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samedi 18 avril 2015

Genèse psychologique de l'Idée platonicienne.

" L'âge de l'amour fou, c'est avant l'amour de chair. S'il est "fou", cet amour-là, c'est qu'une sagesse instinctive l'adresse à un être qui dépasse tous nos êtres. L'Idée platonicienne, c'est une vision d'enfance dont l'adulte s'est fait une entité métaphysique." (Gabriel Germain, L'aventure onirique, portrait d'une inconnue, Paris, José Corti, 1986, p.40)

dimanche 22 mars 2015

Pierre Hadot et Gabriel Germain, deux variantes d'une même misologie ?

Le livre déjà ancien, que Gabriel Germain a consacré au stoïcisme, Épictète et la spiritualité stoïcienne (1964), est ouvertement un livre écrit par un chrétien. Rien de surprenant donc si l'auteur reproche au stoïcisme un rationalisme excessif :
" (...) les Stoïciens croyaient trop à la raison. Entendez : ils voulaient s'en servir là où elle ne réussit plus ; à sa place, la raison est bonne, juste et sainte. Contre eux, contre bien d'autres,il faut revendiquer les droits du rêve et de l'insolite, de l'intuition contemplative, de la vision poétique, de la vision en samâdhi (en enstase) et en extase, autrement dit le droit qu'a notre nature totale d'être respectée. Si notre condition est telle que, pour avancer dans la connaissance, il faille tenter un jour le "saut de la mort" par-dessus notre esprit, qu'à partir d'un certain point la connaissance soit soumise à la nécessité de la nuit, qu'elle doive passer par l'inconnaissance, eh bien ! ce jour là, risquons tout ! Les courageux, en tout temps, partout se sont lancés. Et, de grâce, laissons à Dieu le droit de passer par dessus l'ordre (notre ordre, après tout) et la raison (notre raison, mes amis).
Le Stoïcisme veut bien scandaliser les hommes, mais non pas l'intelligence. Il n'a pas compris les droits et la nécessité de la Folie. Je ne parle même point de la mania des Corybantes, des inspirés, à laquelle Platon reconnaissait une valeur sacrée. Elle ne fait pas encore éclater l'esprit humain. Je parle de cette Folie qui porte un défi total à la pensée. Or il n'y a jamais eu pour l'homme d'enseignement libérateur qui ne fasse craquer par quelque endroit la coquille logique que nous avons secrétée autour de nous-mêmes et de notre monde. Les enseignements qui ne la mettent pas en question ne font qu'épaissir les murs de ce cachot." (Points-Sagesse, 2006, p.157-158)
Gabriel Germain réécrit discrètement ici l'allégorie de la caverne : les chaînes qui contraignent les captifs seraient donc celles de la logique. Mais si les prisonniers ne connaissent pas la réalité première, ce n'est pas parce qu'ils raisonnent - et les meilleurs d'entre eux avec succès - sur les ombres perçues mais parce que ce sont seulement sur des ombres qu' ils raisonnent. Ils seront libérés par l'expérience d'une autre réalité et non par le renoncement au raisonnement logique.
Reste que Gabriel Germain n'a pas tort de soutenir qu'un fossé divise la philosophie en fonction de la valeur accordée à la misologie :
" Je n'en finirais pas de dessiner cette crevasse qui serpente entre deux familles humaines, également éprises de pureté, assurées de leur liberté intérieure, et par là, tout au fond plus fraternelles qu'elles ne l'ont cru jadis. Mais l'une refuse l'aventure, tandis que l'autre ne trouve que sûreté sur les abîmes. Les logiciens : les voyants. - Car "il faut être voyant".
Tant de logiciens pourtant du côté de la grâce, pour la ficeler !" (p.161)
Essayons maintenant de distinguer ce qui unit et sépare Gabriel Germain et Pierre Hadot.
Abordant tous deux le stoïcisme à partir d'un engagement chrétien, n'ont-il pas comme point commun de faire l'éloge de l'inconnaissance , joli mot synonyme d'ignorance?
Germain l'a identifiée à l' au-delà irrationnel délivrant des limites de la philosophie et assurant le salut.
Hadot la placerait dans le choix existentiel, premier par rapport à une batterie d'arguments, seconde et impuissante à justifier logiquement le choix, seulement indispensable pour le rendre communicable, intelligible, diffusable et partageable.
Au fond, deux Folies dont la plus ravageuse pour la raison serait la seconde : Gabriel Germain ne met en doute que la suffisance de la philosophie et non sa rationalité. En revanche Pierre Hadot n'aurait-il pas réduit la philosophie à n'être que l'accompagnement argumentatif et conceptuel d'un choix de vie essentiellement irrationnel ?
Une autre différence enfin : la lecture de Gabriel Germain préserve le rationalisme du système stoïcien, alors que celle de Pierre Hadot nie la rationalité de cette philosophie dans ce qu'elle a de profond et de fondamental.
Mais que vaut donc l'effort de philosopher s'il n'est rien de plus que la découverte de thèses ayant comme seule fonction de rendre au fond simplement vraisemblable un choix existentiel, duquel la raison devrait, par lucidité sur sa propre petitesse, renoncer à juger le bien-fondé ?
Faut-il s'attacher à une philosophie qui ne serait pas fondamentalement rationnelle ?

Commentaires

1. Le dimanche 22 mars 2015, 15:09 par Monfeu
Je me permets de juger très importantes les remarques contenues dans ce billet. Serait-il éclairant, vous en jugerez à votre tour, de les rapprocher des réflexions proposées par Jacques Bouveresse à propos d'une citation de Renouvier (dans Esquisse d'une clarification systématique des doctrines philosophiques) invoquant l'exigence de se rendre "moralement accessible " aux croyances différentes des nôtres ? Le commentaire de Bouveresse (Peut-on ne pas croire ? p.81, Agone) est le suivant:"pour rester jusqu'au bout accessible moralement à la vérité, les philosophes devraient, dans l'idéal, l'être également à la genèse et à l'étiologie de leurs propres choix philosophiques et en particulier à ce que ceux-ci peuvent comporter de plus personnel, de plus affectif et de plus pratique. Mais les philosophes sont le plus souvent obligés par profession de présenter leur propres options comme l'unique résultat de l'exercice d'une raison impersonnelle et immuable."
Une remarque sur cette citation : si l'on dénonce cette impersonnalité supposée de la raison comme une illusion , de deux choses l'une, ou bien on espère pouvoir s'en délivrer en distinguant parmi les raisons du choix celles qui sont "impures", affectives ou contingentes pour ne retenir à la fin que celles qui peuvent prétendre à l'universalité, ou bien on estime cette illusion constitutive de l'option philosophique mais alors il devient impossible de faire de la philosophie une activité fondamentalement distincte de la création littéraire (cf. Par ex. La conception nietzschéenne de la philosophie selon laquelle celle-ci ne décrit aucune réalité qui ne soit déjà écrite à partir du prisme d'une personnalité particulière pour laquelle tout accès à une "réalité objective" est interdit ).
Je propose l'hypothèse que Renouvier et Bouveresse adopte la première option : ils ne concèdent le rôle d'un irrationnel dans le choix philosophique que pour mieux le cerner et le neutraliser, du moins autant qu'il est possible dans une démarche
métaphilosophique.
Concernant la "logique" mise en œuvre par les prisonniers de la caverne de Platon, il faut préciser qu'elle est de nature inductive et non déductive : les prisonniers rivalisent dans la capacité de repérer des régularités empiriques ( quel type de formes va succéder à quel
autre, etc...) et donc de se montrer plus habiles que les autres dans la prédiction des événements. Mais je ne vous apprends rien sur ce point. Simplement il n'est pas certain que l'usage que Gabriel Germain fait du terme "logique" dans le contexte que vous citez soit suffisamment éclairant.
Si je comprends bien votre propos, vous craignez que dans certaines de ses formulations ( ou le plus souvent ?) Hadot n'adopte une position comparable à celle de Nietzsche enracinant toute option philosophique dans un sol existentiel et incapable de s'extraire, quoi qu'elle fasse, de sa particularité subjective.
2. Le mercredi 25 mars 2015, 19:27 par Philalethe
Lisant l'entretien entre Pierre Hadot et Arnold Davidson du 1er Juin 2007 à l'École Normale Supérieure, je suis frappé par le fait que Hadot oppose sans cesse bien vivre à bien parler. " Les philosophes avaient alors, ont encore et auront toujours une tendance presque indéracinable à se satisfaire de discours bien construits qui provoquent l'admiration du public" (Pierre Hadot, l'enseignement des antiques, l'enseignement des modernes, Editions rue d'Ulm, 2010, p.22). Il oppose aussi le bien vivre au penser universitaire. Mais ce qui est remarquable est l'absence d'une référence à la vérité, comme si le seul choix était entre le succès rhétorique et/ou universitaire et l'ataraxie. Certes on pencherait moins vers le second terme de l'alternative si on demandait : chercher à connaître la vérité ou chercher à vivre d'une certaine manière ?

vendredi 20 mars 2015

Stoïcisme d'esclave, stoïcisme d'empereur.

" Ramener les grands et les grandeurs de ce monde à leur juste valeur, même sans méchanceté, pour un simple particulier, c'est une satisfaction. Pour un chef d'état, être l'empereur d'un théâtre d'ombres et le savoir, que lui reste-t-il pour tenir debout en dehors du devoir ?" (Gabriel Germain, Épictète et la spiritualité stoïcienne)

jeudi 12 mars 2015

Rendre justice à Pierre Hadot.

Suite à quelques réactions au précédent billet, je juge bon d'apporter les clarifications suivantes.
Mon intention était alors moins de rendre justice à Pierre Hadot, si célèbre déjà, que de faire connaître Gabriel Germain, oublié injustement peut-être.
J' ai découvert cet auteur grâce à une note de Victor Goldschmidt dans Le système stoïcien et l'idée de temps. P. 241, Victor Goldschmidt mentionne " cette belle étude, aussi compréhensive que personnelle que G.Germain a consacrée à Épictète et la spiritualité stoïcienne."
La lisant, je confirme sa valeur, pénétrante et originale, pionnière peut-être.
Au départ, je voulais intituler mon billet d'hier "Élément de généalogie d'une pensée" et j'ai changé d'avis, tant j'avais conscience de la modestie de l' apport !
Ce qui est surprenant en tout cas, est de ne trouver mention de Gabriel Germain dans aucun des index de noms propres des ouvrages suivants de Pierre Hadot : Qu'est-ce que la philosophie antique ? , Introduction aux "Pensées" de Marc-Aurèle et Études de philosophie antique. Pas plus de mention de son ouvrage dans la bibliographie des Exercices spirituels et philosophie antique. Plus étonnant encore : aucune mention de Gabriel Germain dans la bibliographie accompagnant l'édition de sa traduction du Manuel (2000) (en revanche Pierre Hadot y mentionne l'oeuvre de Th. Collardeau Étude sur Épictète (1903) que Germain mentionnait aussi en 1964). C'est moins étonnant de ne trouver le nom de G.Germain ni dans Le voile d'Isis, ni dans N'oublie pas de vivre.
Certes cela ne veut pas dire que Pierre Hadot ne s'y est jamais référé (je ne connais pas assez bien ses oeuvres pour l'assurer) mais je pense qu'on peut en conclure a minima que ce n'est pas une référence centrale pour lui.
Concernant la relation entre théorie et pratique dans le stoïcisme, d'après les textes dont nous disposons, deux positions me semblent bien défendables (on m'excusera de ne pas mobiliser dans ce bref billet les textes venant à l'appui) :
1) le stoïcisme est un système dont la théorie (physique, logique, morale) justifie une mise en pratique d'elle-même. 2) sont condamnables dans le cadre du système stoïcien autant une théorie sans mise en pratique qu'une pratique aveugle. La vie éthique est fondée sur une connaissance vraie du réel et une connaissance vraie du réel engage à une vie éthique.
À ma connaissance, ce que j'ai lu de Pierre Hadot est fidèle à ces deux positions (et il m'a sans doute aidé à les formuler !) : c'est parce que le stoïcisme est vrai qu'il mérite d'être vécu (et non pas pragmatiquement "c'est parce qu'il rend service pratiquement qu'on va le tenir pour vrai").
Cette solidarité entre la théorie et la pratique fait bien sûr courir un risque à la pratique s'il se trouve que la théorie est théoriquement affaiblie, pire réfutée.
Reste que, par son insistance sur la pratique (le retour à la pratique !), Pierre Hadot a popularisé, vulgarisé, contre son gré peut-être, l'idée de la valeur essentiellement pratique de la philosophique (ce que des philosophes comme Pascal Engel ont contesté de manière justifiée).
Si maintenant je me centre sur la personne de Pierre Hadot , telle que je l'ai découverte dans ses entretiens avec Carlier et Davidson - et non plus sur ses oeuvres savantes -, je dois avouer avoir eu l'impression que l'importance donnée par Pierre Hadot à la vie stoïcienne (et pas seulement à la pensée stoïcienne) était dans la continuité de sa vie religieuse passée (à noter aussi que dans ce texte autobiographique. aucune mention n'est faite non plus de Gabriel Germain. D'où cette question : Pierre Hadot avait-il lu l'Épictète de Gabriel Germain ? Si c'est le cas, l'a-t-il considéré comme quantité négligeable ? Ce serait à mes yeux injuste).
Ceci dit, il va de soi qu'éclairer le contexte de découverte (c'est dans le cadre d'une pratique catholique que Pierre Hadot découvre le stoïcisme) n'éclaire pas le contexte de justification, pour reprendre la distinction de Hans Reichenbach. En effet les conditions de justification d'une thèse, ses raisons, ne sont pas identiques aux causes de sa découverte.

Commentaires

1. Le vendredi 13 mars 2015, 13:10 par lage clapsen
moi j'ai lu jadis le livre Gabriel Germain sur Homère ( Ecrivains de toujours, Seuil). grâce à vous j'apprends ses travaux sur les stoïques.
Hadot a été "découvert" par Foucault. Le hadisme s'est propagé par foucaldisation de la philosophie antique.
Il est temps de réagir.
2. Le samedi 14 mars 2015, 18:23 par Sören Misengaard
Oui, aussi Foucault, dans ses dernières œuvres, a-t-il clairement reconnu sa dette envers Hadot. Mais voilà qu'on l'accuse d'avoir contribué à la radicalisation hadiste ?!
3. Le lundi 16 mars 2015, 15:51 par Décennie
Que ces billevesées n'empêchent pas Philalèthe de souffler ses 10 bougies...
Félicitations et longue vie !..
4. Le lundi 16 mars 2015, 16:21 par Philalèthe
Merci !
Mais on peut voir aussi tout ce blog comme billevesées...
5. Le mardi 17 mars 2015, 10:58 par clap senglag
Ce ne sont pas des billevesées. La question du hadisme est centrale dans la manière dont nous comprenons la philosophie antique et la philosophie tout court. Si Hadot ( et Foucault) ont raison, alors la recherche de la sagesse ne passe pas par la recherche de la vérité théorique. le contraire même de ce que l'on a tenu comme l'héritage des Grecs classiques. Une réinterprétation majeure de l'hellénisme, qui évidemment rejaillit sur tout l'histoire de la Grèce contemporaine et de la conception de l'Europe.
Ceux qui y voient des billevesées pensent-ils comme Hadot et Foucault ?
6. Le mardi 17 mars 2015, 19:08 par Philalethe
C'est important en effet de ne pas réviser à la baisse la vérité que la philosophie cherche, c'est la même que celle des sciences (l'idée de vérité philosophique est suspecte quand elle veut dire simplement opinion philosophique) ; certes la philo a ses problèmes à elle et ses méthodes mais elle n'a pas ses vérités...
Quant à Foucault, j'espère qu'il n'était pas foucaldien et que Hadot n'était pas hadiste ; je crois même qu'on peut trouver dans certains de leurs textes des passages anti-foucaldiens et anti-hadistes.
J'ai aimé par exemple lire Le courage de la vérité de Foucault sur le cynisme car j'ai eu l'impression que par endroits il cherchait à connaître le vérité (au sens ordinaire) sur le cynisme et qu'il éclairait en tout cas le chercheur.
Il ne faut pas que les mauvais disciples et leur intempérance théorique empêchent de chercher dans les maîtres ce qu'ils ont pu apporter de mieux.
C'est sûr que si on veut penser comme Foucault ou comme Hadot ou comme n'importe qui , aussi prestigieux qu'il soit, on est mal parti. On doit juste essayer de penser le mieux possible en respectant la vérité.
7. Le mercredi 18 mars 2015, 18:42 par Quixotte
A lire certaines réactions, il semble, en effet, que les deux auteurs en question soient jugés aussi sévèrement (et donc injustement) que les commentateurs – mais s'agit-il réellement de cela ? N'a-t-on pas plutôt affaire à des résumés sommaires ? - qui en simplifient outrageusement les thèses.
8. Le jeudi 19 mars 2015, 11:11 par gap senclac
"la philosophie n'a pas ses vérités" : alors il y a d'autres discours vrais que celui de la philosophie qui ont leur vérité ? C'est pas ce que j'ai lu dans Platon ou Aristote.
Quant aux auteurs Hadot ou Foucault , aussi subtils soient ils - subtils, forcément subtils - disent ils oui ou non que le but principal de la philosophie grecque n'est pas de parvenir à une connaissance théorique du monde, mais que la visée de cette philosophe a toujours été une sagesse pratique, celle du souci de soi, via des exercices spirituels ? Si c'est un simplification, alors il faut conclure que ce sont des auteurs simplistes.
9. Le vendredi 20 mars 2015, 09:37 par Philalethe
"la philosophie n'a pas ses vérités", je me suis exprimé trop vite, je voulais dire que, s'il y a vérité philosophique, c'est tout autant une vérité qu'une vérité scientifique ou une vérité ordinaire.
Concernant la philosophie grecque, sa visée est la connaissance théorique du monde et grâce à cette connaissance qu'on peut appeler scientifique, de manière un peu anachronique, elle est en même temps de permettre d'accéder à une vie meilleure. En restant dans l'anachronisme, on pourrait parler de morale scientifique !
Si je lis pour aller vite la quatrième de couverture de Qu'est-ce que la philosophie antique ?, j'apprends que "la philosophie procède toujours d'un choix initial pour un mode de vie, d'une vision globale de l'univers, d'une décision volontaire de vivre le monde avec d'autres, en communauté ou en école". Hadot ajoute : " de cette conversion de l'individu découle le discours philosophique qui dira l'option d'existence comme la représentation du monde."
Un tel texte subordonne la théorie au rang de justification a posteriori (rationalisation ?) d'un choix existentiel (de type sartrien ?) qui en l'absence de bonnes raisons théoriques a quelque chose d'irrationnel.
Si on appelle hadiste une telle position, elle me paraît en effet non conforme à la philosophie grecque qui est une recherche de connaissance de la vérité en vue de vivre en accord avec celle-ci.
La position hadiste en question ne me paraît pas tenable, c'est pour cela que j'espére que Hadot n'a pas été complètement hadiste. Que ceux qui connaissent l'oeuvre de Hadot dans tous ses détails  disent si ces formules citées plus haut gauchissent la position d'Hadot ou la reflètent parfaitement.
Quant à Foucault, reste que même s'il a pris cette position hadiste, ses cours sur la philosophie grecque abondent en remarques intéressantes, ce qui ne veut pas dire vraies, je vous l'accorde complètement ! C'est à voir au cas par cas.
10. Le vendredi 20 mars 2015, 10:07 par glance salep
Cher Philalèthe
C'est exactement au sens où vous le dites que je conteste le hadisme.
si les travaux théoriques auxquels les plus grands philosophes grecs se sont consacrés ne sont que des manières de justifier leurs choix de vie et des annexes à leurs exercices spirituels et autres gymnastiques eudémoniques , alors pourquoi se sont ils consacrés aux mathématiques, à la physique, à la logique et à la spéculation métaphysique? En quoi ces activités ne sont elles pas théoriques, et si elles le sont, en quoi sont elles des instruments d'une sagesse seulement pratique? Certes les mathématiques et la métaphysique peuvent nous donner accès à un topos noetikos dans lequel le sage peut trouver son bonheur spirituel, mais ce sont des études difficiles. en quoi l'étude des syllogismes modaux par exemple contribue-t-elle à une quête spirituelle au sens de Hadot? Cela n'empêche pas Hadot d'avoir raison pour 50% de la production philosophique antique.
11. Le vendredi 20 mars 2015, 10:30 par Quixote
Il me semble que le "il est temps de réagir" du premier message envoyé par l'amateur d'anagrammes a été compris par l'un des lecteurs (Misengaard) comme un trait d'humour. En réalité, il n'en est rien : les "auteurs simplistes" ou décrétés tels sont bel et bien à ses yeux une menace pour la philosophie, comme sans doute toute pensée avec laquelle il se trouve en désaccord.
Rendre justice à Pierre Hadot était l'intention initiale : voilà maintenant qu'on se contente du cas par cas pour sauver ce qui peut l'être de sa philosophie. C'est ce qui s'appelle une manœuvre de repli...
Il est temps de passer à autre chose ?
12. Le vendredi 20 mars 2015, 10:48 par Philalethe
À Quichotte, alias Décennie, alias Misengaard
C'est généreux de votre part de me faire croire que trois personnes différentes laissent des posts sur un même billet mais je préfère quand même pour la clarté et l'honnêteté de l'échange qu'on ne joue pas à répondre à un autre alors qu'en fait on multiplie les masques (quand on a un blog, on a connaissance des adresses IP).
Quant à passer à autre chose, je vous en prie, faites-le, en m'accordant par exemple  une réponse à la question suivante : trouve-t-on comme je l'espère des textes non hadistes de Hadot ?
Ce que vous appelez manoeuvre de repli peut être plus aimablement vu comme gain de lucidité. Mais aux hadistes d'intervenir !
13. Le vendredi 20 mars 2015, 11:53 par Philalethe
à Glance Salep
Si on prend le stoïcisme comme système, la physique, la logique et l'éthique se tiennent ; quant à l'épicurisme, il est aussi une science matérialiste et une théorie de la science. 
Quant à la connaissance de la réalité, elle fournit au stoïcien certes une satisfaction en tant que telle (Il y a ici entre autres des textes de Sénèque), mais elle le renforce dans la croyance de l'unité de la nature, de la rationalité de son organisation, croyance qui soutient à son tour la volonté de suivre la nature etc. Aussi ça me paraît risqué de distinguer la connaissance théorique cultivée pour elle-même de celle cultivée aussi pour mieux justifier la vérité de son mode de vie.
Quant à l'épicurien, comme vous le savez, il dénonce en effet le désir de la connaissance théorique comme fin en soi (à cause du souci incessant de découvrir de nouvelles vérités), il n'est donc pas un chercheur. En revanche c'est un scientifique réaliste qui justifie par sa connaissance vraie des atomes ses positions éthiques.
Certes, si on prend les oeuvres de Platon et d'Aristote, il y a manifestement une indépendance de la recherche théorique par rapport à la question du mode de vie juste.
Bien sûr dans l'Apologie de Socrate, le thème du souci de soi est explicite mais il est lié à une volonté de connaître la vérité. Cependant le Parménide est de la pure recherche métaphysique. Il faut donc prendre tout Platon au sérieux.
14. Le vendredi 20 mars 2015, 12:58 par Monfeu
Des masques ? N'en est-il pas de même pour "lage clapsen", "clap senglag", "gap senclac", "glance salep" ? On voit toutefois l'unité d'inspiration, me direz-vous, et ce n'est assurément qu'un demi masque.
Mais je vous donne entièrement raison : ici on ne badine pas. Je vais donc jouer ailleurs...
Merci sincèrement pour vos réponses et votre patience.
15. Le vendredi 20 mars 2015, 21:43 par pale glas en sac
Transparent , moi ?
A Philalèthe
Je conviens que l'épicurien n'est pas un amateur de logique, de maths ou sciences théoriques. Mais il se fatigue quand même à avoir des théories physiques.
Le stoicien renforce sans doute son sens de l'unité de la nature en l'étudiant. Mais pourquoi se fatiguerait il à faire de la spéculation logique s'il peut parvenir au même but sans se livrer à des travaux théoriques ?
Pourquoi, si je cherche la sagesse et l'unité du monde, ne monte-je pas plutôt sur le sommet du Taygète pour contempler la beauté du paysage, plutôt que de me casser la tête sur des sorites?
Pourquoi aller , comme Aristote, passer des jours entiers à faire de la biologie marine, si mon but est d'atteindre la paix spirituelle ?
Le gangster qui prépare le casse du siècle a un but. Le mathématicien aussi. Mais ce n'est pas le même.
16. Le samedi 21 mars 2015, 18:52 par Philalèthe
Ah, cher Pale, et pourquoi pas le Mont Gerbier de Jonc ?
Écoutez plutôt l'Empereur !
" L'Asie, l'Europe : des recoins du monde ; la mer tout entière, une goutte dans le monde ; l'Athos, une petite motte dans le monde." (VI, 36)
17. Le dimanche 22 mars 2015, 12:02 par Sac plengalen
Parce que le Taygète permet de contempler mieux l'étendue des dégats

mardi 10 mars 2015

Être un fidèle du stoïcisme, est-ce être fidèle au stoïcisme ?

Pierre Hadot a popularisé l'idée que la philosophie antique est essentiellement un mode de vie en particulier à travers son livre Qu'est-ce que la philosophie antique ? (1995) mais, trois décennies avant en 1964, Gabriel Germain écrivait :
" Épictète professeur. Peut-être convient-il de prévenir une confusion, née d'habitudes déraisonnables qui sont les nôtres. On s'étonnera un jour que notre temps se soit abandonné à cette idée absurde et dangereuse que l'enseignement de la philosophie est comparable à n'importe quel autre et qu'il suffit, pour conquérir le droit de s'y livrer, de satisfaire à des épreuves purement intellectuelles. Il est vrai : nous avons dissocié philosophie et sagesse, chassé avec hypocrisie la perennis philosophia au profit d'études spéciales, de telle façon que l'appel à la vérité unitive, exigence ou même tourment des jeunes esprits, ne trouve pour lui répondre que les voix des comparses. Même ainsi trahie et exilée, la philosophie reste une vivante, et l'on ne devrait aspirer à son service qu'après des années consacrées à purifier le corps et l'esprit. Les Anciens, eux aussi, ont connu les marchands de syllogisme, et il s'est toujours trouvé des niais pour les payer très cher ; mais, dans l'ensemble, ils sont restés fidèles à l'idéal du Maître de Sagesse." (Épictète et la spiritualité stoïcienne, Points Sagesse, p. 65-66)
Manifestement Germain, qui publie ce texte dans la collection "Maîtres Spirituels" du Seuil, rapproche le stoïcisme des religions sans pour autant l'identifier à l'une d'elles :
«  (…) À prendre le Stoïcisme comme créateur de la vie spirituelle, c'est sous la lumière de l'étude des religions, plutôt que de l'histoire de la philosophie, que nous avons à l'envisager. Il n'est pas d'histoire des religions anciennes qui ne soit amenée à lui donner son attention. Pour ses vrais fidèles, il a été l'âme de leur vie religieuse, comme l'ont été pour les leurs le néo-pythagorisme (qui est allé jusqu'à se former en confréries, avec leurs sanctuaires) et plus tard le néo-platonisme. Avec Sénèque, avec Épictète encore plus, préparons-nous à vivre en philosophie, avec le sérieux et l'intensité que l'on apporte ailleurs à vivre en religion, sinon avec les mêmes pratiques et les mêmes perspectives. »(ibidem p.37)
Voir le stoïcisme moins comme une théorie philosophique à évaluer en termes de vérité et de validité que comme une religion, incline à accorder une grande importance au réconfort et à la paix qu'il peut apporter aux vies de ceux qui se tournent vers lui.
Ce n'est pas forcément anecdotique ni malveillant de rappeler que Pierre Hadot a d'abord été un prêtre catholique et qu'il n'a quitté l'Eglise qu'à 30 ans. Lisant ses entretiens avec Jeanne Carlier et Arnold I.Davidson (La philosophie comme manière de vivre, Albin Michel, 2001), j'ai alors pensé que la conception que se faisait Hadot du stoïcisme était modelée par cet engagement religieux premier et pensé.

Commentaires

1. Le mercredi 11 mars 2015, 20:14 par Monfeu
Bonjour,
Bien entendu qu'il n' y a aucune malveillance, mais rapporter cette conception du stoïcisme à des circonstances biographiques particulières n'aide pas à en mesurer la pertinence. Or le problème de fond est là. Même en admettant les thèses de Hadot, dans son livre sur la philosophie antique qui insiste sur la philosophe comme « mode de vie », on ne doit pas négliger tout l'appareil des raisons qui prétendent en être la justification ou la légitimation. Et cette dimension théorique n'est pas seconde ou secondaire par rapport à la dimension pratique, puisque c'est par ce chemin que le « vrai » et le « valide » restent des notions fondamentales en philosophie. Faut-il nécessairement associer la « spiritualité » (stoïcienne ou autre) à cette méfiance à l'égard de l' « intelligence » (cf. la citation de Gabriel Germain) qui porte à croire que la philosophie ne peut demeurer « vivante » qu'en se détournant d'une rationalité réduite caricaturalement à des syllogismes desséchants ?
2. Le jeudi 12 mars 2015, 08:18 par Maël Goarzin
Bonjour,
Merci pour ces deux textes, qui sont très intéressants pour moi car je me pose précisément la même question concernant la généalogie de la pensée de Pierre Hadot. Savez-vous si Gabriel Germain est une référence récurrente chez Pierre Hadot dans son analyse du stoïcisme?
En ce qui concerne l'accent mis par Pierre Hadot sur la pratique philosophique, à côté du discours philosophique, il me semble qu'il ne serait pas tout à fait juste de réduire sa pensée à cette conception de la philosophie. Il rappelle lui-même le lien fondamental et indissociable entre théorie et pratique, entre discours philosophique et mode de vie philosophique. Il ne peut y avoir l'un sans l'autre. Voilà, ce qu'il dit. C'est la représentation caricaturale de la pensée de Pierre Hadot qui réduit la philosophie à une manière de vivre à mon avis A bien lire Pierre Hadot, et les stoïciens, qui vont tout à fait dans ce sens d'une complémentarité essentielle de la théorie et de la pratique, il ne me semble pas qu'il soit dit que la connaissance et la compréhension des doctrines philosophiques ne sont pas nécessaires à la vie philosophique. Le point mis en avant par Epictète à la fin du Manuel par exemple (chapitre 52), ou par Pierre Hadot dans Qu'est-ce que la philosophie antique? (voir, par exemple, p. 267) est de rappeler que cette connaissance des doctrines n'est pas suffisante, et que la mise en pratique de ces doctrines est nécessaire également.
3. Le jeudi 12 mars 2015, 12:27 par Philalethe
À Maël Goarzin et à Monfeu.
Merci pour vos posts. J'y réponds dans mon billet d'aujourd'hui.

lundi 9 mars 2015

Le sang et la pensée.

Dans son excellent Épictète et la spiritualité stoïcienne (1964), Gabriel Germain écrit :
" Comme tous les être vivants, l'homme est animé par le pneuma divin. Mais il participe à la nature divine de plus près que n'importe lequel d'entre eux, parce que son âme n'est pas seulement un "pneuma" doué de chaleur, suivant une formule de Zénon (S.V.F., I, 135), une "exhalaison" (anathymiasis) (ib.,139,141) sèche et chaude qui s'élève du sang (donc une âme matérielle, mais, elle aussi, d'une matière subtile)." (Points-Sagesse, 2006, p.32-33)
Je retiens "âme matérielle" puis je lis la note correspondant à ces lignes :
" Si cette conception de l'âme a des attaches avec des idées médicales du temps, elle continue également des notions très archaïques : les âmes des morts, dans la nékya odysséenne, reprennent mémoire et conscience en buvant le sang d'une victime. Sang, souffle, chaleur, pensée, vie, sont étroitement liés aux premiers âges de la réflexion humaine." (ibid., p.166-167)
Je me dis alors : à la lumière des neuro-sciences, cet archaïsme-là n'est-il pas plus proche de la vérité que la modernité cartésienne et notre dualisme ordinaire ?

Commentaires

1. Le mardi 10 mars 2015, 11:01 par Monfeu
Bonjour,
1°) Si la "vérité", sur ce sujet, se révèle à la "lumière" des neuro-sciences, alors le matérialisme ancien (Démocrite, Épicure, Lucrèce) n'en est-il pas tout aussi proche, sinon plus ? Et d'ailleurs, peut-on mesurer ce genre de distance ? Pour prétendre qu'une position théorique est "proche" de la vérité, il faut supposer celle-ci acquise et localisable.
2°) N'y a-t-il pas des dissensions philosophiques au sein des neurosciences, en dehors du fait qu'elles constituent un domaine pluridisciplinaire ?
3°) Le dualisme "ordinaire" est-il la même chose que la "modernité" cartésienne ? N'y a-t-il pas, de plus, une simplification rituelle de la pensée cartésienne sur ce point ? Denis Kambouchner rappelle utilement que ""l'esprit humain n'a pas besoin de corps pour penser" n'est pas un énoncé cartésien" (in Descartes n'a pas dit, Les belles lettres, 2015, p.89)
2. Le mardi 10 mars 2015, 18:45 par Philalèthe
Merci de vos commentaires.
1) a) C'est clair que si on est matérialiste Démocrite ouvre la voie. C'est plus difficile à dire concernant l'épicurisme à cause du clinamen attribué par Lucrèce à l'atome. 
b) Oui, la mesure de la proximité a une dimension métaphorique mais pour autant cela n'implique pas qu'il n'y ait pas des vérités acquises (c'est un fait médical par exemple que quand on opère d'une tumeur  à crâne ouvert le cerveau il arrive qu'on demande au patient en quoi la modification qu'on fait subir à  son cerveau a un effet sur son esprit).
2) À ma connaissance il n'y a pas de dissensions philosophiques au sein des neurosciences (il y a des discussions scientifiques). En revanche il y a des dissensions de ce type quand les neuroscientifiques philosophent sur l'esprit à partir des neurosciences.
3) a) Nous sommes spontanément dualistes (Descola dit que c'est une distinction universellement reconnue) et ce dualisme ordinaire est plus proche de la pensée de Descartes sur le sujet du rapport corps/esprit que de celle de Berkeley par exemple.
b) Le livre de Kambouchner est bien utile et ce travail devrait être fait pour chaque philosophe. Mais je ne l'ai pas lu. Reste que l'esprit a chez Descartes une réalité substantielle, ce qui implique qu'il est intrinsèquement intelligible sans qu'on le mette en relation avec le corps. Mais c'est clair que l'esprit ne peut pas avoir les idées de plaisir et de peine, ces idées que Descartes attribue au foetus dans la lettre à Hyperaspites, sans union avec le corps, pas plus que toutes les idées de la perception. Mais Descartes reconnaît aussi à l'esprit des idées innées (l'esprit du foetus a l'idée de Dieu).
3. Le mercredi 11 mars 2015, 10:00 par Monfeu
Merci pour votre réponse.
Sur le point n° 2: si l'on prend le cas de John Eccles (tant pis pour l'inactualité de l'exemple) il me semble qu'on ne peut rendre compte de ses travaux en disant qu'il « philosophe sur l'esprit à partir  des neurosciences » ou, du moins, cela demande quelques précisions. Il serait plus juste de dire qu'il tente de tirer d'arguments scientifiques (neurobiologiques) le moyen d'étayer la thèse d'une action spécifique de la conscience sur le cerveau, ce qui est typique d'une position dualiste (interactionniste) ouvertement anti-matérialiste. Il est difficile de dire si c'est cette position philosophique adoptée a priori qui guide ici l'argumentation scientifique (elle-même discutable quant à sa portée) ou bien, au contraire, si ce sont les travaux scientifiques qui ont déterminé l'adoption de cette perspective philosophique. Je serais enclin à croire que ce sont les positions philosophiques de l'auteur qui ont orienté la recherche et qu'il a tenté de leur donner une assise scientifique (cf. Evolution of the Brain, Creation of the Self : « I maintain that the human mystery is incredibly demeaned by scientific reductionism, with its claim in promissory materialism to account eventually for all of the spiritual world in terms of patterns of neuronal activity. This belief must be classed as a superstition. . . . we have to recognize that we are spiritual beings with souls existing in a spiritual world as well as material beings with bodies and brains existing in a material world. »)
On voit, par ailleurs, que le recours chez lui à la mécanique quantique – qui a été source de perplexité et de discussions sur son opportunité ou sa pertinence dans le domaine de la neurobiologie- est une stratégie pour plaider en faveur de l'indéterminisme et « sauver » la liberté au sens métaphysique du terme.
Dans ces conditions et lorsque des notions comme celles de « conscience », d' « événements mentaux », d' « esprit », etc., sont abordées, est-il si facile de différencier discussions scientifiques et dissensions philosophiques ? Mais, me direz-vous avec raison, la question se pose et s'est posée de la même manière dans des domaines étrangers à l' « esprit »...