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mercredi 12 juillet 2023

Ça commence mal (14)

MOI : - La dernière fois, vous m'avez drôlement attristé en me parlant si froidement de ce que je tiens pour ma chère intimité. Au point que j'en viens à penser par moments que la seule chose que je sais, c'est ce que je suis en train de faire au moment où j'en parle. Par exemple, je sais que maintenant je vous parle ! Mince résultat, vous me direz. Certes, mais pour me consoler, je me dis que ça a beau ne pas être grand chose, c'est quand même l'illustration du pouvoir de la conscience. Et la conscience, ce n'est tout de même pas rien pour vous ?
ELLE : - En effet c'est une caractéristique qui à première vue distingue les êtres humains des autres êtres vivants et de toutes les choses matérielles. 
MOI : - N'ennoblit-elle pas l'homme ?
ELLE : - Méfions-nous de la noblesse quand c'est l'homme qui se l'attribue à lui-même !
MOI : - Vous êtes tellement rabat-joie...
ELLE : - Je pense qu'il vaut mieux essayer de caractériser exactement la conscience que de se pâmer devant elle.
MOI : - D'accord, alors comment vous la caractérisez ?
ELLE : - Je pense d'abord qu'on démarre mal en parlant de la conscience, comme si c'était une réalité indépendante de l'homme. Je préfère dire que les hommes sont généralement conscients, et entendre par hommes, des individus appartenant à une certaine espèce animale et vivant dans une société donnée. 
MOI : - Pourquoi donc tenez-vous à rattacher quelque chose comme la conscience qui est manifestement individuelle, personnelle, privée, à un ensemble, à un groupe, qu' il soit biologique ou historique et culturel ?
ELLE : - Parce je crois qu'être conscient, c'est rendu possible par essentiellement deux choses : d'abord, par le fait qu'en tant qu'être humain, je dispose d'un cerveau, volumineux, et ensuite, par le fait qu'en tant que membre d'une culture donnée, j'ai appris à parler.
MOI : - Vous voulez dire que, tant qu'on ne sait pas parler, on n'est pas conscient ? Mais c'est faux ! Le nouveau-né est conscient, comme le prouve le fait qu'à l'occasion d'un malaise, il peut par exemple, comme chacun d'entre nous, perdre conscience !
ELLE : - C'est vrai qu'avoir conscience, c'est percevoir par nos sens ce qu'il y a à l'extérieur de notre corps, aussi bien que notre corps lui-même, mais c'est aussi pouvoir en parler, peu importe d'ailleurs dans ce cas si ce qu'on en dit est vrai ou faux. L'important à mes yeux, c'est que je peux grâce à ma langue maternelle parler de moi, me caractériser, et en me caractérisant, parvenir peut-être à me connaître.
MOI : - Qu'est-ce que vous pensez de la pleine conscience ? C'est à la mode aujourd'hui.
ELLE : - Ça me semble un exercice de prise de conscience de notre souffle, de la position de notre corps, de son état, des bruits que nous entendons et plus généralement de nos perceptions les plus immédiates.
MOI : - Vous lui donnez de la valeur ?
ELLE : - Je ne crois pas que la pleine conscience nous mette en relation avec l'essence de soi, ou encore plus ambitieusement, avec l'essence des choses ou de la réalité. Elle n'est donc pas un instrument de connaissance, je la considère plutôt comme le yoga : ce sont des exercices de soi, à la fois physiques et mentaux, qui rétrécissent le champ de la réalité perçue et pensée, et par cela même, nous détourne des pensées inquiétantes, douteuses, vagues. 
MOI : - C'est une thérapie alors ?
ELLE : - Je ne vais pas jusque là, faute de pouvoir identifier la maladie que cette supposée thérapie soignerait. C'est plus une technique de perception, centrée sur soi. C'est peut-être l'exact contraire de ce qui nous arrive quand on est pris par un spectacle, un livre, une personne etc. Si elle devenait une panacée, la pleine conscience nous détournerait systématiquement des autres et des oeuvres des autres, et aussi de toute oeuvre personnelle.
MOI : - De toute oeuvre personnelle ? Pourquoi donc ?
ELLE : - Parce que dès qu'on réalise un ouvrage, une oeuvre, un simple travail quelquefois, on ne pense plus à soi, à ce qu'on trouve en soi mais à la chose qu'on fait, qui, par définition, ne peut pas nous combler, vu qu'elle reste à faire. Il y a donc alors une sorte d'inquiétude essentielle à laquelle la pleine conscience s'oppose, elle qui veut prendre les choses comme elles sont, sans les juger, sans les perfectionner.
MOI : - Si je vous comprends bien, vous n'êtes donc pas hostile à la pratique de la pleine conscience, mais seulement comme une pratique facultative et en tout cas dépourvue de toute importance métaphysique.
ELLE : - Oui, c'est ça : au mieux, la pleine conscience nous permet de nous décrire par moments plus exactement, plus précisément, autant physiquement que psychologiquement. Et, comme beaucoup l'ont expérimenté, souvent elle apaise et rend moins fébrile. Mais ça ne peut pas être un but en soi.
MOI : - Y a-t-il, pour la sceptique vous dites être, des buts en soi ?
ELLE : - Je veux juste dire quelque chose comme : une fois qu'on est bien dans son corps et dans sa tête, comme on dit aujourd'hui, on fait quoi ? On s'en sert pour faire quoi ? Il ne faut pas donner une valeur excessive à ce qui ne doit être qu'un moyen
MOI : - C'est parce que vous supprimez tout l'arrière-plan religieux, métaphysique, philosophique de ces pratiques que vous les jugez insuffisantes.
ELLE : - Vous n'avez pas encore compris que je ne suis pas, comme on dirait aujourd'hui, une femme d' Église !