Affichage des articles dont le libellé est Peter Singer. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Peter Singer. Afficher tous les articles

mercredi 29 août 2018

Tirésias et la meilleure des vies ou comparaison entre les orgasmes de Jupiter et de Junon.

Peter Singer dans Practical ethics s'interroge sur la possibilité de juger objectivement la différence de valeur entre la vie humaine et une vie animale quelconque
" The difficulty of finding neutral ground is a very real practical difficulty, but I am not convinced that it presents an insoluble theoretical problem. I would frame the question we need to ask in the following manner. Imagine that I have the peculiar property of being able to turn myself into an animal, so that like Puck in A Midsummer-Night's Dream, " Sometimes a horse I'll be, sometimes a hound. " And suppose that when I am a horse, I really am a horse, with all and only the mental experiences of a horse, and when I am a human being I have all and only the mental experiences of a human being. Now let us make the additional supposition that I can enter a third state in which I remember exactly what it was like to be a horse and exactly what it was like to be a human being. What would this third state be like? In some respects - the degree of self-awareness and rationality involved, for instance - it might be more like a human existence than an equine one, but it would not be a human existence in every respect. In this third state, then, I could compare horse-existence with human-existence. Suppose that I were offered the opportunity of another life, and given the choice of life as a horse or as a human being, the lives in question being in each case about as good as horse or human lives can reasonably be expected to be on this planet. I would then be deciding, in effect, between the value of the life of a horse (to the horse) and the value of the life of a human (to the human). " (second edition, Cambridge University Press, p. 106)
Ce qui m'intéresse ici est la référence à la pièce de Shakespeare. En effet on trouve chez Ovide dans les Métamorphoses une fiction plus développée et explicitement centrée sur la question de la connaissance objective de deux expériences subjectives, dans ce cas, celle du plaisir sexuel :
" (...) il arriva que Jupiter, épanoui, dit-on, par le nectar, déposa ses lourds soucis pour se divertir sans contrainte avec Junon, elle-même exempte de tout tracas : " Assurément, lui dit-il, vous ressentez bien plus profondément la volupté que le sexe masculin." Elle le nie. Ils conviennent de consulter le docte Tirésias ; car il connaissait les plaisirs des deux sexes ; un jour que deux grands serpents s'accouplaient dans une verte forêt, ils les avait frappés d'un coup de bâton ; alors (ô prodige !) d'homme il devint femme et le resta pendant sept automnes ; au huitième il les revit : " Si les coups que vous recevez, leur dit-il, ont assez de pouvoir pour changer le sexe de celui qui vous les donne, aujourd'hui encore je vais vous frapper." Il frappe les deux serpents ; aussitôt il reprend sa forme première et son aspect naturel. Donc, pris pour arbitre dans ce joyeux débat, il confirme l'avis de Jupiter ; la fille de Saturne en ayant éprouvé, à ce qu'on assure, un dépit excessif, sans rapport avec la cause, condamna les yeux de son juge à une nuit éternelle. " (III, Folio classique, p. 116-117)
On notera que tel Pythagore accumulant dans son esprit les exacts souvenirs de ses multiples vies, Tirésias conserve la mémoire fidèle d'une identité féminine qu'il n'a plus. C'est cette permanente objectivité de surplomb qui correspond au troisième état neutre évoqué par Singer.

Commentaires

1. Le mercredi 29 août 2018, 22:07 par gerardgrig
Au moyen du mythe, l'Antiquité parlait déjà de la théorie du genre. Jupiter faisait une hiérarchisation entre les sexes, car la jouissance, censée être ressentie plus profondément par la femme, éloignait celle-ci du Logos. Pour la théorie du genre, le troisième état neutre de Singer, ou Tirésias, devrait peut-être ressembler au « Questioning », davantage qu'à l’effacement des frontières du genre.
2. Le vendredi 14 septembre 2018, 17:49 par Philalethe
Il me semble que Jupiter a plus une théorie des sexes que du genre... Je doute aussi qu'on puisse rapprocher la pensée de Singer de la théorie du genre, car cette théorie laisse-t-elle de la place pour quelque chose comme la valeur objective de la vie ? Dans cette théorie, la valeur n'est-elle pas toujours une construction sociale ?
3. Le dimanche 16 septembre 2018, 23:02 par gerardgrig
On présume que l'explication du problème de Singer est évidemment l’antispécisme. Le troisième état est tout bonnement la personne, car l'animal est aussi une personne. Qu' il y ait une hésitation, un bougé ou un tremblé entre l’homme et l'animal, ce n' est pas si grave, dans le fond. On reste dans le biologique.
Avec Ovide et ses métamorphoses, on se pose peut-être la question, plus difficile, du genre : Tirésias est-il transsexuel ou transgenre ? Le caractère magique du changement de sexe de Tirésias rend irréelle sa définition biologique. Et pourquoi Junon réagit-elle comme une féministe américaine avant l’heure ? Ovide, ironique, semble n’y voir que l'expression de la légendaire hystérie féminine, qui fait toujours un drame d'une chose futile.
La langue française ratisse large, dans la mesure où le sexe est à la fois biologique et mental. On sait que la couche mentale ne coïncide pas forcément avec la couche biologique, mais qu'elle n' a présentement aucun fondement scientifique. On ne dispose que de la culture postmoderne, pour la penser. Les Anglo-saxons préfèrent distinguer clairement le mental du biologique, en matière d'identité, avec la notion de « gender ».
Il reste qu' avec l' espèce et le genre comme états mentaux, on assiste peut-être au remariage de la philosophie avec l'anthropologie.
4. Le lundi 17 septembre 2018, 18:31 par Philalethe
Le troisième état est le point de vue neutre sur la valeur des vies, point de vue qui permettrait d'évaluer la différence objective de valeur entre deux ou plusieurs vies spécifiquement subjectives, inévitablement. C'est un état concevable mais inaccessible. Il faudrait être au moins un homme mais plus qu'un homme pour le vivre ; quant au cheval, il en est par définition incapable. De là seulement on peut tirer l'idée que l'antispécisme de Singer ne revient pas à faire des animaux des personnes, la personne ayant, entre autres, conscience de soi, de son passé, de son avenir.
Quant à Tirésias, comme vous dites justement, il réalise magiquement l'impossibilité notée par Singer : il a été femme pendant huit ans, comme on fait un métier pendant un temps déterminé, en en gardant ensuite un souvenir vrai biaisé ni par l'ancienne identité ni par l'identité première retrouvée.
Quant à la réaction de Junon, elle m'a en effet étonné. La déesse semble moins réagir comme la féministe dont vous parlez, contre une essentialisation injustifiée de la femme, que contre une accusation honteuse d'extrême disposition  au plaisir. Tout ce que j'écris ici est fragile, hypothétique... et je ne sais pas ce qu'y voit Ovide...
Oui, comme vous dites, ou on réduit la couche mentale injustement à la couche biologique, ou on l'historicise à coeur joie, la séparant de ce qui la conditionne sans à première vue l'expliquer entièrement. C'est un des problèmes de la philosophie de l'esprit.
Quant au mariage, il doit être à mes yeux à trois : neurologie, sciences sociales, philosophie...
5. Le mardi 18 septembre 2018, 18:42 par gerardgrig
Il y a aussi le cas de la théorie des mèmes (Dawkins, Dennett), qui ont comme les gènes une capacité de reproduction. Sauf qu' on ne peut leur attribuer une existence biologique prouvée, même si la neurobiologie aurait repéré la zone de l’imitation dans le cerveau, et bien que le même ressemble au gène égoïste, qui ne vise que sa seule reproduction. Les mèmes expliqueraient la réplication culturelle spontanée dans les groupes sociaux. La théorie mémétique est une théorie de l'évolution socioculturelle, qui est un analogue du darwinisme, ce qui pose des problèmes épistémiques. Comme le genre, le mème est non-génétique.
6. Le samedi 22 septembre 2018, 13:32 par Philalethe
J'ai de la méfiance vis-à-vis de l'idée d'un contenu culturel qui aurait sa propre dynamique. Pour faire vite, cette théorie ne revient-elle pas à enlever sans raison à la sociologie et à l'histoire une partie de leurs fonctions ? Les mèmes sont diffusés dans des livres, journaux, sites etc qui ont des conditions socio-historiques de formation et de développement.
7. Le mercredi 26 septembre 2018, 13:40 par gerardgrig
La philosophie s’appuie sur le spécisme revendiqué de la pensée classique. Néanmoins, la théorie de l’animal-machine de Descartes était très nuancée. Il n'en allait pas de même chez Malebranche, qui passait de la théorie à la pratique dans le domaine spéciste, selon le témoignage de Fontenelle.
Voltaire expliquait par la folie les excès de logique de Malebranche. Il se considérait plutôt comme un visionnaire. Mais il n' est pas question d'expliquer la philosophie de Malebranche par de la psychologie sommaire, ni d’en faire un fou littéraire. Pourtant, Malebranche a favorisé la création de la légende du génie consécutif à un traumatisme crânien. Les Romantiques l'ont diffusée. Vigny écrivait : "Malebranche était idiot jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Une chute le blesse à la tête, on le trépane, il devient un homme de génie." (Journal d’un poète,1842, p. 1186).
8. Le vendredi 5 octobre 2018, 15:52 par Philalethe
Descartes a une position claire sur le point suivant : l'existence de l'âme ; les animaux n'en ont pas. Ce sont des êtres sans intériorité, comme les zombies au sens philosophique du terme.
Quelle chance pour Malebranche si un traumatisme crânien a produit un tel réarrangement de ses circuits neuronaux !
Le quotidien des neurologues est en fait que les pathologies neurologiques diminuent tristement les patients.
9. Le dimanche 7 octobre 2018, 21:29 par gerardgrig
On ne lit plus vraiment les textes, car on se contente de la connaissance de troisième main des articles écrits en anglais. Néanmoins, dans ce qu' il me reste, je crois me souvenir que Descartes écrit à Morus :
"Il est plus probable de considérer que se meuvent comme des machines les vers de terre, les moucherons, les chenilles et le reste des animaux que de leur donner une âme immortelle." L'animal-machine ne serait qu'une hypothèse. D'ailleurs, les machines créées par Dieu sont infiniment plus subtiles que celle de l'horloger. Dans les "Principes de la Philosophie", Descartes ajoute :
"Cependant quoique je regarde comme une chose démontrée qu'on ne saurait prouver qu'il y ait des pensées dans les bêtes, je ne crois pas qu'on puisse démontrer que le contraire ne soit pas, car l'esprit humain ne peut pénétrer dans leur cœur."
Dans les "Sixièmes Objections", Descartes semble faire une concession au vitalisme d'Aristote, qu' il condamne pourtant, quand il nie qu' il n'accorde ni sens, ni âme organique, ni vie aux bêtes. Je ne sais plus où Descartes reconnaît une fonction d'animation au sang. Le sang, c' est l'âme, et les animaux n' en sont donc pas dépourvus.
Malebranche ne faisait pas toutes ces réserves. Il ne se disait pas que si l'animal se laissait apprivoiser, c' était parce qu' il comprenait l'échange économique de base : garder la maison et le troupeau, contre avoir le gîte et le couvert. En frappant son animal pour une raison métaphysique, qu' il ne comprendrait jamais, il risquait de l'ensauvager et de lui faire mordre Fontenelle à sa prochaine visite.
10. Le dimanche 7 octobre 2018, 23:05 par Philalethe
Vous avez raison, mieux vaut une connaissance de troisième genre que de seconde main...
En fait ce que Descartes écrit à propos de l'âme des animaux appartient à la connaissance du deuxième genre. Oui, les animaux étant vivants, ils ont une "âme corporelle" (Réponses aux sixièmes objections) mais ils n'ont pas de pensée :
" (...) pour moi je n'ai pas seulement dit que dans les bêtes il n'y avait point de pensée, ainsi qu'on veut me faire accroire, mais outre cela, je l'ai prouvé par des raisons qui sont si fortes, que jusques à présent je n'ai vu personne qui ait rien opposé de considérable à l'encontre. Et ce sont plutôt ceux qui assurent que les chiens savent en veillant qu'ils courent, et même en dormant qu'ils aboient, et qui en parlent comme s'ils étaient d'intelligence avec eux, et qu'ils vissent tout ce qui se passe dans leurs coeurs, lesquels ne prouvent rien de ce qu'ils disent." (La Pléiade, p.530)
Je suis porté à penser que Malebranche a conservé purement et simplement la conception cartésienne de l'animal : l'animal est un zombie, c'est la mécanique qui explique tous ses états ; nos ordinateurs, quand ils nous parlent, lui ressemblent.
11. Le vendredi 26 octobre 2018, 23:21 par lang pecals
je croyais que Tirésias avait perdu la vue
en contemplant Athéna ( Minerve ) nue.
12. Le mercredi 31 octobre 2018, 19:10 par Philalethe
Il y a plusieurs versions, comme par exemple pour la mort de Diogène...
13. Le vendredi 14 décembre 2018, 18:33 par gerardgrig
Dans l'analyse des universaux du genre et de l'espèce, il faudrait aborder le sous-groupe de la race, dans l'espèce. Sur le plan biologique, il n'existe plus. Néanmoins, il y a eu une raciologie anti-raciste au Musée de l'Homme, notamment dans les travaux de Michel Leiris. C'est un sujet très difficile à aborder, mais on dirait qu'actuellement la race tend à rejoindre le genre, dans sa couche mentale non-génétique. On dit maintenant "racisé, comme on dit "genré", et on invoque même une intersectionnalité entre ces termes. Cela produirait l'effet secondaire d'un "racisme anti-Blanc". Inversement, on recommence à entendre parler en société de la "race blanche", avec une rhétorique de l'anticipation, qui précise que l'expression aurait un sens neutre et dépourvu de tout racisme.
14. Le jeudi 20 décembre 2018, 17:52 par Philalethe
Si on faisait correspondre au mot "race" quelque chose de réel, vu le passé il serait pertinent de changer de mot. 
Il arrive même qu'on change de mot, bien qu'il n'ait jamais cessé de se référer à une réalité. Je me suis laissé dire que, par exemple, le mot "hystérie" est avantageusement remplacé en milieu hospitalier par l'expression "troubles neurologiques fonctionnels".

samedi 11 juin 2016

What is it like to be a cow ?

Aujourd'hui c'est un lieu commun, sans doute navrant, de dire que ce n'est pas notre esprit mais notre cerveau qui fait toutes les opérations intellectuelles dont nous nous enorgueillissons et plus généralement de soutenir qu'il est la seule cause de tous nos processus mentaux : c'est le cerveau qui classe, juge, interprète, ressent, etc.
C'est peut-être la quatrième blessure narcissique : après la thèse selon laquelle l'homme ni ne connaît ni ne contrôle son esprit (voyez Freud), domine l'idée qu'au fond ce qu'on appelle l'esprit n'est que le cerveau.
Or, cette cérébralisation de l'esprit humain n'a-t-elle pas son pendant dans la spiritualisation du cerveau animal ?
Je vois en tout cas un exemple de cette opération de réhabilitation extrême de l'animal dans quelques lignes tirées de L'éthique à table. Pourquoi nos choix alimentaires importent., ouvrage au demeurant intéressant, écrit par Peter Singer et Jim Mason (L'Âge d'Homme, 2015) . Les auteurs tiennent à nous expliquer que les vaches ont une vie émotionnelle intense ; après avoir soutenu que ces herbivores se lient d'amitié et gardent aussi rancune, Singer et Mason écrivent :
" Plus remarquable encore, les vaches peuvent être enthousiastes quand elles réussissent à relever un défi intellectuel. Donald Broom, professeur de bien-être animal à l'Université de Cambridge, a mis des vaches face à un problème - comment ouvrir une porte pour obtenir de la nourriture - tout en mesurant leurs ondes cérébrales. Broom rapporte que lorsqu'elles trouvent la solution, " leur activité cérébrale montre leur excitation, leur rythme cardiaque augmente, et certaines sautent même en l'air. Nous avons appelé cela leur moment Eureka " ". (p.124-125)
Voir dans la vache un être qui ressemble à Archimède est sans doute aussi discutable que de voir dans Archimède rien d'autre que son cerveau.
Certes spiritualiser l'animal non humain favorise la diffusion de l'anti-spécisme. Ainsi dans le même ouvrage, Estiva Reus peut-elle ne pas hésiter à demander aux lectrices de se mettre à la place des truies :
" Imaginez-vous dans la situation d'une truie prisonnière à vie d'un bâtiment fermé. Vous êtes réduite à l'état de machine à enfanter ; vous êtes périodiquement inséminée artificiellement ; vous êtes dans l'incapacité de prendre convenablement soin de vos petits car entourée de barreaux qui vous interdisent d'aller vers eux ; vous ne pouvez qu'attendre qu'ils s'approchent pour téter ; ils vous sont enlevés à un âge où ils auraient encore besoin de votre présence ; vous n'avez jamais l'initiative pour continuer votre existence comme vous l'entendez ; vous vivez à l'étroit dans un univers de métal et de béton ; vous serez tuée jeune mais déjà usée par vos conditions d'existence." (p.118)
Il semble ici que l'appel à l'empathie se fait au prix d'une anthropomorphisation douteuse.
Mais alors comment rendre justice aux animaux non humains sans à tort les humaniser ?

Commentaires

1. Le dimanche 12 juin 2016, 10:47 par Arnaud
L'allusion (ou l'hommage ?) à Thomas Nagel exigerait : how is it like to be a cow ?...
Sachant que le cerveau est tout de même un organe dont on reconnaît rituellement l'extraordinaire complexité et donc le caractère encore "mystérieux", le réductionnisme dont vous vous indignez à propos d'Archimède n'est peut-être pas aussi humiliant qu'il y paraît.
Ce n'est qu'une suggestion...
Quant à la révolution copernicienne, certains auteurs ont fait remarquer à juste titre qu'elle n'est aucunement une blessure narcissique, si l'on y voit la fin de la distinction entre le sublunaire et le supralunaire.
2. Le lundi 13 juin 2016, 09:20 par Philalethe
Oups ! Que ferais-je sans vous ? Merci de me lire avec soin... Je vais essayer à l'avenir d'être plus précautionneux.
Certes du point de vue de l'amour-propre mieux vaut identifier l'esprit à un organe complexe qu'à un organe fruste mais la question n'est pas d'amour-propre : si l'esprit n'est plus que le cerveau, c'est la causalité mentale qui est réduite à une fiction et, par là-même c'est notre manière ordinaire de parler de nous qui devient illusoire et en plus sans qu'on en ait une, meilleure, de rechange... Mais vous savez tout ça...
Cela dit, je visais dans ce billet une position commune, celle que les médias nous encouragent à avoir en mythifiant largement les neuro-sciences comme on peut s'en convaincre en lisant le livre de Daniel Andler La silhouette de l'humain. Quelle place pour le naturalisme dans le monde aujourd'hui ? (2016)
Certes on peut penser que les lycéens disant, sous l'influence des médias présentant les neuro-sciences "l'esprit, c'est le cerveau" sont plus près de la vérité que des lycéens disant sous l'influence des prêtres "l'esprit survivra au corps"... Mais cela n'engage que moi !
3. Le lundi 13 juin 2016, 11:14 par Arnaud
Merci pour votre réponse.
Vous m'incitez à lire Daniel Andler (qui mérite en effet tous les lauriers qu'on voudra)
4. Le mardi 14 juin 2016, 07:47 par Philalèthe
Ah, vous devez bien vous amuser avec moi !
Mais que mérite Daniel Laurier, lui ?
5. Le mercredi 15 juin 2016, 10:53 par Arnaud
Toute notre estime, autant que le blog qui lui a donné naissance...
6. Le jeudi 16 juin 2016, 08:12 par Philalèthe
7. Le jeudi 16 juin 2016, 09:38 par Arnaud
Le lapsus était tout à fait pardonnable, en effet.
Encore une ignorance de ma part ...
8. Le jeudi 16 juin 2016, 18:30 par Philalèthe
Heureusement que Daniel Laurier existe car, auteur d'une oeuvre, il mérite pour cela au moins une certaine quantité d'estime, que mon blog reçoit donc par là même selon vous.
En revanche, comme on ne peut pas avoir d'estime pour un être qui n'existe pas et qui, à la différence du personnage de fiction, n'a aucune propriété, la quantité nulle d'estime que vous accordiez au départ à ce fantôme se rapportait tout autant à mon blog !
9. Le jeudi 16 juin 2016, 20:02 par Arnaud
Il faut se rendre à l'évidence : un compliment entaché d'une grossière faute de logique n'est pas recevable. Le proverbe "c'est l'intention qui compte" doit humblement s'incliner devant l'exigence de rigueur. On se le tient pour dit...

jeudi 2 juin 2016

Singer est-il anthropocentriste ?


Le principe d'égale considération des intérêts conduit Singer à prendre la souffrance au sérieux autant chez les animaux humains que chez les animaux non-humains.
Reste que cela ne le contraint pas à soutenir que les vies des animaux humains valent celles des animaux non-humains. En effet les vies n'ont pas toutes la même valeur (ce qui permettra de juger la mise à mort plus ou moins grave selon que la victime a une vie de plus ou moins grande valeur).
Mais qu'est-ce qui donne à la vie de la valeur ?
" La vie d'un être possédant conscience de soi, capable de penser abstraitement, d'élaborer des projets d'avenir, de communiquer de façon complexe, et ainsi de suite , a plus de valeur que celle d'un être qui n'a pas ces capacités." (La libération animale)
J'ai alors l'impression que l'anthropocentrisme qui est sorti par la porte au niveau du principe d'égale considération des intérêts rentre par la fenêtre au niveau de l'évaluation de la valeur de la vie. Certes cela ne mène pas Singer à défendre que la vie de n'importe quel homme a plus de prix que celle de n'importe quel animal :
" Tuer un chimpanzé est pire que tuer un être humain qui, du fait d'un handicap mental congénital, n'est pas et ne sera jamais une personne." (Questions d'éthique pratique)
Mais n'est-ce pas spéciste de prendre la vie humaine comme modèle ?
Si au fond Singer accepte de qualifier de personnes les grands singes, n'est-ce pas parce qu'il donne le plus de prix aux individus les plus réussis de l'espèce humaine ?
Pour mesurer le problème, ces lignes de Russell citées par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dans son Éthique animale (2008) :
" Il n'y a aucune raison objective de considérer que les intérêts des êtres humains sont plus importants que ceux des animaux. Nous pouvons détruire les animaux plus facilement qu'ils ne peuvent nous détruire : c'est la seule base solide de notre prétention de supériorité. Nous valorisons l'art, la science et la littérature, parce que ce sont des choses dans lesquelles nous excellons. Mais les baleines pourraient valoriser le fait de souffler et les ânes pourraient considérer qu'un bon braiment est plus exquis que la musique de Brahms. Nous ne pouvons le prouver, sauf par l'exercice de notre pouvoir arbitraire. Tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent des armes de guerre." (If animals could talk, 1932)
On peut être méfiant par rapport à un tel relativisme éthique, mais la position de Singer n'échappe à cette critique que si la défense de la supériorité de la vie humaine sur la vie non-humaine repose sur une conception réaliste des valeurs morales, présupposant que l'intelligence humaine a accès à une connaissance vraie de la valeur des valeurs, ce qui revient finalement à une argumentation circulaire (si les hommes ont une vie qui a plus de valeur que la vie animale, c'est parce que leur intelligence qui a plus de valeur que l'intelligence animale le leur fait savoir).

Commentaires

1. Le vendredi 3 juin 2016, 00:00 par Astwin
Si "tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent des armes de guerre", alors notre humanité est réduite au niveau du monde animal puisque c'est la loi du plus fort qui prédomine.
Exit saint Thomas d'Aquin et sa pensée.
Toutefois, l'homme de la rue dirait que nos dirigeants (drôles d'animaux politiques), s'assoient allègrement sur les systèmes éthiques, racoleurs et normatifs, s'érigeant comme d'aucun autrefois en caïd des bacs à sable de la maternelle.
2. Le jeudi 9 juin 2016, 09:40 par Philalèthe
Il n'y a pas d'espèce animale autre que la nôtre capable de penser que tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent de la guerre et il n'y en a pas non plus d'autre qui mène avec cette intensité des guerres internes à l'espèce. Donc pas de souci, que Russell ait ou non raison, l'animal humain garde sa singularité et ne peut de toute façon pas être réduit au niveau du monde animal pour la raison qu'il y appartient, qu'on l'appelle Saint-Thomas d'Aquin ou non.
Cela dit, c'est clair que si la valeur d'une éthique ne dépend que de la force de ceux qui la soutiennent, alors il n'y a plus de place pour l'argumentation rationnelle en éthique, qu'on soit thomiste ou non. Il n'y a même pas de place pour l'argumentation méta-éthique qui réduit toutes les éthiques à pas grand chose.
Quant à l'homme de la rue, je ne sais pas s'il est toujours aussi clairvoyant que vous le dites. 
Et puis quel est le dirigeant politique qui, à défaut de faire une politique morale, n'a pas une morale politique avec laquelle il simule la moralité ?
3. Le jeudi 9 juin 2016, 12:40 par Philalèthe
Excusez-moi, Astwin, à cause d'une mauvaise manip, j'ai annulé votre dernier commentaire, je le retranscris donc de mémoire :
" En ce qui concerne l'homme de la rue, vous avez sans doute raison... Ce qui fait un point commun entre l'homme de la rue et l'homme politique."
Tout le problème est de savoir ce qu'on trouve dans la rue : sociologiquement "l'homme de la rue" est comme "l'opinion publique", une construction sociale, aux contenus variables en fonction de ce qui la détermine.
Vous faisiez peut-être référence au "decent man" d'Orwell, qu'on aimerait bien voir en effet plus souvent dans la rue...
4. Le jeudi 9 juin 2016, 14:28 par Astwin
Oui, effectivement dans mon esprit, l'homme de la rue s'apparentait plus au "decent man" susceptible d'accepter des contraintes éthiques plutôt qu'au "smartphone man" dont la seule expérience éthique réside dans la quête de l'"ultime" application à télécharger.
5. Le jeudi 9 juin 2016, 14:36 par Philalèthe
Vous avez malheureusement raison d'appeler cela "une expérience éthique", vu que l'on parlera sans doute de "philosophie de la vie" pour défendre "les choix" du "smartphone man", le vocabulaire de la liberté et de l'individualité décrivant de manière mystificatrice les pratiques les plus contraintes socialement et les plus collectives... Enfin c'est "mon choix" de croire cela !

samedi 28 mai 2016

Des poules et des hommes.


" Combien la vie paraît trop longue aux vieillards, à présent qu'ils apprennent une peine si imprévue ! " (Eschyle, Les Perses, v. 263-265)
" (...) malgré le désir d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il veut (...) Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne serait pas une longue souffrance ? " (Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs)
" Ainsi vivent et meurent les poules qui produisent nos œufs. Peut-être celles qui meurent jeunes sont-elles les plus chanceuses, puisque leurs compagnes plus robustes n'ont rien d'autre à espérer que quelques mois supplémentaires d'entassement inconfortable. Elles pondent jusqu'à ce que leur productivité baisse, puis elles sont expédiées pour être battues et transformées en pâtés et en soupes au poulet, seules choses pour lesquelles elles sont encore bonnes. " (Singer, La libération animale)

Commentaires

1. Le lundi 30 mai 2016, 12:43 par gelscalpan
la photo du poulailler est si floue qu'on dirait un amphi universitaire plein , à la rentrée (mais pas ensuite, la différence entre humains et poules étant que les premiers ont le choix de quitter l'amphi)
2. Le lundi 30 mai 2016, 13:22 par Philalèthe
Rien d'étonnant à ce que les poules restent : elles ont précisément un cœur de poule.

vendredi 27 mai 2016

Vanitas innocua et vanitas maligna.

" Les chercheurs, y compris en psychologie, en médecine ou en biologie, sont des êtres humains et sont sensibles aux mêmes influences que n'importe quels autres êtres humains. Ils aiment à avancer dans leur carrière, à recevoir des promotions, et à voir leur travail lu et discuté par leurs collègues. Le fait de publier des articles dans les revues spécialisées est un élément important pour monter sur l'échelle de la promotion et du prestige. Les choses se passent ainsi dans toutes les disciplines, en philosophie ou en histoire autant qu'en psychologie ou en médecine, ce qui se comprend très bien et en tant que tel n'est guère critiquable. Les philosophes et les historiens qui publient pour améliorer leurs perspectives de carrière font peu de mal à part gaspiller du papier et ennuyer leurs collègues ; en revanche, ceux dont le travail comporte des expériences sur animaux peuvent provoquer une douleur sévère et une souffrance prolongée."(Peter Singer, La libération animale, 1975)

Commentaires

1. Le lundi 30 mai 2016, 12:13 par scalangepel
étrange que Singer ne nous dise pas que les papiers des revues, l'electricité dépensée à publier sur le net les articles des chercheurs, et la pollution à Stockholm créée par l'activité autour du Nobel ne menace pas la vie animale. Suggestion aux animalistes : créer un prix Nobel de la production intellectuelle animale. Les castors, par exemple, peut être même les fourmis, se verraient décerner le prix, pour leur excellente organisation des efforts intellectuels.
2. Le lundi 30 mai 2016, 12:22 par Philalèthe
Ah, dois-je vous ranger dans le cas des anti-animalistes primaires ?
Vous savez bien que le principe de considération égale des intérêts n'implique pas celui d'égalité de la valeur de toute vie, humaine ou animale !
Certes, s'il faut choisir entre un bonobo en pleine forme et un prix Nobel en phase terminale de Alzheimer...
3. Le lundi 30 mai 2016, 13:48 par scalangepel
non, je faisais juste un calcul comparé des conséquences, à la manière dont le demandent les utilitaristes : si le coût énergétique du prix Nobel excède celui des barrages de Castor, ces derniers n'ont ils pas la palme (le pieds palmés plutôt que les palmes sur les fronts des Gloires de l'Intellect)?
4. Le lundi 30 mai 2016, 13:53 par Philalèthe
Ah là vous voulez singer l'intégrisme vert !
5. Le lundi 30 mai 2016, 20:09 par Arnaud
Pardon, mais le "H" initial ne sied pas à Alzheimer, un seul suffira et à la bonne place...
6. Le mardi 31 mai 2016, 10:55 par Philalèthe
Oups, la coquille est corrigée. Merci !

vendredi 25 septembre 2009

Les maîtres tiraient-ils réellement bénéfice de leurs esclaves ?

Peter Singer écrit dans le chapitre 2 de Practical Ethics Equality and its implications (1993):
" Slavery prevents the slaves from satisfying these interests as they would want to; ant the benefits it confers on the slave-owners are hardly comparable in importance to the harms it does to the slaves" (p.23) - des extraits de l'oeuvre sont consultables ici
Je traduis: "L'esclavage empêche les esclaves de satisfaire leurs intérêts comme ils voudraient et les bénéfices qu'il apporte aux propriétaires d'esclaves sont à peine comparables en importance aux dommages qu'il cause aux esclaves"
Je pense alors que ni un platonicien, ni un cynique, ni un stoïcien, ni un épicurien, ni un kantien, ni un sartrien (la liste ne prétend pas à l'exhaustivité) n'accepteraient de reconnaître que l'esclave peut réellement être bénéfique aux maîtres; il peut juste les aider à satisfaire des désirs objectivement dépréciés par toutes ces doctrines. Singer ne paraît pas être réservé sur la réalité du bénéfice gagné à rendre autrui esclave de soi. Il le condamne non comme illusoire mais comme injuste.
Dois-je aller jusqu'à conclure que c'est un trait spécifique à l'utilitarisme de penser qu'on peut tirer un bénéfice personnel réel de la domination d'autrui ?
Mais n'était-ce pas déjà l'opinion d'Aristote ?

Commentaires

1. Le samedi 3 octobre 2009, 13:20 par philalèthe
Merci, Julien, de venir me rendre visite !
Si je ne me trompe pas, la première question revient à se demander si on ne peut pas envisager que l'esclave apporte un bénéfice réel quand le désir n'est pas déprécié; la deuxième si ce qu'on dit de l'esclave ne peut pas être dit de quiconque joue ce rôle d'aide pour atteindre un désir non déprécié.
Il me semble que cela revient à évaluer la valeur de la dépendance par rapport à autrui dans la satisfaction des désirs légitimes.
Les cyniques pour commencer mettent tellement haut l'autarcie que même ce type d'aide serait rejeté, d'abord parce que c'est une marque de faiblesse de la part de celui qui reçoit l'aide et ensuite parce qu'au fond un désir qui nécessite une aide pour être satisfait est un désir dont on doit se passer (on peut interpréter comme ça l'éloge que Diogène fait de la masturbation et son regret qu'on ne puisse pas satisfaire la faim d'une manière analogue, en se frottant l'estomac). Je ne crois pas que l'identité de celui qui aide soit décisive.
Si j'essaye de raisonner maintenant dans un cadre épicurien, c'est différent: pour certains désirs naturels et nécessaires, autrui est une aide naturelle (par exemple le désir de connaître la vérité ou le désir de manger etc) mais c'est le recours à l'esclave qui pourrait être condamné comme signe d'une dépendance par rapport aux valeurs des hommes ordinaires; en revanche c'est l'ami, c'est-à-dire ici l'alter ego, qui aidera et qui quand viendra son tour sera aidé.
Que penser des stoïciens ? Vaste question, à laquelle je vais encore donner une réponse bien trop rapide. Si je m'appuie sur la lettre 47 de Sénèque, je n'y trouve pas une condamnation de l'esclavage mais une condamnation de l'instrumentalisation des esclaves au service de désirs dépréciés et aussi une condamnation de la manière de voir les esclaves comme des êtres inférieurs. Dans ces conditions, c'est tout à fait en accord avec la doctrine de recevoir l'aide d'un esclave à condition qu'il soit identifié à un être aussi raisonnable que celui qui est aidé et à condition que le désir ne soit pas déprécié.
Pour résumer cette question trop complexe pour être élucidée ici, tout objectif qu'on ne peut atteindre qu'avec de l'aide (qu'elle soit celle de l'esclave ou de quiconque) est effectivement un mauvais objectif dans le cadre d'une vie cynique privée (il faudrait voir ce qu'il en est au niveau d'une conception cynique de la vie publique). Il faut cependant relever ici l'exception de l´éducation: les cyniques ne l'ont pas rejetée, en revanche ils ont attaqué la dépendance infantile par rapport au maître.
Sur cette question en général, je te renvoie au livre de Voelke (1961): Les rapports avec autrui dans la philosophie grecque d'Aristote à Panétius.
2. Le dimanche 4 octobre 2009, 22:59 par jean centini
Si je comprends bien votre billet, l'activité servile ne peut satisfaire que des besoins que les écoles philosophiques mentionnées, déprécient par avance. Le recours à une main d'oeuvre libre ne changerait donc rien à la question. Peu importe que Trimalcion commande son banquet à un traiteur indépendant plutôt qu'à ses esclaves. Ce qui fait problème ce n'est pas l'esclavage, mais le banquet lui-même.
Juste une question à propos des cyniques : acquérir rien moins que Diogène comme esclave, lui confier l'éducation de ses enfants et la direction de sa maison, (DL, 6, 74) n'apporte donc que des satisfactions illusoires à Xéniade ?
3. Le lundi 5 octobre 2009, 14:35 par philalèthe
Je crois avoir un peu répondu à votre attente dans le post 2 adressé à J. Dutant.
Ceci dit, il n'est pas si facile de séparer le banquet de l'esclavage. Pour justifier cette idée, je vais m'appuyer sur la lettre 47 de Sénèque, dont voici un extrait significatif de ce que j'ai en tête:
" Nous sommes étendus sur nos lits de festin: cet esclave essuie les crachats; cet autre, accroupi, ramasse les déjections des convives pris de vin. Cet autre encore découpe des oiseaux rares; sa main experte, passant par une suite de mouvements précis du bréchet au croupion, secoue au bout du couteau les aiguillettes. C'est un malheureux dont la vie a pour but de débiter convenablement de la volaille: mais l'homme qui dresse à un tel métier dans l'intérêt de son plaisir n'est-il pas vraiment plus à plaindre que celui qui subit ce dressage par nécessité ?" (Ed. Veyne p.705)
Certes Sénèque condamnerait identiquement celui qui paierait ceux qui le servent, mais l'esclavage, en tant que main d'oeuvre abondante et bon marché, maximalise le risque de satisfaire ses désirs au-delà de ce qu'il est bon de faire. Bien sûr une quantité d'argent assez grande pour acheter sans fin les services d'autrui fait courir le même risque. Dit autrement, l'esclavage en tant qu'institution sociale favorise l'esclavage par rapport à tous les plaisirs possibles. D'ailleurs dans cette lettre, c'est seulement, comme je l'ai déjà dit, ce dernier esclavage que Sénèque dénonce. L'institution de l'esclavage, il ne la réprouve pas, mais ce qu'il rejette, c'est une manière fausse de l'interpréter, précisément croire que les esclaves sont humainement inférieurs aux maîtres (alors qu'ils ne le sont que socialement) - on trouve en Diogène Laërce VI 28 un passage relatif à Diogène le Cynique qui va dans cette direction:
" Il allait jusqu'à admirer les esclaves qui, voyant leurs maîtres manger goulûment, ne volaient rien de ce que ceux-ci mangeaient" (éd. Goulet-Cazé p.710)
Quant aux cyniques, ils approuvent la dépendance par rapport à un maître cynique, dans la mesure où ce maître conduit son élève à l'autarcie. Cf par exemple Diogène Laërce VI 6:
" Interrogé (il s'agit d'Antisthène) sur le profit qu'il avait retiré de la philosophie, il répondit: "Être capable de vivre en compagnie de soi-même"" (éd Goulet-Cazé p. 685)
Il me semble que pour les cyniques le seul esclave (socialement) dont on ait besoin est celui qui aura comme fonction de nous apprendre à vivre sans esclaves, c'est-à-dire librement (éthiquement). "Vends-moi à cet homme, il a besoin d'un maître" dit Diogène en apercevant Xéniade (DL VI 74)