Le Dictionnaire des oeuvres politiques publié aux PUF, cinq ans après le livre de MacIntyre, donc en 1985, sous la direction de François Châtelet, Oliver Duhamel et Evelyne Pisier, s’ouvre par ces lignes :
« Lorsque nous avons décidé d’ « éditer » cet ouvrage collectif, nous nous sommes donné un double objectif : d’une part faire connaître des œuvres qui, de diverses manières, ont marqué la réflexion politique au sein de la culture méditerranéo-européenne (et ses extensions ultérieures), depuis ses commencements historiques repérables comme la Torah, le récit de Thucydide et les dialogues de Platon, jusqu’à nos jours… ; d’autre part susciter de la part des spécialistes nombreux et différents des commentaires forcément interprétatifs qui témoigneraient aussi des préoccupations de la pensée politique contemporaine, de langue française principalement. » (p VII)
Les intentions sont honorables. Les éditeurs précisent alors que 127 oeuvres ont été retenues :
« D’œuvres et non d’auteurs, les textes constituant un matériau plus directement conceptuel. »
Les auteurs sont présentés par ordre alphabétique de Alain à Zola.
Entre Herzl (sic) (qui suivait Heidegger) et Hobbes, je découvre Hitler pour Mein Kampf et comme si le nazisme n’était pas déjà par là amplement représenté, après Robespierre et juste avant le Rousseau du Contrat Social niche Rosenberg pour Le mythe du 20ème siècle.
Entre Herzl (sic) (qui suivait Heidegger) et Hobbes, je découvre Hitler pour Mein Kampf et comme si le nazisme n’était pas déjà par là amplement représenté, après Robespierre et juste avant le Rousseau du Contrat Social niche Rosenberg pour Le mythe du 20ème siècle.
On me dira qu’un dictionnaire des œuvres politiques n’est pas un dictionnaire des œuvres philosophiques (certes mais quel est le grand philosophe qui ne se trouve pas dans ce dictionnaire ? Aristote, Kant, Hegel ...) et que je devrais aussi mentionner Staline, entre Spinoza et Strauss.
Certes mais fallait-il inclure une œuvre nulle ? On me dira que la passion m’emporte. Mais que découvré-je dans la suite de la présentation ?
« Les œuvres politiques retenues sont pour la plupart des mixtes de ces divers aspects (les textes ont été plus haut regroupés en trois catégories : a) ceux qui exposent « une conception originale de l’activité politique » b) ceux qui, « dans des circonstances historiques données » prennent explicitement parti d) ceux auxquels la suite des événements politiques donne de l’importance) – avec deux limites antithétiques : le livre intellectuellement nul qui ne figure qu’au regard du rôle historique de son auteur (Pourquoi Mein Kampf ?) et le discours cohérent, complet, fondé sur une conception du monde et de la connaissance dont l’intérêt ne se mesure pas à l’effectuation historique (la Kallipolis de Platon ?) »
J’ai du mal à comprendre comment on peut à la fois 1) préférer les textes aux auteurs à cause de leur dimension conceptuelle 2) justifier le choix d’un texte conceptuellement nul par l’importance de son auteur. Il me semble que 1) aurait dû amener à ne pas intégrer Hitler dans la liste.
Heureusement Elisabeth de Fontenay qui s'est chargée de la notice consacrée à Mein Kampf ne peut être plus claire:
"Ceci est-il un livre ? Telle est la question qui de nouveau s'impose (sa deuxième phrase avait été: "A peine peut-on le prendre pour une oeuvre."). Le style ? Du très mauvais allemand, malgré les nombreuses corrections apportées au cours des rééditions. Le ton ? Oratoire, celui d'un tribun incontinent qui vaticine sur tous le sujets qui lui passent par la tête, d'un monomane agité, et non pas celui d'un écrivain ou d'un théoricien soucieux de construire des phrases et d'articuler des idées. Le genre mêle la diatribe, le récit, l'exposé doctrinal, le compte-rendu de lecture, la prophétie: propos de café du commerce, dirait-on si l'on ne craignait de compromettre une pratique somme toute assez innocente avec ce protocole du crime. Au cours des 782 pages, lectures hétéroclites et mal assimilées, pathos d'une autobiographie qui prétend conférer sa légitimité à une "conception du monde": Weltanschauung, c'est un mot dont Hitler se grise parce qu'il décore d'une aura philosophique ses brouillonnes et explosives synthèses." (p.331)
Proposition: à l'occasion d'une réédition du Dictionnaire, remplacer Mein Kampf par LTI, La langue du IIIème Reich (1947) de Victor Klemperer. On y gagnerait vraiment.
Commentaires
J'avoue ne pas trop comprendre votre démarche.
D'abord, pour avoir déjà eu l'occasion de l'utiliser, je tiens à dire que je trouve ce dictionnaire parfaitement respectable. Je n'ai pas souvenir d'avoir consulté l'article en question, mais le nom même de sa rédactrice plaide a priori en sa faveur. D'ailleurs vous-même me critiquez pas le contenu intellectuel de cet article mais le fait qu'il figure dans ce dictionnaire.
Mais pouquoi diable voulez-vous donc qu'un dictionnaire des oeuvres politiques ignore "Mein Kampf" avec pour seul motif qu'il s'agit d'une oeuvre conceptuellement nulle ? Car enfin "Mein Kampf", vous semblez l'oublier, ce n'est ni "Fils du peuple" de Thorez, ni "Démocratie française" de VGE, ni encore moins "Quelques baies de genièvre" de Robert Fabre. Ce livre a eu une telle influence sur le cours du XX° siècle ! Tant de gens sont morts par ou pour lui ! Pour un dictionnaire digne de ce nom, ce serait manquer à sa mission première d’information que de ne pas en parler (et cela indépendamment de toute considération sur sa valeur conceptuelle).
Quant aux vertus du silence, je n’y crois guère. Souvenez-vous d’Erostrate d’Ephèse.
D'ailleurs, dans un pays où les lois savent distinguer l'information et de l'apologie, qu'auriez-vous donc à craindre d'un article de dictionnaire ? L'article "syphilis" du "Petit Larousse" a-t-il jamais contaminé personne ? Pour vous dire le fond de ma pensée, à l'heure où en deux, trois clics, n'importe qui peut accéder à n'importe quelle ânerie sur Hitler et le III° Reich ou sur n'importe quel autre sujet, je trouve admirable qu'il y ait encore des auteurs pour tenter ainsi, "à l'ancienne", de présenter de façon à la fois précise et concise l'état des connaissances sur un sujet.
J'étais sensible aussi à la contradiction entre deux critères de choix: la conceptualité des textes (qui devrait entraîner l'exclusion de textes sans valeur conceptuelle aucune) et l'importance historique des auteurs (qui justifie certes l'entrée de Hitler mais qui conduit à une cohérence incompatible avec celle du premier critère).
C'est aussi sans doute dans la logique du billet précédent qu'on comprend mieux la motivation de celui-ci.
Je suis, sinon, en accord total avec vos arguments: je n'ai pas prêché le silence et je pense comme vous qu'il faut des repères objectifs visibles pour amoindrir la nocivité de la mondialisation de la nullité que permet entre autres effets Internet
Comment prétendre que "Mein Kampf" est un ouvrage nul alors qu'il est interdit de vente en France et qu'un achat sur internet pourrait être tracé via adresse I.P ? En France, on peut se proccurer cet ouvrage au marché au livre Georges Brassens dans le 15 ème. J'ai vu un exemplaire, il ya 15 jours, sur étalage que j'ai regardé en détail pour voir ce qui était déjà surligné... Cela me fait penser à un épisode troublant d'objets interdits de vente en France concernant le nazisme. Il y a quelques années, alors que j'étais chez un petit antiquaire du marché aux puces de Paris, je suis rentré à l'intérieur quand j'ai vu un client avec une dague nazi. Surpris, j'ai tendu l'oreille et j'ai alors entendu le libraire avancer " je peux pas écouler cette dague d'apparat à Paris, mais à Lyon il y a des gens intéressés par cela".
ustl1.univ-lille1.fr/cult...
Ceci dit, vous m'apprenez son interdiction de vente en France. En Espagne, où je vis, ce n'est pas rare non plus de le trouver d'occasion. Les livres apologétiques relatifs au franquisme ne me semblent pas rares non plus, leur vente est autorisée d'autant plus qu'il n'y a pas de menace de résurgence d'un néo-franquisme. L'extrême-droite ici a été absorbée par la droite.
Merci pour le texte de Rey sur Heidegger.
Je ne pense pas également que l'on puisse traiter de "nul" une confession de souffrance, c'est une vue logo-centrée. Ce qui se donne à voir se manifeste surtout par la ponctuation. Pour ma part, je détecte des conflits politiques chez un sujet dans son rapport à l'art. C'est le cas chez Hitler qui a fait les beaux arts. En effet, l'art ne respect pas la disjonction ETRE/MONDE de l'esthétique transcendantale kantienne que je prends (avec Kant) pour une injonction divine a être dans le monde, c'est-à-dire encore : ne pas être Dieu.
C'est la raison pour laquelle je ne pense pas que Heidegger ait été antisémite et encore moins nazi. C'est un petit universitaire qui a fait toutes les compromissions possibles pour se maintenir à son poste. En revanche, ce n'est pas le cas de Nietzsche...
2) Juger nulle ici l'expression d'une souffrance (je reprends sans l'approuver pour autant votre caractérisation du livre de Hitler) veut juste dire que, jugée selon des critères rationnels (pour faire vite, conformité aux faits et respect des règles de la logique) elle est qualifiable d'irrationnelle (ce qui d'ailleurs s'expliquerait si elle n'était que l'expression d'une souffrance). Cela n'implique pas qu'il y a nulle souffrance. "Les martyrs n'ont jamais rien prouvé" comme disait Nietzsche que vous ne semblez guère aimer !
3) Je ne cache pas que je ne place pas dans la ponctuation la valeur gnoséologique que vous lui donnez.
4) Je ne suis pas sûr de vous comprendre mais vous semblez dire que la pratique des beaux-arts a encouragé chez Hitler une sorte d'hybris qu'il n'aurait pas développée s'il avait lu Kant. A mes yeux il y a mille manières de se représenter une pratique artistique; mais même si un artiste avait conscience d'être un démiurge face à la toile, disons, il faudrait expliquer pourquoi il passe au plan politique. Vous me direz peut-être que c'est parce que ces créations picturales n'étaient pas reconnues (à juste titre, si j'en juge par la toile d'Hitler que j'ai vue en 86 à Beaubourg lors de l'expositon sur Vienne: L'Apocalypse Joyeuse). Mais c'est une vieille chanson: si Hitler n'avait pas raté son examen d'entrée à l'école des Beaux-Arts... Il y a un livre de Schmidt sur ce sujet, si je ne me trompe.
J'ajoute qu'il semble qu'Eichmann avait lu Kant, pourtant...
5) Heidegger a été nazi en deux sens: 1) dans un sens factuel (il a pris sa carte, il fait cours en uniforme nazi) 2) dans un sens philosophique: le nazisme a été à plusieurs reprises l'objet de conceptualisations philosophiques de sa part. Lisez-moi bien: je n'ai pas écrit qu' Heidegger a été un philosophe nazi, ce qui serait faux tant son oeuvre dépasse en valeur l'idéologie nazie.
6) Quant à Nietzsche, que suggérez-vous ? Pour être né trop tôt il n'a pas pu être nazi et il a été très clair dans sa condamnation sans appel du pangermanisme nationaliste. Quant à l'accusation d'antisémitisme, elle ne tient pas non plus tant il l'a condamné. Ce qu'on peut dire seulement, c'est que le concept de Juif tel qu'il l'a travaillé rendait possible une récupération par les Nazis. A mes yeux Nietzsche a été détourné mais certains textes (hors contexte et le contexte ce sont tous les autres textes) se prêtaient à un tel détournement. Mais j'expose ici des choses bien connues...
5) Prendre sa carte: il était obligé de le faire s'il voulait garder son poste.
6)
7) De la même manière qu'il y a deux sortes de productions pour un artiste, la production spontanée et la commande, il y a deux types de productions chez le philosophe Heidegger. Si l'église chrétienne passe commande d'une vierge à l'enfant à un artiste, ce dernier doit-il être ensuite être classé comme chrétien ?
De la même manière, si une université développe un thème nazi, les philosophes seront ils déclarés nazis ?
Où est la limite de responsabilité ? La démission est la première. Comment juger après-coup ? Il me semble que comme Kant avec son Opus Postumum, il revient aux productions spontanées de dire si l'artiste ou le philosophe est responsable de ses prises de position au delà des contrats auxquels il est soumis, même si ces contrats eux-mêmes peuvent faire l'objet d'un jugement historique et donc d'une condamnation.
Un article ou un livre d'un universitaire est-il une production spontanée ou une commande de l'Etat français ?
Répondre à cette question, c'est envisager l'impossibilité de la philosophie universitaire, comme l'avançait Schopenhauer dans son "Contre la philosophie universitaire".
Devant l'ampleur du questionnement, je me contente de vous faire parvenir quelques références :
skildy.blog.lemonde.fr/20...
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