conscience que de se pâmer devant elle.
MOI : - D'accord, alors comment vous la caractérisez ?
ELLE : - Je pense d'abord qu'on démarre mal en parlant de la conscience, comme si c'était une réalité indépendante de l'homme. Je préfère dire que les hommes sont généralement conscients, et entendre par hommes, des individus appartenant à une certaine espèce animale et vivant dans une société donnée. 
MOI : - Pourquoi donc tenez-vous à rattacher quelque chose comme la conscience qui est manifestement individuelle, personnelle, privée, à un ensemble, à un groupe, qu' il soit biologique ou historique et culturel ?
ELLE : - Parce je crois qu'être conscient, c'est rendu possible par essentiellement deux choses : d'abord, par le fait qu'en tant qu'être humain, je dispose d'un cerveau, volumineux, et ensuite, par le fait qu'en tant que membre d'une culture donnée, j'ai appris à parler.
MOI : - Vous voulez dire que, tant qu'on ne sait pas parler, on n'est pas conscient ? Mais c'est faux ! Le nouveau-né est conscient, comme le prouve le fait qu'à l'occasion d'un malaise, il peut par exemple, comme chacun d'entre nous, perdre conscience !
ELLE : - C'est vrai qu'avoir conscience, c'est percevoir par nos sens ce qu'il y a à l'extérieur de notre corps, aussi bien que notre corps lui-même, mais c'est aussi pouvoir en parler, peu importe d'ailleurs dans ce cas si ce qu'on en dit est vrai ou faux. L'important à mes yeux, c'est que je peux grâce à ma langue maternelle parler de moi, me caractériser, et en me caractérisant, parvenir peut-être à me connaître.
MOI : - Qu'est-ce que vous pensez de la pleine conscience ? C'est à la mode aujourd'hui.
ELLE : - Ça me semble un exercice de prise de conscience de notre souffle, de la position de notre corps, de son état, des bruits que nous entendons et plus généralement de nos perceptions les plus immédiates.
MOI : - Vous lui donnez de la valeur ?
ELLE : - Je ne crois pas que la pleine conscience nous mette en relation avec l'essence de soi, ou encore plus ambitieusement, avec l'essence des choses ou de la réalité. Elle n'est donc pas un instrument de connaissance, je la considère plutôt comme le yoga : ce sont des exercices de soi, à la fois physiques et mentaux, qui rétrécissent le champ de la réalité perçue et pensée, et par cela même, nous détourne des pensées inquiétantes, douteuses, vagues. 
MOI : - C'est une thérapie alors ?
ELLE : - Je ne vais pas jusque là, faute de pouvoir identifier la maladie que cette supposée thérapie soignerait. C'est plus une technique de perception, centrée sur soi. C'est peut-être l'exact contraire de ce qui nous arrive quand on est pris par un spectacle, un livre, une personne etc. Si elle devenait une panacée, la pleine conscience nous détournerait systématiquement des autres et des oeuvres des autres, et aussi de toute oeuvre personnelle.
MOI : - De toute oeuvre personnelle ? Pourquoi donc ?
ELLE : - Parce que dès qu'on réalise un ouvrage, une oeuvre, un simple travail quelquefois, on ne pense plus à soi, à ce qu'on trouve en soi mais à la chose qu'on fait, qui, par définition, ne peut pas nous combler, vu qu'elle reste à faire. Il y a donc alors une sorte d'inquiétude essentielle à laquelle la pleine conscience s'oppose, elle qui veut prendre les choses comme elles sont, sans les juger, sans les perfectionner.
MOI : - Si je vous comprends bien, vous n'êtes donc pas hostile à la pratique de la pleine conscience, mais seulement comme une pratique facultative et en tout cas dépourvue de toute importance métaphysique.
ELLE : - Oui, c'est ça : au mieux, la pleine conscience nous permet de nous décrire par moments plus exactement, plus précisément, autant physiquement que psychologiquement. Et, comme beaucoup l'ont expérimenté, souvent elle apaise et rend moins fébrile. Mais ça ne peut pas être un but en soi.
MOI : - Y a-t-il, pour la sceptique vous dites être, des buts en soi ?
ELLE : - Je veux juste dire quelque chose comme : une fois qu'on est bien dans son corps et dans sa tête, comme on dit aujourd'hui, on fait quoi ? On s'en sert pour faire quoi ? Il ne faut pas donner une valeur excessive à ce qui ne doit être qu'un moyen
MOI : - C'est parce que vous supprimez tout l'arrière-plan religieux, métaphysique, philosophique de ces pratiques que vous les jugez insuffisantes.
ELLE : - Vous n'avez pas encore compris que je ne suis pas, comme on dirait aujourd'hui, une femme d' Église !