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jeudi 11 décembre 2025

Cours élémentaire de philosophie (9) : l'inconscient (3)

Notre problème était le suivant : nous avons bien conscience que certains de nos désirs, en rapport avec la sexualité et l'agressivité, se heurtent à des interdits. Ces désirs, nous pouvons les maintenir secrets ou les confier à des intimes ou les réaliser mais ils ne sont pas du tout inconscients. On a conscience que la société s'oppose à nous sur ce plan. Pourquoi donc ajouter à nos désirs conscients mais difficilement irréalisables d'autres désirs inconscients, qui seraient contenus dans ce que Freud a appelé précisément l'inconscient ? La clé de la réponse va être qu'en réalité on n'a pas vraiment conscience de tout ce que la société nous fait.

C'est ici qu'il faut parler du surmoi. Il faut d'abord prendre le mot (inventé par Freud) à la lettre : en moi, il y a quelque chose qui pèse sur moi.
Pour en prendre conscience, réfléchissez à ce qu'on appelle la mauvaise conscience. On n'a pas mauvaise conscience par rapport à la société mais par rapport à des parents, des frères et soeurs, des amis, etc. Dans un tel cas, on a conscience qu'on leur a fait quelque chose qu'on n'aurait pas dû leur faire (par exemple, on a trahi un secret, désobéi, etc.) : on a conscience d'avoir commis à leur égard une faute. C'est un sentiment désagréable : pour cette raison, on peut par exemple s'efforcer de penser à autre chose. Mais dans certains cas, la mauvaise conscience est envahissante et très douloureuse.

Mais d'où vient cette mauvaise conscience ? 
1) De nous-même (par exemple, on aurait en nous un sens du bien et du mal) ? 
2) De Dieu (par exemple, Dieu nous ferait des reproches) ? 
3) De la société ?

Si on observe l'évolution d'un bébé, on perçoit qu'il ne semble pas avoir mauvaise conscience et que la mauvaise conscience prend du temps pour s'installer en lui. En fait ce sont ceux qui s'occupent de l'enfant qui vont, bien avant qu'il puisse les comprendre, lui dire avec un certain ton et un certain comportement   des phrases commençant par Il ne faut pas, Il faut, Tu dois, etc.

Mais le problème se repose : pourquoi disent-ils cela ? 
1) Parce qu'ils ont un sens inné (est inné quelque chose avec lequel on naît) du bien et du mal et que le petit enfant, lui, n'est pas encore assez mûr pour prendre conscience de ce sens du bien et du mal qu'il a en lui ? 
2) Parce que Dieu leur commande le bien et le mal et que le petit enfant n'est pas encore assez grand pour prendre conscience de la voix de Dieu ?
3) Parce que la société où ils vivent les a dressés pour faire respecter des interdits ?

La psychanalyse n'a pas réglé ce problème mais a opté pour l'option 3 ! Dit autrement, si quelqu'un s'interdit certaines choses ou s'oblige à faire certaines choses, c'est parce que la société, par l'intermédiaire des parents, l' a éduqué dans cette direction. 

Mais comment passe-t-on d'une situation où le petit enfant bute sur des interdits (comme on bute sur un obstacle extérieur à soi, un caillou sur un chemin) à une situation où on s'interdit soi-même quelque chose ?
C'est ici qu'on revient au surmoi : dans mon esprit, une partie, le surmoi, me donne des ordres, me punit (par la mauvaise conscience) si je n'y obéis pas, me récompense si j'y obéis (par la bonne conscience !). Cette partie se constitue avec le temps par l'intermédiaire de l'éducation. Pour Freud, la conscience religieuse comme la conscience morale sont des produits de la société, rien de plus. 
Quand j'ai mauvaise conscience, la partie en moi qui est la porte-parole des règles de la société, a le dessus, si on peut dire.

Seulement la conscience que j'ai spontanément du surmoi est très incomplète, pense Freud. Bien sûr j'ai conscience que mon surmoi me pousse à condamner certains de mes désirs mais je n'ai pas conscience que le surmoi m'empêche aussi de penser à certains désirs dont je n'ai donc jamais conscience et qui sont précisément les pulsions inconscientes, sexuelles et/ou agressives. Si bien que si je m'efforçais de réaliser tous mes désirs conscients, il resterait encore les désirs dont je n'ai pas conscience parce qu'en moi le gardien des règles de la société m' empêche d'en prendre conscience, sans que je le sache
Il faut bien comprendre ce point : si quelqu'un nous dit " ne pense pas à ça ! ", il nous y fait penser (on a conscience de cette chose) ; c'est nous qui pouvons nous dire à nous-même, " ne pense pas à ça ! ". Quand le surmoi empêche nos pulsions inconscientes de devenir conscientes et d'être réalisées, alors tout cela se passe sans que nous en prenions conscience.
On réalise vite que ce n'est donc pas en demandant à quelqu'un ce qu'il se cache à lui-même qu'on peut connaître son inconscient, car s'il se cache quelque chose à lui-même, il en a assez conscience pour savoir qu'il doit se le cacher !

Nous verrons la prochaine fois ce que Freud a imaginé pour parvenir à connaître les pulsions inconscientes de ses patients.


mercredi 19 novembre 2025

Cours élémentaire de philosophie : qu'est-ce que la philosophie ? (3)

À l'origine, la philosophie a bien eu comme ennemi la religion. Certes la formule est un peu simple mais elle résume la situation que je vais présenter. 
À Athènes, au cinquième siècle avant Jésus-Christ, Platon dans ses dialogues parle pour la première fois de la philosophia (φιλοσοφια) et du philosophos (φιλοσοφος), donc de la philosophie et du philosophe. Socrate, qui a réellement existé, est aussi, dans les dialogues, le philosophe par excellence.
Étymologiquement, le philosophe est celui qui aime, recherche, poursuit - on traduit par ces trois mots le sens du verbe philein (φιλέω) - la sagesse, mot qui traduit ordinairement le mot grec sophia (σοφια). Philosopher, c'est donc chercher. En effet le philosophe reconnaît ne pas avoir ce qu'il aimerait avoir, la sagesse, et donc la recherche activement.
Or, avec l' histoire racontée par Homère dans l'Iliade et l'Odyssée, les Grecs ont, depuis bien longtemps avant l'apparition de la philosophie, une explication du monde et des hommes, un guide de vie, une forme de sagesse, qu'on désigne aujourd'hui sous le nom de mythologie et qu'on peut voir comme la religion des Grecs anciens. C'est, à l'école, dans l'Iliade et l'Odyssée que les enfants grecs apprennent à lire et à découvrir la réalité.
C'est donc clair que si les philosophes partent à la recherche de la sagesse, alors que eux aussi ont découvert le monde dans Homère, c'est qu'ils ne donnent pas de valeur à la mythologie, autrement dit à leur religion. En effet si les histoires d'Homère ne leur suffisent pas, c'est qu'ils recherchent des vérités qu'ils peuvent comprendre par eux-mêmes en s'appuyant sur la raison et l'expérience. Or, les mythes sont des récits auxquels on doit croire parce que Homère les a transmis mais ni la raison ni l'expérience ne peuvent les justifier.
À partir de là, on comprend que les philosophes vont dénoncer la religion chaque fois que celle-ci condamne la philosophie comme inutile, vu que, elle, la religion apporte la Réponse à tous les problèmes posés par la philosophie. Contre le fanatisme religieux, les philosophes vont s'appuyer sur la raison et l'expérience pour obtenir une forme de sagesse qui reposera donc sur la réflexion et non sur la croyance aveugle dans plusieurs dieux ou dans un seul.
Bien sûr penser cela ne revient pas à dire que les croyants ne peuvent pas raisonner, argumenter, observer à partir de leurs croyances religieuses (par exemple, ceux qui voient dans tout être humain un être à l'image de Dieu,  peuvent conclure qu'ils doivent condamner toutes les conduites qui rabaissent les humains). Le cadre religieux n'empêche donc en rien la réflexion approfondie, mais ce que veulent les philosophes, c'est réfléchir hors-cadre, si on peut dire : les cadres religieux vont toujours les intéresser (la religion est une notion au programme) mais ils ne veulent pas se limiter à raisonner dans les limites de ces cadres, car tous reposent sur une foi, une croyance aveugle.
Certains philosophes, au cours de la longue histoire de la philosophie - environ 2500 ans - ont cependant donné une grande importance au cadre religieux et y ont eux-mêmes cru (il y a donc des philosophes musulmans, juifs, chrétiens : Pascal au 17ème siècle est un philosophe chrétien de première importance). Mais, dans la mesure où ils philosophent, ils ne se contentent pas de leur religion pour régler les problèmes qui se posent à leur intelligence, ils avancent aussi grâce à  leur capacité personnelle de raisonner et à leur réflexion sur l'expérience du monde qui est la leur.
Pour résumer, la religion est une cible des philosophes principalement quand elle se présente sous la forme d'opinions religieuses toutes faites, hostiles à la libre réflexion.
À ce stade, on peut se demander si les philosophes ne ressemblent pas aux scientifiques. Ceux-ci, comme Galilée au 17ème siècle ou Darwin au 19ème siècle, ne se sont-ils pas aussi opposés aux opinions toutes faites et aux religions quand elles font  obstacle à la recherche scientifique ?

vendredi 5 mai 2023

Ça commence mal (9)

MOI : - Mais si vous êtes porté à douter, vous n'êtes donc pas athée ?
ELLE : - Disons que je suis athée au sens où je tiens pour vrai que Dieu n'existe pas, mais je reconnais ne pas savoir que Dieu n'existe pas.
MOI : - Ne peut-on vraiment pas le savoir ?
ELLE : - La réponse à la question dépend  en fait de la définition de Dieu. Si, comme les épicuriens, on croit qu'être un dieu, c'est être un objet composé d' atomes et situé dans l'espace, alors on peut savoir qu'on n' a découvert aucun objet de ce type dans l'univers. Mais si on définit dieu comme un être qui a créé l'Univers et qui n'est ni dans l'espace ni dans le temps, aucune enquête ne peut aboutir à son inexistence, puisque, dès le départ, sa définition en fait quelque chose dont on ne peut pas avoir l'expérience.
MOI : - Et par le raisonnement pur, on ne peut pas aboutir à la conclusion que son existence est impossible ?
ELLE : - Certes, si on prouvait que l'existence de l'univers implique logiquement l'inexistence de Dieu, ça serait un argument puissant en faveur de l'athéisme, mais ce n'est pas le cas. Tout au contraire, l'astrophysicien le plus éclairé peut croire en Dieu !
MOI : - Est-il réellement éclairé s'il croit en Dieu tout en étant scientifique ?
ELLE : - Oui, il est réellement éclairé scientifiquement mais il doit aussi penser que la connaissance scientifique n'est pas la seule connaissance. Il ne peut donc pas être scientiste et croire en Dieu.
MOI : - Je ne comprends pas : la théorie du Big Bang explique l'univers de A à Z, non ?
ELLE : - En effet mais le processus que la science décrit peut être attribué à la création de Dieu !
MOI : - Comment comprendre la création si le temps et l'espace ne sont pas antérieurs à l'univers ?
ELLE : - En effet mais ce que vous dites suppose qu'on ne dépasse pas ce que nous apprend la science, mais il n'y a pas de science justifiant l'idée que seule la science apporte une connaissance de la réalité, pas plus qu'il n'y a de raisonnement justifiant l'idée que seule la raison est un moyen de connaître la réalité.
MOI : - Je ne comprends pas votre dernier point.
ELLE : - C'est simple : si vous faisiez un raisonnement aboutissant à l'idée que la raison est le seul moyen d'aboutir à la connaissance, vous supposeriez ce que vous devez justifier, que la raison permet de connaître  la vérité, ici la vérité sur la portée du raisonnement.
MOI : - Le rationalisme ne peut donc pas être prouvé par la raison et si je vous comprends bien, c'est une des raisons pour lesquelles vous sympathisez avec le scepticisme. Cela dit, revenons à la religion : savez-vous quelque chose sur ses effets, indépendamment de la question de sa vérité ?
ELLE : - Ils peuvent être puissants, l'histoire l'a montré, et autant au service du bien que du mal !
MOI : - Vous aimeriez croire ? 
ELLE : - J'ai été croyante en effet dans mon enfance et je crois ne jamais avoir de plus forts plaisirs d'amour-propre qu'à cette époque.
MOI : - ?
ELLE : - Au sens où j'étais fière de pouvoir être, par moments du moins, aussi bonne que Dieu voulait que je sois. 
MOI : - Vous êtes nostalgique ?
ELLE : - Pas du tout, car non seulement la religion met la barre trop haut mais en plus elle se trompe à mes yeux sur l'identité de qui met la barre. 
MOI : - Met-elle la barre trop haut ou la place-t-elle tout simplement mal ? Pensez par exemple à la culpabilisation relative à la masturbation.
ELLE : - Sur ce point, je vous donne raison. Mais je pensais plutôt à l'altruisme qu'elle ordonne. J'en étais venue à croire que penser du mal de quelqu'un sans le dire est déjà un péché. Et cet oeil de Dieu, qui voit tout !
MOI : - D'un autre côté, elle doit favoriser chez quelques-uns l'acuité au niveau de l'introspection et donc une certaine lucidité sur les intentions.
ELLE : - Il se peut mais qui dit que cette vigilance ne se mêle pas à beaucoup d'illusions sur soi ?