Il est délicat d’identifier la nature des relations qui unissent Ménédème et Asclépiade, même si une hypothèse se dégage assez clairement. Voici dans l’ordre où les donne Diogène Laërce quelques pistes :
1) « C’était surtout un ami attentionné, comme le montre sa bonne entente avec Asclépiade, qui ressemblait tout à fait à la vive affection éprouvée par Pylade » (II, 137)
Pylade / Oreste: deux cousins germains dont le premier, par son dévouement au second, est le modèle même de l’amitié illimitée. Éclairer ainsi l’affection de Ménédème pour Asclépiade, c’est donc attirer l’attention non sur la réciprocité de l’échange mais sur son inégalité. Encore au 19ème siècle, évoquer le couple mythique semble avoir servi à dénoncer l’utilisation éhontée d’autrui, cachée sous le beau nom d’amitié. Pierre Larousse dans le tome 14 de son Grand dictionnaire universel (1874) cite ainsi plusieurs textes faisant un tel usage de la référence, dont un écrit par Théophile Gautier et d’une grande clarté :
« Quelle raison avez-vous de lui en vouloir ? Vous lui vendez vos chevaux fourbus ; quand vous avez besoin d’argent, vous jouez une partie avec lui ; vous lui mettez sur les bras les femmes qui vous ennuient. C’est un vrai Pylade. »
2) « Mais comme c’était Asclépiade le plus âgé, on disait que c’était lui le poète et que Ménédème était l’acteur. »
A mes yeux, la relation de domination est rendue cette fois d’une autre manière mais sans ambages : en effet l’acteur répète ce que le poète a dit. Marie-Odile Goulet-Cazé traduit par une note un certain embarras :
« Je suppose que c’est parce que son âge lui donne plus d’autorité qu’Asclépiade est présenté comme l’auteur, car les acteurs ne sont évidemment pas nécessairement plus jeunes que l’auteur. »
A première vue ne lui vient pas à l’esprit l’idée que le couple Oreste/Pylade est homologue au couple poète/acteur, les deux exprimant la relation déséquilibrée unissant Asclépiade à Ménédème. La traductrice fait donc appel à l’érudition de M. Patillon qui l’éclaire ainsi :
« (il) me suggère de voir plutôt ici un renvoi au cycle épique : poète et rhapsode (c’est de mon point de vue toujours la relation écrivain/lecteur), avec peut-être un jeu de mots, par allusion, à connotation sexuelle, poieten désignant le partenaire actif (cf prattein pour signifier la relation sexuelle) et upokriten le partenaire passif »
Que Ménédème ait été l’aimé d’Asclépiade cadrerait à coup sûr tout à fait bien avec l’identification du couple philosophique au couple mythologique.
3) « On raconte qu’un jour où Archipolis ( ?) leur avait assigné trois mille drachmes, aucun des deux ne voulut céder quand il fallut décider qui prendrait sa part en second, si bien que ni l’un ni l’autre ne prit l’argent »
Je dois reconnaître honnêtement que ce refus partagé de passer en premier est incompatible avec tout ce que suggéraient les lignes antérieures. Si Asclépiade s’était conduit comme un Oreste à la Gauthier, il eût empoché les trois mille drachmes...
4) « On dit aussi qu’ils étaient mariés, Asclépiade avec la fille et Ménédème avec la mère. »
N’osant pas dire qu’ Asclépiade se réserve la part du lion, je dois reconnaître que le fait que le plus âgé convole avec la plus jeune et que la plus vieille devienne la femme du plus jeune ne m’est pas plus facile à interpréter que ne le serait l’inverse. Restant neutre sur ce point, je remarque qu’Asclépiade devient le gendre de Ménédème, ce qui me paraît inverser la supériorité jusqu’ici conférée au premier.
5) « Après la mort de sa femme, Asclépiade prit celle de Ménédème ... »
La relation de domination semble se reconstituer ; même si une note savante, citant Knoepfler, m’apprend qu’ « un tel divorce à l’amiable, avec cession de l’épouse à un tiers, n’est pas sans exemple dans l’Athènes du IVème siècle », le contexte de la séparation et l’expression dont use Diogène Laërce m’engagent à penser qu’Asclépiade se sert plutôt incestueusement de sa belle-mère pour remplacer sa fille et cela donc au détriment peut-être de son ami et gendre...
6) « ... et ce dernier, à son tour, quand il fut à la tête de la cité, épousa, dit-on, une femme riche. Cependant, comme ils partageaient une seule et même demeure, Ménédème n’en aurait pas moins confié l’administration à sa première femme. »
C’est donc la femme d’Asclépiade qui tient les rênes domestiques, la nouvelle épouse de Ménédème restant, malgré sa richesse, au second plan. Certes on remarque que Ménédème a la plus haute fonction politique mais il n’en reste pas moins que dans l’espace privé il respecte un ordre régi par la femme de son ami.
7) Je ne suis pas étonné d’apprendre finalement que « c’est Asclépiade qui mourut le premier à Érétrie »
8) « Quelque temps après, comme le mignon d’Asclépiade était venu à une partie fine et que les serviteurs qui étaient là lui interdisaient l’accès, Ménédème demanda de le laisser entrer, disant que c’était Asclépiade qui, même sous terre, lui ouvrait la porte. »
Cette déclaration est ambiguë : est-ce une manière emphatique de souligner l’amour de l’amant pour son aimé ou l’aveu que, même disparu, c’est encore Asclépiade qui inspire les initiatives de Ménédème ?
Commentaires
Reste biensur à se demander si, comme pour l'Amour, on a une bonne définition de qui est Philosophe.