Comme Gassendi n'aurait rien à apprendre à nos élèves, voire à beaucoup de nos contemporains, si on leur donnait à lire de lui seulement ces quelques lignes que par politesse il écrit à la fin des objections qu'il fit aux Méditations de Descartes !
" Voilà, Monsieur, les remarques qui me sont venues à l'esprit touchant vos Méditations ; mais je répète ici ce que j'ai dit au commencement : qu'elles ne sont pas de telle importance que vous vous en deviez mettre en peine ; parce que je n'estime pas que mon jugement soit tel que vous en deviez faire quelque sorte de compte. Car, tout de même que lorsqu'une viande est agréable à mon goût, que je vois être désagréable à celui des autres, je ne prétends pas pour cela avoir le goût meilleur qu'un autre ; ainsi lorsqu'une opinion me plaît qui ne peut trouver créance en l'esprit d'autrui, je suis fort éloigné de penser que la mienne soit la plus véritable. Je crois bien plutôt qu'il a été fort bien dit que chacun abonde en son sens ; et je tiendrais qu'il y aurait quasi autant d'injustice de vouloir que tout le monde fût d'un même sentiment que de vouloir que le goût de chacun fût semblable." (éd. Alquié, tome 2, p.786-787)
Celui que Gassendi a apostrophé du nom d'esprit, à quoi ledit esprit a répondu spirituellement à son matérialiste d'objecteur, "ô, chair !", termine aussi très poliment la série de ses réponses, sans sacrifier pour autant à la bonne intelligence entre confrères, le souci de la vérité :
" Jusqu'ici l'esprit a discouru avec la chair, et, comme il était raisonnable, en beaucoup de choses n'a pas suivi ses sentiments. "
Oui, la raison a aussi quelque chose à dire à propos de la diversité des viandes et la diversité des raisons ne les rend pas, elles non plus, toutes égales en valeur :
" (...) j'ai été ravi qu'un homme de son mérite, dans un discours si long et si soigneusement recherché, n'ait apporté aucune raison qui détruisit et renversât les miennes, et n'ait aussi rien opposé contre mes conclusions à quoi il ne m'ait été très facile de répondre." (p. 838)
Sans relâche, imitons Descartes contre tous ceux qui prennent trop au sérieux les formules de politesse de Gassendi !
Commentaires
La discipline de travail quotidien de Gassendi était impressionnante. Il travaillait comme un moine, comme un scolastique. Au contraire, Descartes était adepte des grasses matinées. Il y a un passage célèbre dans la "La Vie de M. Descartes", où Adrien Baillet écrit : "Descartes qui, à son réveil, trouvait toutes les forces de son esprit recueillies, et tous les sens rassis par le repos de la nuit, profitait de ces favorables conjonctures pour méditer. Cette pratique lui tourna tellement en habitude, qu’il s’en fit une manière d’étudier pour toute sa vie; et l’on peut dire que c’est aux matinées de son lit que nous sommes redevables de ce que son esprit a produit de plus important dans la philosophie et dans les mathématiques". On aurait plutôt imaginé l'inverse, l'épicurien osant rêver au lit de la pluralité des mondes, et le rationaliste grand épouilleur de livres.
Descartes polémique méchamment sur un immense savant de son temps : "Vous verrez que i'ay fait tout ce que i'ay pu pour traiter M' Gaifendi honorablement & douce- ment ; mais il m'a donné tant d'occafions de le mef- prifer & de faire voir qu'il n'a pas le fens commun & ne fçait en aucune façon raifonner, que i'euffe trop laiffé aller de mon droit, fi l'en euffe moins dit que ie n'ay fait; & ie vous affure que l'en aurois pu dire beaucoup dauantage."
La recherche de la vérité comme hygiène en vue de la volupté ! " Il te faut trouver dix vérités durant le jour ; autrement tu chercheras des vérités durant la nuit et ton âme restera affamée. "
Harari intéresse les chefs d'État, parce qu' il explique la crise du monde actuel due au fait religieux. L' intérêt de la pensée historique d'Harari est aussi qu' elle est le produit du Big Data. On voit ce que cela a entraîné en économie. Des économistes revendiquent le statut de science expérimentale pour l'économie, à cause du brassage d'informations possiblement exhaustif du Big Data.
On peut aussi se poser la question de la pertinence du "versus" en histoire de la philosophie. D'ailleurs, au XVIIème siècle, on aurait plutôt "Descartes versus Aristote". Pourtant, le "Sartre versus Aron" de la Guerre Froide semble fécond, même si les Nouveaux Philosophes finirent par les mettre d'accord. Dans le domaine des philosophes femmes, on perd un peu ses repères. Au XXème siècle, on dira "Arendt versus Stebbing". Néanmoins, les différentialistes répondront qu'Arendt traitait de la "polis", mais qu' elle pensait comme un homme. De même, Stebbing faisait de la logique, mais parce qu'en principe les femmes ne devaient pas se mêler des affaires de la cité.
Cela dit, Gassendi dans le cours de l'argumentation ne cesse en fait de présenter ses raisons comme vraies et pas comme simplement préférées.
Je vois mal l'épicurisme comme philosophie adaptée à une société post-apocalyptique, son présupposé étant que la nature fournit en abondance de quoi satisfaire complètement tous les besoins humains.