Ce billet est tout d’abord l’occasion de saluer la publication en espagnol de deux volumes qui constituent une précieuse anthologie de textes antiques sur les cyniques (Los filósofos cínicos y la literatura moral serioburlesca José A. Martin Garcia & Macías Villalobos ed. Akal Madrid 2008). Je l’explore aujourd'hui afin de donner un peu de corps à Philiscos d’Egine, que j'ai seulement évoqué en frère aîné incapable de faire revenir son jeune frère au domicile paternel tant il était comme lui sous le charme de Diogène.
On peut commencer par relier Philiscos de deux manières à la tragédie. D’abord parce que Diogène aurait composé une tragédie ayant Philiscos pour titre (Diogène Laërce VI 79), ensuite parce qu' il n’aurait pas été seulement le disciple conquis de Diogène mais aussi selon Satyros l’auteur des tragédies qu’on attribue au maître. Marie-Odile Goulet-Cazé soutient cependant que « les tragédies étaient certainement des ouvrages de Diogène » (éd. des Vies p.746). C’est l’avis de García et Villalobos pour lesquels on a attribué à Philiscos les tragédies de Diogène afin de donner une image du maître libérée du poids des positions scandaleuses que Diogène y aurait soutenues (ibid vol. 1 p.430). En effet,d’après Laërce VI 73, dans une de ses tragédies, Thyeste, Diogène aurait défendu l’anthropophagie. Il y a donc quatre possibilités selon que le Philiscos de la tragédie est ou non Philiscos d’Egine : ce dernier aurait écrit une tragédie ayant ou lui-même ou un homonyme comme personnage principal ou bien Diogène aurait consacré une tragédie à un disciple ou à un homonyme de son disciple. Dans les quatre cas cela reste étrange.
En revanche, d’après Simone Follet, Philiscos serait bel et bien l’auteur des vers inscrits sur la statue de bronze érigée, après la mort de Diogène, en son honneur, par ses concitoyens :
« Même le bronze subit le vieillissement du temps,
mais ta renommée, Diogène, l’éternité ne la détruira point.
Car toi seul as montré aux mortels la gloire d’une vie
Indépendante et le sentier de l’existence le plus facile à parcourir » (Laërce VI 78)
mais ta renommée, Diogène, l’éternité ne la détruira point.
Car toi seul as montré aux mortels la gloire d’une vie
Indépendante et le sentier de l’existence le plus facile à parcourir » (Laërce VI 78)
Philiscos aurait écrit aussi des dialogues philosophiques, la Souda cite le titre de l’un d’entre eux Codrus et Garcia et Villalobos rapportent une citation de lui faite par Stobée:
« Il est impossible, insensé, que ceux qui n’ont pas fait d’efforts reçoivent ce qui revient à ceux qui ont fait des efforts » (III 29 40 ibid. p.435) - on notera la contradiction entre l'éloge de l'effort ici et la référence à la facilité du sentier dans les vers cités plus haut.
Enfin Garcia et Villalobos m’apprennnent – mais sans mentionner la source – que Philiscos aurait été le professeur de grec d’Alexandre le Grand.
Qui imaginera un dialogue où Aristote et Philiscos devisent sur les mérites de leur illustre élève ?
Qui imaginera un dialogue où Aristote et Philiscos devisent sur les mérites de leur illustre élève ?
En tout cas, qu’il s’appelle Diogène ou Philiscos, le cynique a à coeur de donner des leçons à Alexandre.
Commentaires
On se souvient de Monime (DL VI 82) amoureux féroce, inspiré par la vertu dans les paroles et dans les actes de Diogène. Xéniade tomba aussi sous le charme éhonté (DL VI 74). Néanmoins cette capacité de séduction se retrouve chez Cratès (DL VI 96). Je pourrais ajouter Antisthène : (DL VI 14) "Antisthène était très habile et qu'il pouvait subjuguer n'importe qui grâce au ton juste de sa conversation". Elargir le cercle des paroles caressantes : Pyrrhon captive (DL IX 64).
Paradoxalement, Diogène constate qu'il est impossible de convaincre. (DL VI 59). Ainsi d'où vient son pouvoir de persuasion ? Il me semble que ses aboiements sont le spectacle du sens. Aucune décoration dialectique. Pour convaincre les disciples, le maître cynique utilise : des coups de bâtons, des farces, des marmites de lentilles entre les cuisses, des colliers de hareng, la mise à nu et l'exemple de sa vie. (DL VI 71 "rien ne réussit sans ascèse")