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jeudi 1 décembre 2016

Rêveries d'un blogueur solitaire.

A François, pour la deuxième fois !
Dans les premières pages du Traité de l’argumentation (1958), Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca écrivent :
« Faire partie d’un même milieu, se fréquenter, entretenir des relations sociales, tout cela facilite la réalisation des conditions préalables au contact des esprits » (p.22)
On peut donc légitimement se demander si, quel que soit le nombre des visiteurs indiqués par les compteurs, écrire un blog permet d’entrer en contact avec des esprits.
Si j’en juge par la rareté des commentaires, je serais porté à répondre que non.
Ceci dit, je me console en relisant d’autres lignes de Perelman :
« Il n’est pas toujours louable de vouloir persuader quelqu’un : les conditions dans lesquelles le contact des esprits s’effectue peuvent en effet paraître peu honorables. On connaît la célèbre anecdote, concernant Aristippe à qui l’on reprochait de s’être abaissé devant le tyran Dionysios au point de se mettre à ses pieds pour être entendu. Aristippe se défendit en disant que ce n’était pas sa faute, mais celle de Dionysios qui avait les oreilles dans les pieds. Serait-il donc indifférent où les oreilles se trouvent ? (dans les études de communication, on devrait fixer un seuil au-dessous duquel il serait éthique de s’arrêter de chercher des oreilles). Pour Aristote, le danger de discuter avec certaines personnes est que l’on y perd soi-même la qualité de son argumentation:
« Il ne faut pas discuter avec tout le monde, ni pratiquer la dialectique avec le premier venu car, à l’égard de certaines gens, les raisonnements s’enveniment toujours. Contre un adversaire, en effet, qui essaye par tous les moyens de se dérober, il est légitime de tenter par tous les moyens d’arriver à la conclusion ; mais ce procédé manque d’élégance. » (Topiques Livre VIII chap. 14 164b) »
Mais suffit-il de prêcher dans le désert pour être élégant ?
Certes on peut se consoler autrement, en rêvant que le blog prenne, quelque jour improbable, la forme du dialogue parfait, tel que Merleau-Ponty l’a si bien décrit dans la Phénoménologie de la perception (1945) :
« Dans l’expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu’un seul tissu, mes propos et ceux de l’interlocuteur sont appelés par l’état de la discussion, ils s’insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n’est la créateur. Il y a là un être à deux, et autrui n’est plus ici pour moi un simple comportement dans le champ de ma perception, ni d’ailleurs moi dans le sien, nous sommes l’un pour l’autre collaborateurs dans une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent l’une dans l’autre, nous coexistons à travers un même monde. Dans le dialogue présent, je suis libéré de moi-même, les pensées d’autrui sont bien des pensées siennes, ce n’est pas moi qui les forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et même l’objection que me fait l’interlocuteur m’arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte que si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour. C’est seulement après coup, quand je me suis retiré du dialogue et m’en ressouviens, que je puis le réintégrer à ma vie, en faire un épisode de mon histoire privée, et qu’autrui rentre dans son absence, ou, dans la mesure où il me reste présent, est senti comme une menace pour moi. »
Surtout ne pas draguer trop bas par volonté de ramener à la surface un semblant d’alter ego :
« Nous ne souffrons pas d’incommunication, mais au contraire de toutes les forces qui nous obligent à nous exprimer quand nous n’avons pas grand-chose à dire.(…) Créer, n’est pas communiquer mais résister. » (Deleuze 1990)
Je sais bien qu’à citer Deleuze je cours le risque de miner l’éloge que faisait Merleau-Ponty de l’échange idéal. Visant sans doute Habermas, lui et Guattari écrivaient :
« L’idée d’une conversation démocratique occidentale entre amis n’a jamais produit le moindre concept » (Qu’est-ce que la philosophie ? 1991 p.10)
Créer des concepts, c’est la fonction du philosophe pour Deleuze. Reste qu’il lui faut bien des amis ou des rivaux pour l’assurer qu’il ne croit pas simplement créer des concepts…

Commentaires

1. Le samedi 2 décembre 2006, 09:28 par edi
Bonjour,

Je pense que les commentaires si rares qu'ils soient-ils ne montrent guère la superbe qualité de ce blog.

Parler de philosophie de manière si élégante, je trouve est un avatange, un atout, un plus. Si j'avais eu votre facilité à écrire d'aussi belles phrases toutes aussi sensés les unes que les autres, je me sentirais bien. Je trouverais que je serais riche de l'âme. Comme la plupart des écrvains, vous êtes également riche de l'âme.

Je vous conseille de continuer sans devoir regarder le nombre de commentaires qui peuvent faire baisser le moral.

Au plaisir de vous revoir très vite.
2. Le dimanche 3 décembre 2006, 00:31 par Nicotinamide
Un échange n'est que la juxtaposition de deux monologues. A la place de Perelman, j'aurai choisi une autre anecdote. Diogène Laerce VI 59 où un philosophe antique précise que s'il avait pu convaincre son interlocuteur, il aurait persuadé d'aller se faire pendre... montrant finalement l'impuissance de la démonstration ou du dialogue
3. Le dimanche 3 décembre 2006, 11:51 par philalethe
Logiquement s'il n'y a que juxtaposition de deux monologues, il n'y a pas échange; il faut la possibilité de l'échange pour que les concepts de "juxtaposition de deux monologues" soient pensables et donc éventuellement utilisés pour caractériser un fait.
On ne pourrait pas plus soutenir que tous les hommes portent des masques (puisque porter un masque implique ne pas montrer son visage, expression qui n'a de sens que si montrer son visage est possible). Un certain pessimisme se heurte à des limites conceptuelles.
4. Le mardi 5 décembre 2006, 17:25 par julien dutant
Une remarque technique, à défaut de garantir la possibilité mataphysique du dialogue:

Il faut ajouter le plugin LastComments (voir www.dotclear.net/trac/wik... pour afficher les derniers commentaires! Cela permet aux visiteurs de suivre les endroits où il y a de la discussion.

Sans cela, quelqu'un qui voudrait faire un commentaire sur un billet datant d'il y a un moins, par exemple, risquerait de parler dans le vide (garanti sans échange, cette fois), ou de n'être lu que par vous et les rares utilisateurs qui suivraient le fil RSS des commentaires. Cela signifie que, concrètement, nous n'avons qu'une fenêtre de quelques jours pour commenter les billets!
5. Le mardi 5 décembre 2006, 17:39 par philalethe
Merci beaucoup, Julien Dutant, d'abord de prendre la parole sur ce blog et ensuite de contribuer à son amélioration.
6. Le jeudi 7 décembre 2006, 16:14 par Zech
Heu, je viens faire un commentaire de pure forme, mais j'aimerai savoir, s'il est volontaire de parler du tyran dionysos, lorsque vous relatez l'anecdote d'Aristippe rapportée par Laërce, alors qu'il me semble que dans la traduction que j'ai de "Vie, Doctrines, et Sentences Des Philosophes Illustres", c'est bien le tyran Denis, qui est cité.
7. Le jeudi 7 décembre 2006, 16:34 par philalethe
Merci de me lire si minutieusement.C'est une faute de frappe: Dyonisios (et non Dyonisos) traduit aussi par Denys (et pas Denis ;). Je corrige illico !
8. Le samedi 31 décembre 2011, 08:45 par Azul
Merci de partager votre passion. J'ai découvert votre blog par hasard, mais je n'ai pas pu le quitter avant d'avoir tout lu.
9. Le samedi 31 décembre 2011, 11:47 par Philalèthe
Merci de m'avoir fait connaître l'intérêt que vous avez pris à lire ces billets.

mardi 3 mai 2005

Métablog.

Quand j’ai commencé ce blog, je pensais que je diversifierais mes sources et j’envisageais une promenade du côté des textes d’Epictète, de Sénèque, de Platon, de Sextus Empiricus ou d’un autre. Mais ne voilà-t-il pas que ce Diogène Laërce me passionne tant que je ne veux pas encore l’abandonner ! Pourtant je l’ai longtemps tenu pour négligeable, cet anonyme compilateur ; c’est que je ne m’intéressais pas encore à l’exercice de présentation et d’analyse des vies exemplaires. Je sais bien que je pourrais les trouver ailleurs, dans la littérature ou au cinéma. Mais alors j’aurais tant de manières de les éclairer, ces vies, que j’en ai déjà le tournis. En revanche, en lisant Laërce, j’ai un impératif : éclairer la vie à la lumière seulement de la doctrine professée par le philosophe en question. Mais par qui continuer maintenant ? Je réalise que si j’ai examiné avec soin les vies des cyniques, des stoïciens et des sceptiques, en revanche la vie d’Epicure est restée dans l’ombre. En plus, comme c’est à Laërce qu’on doit de nous avoir transmis presque tous les textes d’Epicure dont on dispose, il est dommage de laisser sans commentaire ce qui les introduisait : quelques pages où il narre sa vie. Et je crois savoir ce qui attend après ceux qui me lisent : une remontée aux sources. C’est aussi des plus anciens philosophes que Laërce nous entretient, de ceux qu’on appelle les présocratiques, de Thalès par exemple ou de Pythagore. Je n’ai pas le cœur pour l’instant à laisser de côté ces vies encore plus légendaires, encore plus éloignées mais qui me fourniront tant de manières de vivre et de manières de voir. Les Vies et doctrines des philosophes illustres, c’est un peu en ce moment un grand livre de cuisine qui me présenterait des recettes merveilleuses mais infaisables. Je les goûte en pensée, ces vies, à défaut d’être en mesure d’en vivre une à cette hauteur-là. Et qui sait ? Un lecteur, au hasard d’une page, y trouvera le petit morceau dont il aura besoin pour recoller ou continuer ou enrichir ou changer ou refaire ou comprendre ou … la sienne. Ainsi je transmets le souvenir de ces vies jamais vécues sans doute mais bel et bien écrites. Je sais qu’elles sont faites de bric et de broc, de rumeurs, de lectures (et d’erreurs de lecture), de préjugés et de parti-pris ; je n’ignore pas non plus que le texte que je lis est le produit de traductions qui ne vont pas de soi et qui pourraient quelquefois être raisonnablement contestées. Mais enfin de ces contingences et de ces hasards innombrables est né ce texte-là que j’ai sous les yeux et c’est à lui que je me réfère, en oubliant ce qu’il aurait pu être si et si… Ce texte est une œuvre : elle aurait pu ne pas être, elle pourrait être différente, mais elle est ici et maintenant avec ses traits bien définis qui la déterminent très précisément et m' empêchent, aidé par la foule des commentateurs et des traducteurs, de dire n’importe quoi. Je voudrais pour finir citer les dernières lignes de la préface de Jacques Brunschwig au livre qu’il a traduit ; elles me paraissent valoir en effet pour tout l’ouvrage :
« Le livre IX se prête ainsi à de multiples lectures : la lecture du curieux, à laquelle il apporte une ample moisson de « petits faits » qui ne sont peut-être pas tous « vrais », mais qui font image et se gravent immédiatement dans la mémoire ; la lecture du savant et de l’érudit, à laquelle il fournit de nombreux matériaux valables par eux-mêmes et propres aussi à entrer dans de multiples comparaisons ; la lecture méditative, enfin, de qui ne se lasse pas de s’interroger sur les rapports toujours énigmatiques entre « la vie » et « les pensées », ces deux plans à jamais accolés et distincts, depuis que Diogène Laërce les a juxtaposés, peut-être moins innocemment qu’il n’y paraît, dans le titre même et dans le contenu de son ouvrage. » (p.1042)
Je ne connaissais pas ces lignes avant de me lancer dans cette entreprise mais c’est avec plaisir que je veux bien prendre ma place parmi les « lecteurs méditatifs » de Diogène Laërce !

Commentaires

1. Le jeudi 1 juin 2006, 23:08 par Val580
Eh ben bravo et bon courage !